Paris, le 8 juin 1886.
C’est dans un mois et demi, le 23 juillet, que vont être reprises les Fêtes de
Bayreuth ; tous les bruits qu’on a fait courir dans les journaux, — manque d’argent,
absence des artistes attendus, cessation des préparatifs, — sont autant de manœuvres que
les faits démentent absolument. L’interruption des Fêtes en 1885, l’interdiction, si
fermement maintenue par la famille du Maître, de toute représentation de Parsifal hors Bayreuth, la première apparition de Tristan dans
ce théâtre spécial, tout cela va attirer dans la petite ville franconienne une affluence
inusitée.
Une autre attraction est les représentations Wagnériennes qui doivent avoir lieu autour
de Bayreuth. Dresde aura le cycle complet des œuvres de Wagner ; on commencera par
Rienzi, vers le 20 août, dès la fin des Fêtes de Bayreuth ; on suivra l’ordre
chronologique, et on terminera, vers la mi-septembre, par le Crépuscule des
Dieux. Les artistes au théâtre de Dresde, Gudehus et Mlle Malten tiendront les
principaux rôles.
A Vienne, rien n’est encore annoncé.
A Munich, la Tétralogie sera représentée aux dates suivantes : 23, 25, 27, 29 août ;
— 13 15, 17, 19 septembre.
Les acteurs seront la troupe ordinaire de l’Opéra de Munich.
Enfin, à Prague, une lettre très gracieuse de M. Neumann, le directeur de l’Opéra
Allemand, nous apprend qu’il est disposé à représenter, en août-septembre, le Hollandais, Tannhaeuser, Lohengrin, Tristan, les Maîtres, le Rheingold et la Walküre, si des auditeurs vont à
Prague spécialement pour les entendre.
Ces derniers jours, quelques privilégiés viennent de prendre, à Paris, par la grâce du
Petit-Bayreuth, un peu d’encouragement à attendre la réconfortation du grand, du vrai
Bayreuth.
Avec le petit orchestre il y avait cette fois des chanteurs. Des amateurs ; mais
n’est-ce pas chez les amateurs qu’on trouve cette parfaite bonne volonté, si rare ! et,
quand les amateurs ont du talent, ne valent-ils pas mieux, avec leur inexpérience des
« trucs » de trétaux, que les habiles que « cela ennuie ? » Le choix fut heureux au
Petit-Bayreuth : Madame Hellman, qui si elle n’était une femme du monde, serait bien
aujourd’hui l’une de nos premières chanteuses dramatiques, M. Cougoul, qui nous donne le
spectacle (inouï, hélas !) d’un Parsifal qui comprend Parsifal ; M. Perreau, un musicien qui à ne pas être professionnellement
chanteur a gagné une sûreté de style Wagnérien incomparable ; enfui M. Damad, qui, dans
un rôle court, a montré des qualités de charme souvent inconnues de nos théâtres.
Les séances du Petit-Bayreuth sont une chose considérable dans l’œuvre de propagande
Wagnérienne. Les concerts du dimanche ne peuvent procéder que lentement ; ils doivent se
faire leur public ; ils ne peuvent aborder qu’une à une les œuvres du maître : mais là,
en un cercle privé, tout est permis. Et l’on exécute, à Paris, devant l’auditoire le
plus étonnement varié, des scènes de Parsifal qui n’ont été osées qu’à
Bayreuth.
Pour la saison prochaine, la question d’un théâtre Wagnérien français semble avancer.
Lohengrin et la Walküre seront donnés cet hiver à
Bruxelles, avec les Maîtres Chanteurs ; au printemps, il est question
de Siegfried. La Monnaie deviendrait-lle un théâtre Wagnérien ? ses
directeurs parlent déjà, pour dans dix-huit mois, de Goetterdaemmerung
et du Rheingold. Voilà des projets auxquels nous applaudissons
absolument.
Mais, à Paris même, le moment est proche, affirme-t-on, de la réalisation des grands et
sérieux desseins dont se préoccupent les admirateurs de Wagner.
ERRATA — Du dernier numéro de la Revue Wagnérienne (IV, mai 1886),
quelques fautes à corriger dans les « notes sur la Peinture Wagnérienne » :
page 103 3e ligne lire : touffes
au lieu de : souffles
id
25
à l’homme noir
à l’homme de voir ;
105 10
Dehodencq
Dehodeucq
id
18
à son tour
à leur
tour
110 18
rêche
riche
id
24
poignante
prévoyante
113 1
intéressantes donc,
intéressantes, donc
intéressantes
intéressantes
Les lettres et les documents que nous allons analyser ont été réunis par le baron Hans
de Wolzogen et publiés par lui dans les Bayreuther Blaeter (1886, janvier).
Pour l’histoire générale de l’œuvre de Bayreuh, nous prions les lecteurs de se reporter
aux articles qui ont été publiés, sous le titre de Bayreuth, dans la Revue
Wagnérienne de juin, juillet et août 1885, et spécialement au premier de ces
articles. Pour la plus grande clarté de cette analyse rappelons cependant les
principales dates :
1870. — L’établissement d’un Théâtre de Fête est décidé.
1871. — Wagner visite et choisit Bayreuth ;émission de la
souscription du Patronat ; commencement des travaux.
1872. 22 mai. — Pose de la première pierre.
1875. — Achèvement de l’édifice.
1876, 13-30 août — Représentations de la Tétralogie.
A cette histoire se rapporte une série de documents, lettres
écrites par le Maître à ses amis, communications aux membres du Patronat, circulaires,
prospectus, etc. beaucoup d’importantes questions ayant été discutées oralement ou
exposées dans des écrits rassemblés dans les œuvres complètes16, ces documents n’éclairent qu’un nombre assez
restreint des questions spéciales relatives à l’établissement des Fêtes ; ils donnent
pourtant, d’une façon sommaire, un aperçu exact du développement de l’œuvre, et peuvent
dissiper les malentendus qui ont dû résulter tout naturellement de publications
partielles.
Dans un avant-propos, M. de Wolzogen déclare que c’est en souvenir des dix années
écoulées depuis les premières Fêtes de Bayreuth et en honneur des fêtes nouvelles qui
vont avoir lieu cet été, qu’il a publié ces documents relatifs aux travaux préparatoires
de l’œuvre de Bayreuth. Si nous nous réjouissons, ajoute-t-il, d’avoir un Bayreuth,
comprenons combien nous sommes loin encore d’avoir ce que le Maître avait voulu.
Lettre à un ami :
1er novembre 1871
« … Lorsque j’aurai dit les conditions que j’exige pour l’emplacement du théâtre, il
ne sera pas difficile, de deviner pourquoi j’ai choisi justement Bayreuth. Le lieu ne
devait être ni une capitale ayant un théâtre permanent, ni une ville d’eau qui,
justement en été, m’eût donné un public tout à fait différent du public que je
souhaite ; ce doit être une ville du centre de l’Allemagne ; et une ville de Bavière,
puisque je veux y transférer mon domicile et que je ne puis choisir nul autre pays
…
… Quant au choix et à l’acquisition du terrain destiné au théâtre, il y a à
considérer si la ville de Bayreuth, vu les avantages que mon entreprise pourrait lui
procurer, serait disposée à me céder la place nécessaire à la construction de mon
théâtre. Je ne dis pas que l’entreprise ait absolument besoin de ce don, mais il est
clair qu’il établirait des liens solides et durables entre la ville de Bayreuth et
l’entreprise.
J’aurais à me procurer le consentement des autorités communales ; et il ne faut pas
perdre de vue qu’ici il ne s’agit pas d’une entreprise théâtrale de commerce : les
représentations ne seront données que pour des invités et pour les patrons de
l’œuvre ; aucune place ne sera vendue. »
« La pièce de Fête, l’Anneau du Nibelung, doit être représentée, sous ma direction
spéciale, en quatre soirées consécutives, et cela trois fois, en trois semaines
consécutives. Cette représentation, qui se fera pendant l’été de 1873, aura lieu à
Bayreuth, Dans ce but un théâtre spécial doit être exigé ; les arrangements intérieurs
répondront à mes buts spéciaux, la solidité et l’extérieur seront selon les moyens qui
auront été mis à ma disposition. A la construction et l’aménagement du théâtre et à la
préparation spéciale de la pièce, je réserve l’hiver de 1871 et l’année 1872. En 1873
devront se réunir à Bayreuth les meilleurs chanteurs et musiciens pour étudier pendant
deux mois.
Quinze cents places confortables seront données aux protecteurs et promoteurs de mon
entreprise qui auront par l’intermédiaire des amis entre les mains desquels seuls je
remets cette partie de la besogne, réuni les sommes nécessaires à la réalisation du
projet. Les protecteurs auront le nom de « patrons du Bühnenfestspiel de Bayreuth
L’exécution de l’entreprise sera laissée à mes soins. La propriété matérielle
résultent de cette entreprise commune devra être considérée comme étant à ma
disposition et sera plus tard soumise aux conditions que je jugerai les plus utiles
selon le sens idéal de l’entreprise.
