(1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Chapitre quatrième

§ I. État de la poésie française après la mort de Marot. Mellin de Saint-Gelais.

On a vu comment Marot avait été touché plutôt que formé par la Renaissance. Il ne répara jamais le manque d’études fortes77, et il fut toujours le disciple de Jean Lemaire et de Jean Marot, son père lesquels n’avaient songé qu’à perfectionner, sous le rapport du mètre, la langue poétique de Jean de Meung et de Villon. Virgile, qu’il entendait assez bien pour en traduire médiocrement quelques églogues, ne lui donna pas l’idée d’une poésie plus sérieuse et plus élevée, et il ne quitta pas les traces d’Ovide dans l’élégie plus spirituelle que passionnée, et celles de Martial dans l’épigramme. Pour le grec, dont l’étude a été le premier travail de la Renaissance, il n’en sut pas davantage que les moines ; et leur article de foi, Graecum est, non legitur, aurait pu être sa devise. Ses poésies sont un fruit de l’esprit français réduit à ses seules ressources, policé par le contact plutôt que fécondé par la pratique savante de l’antiquité, et ayant une sorte de maturité précoce, après laquelle la décrépitude commence.

Après Marot, que la Réforme avait si mal à propos occupé de querelles théologiques et dont elle avait gâté le génie en lui faisant traduire en vers enfantins les magnifiques pensées des livres saints, deux sortes de poètes se partagent la faveur de la cour de Henri II. Les uns continuent, avec moins de bonheur, le badinage élégant de Marot ; les autres renchérissent sur l’amour chevaleresque des romans espagnols et italiens, et sur l’amour sentimental de Pétrarque. Ces derniers se qualifient, celui-ci, d’innocent égaré, celui-là d’esclave fortuné, un autre, d’humble espérant, un autre de banni de lyesse. L’amour y est tellement dégagé des sens, qu’un de ces poëtes78, voulant transformer en cantiques spirituels ses chansons amoureuses n’y trouve à changer que quelques mots « de sorte, dit-il dans sa préface, que les mêmes vers qui, ci-devant tournés à l’envers eussent pu scandaliser le prochain, l’édifient maintenant, étant contournés à leur endroit. » Aucun de ces poëtes n’a laissé une pièce durable. C’est le sort, dans notre littérature, de toute imitation, et plus particulièrement de l’imitation des littératures modernes. Ces poëtes avaient pris pour l’esprit français un tour d’esprit passager, et propre à leur époque.

Parmi les poëtes restés fidèles aux exemples de Marot, le plus illustre, Mellin de Saint-Gelais, nom aimable, n’est pas indigné d’une mention dans une histoire de la littérature française. La poésie de Jean de Meung, de Villon, de Marot, avait eu d’ailleurs son Art poétique, ouvrage en prose de Thomas Sebilet, qui parut en 1547, et qui n’est qu’une apologie de Marot,Sebilet a mêlé quelques préceptes excellents. Mellin de Saint-Gelais, fils ou neveu d’Octavien79, évêque d’Angoulême et poète lui-même, avait reçu plus d’instruction que Marot, son ami et son maître80. Quelques petites pièces latines, recueillies parmi ses œuvres poétiques, prouvent une pratique habituelle du latin81. Il savait des mathématiques, de la philosophie, de la médecine, de l’astronomie ; il était orateur, théologien, jurisconsulte ; bref, docte en tous arts et sciences, comme l’était Rabelais. Il avait même fait des traductions du grec. Tout ce savoir ne lui donna pas l’ambition ni peut-être l’idée de la haute poésie, et il se contenta de suivre les traces de Marot, sur lequel il raffina. Les sonnets étaient arrivés en France à la suite et dans le cortège de Catherine de Médicis, femme de Henri II, laquelle avait mis en honneur le tour d’esprit subtil et la galanterie de tête qui fait le fond de ce genre. Saint-Gelais fit des sonnets. Saint-Gelais, ce fut Marot affadi, épuré par un prélat bel esprit, pour l’usage d’une cour devenue bigote ; Marot, moins son enjouement naïf, mais ayant gardé quelque chose de la fine moquerie qui éclate dans ses épigrammes contre les juges, les dévots et les maris.

Aumônier, dès 1525, du Dauphin, qui fut depuis Henri II, Saint-Gelais ne se mêla point aux querelles de religion. Il n’y fait allusion qu’en un seul endroit, dans un dizain où il se prononce pour la doctrine orthodoxe du mérite des œuvres :

La foi sans œuvre est morte et endormie.

Ainsi, il resta bon catholique. Il ne prit de la Réforme que ce que la cour de Henri II en toléra quelques insinuations contre Rome, et les épigrammes, permises à tous, contre les moines. Voici, dans un douzain, un abrégé de l’histoire de Rome universelle, tel qu’aurait pu le tracer un protestant82 :

Puis si heureuse en la mer navigua,
Que du grand monde et d’une cité close
On vit la force estre la mesme chose.
Le ciel sembloit estre exempt de leurs mains ;
Et toutefois les bons pères romains,
Pour servir Dieu que mieux connoistre ils surent,
Or, maintenant, leurs riches successeurs
Pour estre encor plus amples possesseurs,
Ont pris enfer, et y vont habiter.

Les moines ne sont pas mieux traités que Rome :

Il vint l’autre un jour un cafard
Pour prescher en nostre paroisse
Et je lui dys : Frere Frappart,
Qui vous fait icy venir ? Est-ce
Non, dit-il, la brebis je laisse,
Pour avoir la laine de rente.

Saint-Gelais hérita de Marot l’emploi de poëte de la cour. Il fit des vers pour toutes les fêtes. Les sujets de ces poésies sont, outre ces circonstances solennelles, des imitations, soit de Pétrarque, soit des imitateurs de Pétrarque ; des traits d’esprit de société, reproduits et quelquefois délayés en quatre, six, dix, onze ou douze vers ; quelques pensées amoureuses, avec ce tour de galanterie propre à notre nation. C’est moins encore ; c’est une paire de gants, un miroir, des Heures, un psautier, une poudre de toilette, un luth, une belette apprivoisée. On attachait ces pièces aux pattes de petits oiseaux qu’on faisait voler parmi les dames. Ovide, l’Anthologie, Pétrarque, Jean Second, fournissent le reste. « Le tout, comme dit Du Verdier, bien troussé et fait d’une grande dextérité d’esprit, ressentant entièrement cette forme de composer ancienne, remplie de toute naïveté et gaillardise. » Dans l’épigramme, Saint-Gelais n’a pas dégénéré de Marot. Il dit à un poëte qui se plaint qu’il ne l’ait pas loué :

Qu’en mes vers j’ay loué Clement,
Et que je n’ai rien dit de toi
Comment veux-tu que je m’amuse
A louer ni toi, ni ta muse ?
Tu le fais cent fois mieux que moi.