Je laisse les détails de l’organisation pécuniaire aux amis qui veulent bien se
donner cette peine, et avec reconnaissance je salue leur empressement comme la preuve,
et d’un zèle actif à servir l’art allemand, et d’une confiance générale en moi. R.
W. »
« — Tous les frais pour la préparation et la représentation de la Pièce de Fête,
l’Anneau du Niselung, sont évalués à trois cent mille thalers. Cette somme doit être
obtenue par l’émission parmi les amis et promoteurs de l’entreprise, de mille billets
de Patrons à trois cents thalers chacun. La possession d’un billet assure une place
pour toutes les représentations de la Pièce de Fête. Chaque patron peut acquérir
plusieurs de ces billets ; mais trois personnes peuvent aussi bien se cotiser pour un
seul billet donnant à chacune droit à une place pour une des trois séries.
Les personnes disposées à participer à l’entreprise sont invitées à souscrire le
coupon suivant et à l’envoyer immédiatement au banquier de S. M. l’Empereur et Roi de
Prusse, M. le baron von Cohn, à Dessau, qui, étant chargé de l’encaissement et de
l’administration des fonds, fera l’appel des sommes souscrites dans six mois et
remettra les billets de Patrons.
Berlin, le 18 mai 1871. »
La Gœtterdaemerung est peut-être l’œuvre de Wagner la plus difficile
à juger, à apprécier sainement ; démesurément longue, elle est pleine de bizarreries qui
déconcertent et troublent même. Sans doute le sombre sujet du drame — ce crépuscule des
dieux. — est pour beaucoup dans cette impression inquiétante ; mais il y a autre chose
encore, et c’est pour ne pas le savoir et ne pas le chercher que tant de personnes
n’arrivent pas à une compréhension approfondie de la Gœtterdaemmerung.
Depuis la conception du poème jusqu’à l’achèvement de l’instrumentation, trente années
se sont écoulées. Le poème, dans sa forme primitive, La Mort de Siegfried, date de 1848, ainsi que certains fragments musicaux ; et puisque
c’est ce poème qui a suggéré toute la Tétralogie et que les fragments musicaux, quoique
fort courts, ont acquis une importance thématique dans le Ring entier, on peut affirmer
que l’idée de la Goetterdaemmerung est restée vivante en Wagner. De même, durant les dix
années d’interruption dans la composition du Ring, plusieurs faits nous montrent qu’elle
ne sommeilla pas. Mais tandis que les vingt-cinq années que Parsifal
germait dans l’esprit du Maître sont tout entières de la période de sa pleine maturité,
l’idée première de la Gœtterdaemmerung est contemporaine des grandes
luttes intestines et extérieures, de l’époque à laquelle Wagner n’avait pas encore rompu
avec notre théâtre moderne, l’époque de Tahnhaeuser et de Lohengrin. La conséquence est que l’homme qui en 1870 commençait à écrire la
partition de la Gœtterdaemmerung était un autre que celui qui en 1848
écrivait la Mort de Siegfried ; c’est la différence entre le Beethoven
de la symphonie héroïque et le Beethoven de la neuvième symphonie. Nous possédons des
documents très complets à ce sujet, car, outre le livret d’opéra, la Mort de Siegfried, il exista, de la même année, une esquisse d’un drame : les
Nibelungen.
Rien n’est plus intéressant que de collationner ces textes avec le poème définitif. La
charpente extérieure est la même, sensiblement ; Wagner condensait déjà la confuse et
prolixe mythologie germanique dans les quelques grands traits que nous montre le Ring.
Mais ce qui est différent, c’est — tout simplement — le fond même du drame. Albérich
s’empare bien de l’Or, les géants bâtissent Walhall, les Walküres y
amènent les héros morts sur les champs de bataille, Siegmund et Sieglinde s’aiment …
mais dans tout ceci il n’est nullement question de Renoncement ; l’idée mère du Ring,
que pour obtenir « l’héritage du monde » il faut « maudir l’amour » avec l’antithèse qui
éclate à la fin du drame, que pour avoir l’amour il faut renoncer au monde, — cette idée
n’est même pas entrevue. A vrai dire, il n’y a point d’autre analogie entre les deux
versions que celle du « conte », Aussi Siegfried est-il le héros de
l’opéra primitif, et non pas Wotan, et Wagner croyait pouvoir tout condenser dans la
Mort de Siegfried, il est beaucoup question des dieux, dans l’ancien
livret, on les invoque constamment, mais on ne les voit pas ; les Nornes, les Filles du
Rhin, des chœurs de Walküres se chargent de nous raconter ce qu’il
nous est indispensable de savoir sur les événements antérieurs. La mort de Siegfried expie la faute des dieux ; Brünnhilde s’écrie : « Wotan, réjouis-toi
du très libre héros ! je t’amène Siegfried : salue-le avec tendresse,
car par lui tu as la puissance éternelle ! » ; les chœurs, alternants, d’hommes et de
femmes, souhaitent aux deux amants « des délices éternelles à Walhall ! » et, dans une
apothéose, Brünnhilde, redevenue Walküre, conduit Siegfried, à travers les nuages, vers Walhall ; En somme : adaptation fort
habile ; pas l’ombre d’un drame psychologique. Et c’est en partant de là que Wagner
bâtit l’œuvre colossale de sa vie, le drame de Wotan, c’est-à-dire de l’Homme, — le
drame dont Tristan est une partie intégrante, et Parsifal l’achèvement prévu. (Voir R. Wagner, « L’Histoire Universelle dans la
Légende », 1848.) Preuve éclatante, si jamais il en fut, de l’indifférence du sujet dans
une œuvre d’art !
Or, voici ce qui arriva, À mesure que la vision du dieu Wotan de l’œuvre d’art de
l’avenir — se levait devant lui, Wagner écrivait les autres parties de la Tétralogie ;
mais il semble avoir ressenti une étrange antipathie à toucher au poème dans lequel
s’était cristallisée pour lui la mort de, Siegfried. Lorsqu’il
refondit ce poème dans celui aujourd’hui nommé la Gœtterdaemmerung,
les passages se rapportant aux événement antérieurs durent être biffés, et furent
remplacés par les scènes des Nornes (qui, dans la première version, annonçaient,
banalement, que Siegfried « accomplirait ce que joyeusement il avait
commencé »), du monologue de Hagen, de Waltraute ; de même quelques-uns des chœurs
disparurent ; deux ou trois scènes furent transformées du tout au tout, — celle
d’Alberich et de Hagen, les paroles de Siegfried mourant, la scène
finale de Brünnhilde. Mais le gros du poème resta tel quel, littéralement ; pas un mot
n’y fut changé. Il en résulte, pour le style, des rapprochements fort bizarres, car la
langue de la Walküre et du Rheingold est essentiellement différente de
celle de la Mort de Siegfried, et plus différent encore est le fond
même de la pensée ; en outre, ce n’est pas seulement la langue, c’est toute la façon de
concevoir le crame sur la scène qui jure, en maints endroits, avec le reste du Ring.
Mais la musique, « l’âme du drame », est, elle, tout entière de la période de la plus
parfaite maturité du maître, et d’un seul jet ; celui qui l’écrivait avait écrit — et
entendu —Tristan et les Maîtres Chanteurs ; il était dans la plénitude
de sa puissance d’orchestration ; et si la question de préférence est discutable, on
peut au moins affirmer que jamais Wagner n’a été plus grandiose que dans la Gœtterdaemmerung. C’est dans cette partition — la dernière en date — que
viennent aboutir les thèmes, « les supports des tendances passionnelles » (R. W. VI,
377) des trois drames précédents, pour former une symphonie immense, le viol de
Brünnhilde, la mort de Siegfried, le crépuscule des Dieux, « la fin de
l’éternel Devenir », comme disait Brünnhilde dans les vers supprimés de la fin … Or,
cette musique, comme nous venons de le constater, se meut — en partie — sur une base
poétique inadéquate ; de là des secousses, des sensations mixtes et contradictoires chez
l’auditeur, et, le plus souvent, une impression totale assez confuse.
Admettons donc, franchement, qu’il y a un manque d’unité dans la Gœtterdaemmerung, un manque de cette unité entre les différents arts qui est une
exigence initiale de la théorie Wagnérienne. — Mais, cependant, il doit y avoir une clef
à la compréhension pleine et entière ce cette œuvre ; car il est difficile d’admettre
que l’homme qui avait écrit Tristan et qui était à la veille de créer
Parsifal, ait agi sans discernement. Si Wagner n’a pas fait un
nouveau poème à la place de l’ancien, c’est qu’il avait une raison pour ne pas le faire,
une raison esthétique.
Nous croyons connaître cette raison, et nous reconnaissons en elle la clef de l’énigme,
grâce à laquelle la Gœtterdaemmerung nous apparaît un pur
chef-d’œuvre, comparable, en sa perfection, à Tristan et à Parsifal.
Wagner dit, en parlant de la Missa Solemnis de Beethoven : « Ici, le texte ne doit pas
être saisi selon sa signification abstraite, mais ne doit servir qu’à réveiller en nous
les impressions que produisent des formules religieuses bien connues ». Autre part, il
écrit : « C’est le propre de la musique, de pouvoir élever à une certitude absolue ce
que tous les autres arts ne peuvent qu’indiquer ». Beethoven était et est toujours resté
symphoniste ; cependant, il ressentit le besoin impérieux, dans la IXe Symphonie et dans la Missa, d’adjoindre à sa symphonie des paroles et des voix
humaines, pour en préciseras sensations. Wagner, au contraire, est devenu musicien par
une nécessité poétique, parce que la musique seule pouvait exprimer avec une « certitude
absolue » les phénomènes psychologiques, les « états d’âme », qui étaient le fond de ses
drames, et que la symphonie musicale devenait ainsi pour lui une partie intégrante et
inséparable de la conception poétique. Mais il est clair que les relations réciproques
entre paroles et musiques sont infiniment variables ; on n’a qu’à étudier les drames du
Maître, on verra qu’elles changent à chaque instant ; souvent l’orchestre — pour un
moment — se tait presque complètement, il s’éteindrait tout à fait si une rupture
d’unité dans l’impression n’était à craindre ; d’autrefois — et ceci est fréquent — la
musique seule subsiste. Et ce qui peut aussi advenir, c’est que Wagner se trouve sur le
même terrain sur lequel se trouvait Beethoven dans la IXe Symphonie
et dans la Missa Solemnis, — qu’il n’ait besoin de paroles que comme un matériel sur
lequel la voix humaine puisse se mouvoir, et de quelques indications dramatiques pour
bien préciser et pour « réveiller des impressions », mais qu’au fond il s’agisse d’états
d’âme par nous pressentis, inexprimables par des mots, et auxquels la musique seule peut
donner une « certitude absolue ». Le texte devient indifférent. C’est précisément le cas
de la Gœtterdaemmerung. Ce drame entier n’est qu’un dénoûment, Wotan,
le centre de l’action psychologique, a disparu dès le début, les Nornes nous apprennent
qu’il attend, silencieux, la Fin ; avec lui disparaît l’élément réfléchissant, la
Pensée ; il ne reste que les émotions, la Passion, — ce que la musique exprime. Dans les
seules scènes se rapportant directement à Wotan, la parole apparaît de nouveau et
évoque, devant nous, la vision du dieu : ce sont les passages écrits après les autres
parties du Ring, et intercalés dans le texte de la Mort de Siegfried.
Mais, pour le reste, Wagner a eu le génie de prendre ce poème tel qu’il était, et de
construire dessus la symphonie la plus grandiose — peut-être — que jamais il ait écrite.
Qu’importe qu’il y ait des duos, des trios, des chœurs, des situations scéniques
rappelant l’opéra ? Au fond, il n’y a qu’une chose ici : la musique.
Ceci paraîtra à quelques uns un paradoxe ; mais nous avons un argument bien puissant en
faveur de notre manière de voir, et qui prouve combien telle était bien réellement
l’intention du Maître en écrivant la Gœtterdaemmerung . On sait qu’à
la fin de ce drame, il y avait des vers résumant l’idée poétique du Ring, et que Wagner,
lorsqu’il vint à parachever la musique, les supprima ; il les a supprimés, nous dit-il,
« pacee que c’eût été, essayer de substituer à l’impression musicale une autre
impression », et « parce que le sens de ces vers est exprimé par la musique avec la plus
exquise précision ». Les paroles n’auraient pu que diminuer cette perfection. Dans les
livrets du Ring, on ne trouve même plus les vers sublimes dans lesquels le Maître avait
exprimé sa pensée ; ils sont enfouis dans une note du sixième volume de ses écrits, où
l’initié, seul, peut les trouver.
La Gœtterdaemmerung est de la musique absolue, non pas dans le sens
ordinaire de cette expression, — mais de la musique absolue wagnérienne.
Houston Stewart Chamberlain.
J’ai reçu récemment, en une brochure de quarante pages luxueusement imprimée, une
traduction rhythmée du premier acte de la Walküre, et, en un fascicule
de huit pages, celle du premier duo de Gœtterdaemmerung ; l’auteur est
M. Henri La Fontaine, le président de l’Association Wagnérienne de Bruxelles, un
wagnériste d’ancienne date. M. La Fontaine s’est consacré à cette terrible tâche,
traduire Wagner ! le fragment qu’il a fait imprimer est le résultat de longues années
assidues ; encore M. La Fontaine ne nomme-t-il son travail qu’un « essai de traduction
rythmée » ; c’est dire quel consciencieux ouvrier il a été. Comme la maison Schott
n’autorise la publication d’aucune traduction des œuvres wagnériennes qu’elle possède
(hors celle de M. Victor Wilder), la brochure de M. La Fontaine n’a pas été mise en
librairie ; elle est destinée par l’auteur uniquement à ses amis. L’apparition de ce
travail n’en est pas moins un fait Wagnérien important.
M. La Fontaine, en faisant une traduction rhythmique adaptée à la musique, a pris un
système de transposition littéraire totale » il n’a point voulu reproduire en un
équivalent français le vers allemand avec ses allitérations, cadences et rimes ; il a
négligé la littéralité minutieuse ; et, au lieu du très spécial style Wagnérien, il a
mis le style de notre langage courant. Il a cherché, cependant, à ce que cette
transposition gardât le sens total du drame Wagnérien : son premier souci a été
l’exactitude des signification générales, — sans être littérale, sa version est, en
somme, fidèle ; c’est pour être plus exact qu’il s’est abtenu de versifier son texte ;
enfin, dans le style, tout en se tenant à la grammaire et au dictionnaire usuels, il a
voulu la plus grande simplicité.
Avant d’examiner ce système de transposition qu’a choisi M. La Fontaine, il faut
remarquer qu’il l’a appliqué avec une entière honnêteté. L’endroit le plus faible est
encore la correspondance rhythmique ; maintes fautes d’accentuation (faciles à corriger,
peut-être) : « c’est moi … » pour « ICH bin’s … » des notes ajoutées et des notes
retranchées à la partition ; des membres de phrases, même des mots, malheureusement
coupés. L’exactitude du sens est le plus souvent satisfaisante. Le style, voulu simple,
est convenable ; quelques moins bonnes recherches de jolies expressions ; en revanche,
quelques habiles trouvailles. En résumé, un poème de noble allure, et de lecture aisée,
mais ne s’accordant pas assez constamment à la musique.
Comme exemple, voici le chant d’amour de Siegmund :
Vents et bises fuient
dompta
l’univers
le mois des fleurs,
vents et
frimas craignnt
le clair printemps
sa rude
vigueur ;
scintille radieux ;
ses coups valeureux sans peine
sa molle brise,
ont brisé la porte sévère.
Tiède et calme,
qui pleine d’orgueil
berce un monde
nous sépare de lui.
Merveilleux ;
c’est vers l’amour
par bois et plaines
qu’il se
fraye un chemin.
Va son souffle,
l’amour convie le printemps :
large ouvert
dans notre sein
son œil sourit ;
sa flamme couvait :
de gais oiseaux gazouillent vois, elle sourit aux feux du
jour.
De doux refrains,
le souffle des
brises
l’air s’épanche
se rit des entraves,
en blondes senteurs ;
l’exil en
vain
de son sang ardent éclosent les a séparés ;
des fleurs enivrantes,
ils se
saluent
les bourgeons
joyeux et ravis :
éclatent vaincus.
L’amour et le printemps unis !
Son ferme et doux pouvoir
Que sont, littérairement, les poèmes de Wagner ? Wagner est, d’abord, un musicien ;
ajoutant des paroles à ses musiques, il s’efforce à exprimer, presque uniquement, des
émotions ; donc, dans le drame, il rejette ce qui n’est pas du domaine émotionnel, il se
refuse à l’histoire, et cherche par le mythe « l’élément purement humain », c’est-à-dire
sentimental ; artiste réaliste, voulant faire œuvre d’art réaliste, il écrit une musique
réaliste par la description émotionnelle ; mais, s’il doit écrire des paroles réalistes,
il doit aussi, demeurant musicien, les prendre au domaine purement sentimental, qu’il
trouve dans le mythe. De là, ces très spécial langage des poèmes Wagnériens, que Wagner
a nommé « la conversation idéale », le langage ordinaire réel, mais condensé, affiné,
abstrait, quintescencié, idéalisé. Chaque vers représente une ligne de prose ; pour une
ligne de prose de vingt mots, un court vers, quelques syllabes, un mot-sommet autour
duquel rayonne le très strict minimum des mots nécessaires à la phrase. « Erlæsung
dem Erlosser. » chantent les élus du Gral. « Voici (par Parsifal) le
Salut du Sauveur (le Gral). » Et c’est la conclusion de l’œuvre, cette dernière formule,
la plus concise, du drame qui est le dernier achèvement de l’idée Wagnérienne.