Saint-Gelais n’avait pris aucun souci de réunir ses poésies, dont le recueil ne parut qu’après sa mort83. C’est sans doute lorsqu’on vint le tenter d’en donner une édition complète, qu’effrayé de cet éclat, il fit ces vers, en manière de préface, pour cette édition qu’il ne devait pas voir :

Si j’eusse osé penser qu’en ce temps-ci
Que je faisois pour implorer merci
De celle-là dont je n’eus que martire :
J’eusse tâché de plus près à les dire
D’un stile tel, qu’aucun les eust pu lire
Mais mon tourment ne me donna loisir
De lever l’œil à un si haut désir ;
Et qui d’amour se sentira saisir,
Connoistra bien que je voulus choisir
Vie pour moi, et non pour mes écrits.

Singulier temps que celui où l’on voit un homme d’Église dire du mal de Rome, et s’excuser des négligences de ses poésies par la violence de ses tourments amoureux ! Ces vers donnent d’ailleurs une idée aimable du caractère de Saint-Gelais. On l’y voit modeste et sans prétention comme poëte ; les vers qui suivent, et qu’il adresse à Diane ; sa nièce, sa fille selon Du Verdier, le font voir sans ambition, comme homme de cour :

J’ay eu si peu mon esprit agité
Qu’on ne m’a veu ne gueres tracasser,
Mais je me suis d’un chemin contente
Plain et non haut, et bien peu fréquenté ;
Laissant monter aucuns qui de mon temps
A plus de biens se trouvent mécontents.
Ces biens icy, où tous sont si taschans,
Viennent sans réglé aux bons et aux meschans.
Un sot en peut et un sage homme avoir ;
Un ignorant et un de bon savoir,
Ainsi qu’il plaist au sort les départir
Et je voudrois pour heureux me sentir
Qu’il plust à Dieu, d’où les vrais biens procedent,
M’en octroyer de ceux que ne possedent
Nuls vicieux, ny ne sont dispensés
Et sans lesquels d’hommes n’avons que l’ombre.

Ce passage égale les meilleurs de Marot, et la fin est d’un ton auquel Marot ne se serait peut-être pas élevé. C’est un doux fruit de la vieillesse de Saint-Gelais. Cet éloge des biens de l’esprit est déjà de la haute poésie la Renaissance et la Réforme ont passé par là.

Dans cette même pièce, Saint-Gelais fait un reproche à Dieu de ne s’être pas donné à gouverner, au lieu d’un monde de fous, un monde de sages. Puis il prie les anges de lui inspirer un peu de leur esprit, afin, dit-il,

qu’à vue ouverte
Je puisse avoir vesrité découverte,
Pour faire entendre à tout le moins aux miens
La différence et des maux et des biens ;
Et comme ils sont l’autre et l’un desguïsés
Pour imposer mesme aux plus advisés ;
Car ce savoir sans autre art et estude
Est le chemin de la béatitude.

Voilà, si je ne me trompe, la première fois que la philosophie chrétienne, qui bégaye dans les poésies de Marguerite de Valois, et qui ne s’y peut dégager des obscurités de la théologie, s’exprime dans un langage clair, frappant et durable. C’est un pas de l’esprit français dans la poésie ; et Saint-Gelais n’est pas un vain nom, puisque ce pas est marqué par son recueil. Tel était, depuis la mort de Marot, l’état de la poésie française.

La Renaissance avait donné un certain poli aux poëtes les plus instruits, à peu près comme une civilisation exotique polit un étranger qui garde au fond sa barbarie. C’était un vernis de délicatesse sur des idées communes et quelquefois grossières. Cette poésie était d’ailleurs fort goûtée à la cour de Henri II. C’était l’image de ses mœurs, et l’expression de son tour d’esprit. On chantait les vers de Saint-Gelais en s’accompagnant du luth. On ne voyait dans la poésie que la langue de la galanterie, et de cet esprit de société qui fait de la critique des travers d’autrui un lien entre ceux qui croient ne les avoir pas, ou qui en ont d’autres. C’est une destinée bien humble ; aussi ne suis-je pas surpris qu’à l’époque même de la faveur de cette poésie, il se préparât sourdement une réaction qui, au prix de quelques excès, devait protester contre cet affadissement du viril esprit français, ayant perdu sa naïveté dans son commerce avec les raffinements de l’Italie, toujours attaché au présent, et songeant bien plus à acquérir de l’adresse sur un instrument borné et qui manquait d’âme, qu’à en inventer un nouveau.

Dans le temps donc que Saint-Gelais, créature gentille, comme l’appelle Marot, aiguisait quelques douzains à la manière italienne, ou chantait ses vers sur des airs qu’il avait composés lui-même84, de jeunes esprits se formaient dans les écoles restaurées par là Renaissance, et retrouvaient l’idéal de la poésie dans les grands poëtes de l’antiquité. L’érudition qui avait inspiré Rabelais, qui avait armé Calvin de son invincible méthode, après avoir renouvelé la langue de la prose, allait renouveler la langue de la poésie. Ces jeunes gens, épris d’Homère et de Virgile, nés eux-mêmes avec le don des vers, avaient rêvé pour leur pays, appelé pour la première fois par eux du beau mot latin patria, une poésie égale à celle de ces pères de toute poésie. Au sortir de leurs fortes études, rencontrant ce que leur outrecuidance juvénile qualifia tout d’abord d’épiceries de l’école de Marot, ils levèrent l’étendard de la révolte contre la poésie en faveur à la cour, et vinrent secouer, dans sa douce oisiveté de premier poète, Saint-Gelais, lequel savourait nonchalamment, et sans presque le faire voir dans ses vers, ces biens de l’esprit dont la possession enthousiasmait la nouvelle école. Il se défendit d’abord avec tout le crédit que lui donnait l’ancienneté de la faveur, dans une cour d’ailleurs fort peu savante Ronsard, qui se plaint d’en être méprisé devant les rois, avoue la peur qu’il avait de la tenaille de Mellin.

§ II. Manifeste d’une nouvelle école poétique. Illustration de la langue française, par Joachim du Bellay.

Celui qui leva l’étendard de la révolte était un jeune homme de vingt-cinq ans, Joachim du Bellay, de cette illustre et docte famille dont un des membres, Guillaume de Langey, avait été l’ami et le protecteur de Rabelais. « Illustre, généreuse et héroïque ame, dit Rabelais parlant de sa mort, tout parfait et nécessaire chevalier à la gloire et protection de la France, que les cieuxrepetoient comme à eux deu par propriété naturelle. » L’amour des lettres et les talents se transmettaient alors du père au fils, comme un héritage, le plus souvent augmenté et amélioré par le fils. Ainsi, les Du Bellay, les Estienne ; ainsi les Marot et les Saint-Gelais.

L’Illustration de la Langue françoyse, par Joachim Du Bellay, fut le manifeste de la nouvelle école. Il parut cinq ans après la mort de Marot, et deux ans après l’Art poétique de Sebilet. C’était une véritable déclaration de guerre. Ceux qui y souscrivirent furent appelés la Brigade. Une fois maîtres du terrain, la victoire leur montant au cerveau, la brigade se mit de ses propres mains au ciel, et s’appela la Pléiade.

Toutes les tendances de l’esprit français, tous les progrès que la poésie avait encore à faire, sont exprimés dans ce manifeste, excellent écrit, malgré une certaine exagération de jeunesse, quelques contradictions, trop peu d’ordre, la langue est ferme, le tour vif et naturel les expressions durables, suscitées par les bonnes raisons. Le plan n’en est pas marqué ; et ce que Calvin a insinué de Luther est vrai surtout de Du Bellay, lequel procède par une ardeur impétueuse plutôt que par gravité judiciaire. Mais la pensée est complète, et tout ce qu’il y avait à dire est dit, hors de son lieu ou en son lieu.