J’ai eu l’occasion, l’année dernière, en préface à un essai de traduction du Rheingold, de dire un mot sur la question des traductions ; et j’ai
parlé d’une traduction rêvée, celle de l’exacte et totale équivalence. Prenons ces vers
de Parsifal:
« Instruit par la force de la compassion, l’homme pur et simple, attends-le, lui que
j’ai élu. »
M. Victor Wilder traduit :
Le sens général est rendu. Mais les mots de Wagner ne sont point tels ; ils sont des
mots spéciaux, tous des mots essentiels », Mittleid, Wissend, Rein, Thor », libres de
vocables parasites, seuls, comme des cîmes ; en outre, dans la musique, chacun est
souligné de son accordance émotionnelle, donc nécessairement à sa place, et immuable. La
traduction littérale devra tout respecter ; quelque chose comme :
Et si l’on dit que là n’est pas un sens bien clair de prime-abord, se figure-t-on que,
de prime-abord, le texte allemand soit aux Allemands mêmes très limpide ? — Quant à la
traduction de « Mittleid », « Grâce » la donne imparfaitement : mais il faut un
trochée !…
Je ne reviendrai pas sur la définition que j’ai autrefois essayée, en ces quelques
lignes d’avant-propos, d’une traduction rhythmique littérale. Cette traduction n’est
guère qu’un idéal ; c’est comme un terme vu de très loin et presque inaccessible. On
trouvera à dix vers leur équivalence ; quoi qu’on fasse, la trouvera-t-on aux vingt
suivants ? il faut le rhythme et il faut la littéralité ! la langue deviendra
inintelligible, barbare ; alors pourquoi traduire ?… Traduire en une parfaite exactitude
le mot par le mot doit rester — mais combien difficile ! — l’objet précieux aux
efforts.
Et, attendant le succès, qui jamais n’arrivera, que peuvent faire ceux qui veulent
Introduire en leur langage ces poèmes ?
C’est, toujours, l’antagonisme des traductions littérales et des vulgarisatrices.
Sous des conditions très différentes, M. La Fontaine a fait la même œuvre que
M. Wilder ; il a sacrifié le mot ; il a négligé le souci d’un style Wagnérien ; il a
voulu la transposition en une autre manière, des poèmes Wagnériens. M. Wilder accomplit
un tour de force : reproduire en des poèmes élégants, clairs, certes exacts, les
intenses et profonds drames de Wagner ! peu nous touchent les changements de détails ;
le défaut des travaux de M. Wilder est plutôt une fluctuation de langage (des vers tour
à tour parnassiens, classiques, romantiques) ; mais le public comprend, et c’est le
premier point. M. La Fontaine ne fait point de vers ; il traduit en prose rhythmique ;
par là seulement son système diffère de celui de M. Wilder ; — et la différence est, en
vérité, d’un petit intérêt. Il faut s’inquiéter si vous conservez au style son
caractère ; si vous le négligez, guère n’importe que, cherchant ou omettant une forme
versifiée, vous vous donniez plu » ou moins de facilités à traduire ; le plus ou moins de
succès dans le travail achevé est seul à voir.
Si vouloir traduire littéralement et rhythmiquement est chimérique, les curieux ce
l’original s’efforceront à entendre l’original ; qu’ils y soient aidés, certes, par une
version non musicale enseignant la puissance des mots et reflétant la couleur des
phrases : et ils avanceront, plus grandement, dans l’intelligence du poème. Mais,
toujours aussi, qu’un texte soit, qui explique au public l’œuvre qu’il s’agit de
hors son terroir, parmi de mœurs et des idées plus différentes que les langages
mêmesad.
E. D.
Le récitatif de Wolframae
est d’une belle ampleur de style. C’est le chant d’une âme contemplative, que nulle
agitation intérieure ne saccade, et que nul aiguillon du dehors ne saurait accélérer non
plus. Quand Tannhaüser se prépare à lui répondre, on saisit dans
l’orchestre les premières notes du motif voluptueux tiré de l’ouverture, qui rhythmait
la danse des Bacchantes, alors que tout en demandant à Vénus « la Liberté », il lui
promettait de continuer à célébrer ses charmes. Comme si le faible lien de cette
promesse jetée au départ, suffisait pour l’entraîner à sa perte ; lorsque le souvenir en
reparaît, le spectateur est pris d’une terreur instinctive, qui augmente de minute en
minute, telle que les frissons précurseurs d’une catastrophe. A mesure que les violences
amenées par l’animation du combat provoquent les contradictions, et finissent par
exaspérer le Chevalier coupable, les notes deviennent plus distinctes et plus hautes ; à
chaque fois l’oreille saisit mieux la fatale réminiscence, jusqu’à ce qu’enfin Tannhaüser emporté, hors de lui, reprend intégralement la strophe du
premier acte, où reviennent les mêmes louanges de la Déesse d’amour, qu’il chante sans
feinte, ni déguisement.
La consternation, l’effroi, sa confusion de la tragique situation qui survient, sont
spontanément suspendus parle geste d’Elisabeth s’élançant au devant du danger ! Elle
l’arrête, et plaide pathétiquement la cause de son infidèle. Elle ne dissimule point les
sanglots qui gonflent sa poitrine. Tantôt sa voix expire dans des tenues prolongées,
comme si ses forces physiques l’abandonnaient à cette cruelle tâche ; tantôt sa force
d’âme vient les ranimer, et avec des accents de plus en plus émouvants et pénétrants,
elle atteste les Cieux et la terre que l’inflexibilité serait sacrilège ; elle devient
inspirée pour désarmer une farouche indignation, et commande au nom du Rédempteur
lui-même de renoncer à l’iniquité d’un jugement prématuré. A la première réponse faite
par Tannhaeuser à Wolfram, elle avait senti son cœur battre à
l’unisson de ses aspirations passionnées ; pour le lui dire elle avait fait un mouvement
resté inaperçu de lui, car nulle autre approbation ne s’était jointe à la sienne ; elle
savait donc que si même le péché avait séduit le fiancé de son âme, ce ne pouvait être
qu’en l’abusant, et elle ne doutait ni de sa grandeur native, ni de ses ressources du
salut. Lorsqu’elle eut fait rentrer les glaives dans leurs fourreaux, la contenance
audacieuse de Tannhseuser se change en un abattement désolé, et il tombe prosterné à ses
pieds, Élisabeth achève son imploration de suprême amour et de suprême douleur, d’une
voix que l’épuisement éteint. Tous alors dans un admiratif étonnement, se disent :
« C’est un ange descendu d’en haut, pour nous révéler les conseils du Seigneur ! » et
ces paroles sont portées par une mélodie qui, sereine et douce, monte et plane sur
quelques mesures, durant lesquelles l’angélique présence semble être divulguée à nos
yeux. Le chant si miséricordieusement éloquent de celle qui réussit à infondre la
clémence aux âmes courroucées de ces rudes chevaliers, est fort long et écrit d’une
manière qu’on ne saurait caractériser autrement qu’en disant qu’elle se rapproche du
style sacré. On y voit apparaître le rhythme qui, dans le morceau
d’ensemble suivant, alors que les assistants, frappés de cette sublime intervention,
n’osent résister à une aussi céleste manifestation de l’amour, semble être formé par le
contre coup du battement irrégulier de ces cœurs saisis, exaltés, et accablés à la fois.
Ce grand final reproduit aussi le principal thème devoir de la princesse, et s’achève
par la reprise de la mélodie : C’est un ange descendu d’en haut … etc. Wagner s’est
complu à porterie développement mélodieux de ce chœur jusqu’aux extrêmes limites de
l’effet musical. Composé de voix d’hommes, qu’une unique voix de soprano entraîne,
pareille à l’encensoir d’argent qui fait monter de lourds tourbillons de fumée
odoriférante, il est d’une gravité émue, et répand un de ces pieux recueillements, qu’on
n’est habitué à rencontrer que dans les saints temples. L’acte est terminé par
l’exclamation de Tannhaeuser
af, qui part pour Rome avec les pèlerins passant
alors auprès du Château, en répétant le premier fragment de leur chant matinal.ag
Au commencement du troisième acte, après le retour de ces pèlerins, qui, cette fois, en
traversant la scène, reprennent tout le thème religieux de l’ouverture, Elisabeth aux
pieds de la même Madone que nous avons remarquée au premier acte, fait sa dernière
prière, où paraît s’exhaler son dernier soupir, pour celui qu’elle a si souffrement
aimé ! Les longues tenues d’instruments à vent, assombries par les gémissemens étouffés
de la clarinette basse, rendent sensible sa mortelle défaillance. On dirait que Wagner a
voulu n’omettre aucune des prostrations de cette agonie de l’espérance, en recueillant
le cri plaintif échappé à chaque souvenir flottant à son entour, en faisant revivre dans
l’orchestre comme ils devaient revivre dans la mémoire de la mourante, pendant qu’elle
quittait ces lieux pour ne plus les revoir, quelques fragments épars du passé, quelques
réminiscences de son entrevue avec Tannhaeuser, de son duo avec lui au
second acte, de la supplication qui préservât ses jours, du chant de Wolfram lorsqu’il
essayait de rétablir l’accord entre les poètes et de sauver Tannhaeuser de sa propre démence. A une heure si ineffable, quel cœur de femme
n’eut point fait un retour sur cette affection si dévouée dans son humble
désintéressement ? Mais la passion se reste fidèle à elle-même, et Elisabeth refuse
jusqu’à la commisération de cet attachement, si touchant qu’il soit.
Wolfram resté seul après qu’elle s’est retirée, s’adresse à l’étoile du soir qui monte
à l’horizon, et la charge de porter une mystérieuse consolation à celle qui ne voulait
point être consolée. Cette romance pour voix de baryton est une des plus mélancoliques
inspirations de l’amour, et procure un de ces instants de repos, où les attentions
suspendues, et distraites de l’action même du drame, peuvent se livrer tout à fait à une
émotion purement lyrique. Ce propos d’ailleurs était indispensable avant la scène qui
finit l’opéra, et qui se range parmi les plus étonnantes productions du génie de Wagner.
Nous voulons parler de la scène où Tannhaeuser est reconnu par
Wolfram, et lui fait le récit de son pèlerinageah.
Les vers de ce récit sont remarquablement beaux ; mais l’auteur a trouvé le rare secret
de les réunir, de les marier, de les identifier su chant d’une manière si adéquate, que
d’une part il leur est impossible de passer inobservés, tant leur déclamation haute et
intelligible est imposée par les intonations musicales, et que d’autre, on ne saurait se
méprendre et considérer la musique comme un accessoire destiné à les faire ressortir.
Wagner est loin de prêter le flanc à une calomnie semblable à celle qui voulut attribuer
à Gluck, un mot impie, prétendant qu’on entendait le grand maître s’écrier avant de se
mettre à composer : « Mon Dieu, faites-moi la grâce d’oublier que je suis musicien ! »
Tout musicien qu’il est, Wagner n’en reste pas moins, il est vrai, poëte et prosateur
distingué ; mais quelque poëte qu’il soit, il ne trouve que dans la musique la complète
formule de son sentiment, si bien que seul il pourrait nous dire s’il adapte ses paroles
à ses mélodies, ou s’il cherche des mélodies à ses paroles. Le récit amer et poignant
qui tombe avec de douloureux sarcasmes de la lèvre plissée par le désespoir du
malheureux excommunié, se poursuit à travers des émotions si navrantes, qu’il s’est
rencontré des personnes hors d’état d’y assister jusqu’au bout. Dans cette multiplicité
d’aveux échappés aux plus cruels tournions, le chant, le récitatif, la parole,
l’interjection, le cri, le rire sardonique se succèdent et s’entremêlent avec une telle
vérité pathologique, une telle science toxicologique, une telle variété de mouvements
passionnés, désolés et révoltés, selon que les espérances accordées et frustrées, la
pitié due à un cuisant remords obstinément déniée, le pardon d’une faute amèrement
déplorée à jamais rendu impossible, les instantes supplications repoussées, les
repentirs ardents dédaignés, enfin le terrifiement dernier du désastre irrémédiable
viennent se retracer dans une énumération haletante, que es moment forme à lui seul un
drame dans le grand drame, et par ses sombres couleurs et son épouvantable angoisse, se
détache de ce qui l’a précédé ainsi que de ce qui va suivre, comme une évocation qui
aurait brisé les scellés de l’abîme des maux, pour surgir devant nos regards pétrifiés,
pour leur dévoiler subitement tout l’infini de la douleur, et chacun de ses râles
impuissants.
L’horreur de cette affreuse nuit, dont l’obscurité devient de plus en plus profonde à
mesure que la narration de Tannhaeuser avance, monte à son comble à
l’apparition des demeures de Vénus, dans la montagne qui s’entrouvre comme pour
engouffrer sa proie, et où la Déesse elle-même se fait voir appelant et entraînant sa
victime. L’image des lascives jouissances qui font arder de feux inextinguibles, venant
surajouter leurs anhéleuses crispations aux convulsifs regrets de l’infortuné, porte à
son apogée, le lugubre aspect de cet instant, et y appose ce cachet de monstrueuse
souffrance, que l’esprit humain a concrètement réunis dans la conception de l’Enfer.
Durant cet intermède qui ne présente aux sens que des formes attrayantes et qui
néanmoins soulève toute notre répulsion, donnant ainsi au sabbat où les mortels fraient
avec les démones, un caractère bien plus poétiquement vrai que les laides, burlesques,
écœurantes peintures qui en ont été faites avec un égal mauvais goût, dans les arts les
plus divers, l’Allégro de l’ouverture est exécuté derrière la scène comme s’il sortait
des entrailles de la montagne. Tannhaeuser au plus fort de son
paroxysme de désespoir, reprend en cherchant Vénus, la phrase de l’ouverture d’un brâme
lamentable qui y amenait la mélodie dominante, et qui à présent se prolonge dans
l’orchestre par un frémissant trémolo de violon. Cette étourdissante et électrique
effluence de volupté est interrompue par le silence absolu qui se fait, dès que Wolfram
prononce le nom d’Elisabeth, répété par Tannhaeuser dans une sorte de
stupeur paralysée. Les demi-jours diaprés s’éteignent. La montagne se referme, et le
spectateur se dît : Die Erde hat ihn wieder !… La terre du moins l’a reconquis
encore !
Lorsque le convoi d’Élisabeth paraît, qu’on la porte étendue dans son cercueil, que le
fauteur de la grande coulpe se précipite à côté de ces restes adorés, s’exclame :
« Sainte Elisabeth ! priez pour moi ! » et en expirant auprès de ces reliques sacrées,
s’unit enfin à l’objet de sa dilection : lorsque la longue et funèbre procession
conduite par le Landgrave et suivie par une nombreuse foule de clergé, de chevaliers, de
hautes dames et ce peuple, remplit toute la scène d’une masse compacte, et la tait
retentir du chant des morts rhythmé par le glas des cloches, le soleil se lève sur la
vallée en deuil. Mais alors, comme à un signe visible que la Lumière Éternelle avait lui
pour les deux amants, toutes les voix entonnent dans un immense chœur sur les huit
premières mesures du thème religieux de l’ouverture, un « Alléluia ! il est sauvé !…
Alléluia !… » auquel se joint une troupe de pèlerins arrivant nouvellement de Rome, et
annonçant le miracle de salvation révélé à l’Evêque implacable par le reverdissement de
sa crosse. Cet Alléluia par sa souveraine onction et son glorieux éclat, nous rend la
joie, la confiance, l’espérance, et nous laisse comme inondés d’un céleste
rafraîchissement.
Les deux fiancés dont nous avons suivi le sort avec tant d’anxiété, ont cessé de vivre.
C’est l’excès de la douleur qui a tué l’un et l’autre. Pourtant lorsque ce grand drame
est joué, qu’il a passé devant nos yeux, qu’il n’est plus qu’un tableau dans notre
souvenir et un tressaillement dans notre cœur, notre âme est consolée, rassérénée ; les
plaies qu’il avait ouvertes sont fermées ; les endolorissements qu’il avait causés sont
calmés. Nous croyons les deux nobles et tristes fiancés arrivés à un port. Nous les
croyons heureux. Nous les croyons enveloppés d’une invulnérable, inaccessible et
immortelle félicité. Celui qui a exaucé la dernière, si humble et si amoureuse prière
d’Elisabeth, pouvait-il ne pas lui faire trouver dans cet exaucement, le triomphe et la
béatitude ? A la vue de cette destinée flétrie, brisée sur la terre comme un jonc foulé,
et refleurissant dans le Ciel comme un lys splendide, nous sentons palpablement pour
ainsi dire, comment en se perdant, on se sauve : si forte est la puissance du religieux
élan renfermé dans le morceau final, formant l’Épilogue de la pièce. Transporter ainsi à
l’aide de l’impérieux ascendant de l’art, l’esprit d’un public frivole, en dehors des
bornes qu’il pose généralement à son imagination, faire naître en lui une joie vraie
dans un attristement réel, grâce à l’entraînement de la spiritualité et des plus hautes
aspirations de notre être, n’est ce point une des plus belles victoires dont il ait été
donné aux poètes et aux artistes d’ambitionner la gloire ?…
Franz Liszt.