Du Bellay y confond dans une proscription commune et ceux qui par dédain de la langue vulgaire écrivaient en latin, et ceux qui écrivaient en français, sans études grecques ni latines, les cicéroniens et les poëtes à la mode. Il combat les cicéroniens par Cicéron lui-même, lequel avait défendu le latin contre ceux qui le dédaignaient pour le grec, quoiqu’il ne fût pas plus suspect d’estimer médiocrement la langue grecque, que Du Bellay, défendant le français, n’était suspect de n’estimer pas assez les langues anciennes. Pour les poètes, il disait des chevaleresques ou romanesques : « Ô combien je désire voir sécher ces Printemps, chastier ces Petites jeunesses, rabattre ces Coups d’essay, tarir ces Fontaines ! Combien je souhaite que ces Dépourveus, ces Humbles esperans, ces Banniz de lyesse, ces Esclaves, ces Traverseurs, soyent renvoyés à la Table ronde et ces belles petites devises aux Gentilshommes et Damoyselles d’où on les a empruntées ! » Les poëtes de l’école de Marot, le maître compris, ne sont pas traités plus doucement : « Laisse-moi, s’écrie-t-il, toutes ces vieilles poésies françoises aux Jeux Floraux de Thoulouze et au pays de Rouen comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux, chansons et aultres episseries qui corrompent le goust denostre langue, et ne servent sinon à porter tesmoignage de nostre ignorance. »

Du Bellay propose de remplacer tous ces vieux genres par des genres nouveaux. Il ne fait pas même grâce à l’épître, qu’il ne trouve pas assez noble à cause de Marot, qui y avait excellé. Il conseille aux poëtes de son école de se retirer au bagage avec les pages et les laquais, aux cours des princes, « où vos beaux et mignons escritz, leur dit-il non de plus de longue durée que vostre vie, seront reçus, admirés et adorés. » « J’ay tousjours estimé, ajoute-t-il, nostre poésie françoise estre capable de quelque plus haut et meilleur style que celui dont nous nous sommes si longuement contentés. » Que la France, si longtemps stérile, « soit grosse enfin d’un poëte dont le luth face taire ces enrouées cornemuses, non aultrement que grenouilles, quand on jecte une pierre dans leur marais. » Quel sera le caractère de la poésie, telle que Du Bellay l’imagine et la désire pour la France ? Il l’indique avec une justesse admirable : « Sachez, lecteur, dit-il, que celui sera veritablement le poète que je cherche en nostre langue, qui me fera indigner, apayser, esjouyr, douloir, aymer, hayr, admirer, estonner bref qui tiendra la bride de mes affections, me tournant çà et là à son plaisir. » C’est l’image même de la haute poésie, et le portrait de nos grands poëtes.

Du Bellay a dit ce qu’il fallait laisser et où il fallait tendre ; il a rompu avec le passé, et il a ouvert une voie nouvelle. Il restait à indiquer les moyens. Où le poète futur devra-t-il chercher le secret de cette poésie du cœur et de la raison ? Qui donnera à la langue vulgaire des formes qui égalent ces grandes pensées ? L’étude et l’imitation des anciens. « Sans l’imitation des Grecz et des Romains, dit-il, nous ne pouvons donner à nostre langue l’excellence et lumière des aultres plus fameuses. » Et ailleurs : « Il est une forme de poésie beaucoup plus exquise, laquelle il fauldroit chercher en ces vieux Grecz et Latins, non point ès auteurs françois pour ce qu’en ceux-cy on ne sçauroit prendre la chair, les oz les nerfz et le sang. » Et ailleurs : « Ly donques et rely premièrement ô poète futur ! feuillette de main nocturne et journelle les exemplaires grecs et latins. » Mais dans quelle mesure le poëte devra-t-il imiter les anciens ? Une préface des poésies de Du Bellay en donne l’indication qui manque dans le manifeste. L’imitation utile féconde, on ne peut trop louer Du Bellay de l’avoir définie : c’est, dans la peinture de la vie humaine et dans l’expression des vérités générales, de se rencontrer avec les anciens qui y ont excellé. L’imitation n’est pas seulement légitime, elle est nécessaire. Les paroles de Du Bellay sont du plus grand prix : « Si deux peintres, dit-il, s’efforcent de représenter au naturel quelque vifpourtrait, il est impossible qu’ils ne se rencontrent pas en mesmes traits et linéaments, ayantmesmeexemplairedevantlesyeux. » Rien de plus élevé et de plus juste, mais il y faut une condition : c’est que les deux peintres soient supérieurs. Quand Racine imite Sophocle, c’est qu’il a été impossible qu’ayant le même exemplaire sous les yeux, les deux grands peintres ne se rencontrassent. Mais un peintre médiocre ne peut être que le plagiaire d’un peintre de génie. Que j’aime à voir, dans des écrits qui ont trois siècles, la tradition des grands principes littéraires exposée en termes si vifs par des esprits neufs à la découverte et à la possession de la vérité !

On s’attendrait à trouver, parmi tant d’idées heureuses, quelques principes de goût sur la manière dont l’imitation pouvait enrichir, et, selon l’expression de Du Bellay, amplifier notre langue. Mais ce point particulier demandait une délicatesse de critique au-dessus de son temps. C’était beaucoup d’avoir défendu la langue vulgaire contre ceux qui l’estimaient trop basse pour leurs conceptions, et contre ceux qui la tenaient abaissée au niveau de leur esprit : c’était beaucoup d’avoir prescrit l’imitation des littératures grecque et latine, et déterminé le caractère de cette imitation. Le mérite en est si grand qu’il ne saurait être diminué par les erreurs que Du Bellay mêle à ces vues et notamment par le conseil d’imiter les modernes. Sur ce point, il est excessif il ne pouvait souffrir que la France restât en arrière de personne, et où les Grecs et les Latins ne suffisaient pas, il voulait que les Italiens et les Espagnols y suppléassent.

C’est une doctrine mauvaise, et qu’il importe de combattre du plus loin qu’elle apparaît dans la critique française. On imite impunément les anciens parce qu’à la distance où ils sont de nous, c’est par la raison seulement, et sur le terrain des vérités générales, que nous commerçons avec eux. L’imagination et le caprice par lesquels nous nous attacherions à ce qui n’aurait été chez eux qu’un tour d’esprit passager, une exagération, une mode, n’ont aucune part dans ce commerce. En effet, la partie des littératures anciennes qui a ce caractère, et qui est ou particulière à certaines époques, ou exclusivement locale, nous est dérobée par tant d’obscurités historiques ou de philologie, que, loin d’y être attirés par l’imagination, c’est ordinairement la pâture de l’érudition la plus froide et la plus patiente. Il n’y a donc pas de danger que nous imitions ce que nous ne sommes pas même sûrs d’entendre. Nous ne pouvons imiter des anciens que les vérités générales, qu’on n’imite pas, mais que chaque grande nation exprime à son tour dans la langue de son pays.