La valeur absolue d’une œuvre esthétique est toujours en raison inverse du nombre des
esprits qui peuvent le comprendre.
(Proposition évidente et rigoureuse, peut-être vraie)
On raconte que le jeune Hercule, en un temps sans doute fort lointain, allait, souriant
et robuste, par les campagnes bleues du royaume de Mythologie. Il aperçut, à lui
s’offrant dans l’élégance apaisée de leurs poses, deux jeunes femmes, étrangement
séduisantes et jolies. Elles le connaissaient : elles lui parlèrent. Il apprit qu’entre
elles il devait choisir l’immuable fiancée de sa virilité prochaine. Et l’une, dont les
cheveux blonds avaient la pâleur calme des soirs, lui dit qu’elle était la Vertu,
qu’elle le conduirait aux lieux cruels hantés par les hydres, et qu’elle lui donnerait
la victoire des luttes, les fatigues mortelles qui glorifient. Alors l’autre jeune
femme, sous le rire chaud de ses yeux noirs, et ce ses dents, et de sombres chevelures
dénouées, révéla qu’elle était la Joie ; elle enseignait les tendresses parfumées, le
délice des longues nuits, comment les âmes se courroucent en des tumultueux frissons et
les hurlements éperdus d’un bonheur qui angoisse, et les sommeils tranquilles, après la
tourmente. Mais on raconte que le jeune Hercule, ce Siegfried des
légendes plus lascives, ne fut point ému grandement par ces professions de foi : il
s’était assis au bord du chemin, et il s’écria, regardant les deux jeunes femmes qui lui
paraissaient maintenant plus séduisantes et jolies, sous une lueur tiède : « Hélas, je
n’ai point appris les subtils symbolismes, à l’école d’où je viens. Seriez-vous, de
charmes si divers, la Vertu et la Joie ? N’est-ce donc point même chose, la Vertu et la
Joie ? Et si j’ai vertueusement occis, tout à l’heure, sur ma route, quelques méchants
lions et un peu de brigands, était-ce par une autre raison que par le plaisir même
d’exercer bien mes muscles ? Allez, vos formes sont trop belles pour vêtir des
métaphysiques ! Puis je ne sais pas choisir : et pourquoi ? Mais plutôt je veux vous
voir toujours l’une et l’autre, car vous êtes gracieuses ainsi que des amantes, et
j’aime les onduleuses musiques de vos voix. » On raconte qu’il les fit s’asseoir, auprès
de lui ; longuement il leur murmurait des paroles caressantes, tandis que les baignait
l’harmonieuse ténèbre d’une nuit royale.
L’histoire est fort ancienne, si elle est vraie. Nous avons pris d’autres mœurs ; et
les temps ont exagéré la monogamie de vos opinions. La Vertu et la Joie ont été
séparées : on a même gagé des philosophes pour découvrir entre elles des différences.
Sur les autres sujets, non moindre désaccord. Aujourd’hui l’honnête homme doit mépriser
un art, lorsqu’il aime l’autre, condamner absolument les œuvres d’une école, lorsqu’il
appartient à une autre. On aurait mauvaise grâce, — et les railleries ne manqueraient
point — si l’on partageait entre l’idéalisme et le réalisme une admiration artistique.
Le monde des théories, autant que celui des faits, se montre à nous comme un magasin de
produits différents, contraires, inconciliables. Apprécier la doctrine de l’Evolution,
est-ce possible à qui admet Fichte ? ou tenir le roman pour un art, à qui reconnaît
l’art des peintres ? La nécessité d’un choix exclusif s’impose à nos âmes modernes. Je
sais des littérateurs qui nient la poésie parce qu’ils sont naturalistes. Et le moyen,
vraiment, qu’il y ait de l’art ailleurs, si l’art est ici ?
Richard Wagner eut la gloire de se refuser à un pareil choix : nous le vénérons surtout
parce qu’il a compris l’intime parenté des formes artistiques, et parce qu’il a tenté la
restituer. Il a vu que les peintres, et les littérateurs, et les musiciens, exerçaient,
avec une égale noblesse, les modes divers d’une tâche commune. Par lui, l’Art n’est plus
dans la peinture, ni dans la littérature, ni dans la musique, mais dans l’union de ces
genres, et dans la vie totale qui en naît.
J’ai voulu montrer naguère, ici même, que l’œuvre salutaire de Wagner pouvait être
poursuivie : que le Maître, après avoir, à jamais, concilié les trois grandes formes
artistiques, nous avait encore laissé un principe large et sûr, par lequel nous pouvions
concilier les deux tendances opposées de la peinture : que les peintres, sans cesser
être artistes, et en gardant à leur art la même destination théorique, pouvaient
continuer Franz Hals ou Léonard de Vinci, reproduire exactement leurs visions, ou
dédaigner toute réalité de vision afin de reproduire exactement leurs émotions. Je
voudrais essayer, au sujet de la littérature, une entreprise pareille de conciliation.
Ici, les doctrines ne sont pas moins nombreuses, et ne semblent pas moins opposées. Il y
a la poésie et le roman : il y a encore la poésie descriptive et la poésie musicale ; le
roman naturaliste, le roman psychologique, le roman dit idéaliste ou de pure fantaisie.
L’art est-il seulement dans l’une de ces formes, ou bien ne peut-on les reconnaître
toutes légitimes, mais touchant des aspects différents de la vie ? Une littérature
wagnérienne, alliant les doctrines d’apparence contraires, les ramenant à l’unité du
principe esthétique wagnérien, serait-ce vraiment ridicule ?
L’Art, a dit Wagner, doit créer la Vie : non point la vie des sens, ou la vie de
l’esprit, ou la vie du cœur, mais l’entière vie humaine, qui est tout cela. L’Art doit
encore être réaliste ; la vie qu’il créera sera faite des éléments qui constituent la
vie appelée réelle, parce qu’on ne peut recréer, dans la vie supérieure et joyeuse de
l’Art, que les modes déjà vécus dans cette réalité inférieure.
Le premier aspect de ta vie est la Sensation : la première forme de l’Art fut la
forme plastique, recréant les sensations. Mais bientôt celles-ci, souvent répétées,
ont laissé dans l’âme une empreinte : elles s’y sont liées, au point que l’une d’elle
évoqua les autres. Elles se sont encore limitées : des groupes furent formés, séparés,
abstraits : la perception fréquente d’objets rouges a porté l’âme à imaginer un nouvel
objet, dont le rouge était la qualité dominante. Ainsi sont nées les Notions, groupes
de sensations abstraits, généraux, fixés dans l’esprit par des noms ; et ce qu’on
appelle la vie intérieure, la pensée, le jugement composé, le raisonnement : c’est un
mode nouveau de la vie, issu logiquement de la sensation.
L’Art recrée la vie par le moyen de Signes, liés dans l’âme à d’autres idées, les y
évoquant. Les signes de l’art plastique avaient été les sensations visuelles de
certaines lignes ou couleurs : la Littérature, art des notions, eut pour signes les
mots, sensations d’abord auditives, devenues ensuite visuelles, à leur tour, sous
l’usage de l’écriture.
Par les mots des langages, la littérature recréa les notions. Son développement subit
les lois même de tout développement artistique, celles qui régirent (depuis les
premières sculptures des Egyptiens, jusque les dessins modernes) les progrès de l’art
plastique. Voici les plus graves de ces lois :
C’est d’abord le passage constant d’un état plus simple, relativement homogène, à un
état plus complexe d’hétérogénéité. Les notions, su début peu nombreuses et très
vagues, se désagrègent, s’affinent, se multiplient. La vie apparaît sans cesse
composée d’éléments plus subtils. Les ressemblances des sensations décroissent ; les
différences sont mieux perçues, à mesure que les sensations se répètent. Bientôt les
termes généraux, « un mariage, une lutte », ne suffisent plus à faire recréer la vie ;
l’âme requiert des notions plus précises. Ainsi l’art restitue, par degrés, une vie de
notions plus détaillée : il prend un sujet total sans cesse plus restreint, afin d’en
mieux tracer les éléments. L’analyse des idées et des faits se complique, tandis que
se complique dans l’esprit le nombre même des idées et des faits.
Dans le même temps la reproduction de certains phénomènes naturels sous un ordre fixe
détermine les âmes à concevoir cet ordre comme nécessaire, et forme ainsi à nouveau
leur perception des choses. Naît un sens du possible et du réel, à travers lequel,
désormais, doit être créée la vie. L’univers apparaît dominé par des lois constantes :
les faits deviennent inconcevables, s’ils n’obéissent à ces lois. L’art, qui recrée-la
vie des notions, perd ainsi le pouvoir de faire vivre des faits surnaturels ou
prodigieux.19
Et comme le sens du réel et du possible va toujours s’affinant, l’art doit bientôt
renoncer encore la création de faits simplement rares : après les actions
miraculeuses, les aventures deviennent impossibles à une recréation artistique. La
littérature, dans son effort essentiel à créer une vie plus vivante, marche vers
l’analyse, complète et minutieuse, des faits les plus ordinaires.
Une autre loi importante de l’évolution artistique, c’est l’atténuation progressive
— entre l’âme de l’artiste créant la vie, et l’âme de ceux qui la recréent —
l’atténuation de tout intermédiaire. Nous avons le besoin, pour concevoir réelle la
vie de l’art, de ce qu’entre elle et nous rien ne se place appartenant à une réalité
différente. C’est la loi de la simplification des signes, dans la complication des
notions. Ainsi la première littérature fut le récit : un homme narrait quelque
histoire. Bientôt les âmes voulurent n’être plus séparées de l’histoire par ce
narrateur : l’histoire fut présentée devant eux, agie par des hommes vivants, sur un
théâtre. Puis le théâtre même fut impuissant à produire l’illusion de la vie : ces
acteurs, hommes d’une réalité, jouant les rôles d’une réalité différente, c’était
encore un intermédiaire trop dense, empêchant l’entière vie. On exigea un
intermédiaire, un signe, moins ressemblant aux choses signifiées : plus aisément
capable d’être pris seulement pour un signe, en dehors de sa réalité propre. Alors la
littérature devint écrite : des lettres peu nombreuses, vite négligées pour leurs
valeurs linéaires, évoquant, sans la gêner, une vie, tout différente, de notions.
Enfin l’évolution eut pour effet la multiplication et raffinement des âmes
« différentes ». Tandis que la plupart des esprits gardaient un nombre égal d’égales
notions, quelques-uns, privilégiés par des circonstances séculaires, subissaient plus
vivement et plus rapidement la loi de l’hétérogénéité croissante. Ils exigèrent, et
pour eux seuls, des formes artistiques plus fines que les formes qui suffisaient à la
majorité de leurs contemporains. Aujourd’hui nous pouvons constater, à l’état
statique, dans le monde actuel, les différents degrés de l’évolution chronologique. A
maintes âmes suffisent encore les arts primitifs, le récit, renonciation très générale
de notions brèves et sommaires. Il est des âmes plus complexes qui veulent avoir la
vie de l’art recréée sur un théâtre, d’autres qui, impuissants déjà à concevoir réels
des faits surnaturels, cherchent l’illusion de lavis dans les romans d’actions et
d’aventures ; leur sens du réel est trop subtil pour reconstituer des prodiges, pas
assez encore pour avoir besoin de faits pleinement ordinaires. Au dessus d’elles sont
des âmes plus différentes : elles requièrent exclusivement, pour recréer la vie, une
forme très affinée et complexe. Elles recherchent d’intenses et délicates créations,
compréhensibles souvent à deux ou trois âmes seulement, parfois à nulle autre. Et
cette différence leur constitue une supériorité funeste, jusque l’heure où notre
démocratie les supprimera, pour le bien commun : voici que bientôt l’aurore bénie de
l’égalité va s’épanouir en un triomphal rayonnement de plein ciel.
Telles lois firent le développement historique de la littérature. Elle leur dut ses
formes successives ; elle leur doit aujourd’hui la conservation de ces formes,
correspondantes aux degrés divers de l’hétérogénéité intellectuelle.
Le premier effort de la littérature fut à créer les légendes fabuleuses, les
narrations épiques, et les contes populaires. Les simples âmes des premiers peuples
étaient satisfaites, dans leur besoin d’une vie artistique, par ces récits très
vagues, On leur disait un alignement de faits généraux, les combats, les traversées.
Nul détail à ces faits, nulle raison les expliquant : c’est qu’elles concevaient la
vie sans détails ni raisons. Elles recréaient aisément une vie fantastique, pleine
d’accidents surnaturels : car elles n’avaient pas encore modelé leur conception de la
vie suivant les seules lois du possible ; ne voyaient-elles point, dans leur
expérience sommaire, mille choses qu’elles devaient juger miraculeuses ? Un bel et
noble prince conquérant par ses forces, ou par l’aide de quelque dieu, la blonde
princesse enchantée : cette histoire valait, pour vivre en ces premiers esprits, ce
que valent aujourd’hui pour nous les œuvres des réalismes les plus subtils.
Par des contes et des légendes naquit la littérature des Grecs. Et je ne crois pas
qu’il faille chercher plus haut les origines de notre littérature : les âmes
antérieures ont créé une vie que nous sommes impuissants à reconstituer ; leurs
œuvres, du moins, n’ont pas, dès ce temps, contribué à la préparation des nôtres. Mais
la Grèce antique, déjà fort civilisée, et tard venue dans l’humaine évolution, a été
la terre privilégiée des lettres. Elle y a exercé un caractère spécial ; qui s’est
imprimé aux premiers contes même qu’elle nous a laissés.
Les Grecs, après les clameurs et les peines des initiales batailles, avaient formé
une race de raisonneurs, épris des notions claires et des enchaînements harmonieux,
ils n’avaient point des sensations vives et n’étaient guère portés à l’émotion : nulle
fougue passionnée ne secoue l’ordonnance tranquille de leurs discours, non plus que la
froide sérénité de leurs faces. Leur esprit gardait un calme noble et sage : ils
ignoraient l’amour sentimental (la famille même) les fièvres mortelles des chagrins,
et la maladie et la misère qui causent l’émotion. Au sortir des luttes gymnastiques,
ils poursuivaient sans nul emportement les ténus contours d’une discussion. Ifs
furent, sous la douce chaleur de leur ciel, le peuple de la pure dialectique.
Voici d’abord que des chanteurs un peu diserts — et ce fut Homère — leur déclamaient
les combats troyens, les sereines colères — sereines, si fatales — de guerriers
fabuleux. Les épithètes, notant les sensations, étaient rares, vagues, peu variées :
mais les actes étaient liés par une implacable logique ; et sans cesse des discours
rompaient la série des actes. Admirable soin des notions et des raisonnements : l’âme
première des Grecs y paraît. Et voici le théâtre, au lieu des récits. A peine assez
d’action pour légitimer les disputes, les altercations, les controverses délicates ?
Puis, à ces raisonneurs, un théâtre raisonneur et moralisateur : les drames-sermons
d’Eschyle et de Sophocle sur le châtiment de l’orgueil, les héréditaires expiations.
Encore ces fleurs, un peu maladives, du génie grec, les tragédies d’Euripide : « Vos
dieux sont en vos âmes : ils sont les cruelles passions, détruisant l’équilibre
salutaire des besoins : voyez les effets de ces maux ; tenez Hermione et Phèdre pour
les images de vos passions. »
Mais à cette race exemplaire de dialecticiens ni le récit ni le drame ne pouvaient
suffire longtemps : ils exigeaient une vie toute de notions pures, bellement
enchaînées : ils exigeaient la forme du roman dialectique. Par l’admirable génie de
Platon ils l’obtinrent, et nous avons gardé l’éblouissement de cet art divin. Qu’on
les voie, au travers des dialogues, marcher et jouer, beaux d’une hardie beauté, les
jeunes hommes d’Athènes. Ils jouent, entourant Socrate, le seul jeu qui les séduise,
la discussion, la recherche d’hypothèses, l’enfantement ininterrompu de nobles rêves
logiques. Platon a compris la réalité unique du Moi créateur, la projection de Lui au
néant d’où naissent les mondes ; il a superposé la philosophie idéaliste parfaite du
Vrai à la science évolutionniste de l’Apparent. Mais pour les artistes son œuvre — où
l’art prend droit d’exister — est le roman exemplaire de l’âme athénienne. Il ne
néglige point les sensations, trace d’étonnants paysages où se meuvent des formes
qu’il décrit ; mais il n’en donne pas plus que n’en percevait son âme, tout amoureuse
des seules idées. Ses personnages parlent peu de leurs affaires, n’y songeant point :
ils vivent cependant une intense et délicieuse vie. L’honnête bourgeois Criton, homme
solennel et discret m’est plus familier que le négociant parisien où j’achète mes
plumes.
La littérature latine suivit un développement pareil à celui des lettres grecques,
moins littéraire seulement, jusque le jour où la Grèce imposa aux Romains le désir de
continuer son art. Qu’importent les premières légendes latines, les barbares essais du
drame chez ce peuple ? L’imitation grecque, ensuite, fit la comédie sans art et sans
vie de Térence ou de Plaute. Puis Virgile tenta une épopée et fit un agréable roman ;
Tite Live mêla, dans son beau feuilleton, les qualités pratiques de l’esprit latin aux
raisonnements hélléniques : et déjà ses raisonnements ne sont plus la dialectique
d’Hérodote ou de Thucydide20. Tite Live est
éloquent, doué de cette vertu nouvelle, que les Romains nous montrèrent, et que je
crois le début d’une littérature spéciale, purement musicale. Plus tard Sénèque
apporta le charme d’une pensée étrangement spirituelle et légère ; maints auteurs
composaient, sous le titre de poèmes, histoires ou récits, des romans médiocres, dont
l’attrait nous demeure aboli.