Il n’en est pas ainsi des auteurs étrangers qui sont tout près de nous, qui nous touchent, qui sont présents parmi nous. L’imitation en sera toujours dangereuse, parce que, tout au contraire de l’imitation des anciens, c’est par l’imagination et le caprice que nous sommes tentés de ressembler aux auteurs étrangers. Qu’est-ce qui nous fait nous tourner vers eux, sinon le bruit qu’ils font et l’admiration qu’ils excitent dans leur pays ? Et comme ce sont moins les vérités générales qui, de leur vivant, font la fortune, même des meilleurs, que le tour d’esprit du moment, qu’une disposition de leur époque qu’ils ont flattée ou subie à leur insu, le moindre risque que nous courions en les imitant, c’est de nous donner des défauts exotiques. Combien cette réflexion n’est-elle pas vraie des étrangers contemporains, puisqu’elle est vraie de ceux qui sont morts même depuis longtemps ? Car, pour ces derniers, par quoi les apprécions-nous, si ce n’est par l’opinion de leurs nationaux, qui n’en estiment guère que les qualités indigènes et comme le cachet local ? En sorte que nous imiterions de ces auteurs les seules choses qui ne conviennent pas au goût de notre pays.

L’imitation des littératures étrangères ne réussit à aucune nation. En France, elle est mortelle à l’écrivain. Je ne dis rien de trop fort. On ne songe pas assez qu’à la fortune de l’écrit est attaché le repos de l’écrivain, et que, dans la carrière des lettres, les revers de réputation sont plus douloureux que dans toute autre. Aussi est-il du devoir de la critique de rappeler à quelles conditions on obtient les succès durables, à quels risques on recherche les succès d’un moment. En ce qui regarde l’imitation des littératures étrangères, nulle part elle n’a moins de chances qu’en France, qui l’a pourtant soufferte à certaines époques ; mais pour combien peu de temps, et dans quelle stérilité du génie national ! Tout y répugne.

Henri Estienne avait une vue plus juste, quand, peu d’années après Du Bellay, il attaquait l’imitation de la littérature italienne. Il est vrai qu’en retour il voulait nous faire plus Grecs que Français. Dans son enthousiasme pour la langue grecque, il y voyait toutes sortes de conformités imaginaires avec la nôtre. Au milieu de ces excès si intéressants par l’ardeur même qui les suscitait, l’esprit français s’éprouvait tour à tour à toutes ces imitations où l’invitaient les doctes et les poëtes populaires, et il se formait en silence par le sentiment naïf des différences et des analogies.

A côté de ces grandes idées sur les nouvelles destinées de la poésie et de la langue, le manifeste de Du Bellay remettait en honneur le travail,Buffon a vu le secret du génie. « Qui desire vivre en la mémoire de la postérité, dit-il, doit comme mort en soy-mesme suer et trembler maintes fois ; et, autant que nos poëtes courtisans boivent mangent et dorment à leur aise endurer de faim, de soif et de longues vigiles. » Du Bellay ne veut ni paresseux ni esprits médiocres dans son Parnasse. Il a une si haute idée de la poésie, qu’il va jusqu’à demander l’institution d’une sorte de juge des vers, d’un Quintilius Varus, investi de la censure publique, et qui ne délivrerait le droit d’imprimer qu’au « poëte qui auroit enduré sa lime. »

L’enthousiasme le plus naïf éclate dans l’exhortation que Du Bellay adresse, en finissant, aux poëtes et aux doctes de la Brigade : « Là donc, François, s’écrie-t-il, marchez courageusement vers cette superbe cité romaine, et de ses despouilles ornez vos temples et vos autels. Ne craignez plus ces oies criardes, ce fier Manlie et ce traistre Canaille, qui, sous ombre de bonne foi, vous surprirent tout nuds, comptant la rançon du Capitole. Donnez en cette Grècementeresse, et y semez, encore un coup, la fameuse nation des Gallo-Grecs. Pillez-moi sans conscience les sacrés trésors de ce temple delphique, ainsi que vous avez faict autrefois. » Le cri de guerre poussé par Du Bellay fut entendu, et rien en effet ne ressemble plus à un pillage que cette première imitation tumultueuse de l’antiquité. Chaque poëte se jeta sur une partie de ce noble héritage, et s’affubla de quelque dépouille de Rome ou d’Athènes. On eût dit des barbares, vainqueurs d’une nation civilisée, qui adaptaient à leur grossier vêtement de guerre quelque lambeau du brillant costume des vaincus. Le plus notable des nouveaux poètes est aussi le plus marqué de cette bigarrure ; c’est Ronsard, dont la renommée et la chute sont un si grand enseignement dans l’histoire des lettres françaises.

Du Bellay avait voulu joindre le précepte à l’exemple. Il fit suivre son manifeste d’une satire contre la poésie à la mode, qu’il intitula le Poëte courtisan. Il y avait deux nouveautés dans cette satire : le titre même de satire, qui se voyait pour la première fois en tête d’un ouvrage en vers français, et l’alexandrin substitué au petit vers, si populaire depuis Jean de Meung. Il y avait de plus ce que ne donnent pas les théories, de la verve et de l’esprit. Les autres poëmes de Du Bellay ne tinrent pas les promesses de son manifeste. Dans l’Olive, où il compare toutes les beautés de sa maîtresse à celles de la nature, Charles Fontaine, l’un des poëtes attaqués dans l’Illustration, notait, sans trop exagérer, cinquante fois, en quatre feuilles de papier, ciel et cieux, armées et ramées, oiseaux et eaux, fontaines vives et leurs rives, bois et abois, et tout un vain travail de la mémoire, répétant sans cesse les mêmes mots, à la place de l’inspiration qui les renouvelle et les varie à l’infini. Les Regrets, espèces de Tristes composées à Rome durant le séjour que Du Bellay y fit avec le cardinal son parent, ont paru ennuyeux même à l’historien ingénieux et peut-être prévenu de la poésie de ce temps85. On pourrait extraire quelques beaux vers des Antiquités de Rome ; sorte de chant dans lequel la vue des ruines fait faire au poète un retour sur lui-même. Aucune de ces pièces n’est digne de ce poëte futur, qu’appelait le vœu de Du Bellay ; aucune ne réalise les prescriptions du manifeste. Ce sont quelques pages en prose, les premières où la critique littéraire ait été éloquente, qui donnent à ce poëte, appelé par ses contemporains l’Ovide français, une place durable dans l’histoire de notre littérature.

§ III. Ronsard et La Pléiade.

Ronsard, qui le (Marot) suivit, par une autre méthode,
Réglant tout, brouilla tout, fit un art à sa mode,
Et toutefois longtemps eut un heureux destin.
Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque
Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.

Ce passage de l’Art poétique, caractérise admirablement Ronsard, sa fortune singulière, et sa chute. Boileau a prononcé. Il ne reste plus qu’à donner les motifs de ce jugement, dont la sévérité était si opportune et si courageuse dans une poétique écrite en présence et à la face de ce qu’on appelait alors la queue de Ronsard. Toute la suite et la fin de ce court et frappant résumé des commencements et des progrès de notre poésie sont marquées de la même force de jugement et d’expression. L’histoire de la poésie française, jusqu’à Malherbe, ne peut être que le commentaire du texte consacré.

Il faut apprécier les causes de la grandeur de Ronsard avant d’en venir aux causes de sa décadence. On sait qu’il put dire à tous les poètes de son temps, sans être ridicule :

Vous êtes mes sujets, et je suis votre roi !

Son siècle lui fit, comme à tous les grands hommes, des fastes héroïques ; il lui donna des rois pour ancêtres ou pour alliés ; il le fit parent, au dix-septième degré d’Elisabeth d’Angleterre : par malheur, à ce degré on n’hérité plus. On lui constitua un marquisat dans le pays de Thrace, vulgairement appelé Bulgarie ; on estima que la bataille de Pavie, qui fut perdue le jour même où Ronsard vint au monde, avait été compensée par la naissance d’un si grand poëte. Dans un poëme allégorique que Bertaut fit à l’occasion de sa mort, la France, étant allée se plaindre à Jupiter du malheur de Pavie, le dieu, qui dînait chez Thétis, sous un roc, près de Toulon, la console par ces mots :

Cependant, pour montrer qu’ici-bas je n’envoie
Sache que ce mesme an qui maintenant escrit
D’un encre si sanglant son nom en ton esprit,
Ce mesme an qui te semble à bon droit deplorable,
Te sera quelque jour doucement mémorable,
Avant que par le ciel se soient tournés sept mois,
Un enfant te naistra, dont la plume latine
Je ne soufflai jamais, au vent de mon haleine,
Tant de divinité dedans une ame humaine.

Ronsard, comme les grands poètes de l’antiquité, eut un berceau mystérieux. En le portant au baptême, la porteuse le laissa choir ; mais la fortune de la France voulut que ce fût sur des fleurs. Une belle demoiselle lui versa sur la tête de l’eau de rosé mêlée de jus d’herbes odoriférantes, symbole évident de sa douce et savoureuse poésie. Ronsard dès sa jeunesse était devenu sourd ; on ne cherchait qu’un prétexte pour l’égaler à Homère ; cette surdité y servit ; il n’y eut entre Homère et Ronsard que la différence d’infirmité. « Bienheureux sourd s’écrie le cardinal du Perron86, qui a donné des oreilles aux Français, pour entendre les oracles et les mystères de la poésie ! Bienheureux eschange de l’ouïe corporelle à l’ouïe spirituelle Bienheureux eschange du bruit et du tumulte populaire à l’intelligence de la musique et de l’harmonie des cieux, et à la connoissance des accords et des compositions de l’ame ! C’est ce grand Ronsard qui a le premier chassé la surdité spirituelle des hommes de sa nation. » Du Bellay, qui, dans sa vieillesse, était devenu sourd, s’en félicitait comme d’un trait de ressemblance avec Ronsard

L’enthousiasme qu’inspira ce poëte lui survécut au moins jusqu’à l’arrivée de Malherbe. Il avait eu pour admirateurs pendant sa vie tous les bons esprits du xvie  siècle, Scaliger, Turnèbe, Muret de Thou, et d’autres. « L’illustre Ronsard, dit Pasquier dans ses Recherches, a porté la poésie française à sa perfection, ou jamais elle n’y parviendra. » Montaigne d’un sens si juste, ne le trouve guère éloigné de la perfection ancienne, « aux parties en quoy il excelle87» Exemple éclatant de l’illusion où sont toujours les contemporains, fût-ce des esprits excellents sur le mérite d’un auteur. Qui croirait que c’est du même poëte que le grand Arnauld a pu dire au xviie  siècle sans que ce jugement parût trop sévère : « C’est un déshonneur à notre nation d’avoir estimé les pitoyables poésies de Ronsard88 ? » Pourquoi tant de mépris, sinon parce que l’admiration avait été excessive ? Mais qui pouvait alors n’être pas épris de tant de séduisantes nouveautés ? Jean Dorat, un des poètes de la Pléiade, avait donné les premières leçons de grec à Ronsard ; il nous a laissé un détail intéressant de l’ardeur qu’y montrait son élève. Ronsard couchait dans la même chambre que son ami Lazare de Baïf, non moins adonné que lui à leur commune étude. « Ronsard, dit Dorat, qui avoit esté nourri jeune à la cour, accoustumé à veiller tard, continuoit à l’estude jusqu’à deux ou trois heures après minuit, et, se couchant, resveilloit Baïf, quiselevoit etprenoit la chandelle, et ne laissoit refroidir la place. » II demeura sept ans avec Dorat « en cette contention d’honneur », dit son biographe René Binet. « Il avoit lu, ajoute-t-il, les auteurs grecs etlatins avec un tel mesnage qu’il ne se pouvoit présenter subjet dont il n’aust remarqué quelque excellent trait des anciens. » C’est ainsi que se préparait Ronsard, dans le temps même que, selon son expression dédaigneuse, « Clément Marot se travailloit àson Psautier. »

On comprend et on est près d’excuser le mépris que ces fortes études lui durent donner pour les poëtes contemporains89 et pour Marot luimême, quoiqu’il l’ait appelé « la seule lumière « en ses ans de la vulgaire poésie. « L’imitation des nostres, dit-il dans la préface de la première édition de ses Odes, m’est tant odieuse, d’autant que la langue est encores en son enfance, que pour cette raison je me suis eslongné d’eux, prenant style à part, sens à part, œuvre à part, ne désirant avoir rien de commun avec une si monstrueuse erreur. » Il attaque les rimeurs, et principalement les courtisans, « qui n’admirent qu’un petit sonnet pétrarquisé ou quelque mignardise d’amour qui continue toujours en son propos ». Ce n’est pas « pour telle vermine de gens ignoramment envieuse » qu’il publie ses vers.

Du Bellay avait donné les préceptes, Ronsard donna les exemples. C’était là ce luth qui devait faire taire les enrouées cornemuses, ce poète futur auquel s’adresse Du Bellay, et dont peut-être il avait dit tout bas le nom à Ronsard. Celui-ci fit des odes sur le patron d’Horace et de Pindare. Par lui la poésie française s’essaya pour la première fois dans le genre lyrique ; par lui fut créé le beau nom d’ode, dont Boileau ne se savait sans doute pas redevable à Ronsard.

Après l’ode, il ressuscita le poëme épique. A côté de lui, et par son impulsion, Baïf et Jodelle s’essayaient dans la tragédie et dans la comédie. Il n’y avait pas de genre si haut chez les anciens dont l’école de Ronsard ne voulût doter notre poésie.

En même temps le chef de la Pléiade développait dans d’ingénieuses théories les principes de l’Illustration, Du Bellay s’était borné à demander « une forme de poésie plus exquise. » Ronsard, après avoir osé nommer les genres, en donnait la poétique. Il eut une noble ambition pour la langue française, « qu’il vouloit pousser, disait-il, dans les pays étrangers », et il enseigna divers moyens pour l’enrichir.

C’est ainsi qu’il régla tout, selon la vive expression de Boileau mais cette règle confondait des choses qui s’excluent : voilà pourquoi, en réglant tout, il brouilla tout. Ronsard avait pris au mot le conseil que donnait Du Bellay aux Français, d’orner leurs temples des dépouilles de Rome et d’Athènes. L’imitation des anciens dans Ronsard, c’est, en effet, une véritable prise d’assaut du Capitole, un nouveau pillage de Delphes par les Gaulois. Loin de s’en cacher, il n’est chose dont il ne se loue plus souvent et avec plus de complaisance. Il dit à son luth :

Pour te monter de cordes et d’un fust
Voire d’un son qui naturel te fust,

Au reste, le droit à cet égard paraissait si clair, que, parmi ses critiques, quelques-uns trouvaient qu’il y avait mis trop de scrupule, et lui reprochaient de préférer trop souvent ses conceptions à celles des anciens. Il eut à se défendre de l’accusation d’originalité comme d’une injure.

Je leur fais response au contraire,
Comme l’ayant bien sçu portraire
Dessus le moule des plus vieux,
Et comme cil qui ne s’esgare
Des vers repliés de Pindare,

Il est si Grec et si Latin, qu’à tous ceux qui ne savent que le français, il déclare que l’entrée de ses vers leur est fermée :

Les François qui mes vers liront,
S’ils ne sont et Grecs et Romains,
Au lieu de ce livre ils n’auront
Qu’un pesant faix entre les mains92.

Aux yeux de ses contemporains, la grossièreté même de ses imitations était son plus beau trait. Telle était la superstition pour les anciens, qu’il suffisait, pour que des vers fussent trouvés beaux, qu’il y parût quelque lambeau de leurs dépouilles. On n’estimait que la poésie où il y avait quelque docte obscurité à pénétrer. Richelet93, louant Ronsard « d’avoir esté l’essaim et toute la nichée des plus belles fleurs de l’antiquité », flattait son poëte à l’endroit le plus sensible, mais ne disait que ce que tous les contemporains en avaient pensé. Quelle nouveauté charmante, en effet, après les froides allégories de Jean de Meung que cet Olympe grec ses dieux si aimables ! Le plaisir était d’autant plus vif qu’il était interdit à la foule, et réservé, comme un prix, aux plus doctes. L’admiration pour Ronsard était une note de grand savoir : ne le lisait pas qui voulait. Peu s’en fallut que Ronsard n’eût de son vivant, la gloire de Dante après sa mort, et qu’il ne vît des chaires instituées pour interpréter ses poésies. Du moins en fit-on dans le particulier, sur tous les points de la France, des gloses qui formaient le sujet le plus général des conversations du temps. Les dames se les faisaient traduire par leur savant familier.

L’imitation des anciens, dans Ronsard et son école, n’est le plus souvent qu’une traduction si éprise de son original, qu’où la langue de la traduction fait défaut, elle se borne à donner aux mots de l’original une terminaison française. De là cette muse « en français parlant grec et latin », dont se moque Boileau. Ronsard imitait les anciens en les traduisant, et les traduisait en les francisant. Où il est imitateur, ce n’est pas ce peintre de Du Bellay qui, en face d’un exemplaire déjà représenté par un autre, rencontre les mêmes linéaments ; c‘est un copiste qui reproduit un portrait déjà fait, à quelques ajustements près par lesquels il pense se l’approprier. Tantôt il enferme, entre un début et une fin traduite d’Horace, de Pindare, de Callimaque ou d’Anacréon, quelques pensées qui lui sont propres ; tantôt c’est le corps qui appartient aux modèles la tête et les pieds sont de l’imitateur. Il me semble voir le monstre d’Horace. Ce qui est propre à Ronsard dans ses odes, est le plus souvent soit dans le goût des « malheureux » poëtes qu’il traitait de « pourceaux souillant le clair des ruisseaux », soit imité du pétrarchisme, auquel il payait tribut tout en protestant. La mode était plus forte que sa répugnance, et il n’avait ni assez de génie pour avoir un naturel à lui, ni assez d’indépendance pour n’être pas courtisan. Qu’on s’imagine un mélange de subtilités italiennes et de ce que Du Bellay appelait fort justement mignardises françaises, cousues à des idées grecques ou latines, dont le traducteur rendait emphatique la sévère grandeur, ou enfantine la mâle simplicité ; qu’on s’imagine le badinage de Marot, s’enveloppant des vers repliés de Pindare et affectant les fureurs de la lyre94 : telle est l’ode dans Ronsard.

Tout le monde ne fut pas dupe de cette étrange confusion. Quand le premier livre des Amours parut, il y eut de vives critiques. Saint-Gelais ne manqua pas d’en faire des risées devant le roi et dans les compagnies. On blâmait Ronsard

C’est le faste pédantesque de Boileau. Qui donc le jugeait déjà comme devait faire la postérité ? C’étaient des émules, peut-être des envieux, que la prévention pouvait aveugler. Nouvelle preuve que, dans l’impuissance où nous sommes d’échapper à l’illusion sur les choses et les hommes de notre temps, les envieux en savent plus sur le mérite réel des auteurs contemporains que leurs admirateurs les plus sincères. C’est par l’imagination que nous admirons les contemporains, et de là nos illusions ; c’est par le jugement, quelle que soit la prévention qui le sollicite, que nous les critiquons ; et de là cette sorte d’infaillibilité de la critique. La passion même excite la sagacité et, pendant que les admirateurs s’exagèrent les beaux côtés, les ennemis voient les défauts d’un œil d’autant plus sûr qu’il est plus intéressé. Ronsard eut peur de ces attaques. Il descendit du trépied de Delphes ; il cessa de pindariser95 ; il daigna aimer moins haut. Le sujet de son premier recueil était Cassandre, une grande dame de la cour qui disait-on, se faisait expliquer par des érudits les galanteries de Ronsard. Il adressa le second livre à une personne d’un rang plus modeste et d’un nom moins savant, à Marie. Mais là même il ne fut pas tellement accessible, qu’Antoine de Muret et Remy Belleau ses glossateurs et ses amis n’eussent à initier par des notes les lecteurs à bon nombre de ses mystères.

C’est surtout dans ce que Ronsard imagina pour enrichir et ennoblir la langue que se faisait voir cette confusion qui est le propre de son école. Après avoir pris aux poëtes grecs et latins l’ordonnance de leurs pièces, leur forme, leur dessin, figurant des odes pindariques ou anacréontiques coupant la Franciade sur le patron de l’Enéide, il voulut calquer notre langue sur les langues anciennes et particulièrement sur la langue grecque.

Prenant en outre les patois de l’ancienne France pour des dialectes, il conseilla d’y faire des emprunts des mots les plus significatifs, « sans se soucier, disait-il si les vocables sont gascons, poitevins, normands, manceaux, lyonnais, ou d’autres pays pourvu qu’ils signifient ce que l’on veut dire96» Et toutefois, par une contradiction honorable, il reconnaissait le principe de l’unité du langage : « Aujourd’huy, disait-il, pour ce que nostre France n’obéist qu’à un seul roy, nous sommes contraints, si nous voulons parvenir à quelque honneur, de parler son langage97» Ronsard ne suivit pas cette vue, qui était juste. Son savoir trompait son bon sens.

La même illusion fit prescrire l’emploi de mots composés à la manière de la langue grecque, et ce qu’il appelait le provignement des vieux mots. Il voulait qu’on fît de verve, verver, vervement ; de pays, payser ; d’eau, eauer ; de feu, fouer, fouement ; et « mille autres tels vocables, dit-il, qui ne voyent encore la lumiere, faulte d’un hardy et bienheureux entrepreneur98» Sa théorie, du provignement des vieux mots est ingénieuse « Tu ne desdaigneras dit-il, les vieux mots françois, d’autant que je les estime tousjours en vigueur, quoy qu’on die, jusqu’à ce qu’ils ayent fait renaistre en leur place, comme une vieille souche, un rejeton et lors tu te serviras du rejeton et a non de la souche, laquelle fait aller toute substance à son petit enfant, pour le faire croistre et finablement establir en son lieu99» On sait jusqu’où il imita la hardiesse de la langue grecque dans la formation des mots composés. Bacchus cuisse-né, nourrit-vigne, aime-pampre-enfant, et beaucoup d’autres, sont les folies de ce système. Et pourtant il croyait y mettre du scrupule, et regrettait de ne pouvoir oser plus :

Ah ! que je suis marri que la muse françoise
Ne peult dire ces mots comme fait la gregeoise :
Certes, je les dirois du sang valerien100.

Pour enrichir la langue poétique, ce n’était pas assez des emprunts faits à tous les patois, que Ronsard appelle des dialectes, ni des mots composés, ni des vieux mots rajeunis, ni des mots grecs ou latins francisés ; il conseilla d’en aller chercher jusque dans la boutique des artisans. « Tu practiqueras bien souvent, dit-il, les artisans de tous mestiers, comme de marine, de vénerie, fauconnerie, et principalement les artisans de feu, orfèvres, fondeurs, mareschaux, minerailliers ; et de la tireras maintes belles comparaisons avec les noms propres des mestiers101» D’après son biographe René Binet, Ronsard avait fait ce qu’il enseignait, « ne desdaignant, dit-il, d’aller aux boutiques des artisans, et pratiquer toutes sortes de mestiers pour apprendre leurs termes102»

La nouvelle école était engagée d’honneur à prouver aux cicéroniens et aux Italiens que la langue française égalait le latin et l’italien ; et pourvu qu’elle pût opposer l’épaisseur du vocabulaire français à tous les autres vocabulaires, peu importait d’où lui vinssent ses richesses. Lisez Estienne Pasquier, s’échauffant à prouver l’égalité du français et des langues anciennes. De quoi loue-t-il les nouveaux poëtes ? De certains défis descriptifs qu’ils ont engagés avec les poëtes anciens, et où ils n’ont été, à son avis, inférieurs ni pour l’abondance des détails, ni pour la richesse des mots. Défendre théoriquement la précellence de la langue française contre les Italiens, comme fit Henri Estienne, ou contre les cicéroniens, que Rabelais appelle les latinisants, c’était la thèse de tous les érudits ; la prouver par des exemples, ce fut l’ambition de Ronsard et de son école.

Tous ces moyens d’enrichir la langue sont matériels. Il s’agit de multiplier les mots ; tout ce qui peut en grossir le vocabulaire est de bon aloi. C’est aussi par des moyens matériels que Ronsard veut l’ennoblir. Pour lui, la noblesse du langage consiste dans le choix des termes empruntés soit à la profession des armes, soit à certains exercices et amusements, comme la chasse et le jeu, qui étaient le privilège des classes nobles. Il se fait illusion quand, pour donner des exemples du style noble, il oppose à ces deux vers, qu’il méprise avec raison, comme étant du style bas,

Madame en bonne foi, je vous donne mon coeur
N’usez point envers moi, s’il vous plaist, de rigueur

ceux-ci, qu’il présente pour modèle de la noblesse du langage

Il n’y a de noblesse dans l’un ni dans l’autre exemple : mais c’est la faute des idées et non des mots. Le second paraît à Ronsard le type du langage noble, à cause des belles et magnifiques paroles : harnois, endosse. Mais que la forme des armes vienne à changer, voilà des mots hors de service, comme les vieilles armures. Ronsard confondait la noblesse du langage avec le langage des nobles.

Enfin, c’est encore par des moyens matériels qu’il pensait rendre harmonieuse cette langue que les cicéroniens et les Italiens trouvaient barbare. L’harmonie consiste pour lui dans le son des lettres. Il prescrit qu’on y prenne garde, et ; dans l’alphabet, il recommande les R, qui sont, dit-il, « les vrayes lettres héroïques, et font une grande sonnerie et batterie aux vers103»

Toutes ces prescriptions sont puériles, mais on ne peut nier que le principe n’en fût excellent. En désirant que la langue poétique fût riche, noble, harmonieuse, Ronsard avait le sentiment exact non-seulement de ses besoins actuels, mais de ses futures beautés. Seulement il demandait aux mots ce que les choses seules peuvent donner. Il ne vit pas que les langues ne s’enrichissent que par les pensées ; que le secret de la noblesse du langage est tout entier dans la hauteur modérée et égale des pensées ; que l’harmonie est moins une musique qui flatte l’oreille, que l’effet général d’un langage qui réunit toutes les conditions de propriété de noblesse, de clarté. Le rapport intime qui, dans notre langue, lie entre elles la prose et la langue poétique, lui échappa ; et, venu après Rabelais et Calvin, il ne prit pas dans leurs beaux endroits l’exemple de tirer sa langue de sa raison et de sa sensibilité, plutôt que de sa mémoire. De là ce langage si singulier, amalgame de langues savantes et de patois provinciaux, bariolé d’italien, de grec et de latin, de mots savants et de mots de boutique ; vrai pêle-mêle d’audace et d’impuissance, de stérilité et de facilité formidable, d’inexpérience et de raffinement, de paresse et de labeur, qui a donné à Ronsard une sorte d’immortalité ridicule. C’est à bâtir ce monstrueux édifice, qui devait crouler après lui, que Ronsard passa une assez longue vie, au milieu de la faveur universelle, richement doté, sauf la difficulté de toucher ses rentes dans ces temps de guerres civiles ; aime des princes, qui comparaient leur couronne à la sienne ; qualifié de prodige de la nature et de miroir de l’art ; admiré par Montaigne et consulté par le Tasse, qui lui lut les premiers chants de la Jérusalem délivrée ; respecté, dans ses vers, par les protestants qui l’attaquaient dans ses moeurs, et remercié officiellement par le pape, pour s’être donné la peine de leur répondre ; pour comble de fortune, mourant avant que Malherbe, qui avait alors trente ans, eût songé à être poète. On dit pourtant qu’il eut, vers la fin de sa vie, quelques doutes sur la solidité de sa gloire. Exemple unique d’une faveur si universelle et si constante, pensa-t-il donc que la gloire qui doit durer ne s’acquiert pas si facilement ? ou se jugea-t-il plus sévèrement que ses contemporains ? Ces doutes seraient à sa louange, et c’est ce qui m’y fait croire ; car, quoique rien n’annonçât encore le retour qui allait suivre cette fortune et que Malherbe n’eût pas encore taillé la plume qui devait biffer tout son recueil, Ronsard avait prouvé par plus d’une pièce, et par quelques écrits en prose, qu’il avait assez de talent pour n’être pas toujours content de lui.

Mais ce n’est qu’une conjecture ; rien au contraire n’est plus vrai que le reproche d’orgueil qu’on fait à Ronsard et à son école, ni plus mérité que l’épithète de poëte orgueilleux que lui a infligée Boileau. Je reconnaîtrais là la marque de la médiocrité. Le poëte de génie, celui qui a le don de voir d’une vue claire et d’exprimer en termes durables la vérité, se voit lui-même tout d’abord et tel qu’il est ; et, soit qu’il s’approuve ou se blâme, il ne tire que de lui-même l’opinion qu’il a de ses ouvrages. S’il lui arrive de s’estimer à son prix, par comparaison avec les autres ; c’est qu’il ne peut ni ne doit s’exclure de son amour pour la vérité ; mais combien ne se trouve-t-il pas petit en présence de son idéal ! Il ne dépend pas du jugement populaire, et il ne lui vient pas du dehors des fumées qui l’enivrent. Le poëte médiocre se mesure à sa vogue ; il en croit les louanges qu’il reçoit et qui sont d’autant plus excessives qu’il est moins au-dessus de la foule qui l’applaudit. Ainsi Ronsard ne paraît le plus souvent se connaître que par l’opinion qu’avaient de lui ses contemporains, et ne se juger que par le bruit qu’il faisait.

Aucun poëte ne s’est plus admiré, parce qu’aucun de son vivant n’eut plus d’admirateurs. Ses poésies en offrent des exemples qui passent tout ce qu’on sait de plus extravagant, en fait de complaisance pour soi-même. Ici il se vante d’avoir imité Pindare, et de n’être pas pour cela tombé dans la mer, malgré la menace d’Horace ; beaucoup moins hardi que lui, remarque-t-il, parce qu’il était de moins bonne souche :

Par une chute subite,
Encor je n’ay fait nommer
Du nom de, Ronsard la mer,
Bien que Pindare j’imite.
Non plus moy, de franche race104.

, dans une ode à Calliope, il reconnaît qu’elle l’avait prédestiné pour la gloire de la poésie :

Pour te chanter tu m’avois ordonné
Le ciel voulut que ceste gloire j’eusse,
Estre ton chantre avant que d’estre 105.

Ailleurs, s’adressant à son luth il lui fait hommage de sa renommée :

Par, toy je play, et par toy je suis lu ;
C’est toy qui fais que Ronsard soit eslu
Qu’avec le doigt par la rue on le montre.
Si je play donc, si je say contenter,
Si mon renom la France veut chanter,
Et si du front les estoiles je passe

L’immortalité, pour le chef de la Pléiade, ce n’est pas l’espoir timide et obscur de la récompense après le labeur, ni un transport extraordinaire, un jour, que la muse a été plus souriante107 ; c’est une assurance habituelle et comme une foi sans vivacité, parce qu’elle est sans défaillances :

Les vers qu’il m’a plu de dire
Sur les langues de ma lyre
Du temps on les verra lire
Dessus ton espaule large108.

Tel fut Ronsard. Il eut, comme Rabelais, l’ivresse de la Renaissance. Il prit l’enthousiasme du savoir pour le feu poétique, et l’imitation passionnée pour l’inspiration. Mais, moins heureux que Rabelais, qui, de temps en temps, secoue les liens de l’érudition, se rendant libre de sa mémoire, où étaient entassées et où fermentaient tant de langues et de sciences diverses, et nous donne comme les premières épreuves d’une image parfaite de l’esprit français cultivé par l’antiquité, Ronsard ne s’égara pas d’un pas, comme il s’en vante, des vers repliés de Pindare ; il ne sut pas marcher seul ; et dans tout cet amas de vers où brillent de vives étincelles, il n’y a pas une seule pièce d’un style franc et libre, où la poésie française puisse reconnaître son point de perfection.

Toutefois, Ronsard a laissé une trace dans l’histoire de cette poésie ; il en personnifie une époque ; à ce titre, il devait avoir une place dans un livre où l’on n’a voulu s’occuper que des ouvrages et des noms durables.

Ses fautes seront toujours un utile objet d’étude ; sa passion pour l’antiquité, qui devait lui coûter si cher, a été d’un bon exemple. Ses vers si fort admirés, et ses préceptes si obéis, attirèrent les esprits à ces études fécondes où nous devions prendre le goût d’ouvrages plus parfaits que les siens ; cet enthousiasme, même mal exprimé, pour ce qui a fait depuis lors le fond de notre éducation intellectuelle, a de la vie. N’oublions pas que Ronsard s’est le premier essayé dans l’ode ; qu’il y fut le prédécesseur de Malherbe, qui perfectionna ce qu’il avait inventé qu’il eut la gloire d’indiquer le genre qui devait régénérer la poésie française. Ce fut certes une belle entreprise, que de se séparer si fièrement du badinage de Marot, et de porter tout à coup la poésie à une hauteur, s’il ne lui fut pas donné de la soutenir, il eut du moins l’honneur de la lancer. Des hommes du plus grand savoir, un cardinal Duperron, fort bon écrivain lui-même dans les matières de théologie, le louaient, mort, « d’avoir annoncé et exposé aux hommes de sa nation les mystères de la poésie ; d’avoir fait parler le premier la muse en françois, et le premier estendu la gloire de nos paroles et les limites de notre langue109» Ôtez la double exagération de l’oraison funèbre, et de l’éloge dans la bouche d’un contemporain, c’est avoir au moins du bonheur que de donner cette idée à sa nation, et de la laisser, en mourant, pleine de cette estime et de cette ambition pour sa langue110.

Pourquoi les érudits connaissent-ils seuls quelques poésies légères, spirituelles, délicates, d’un tour moins naïf que celles de Marot, mais plus élégant et, si j’ose le dire, plus distingué ? C’est que presque aucune n’est originale, et que la langue et les idées de Ronsard, même aux meilleurs endroits, n’égalent pas ce qu’il imite. D’autres imperfections empêchent de lire certaines pièces d’un genre élevé qui appartiennent plus à Ronsard, et que lui ont inspirées les événements de son temps. Ces imperfections ne sont pas compensées par un petit nombre de vers comme ceux-ci111 :

Vous ne ressemblez pas à nos premiers docteurs,
Qui, sans craindre la mort ni les persécuteurs
Sans envoyer pour eux je ne sais quels novices.
Mais montrez-moi quelqu’un qui ait changé de vie
Après avoir suivi vostre belle folie.
J’en voy qui ont changé de couleur et de teint,
Qui sont, plus que devant, tristes, mornes et pâles,
Mais je n’en ai point vu qui soient, d’audacieux
De larrons, aumosniers ; et pas un n’a changé
Le vice dont il fut auparavant chargé.

Ces vers, sont beaux ; le sens en est plein, l’expression forte et nombreuse. J’en pourrais citer d’autres de la même pièce qui les égalent. Malgré la précoce beauté de ces grands traits de philosophie chrétienne, qui sont la part de la Réforme dans Ronsard, et quoiqu’il y ait en beaucoup d’endroits de son recueil de l’imagination, du feu, de la fécondité, quelque invention de style, ce poète équivoque placé entre les petites perfections de la poésie familière de Marot et la haute poésie de Malherbe, ne sera jamais un auteur qu’on fréquente ; mais, comme représentant d’une époque, il y aura toujours justice à l’apprécier et profit à l’étudier.