Le récit, le théâtre, le roman, ce fut les trois formes successives de la littérature
ancienne. Puis vint le tourbillon où tout s’abîma : et les lettres, qui avaient
longtemps survécu à leur utilité, durent à leur tour s’effacer. Un âge nouveau
s’ouvrit, ou plutôt de nouvelles âmes arrivèrent au chemin de l’évolution artistique.
Elles créèrent d’abord des légendes, puis des drames. Le Théâtre fut bien la forme de
l’art littéraire pour les dernières époques du Moyen-Age : un théâtre non plus de
raisonnements ou de discours, mais d’actions, de faits matériels. Dans les drames de
Shakespeare cet état de l’art trouva son expression la plus complète : nulle analyse,
nul souci d’une explication psychologique sérieuse ; jamais on n’a plus négligé
l’étude des motifs mentaux ; mais c’est un superbe déploiement de gestes et défaits,
un choc de paroles aisément poignantes ; la vie colorée, chaude, bruyante, — au fond
creuse — une race très sanguine.
Corneille créa les drames plus reposés, plus nobles, d’une autre race. Déjà l’on
Sent, dans ses tragédies classiques, l’impossibilité prochaine de la forme théâtrale.
Pareillement les œuvres, tout estimables, de Molière, sont plutôt des romans
dialogués. Après ces maîtres fut la fin artistique du drame. Les tragédies du XVIIe siècle, les mélodrames des romantiques allemands et français, et
toutes les pièces scéniques de notre temps ont gardé la valeur de créations
artistiques pour les âmes qui ont encore le besoin de voir la vie recréée
matériellement : mais à des âmes supérieures ces choses, si même elles étaient moins
romanesques, et d’une analyse plus subtile, paraîtraient inartistiques, exposées par
l’intermédiaire d’acteurs.
C’est que, au XVIIe siècle, dans les œuvres de Racine surtout,
est née une forme littéraire nouvelle, la forme du roman : et l’histoire de l’art
littéraire, depuis ce temps, se réduit à l’histoire des modifications imprimées au
roman par les divers artistes.
Le promoteur véritable de la littérature moderne, le seul père intellectuel de nos
âges, est le philosophe René Descartes, jamais un homme n’a exercé sur son temps une
influence aussi vive que l’a fait sur les pensées et les mœurs du XVIIe siècle cet écrivain peu bruyant. A des esprits préparés sa doctrine fut le
geste décisif : la France et le monde n’ont plus entièrement cessé, depuis, être
cartésiens.
Le principe fondamental de cette révolution fut la distinction des deux substances
dont l’une est l’âme, la pure raison, capable du vrai, belle et divine : tandis que
les sens relevaient de l’autre substance ; et d’eux venait toute erreur, les mauvaises
imaginations qui aveuglent, les choses sensibles, viles et méprisables. De là,
désormais, un culte de la raison, et le mépris des sens ; et les perceptions
sensibles, dédaignées, disparurent de l’esprit : le monde devint un harmonieux
agencement de notions. Au dessus des faits qu’on ne voyait plus, on vit l’ordre des
faits.
Cette philosophie devait tuer le drame : elle le tua. Dès le début un merveilleux
artiste, Racine, a créé la vie artistique sur les éléments de cette vie nouvelle. Les
tragédies de Racine furent des romans psychologiques, restituant dans l’art la vie
rationnelle des passions ; aussi peu semblables à des drames que les dialogues de
Platon : moins encore, car Platon créait des entretiens véritables, tandis que souvent
les personnages de Racine ne parlent point, expriment seulement, sous prétexte de
discours, l’enchaînement de leurs intimes motifs. Appellerait-on drame un roman de
Stendhal, récité sur des tréteaux, à haute voix ? Des romans, et purement rationnels.
Ces personnages sont des âmes. Leurs passions ne relèvent point de causes sensibles :
mais ils les vivent si intensément que je ne sais point d’œuvres plus réalistes, ou
plus belles. Hermione — et maintes autres — est la restitution parfaite d’une âme
spéciale, associant des motifs spéciaux, en un moment précis.
Le dix-huitième siècle subit une disposition intellectuelle propre : mais je cherche
vainement une œuvre littéraire qui l’ait exprimée. Ces âmes légères et raisonnables,
je les trouve recréées par Watteau, par Haydn et Mozart ; elles sont indiquées dans
les petits journaux et mémoires du temps : nullement dans les écrits des littérateurs.
Voltaire, l’admirable Grimm, Helvétius, furent plutôt des philosophes que de
véritables artistes. Je me prends à penser qu’ils furent destinés par la Providence à
préparer l’exemplaire artiste que fut Stendhal.
Celui-là est encore pénétré par l’influence cartésienne. Il ne voit que les âmes, la
liaison des motifs. Mais il comprend mieux et perçoit plus finement la nature de
l’âme. Il est le créateur d’une vie profonde et suprême, éclairée par une philosophie
merveilleuse. L’âme crée ses idées : les idées résultent des volitions, et les
volitions des motifs de plaisir qui dominent dans l’esprit. Stendhal a vu les hommes,
autour de lui21, comme des conflits de motifs,
poursuivant le plaisir. Il dresse ainsi des personnages qui sont des conflits de
motifs : et comme il sait l’homme maître de ses idées, il institue en Julien Sorel une
vie dirigée par les admirables motifs de l’Orgueil.
Cependant les premiers effets de la démocratie grandissante sont la révélation du
monde sensible, et le détrônement de la raison. Les notions des objets matériels se
colorent, s’affinent. Le romantisme exprime cet avènement de pensées nouvelles : par
Hugo, épris des images précises et chaudes ; par Balzac surtout, créateur d’une vie un
peu confuse, mais où halètent les fièvres de l’argent, et les ambitions de luxes
mondains. Ces premiers romantiques, éblouis par les sensations neuves, n’avaient guère
pu encore se faire un sens du réel : toutes les sensations leur paraissaient
possibles : ils ne craignirent pas une vie artistique faite d’aventures. Les Anglais,
que la contagion cartésienne avait moins atteints, furent les premiers à revenir de
cet éblouissement. Le romantique Dickens n’est point plus soucieux que Hugo de
l’analyse rationnelle : mais déjà ses romans recréent une vie plus naturelle,
d’événements plus simples et plus réels. Après lui c’est Flaubert, c’est MM. de
Goncourt et Zola qui ramènent le romantisme à créer une vie toujours purement
sensible, mais plus normale et plus complète.
Tous demeurent des romantiques, c’est-à-dire des créateurs d’une vie purement
sensible, indifférents au conflit des motifs, aux raisons qui, dans l’âme des
personnages, déterminent cette vie. Cependant l’analyse psychologique n’avait point
disparu : ce fut d’abord le Juif Heine qui nota, en de languides poèmes, la série
d’idées subtiles et sentimentales. Puis les romanciers russes Tolstoï et Gonicharov,
tentèrent une création totale de la vie, ensemble rationnelle et sensible : leurs
héros voient, agissent, et raisonnent.
La littérature française ne nous a point donné encore, malgré d’aimables essais, un
roman de vie complète, romantique et psychologique. En revanche, nos artistes ont
perfectionné la forme du roman, l’ont bellement préparé à devenir ce roman attendu.
Ils ont simplifié l’intrigue, l’ont réduite à des bornes de temps et d’espace assez
étroites pour que les faits y placés puissent être pleinement recréés. Ils ont donné à
l’afflux des notions sensibles nouvellement perçues, un précieux vocabulaire de signes
nouveaux. Quelques-uns même, — et c’est la gloire de Flaubert22 — ont pris un personnage
unique : le roman entier est la série des sensations perçues par lui seul. Toutes
innovations nécessaires et légitimes, mais qui ne font pas excusable le caractère
incomplet de cette vie : le personnage est, non expliqué, décrit ; nous savons, ce
qu’il sent, mats non par quels motifs il le sent.
La littérature, art des notions, eut toujours, depuis les légendes primitives jusque
nos romans contemporains, une même destination, la destination reconnue par Wagner à
toute forme de l’Art : elle voulut créer, nu dessus de la réalité habituelle, la
réalité supérieure et plus réelle d’une vie artistique, y transposant, avec la joie du
libre pouvoir, les éléments fournis par la vie habituelle. Il n’y a point une
opposition entre le conte épique, le drame, le roman : mais c’est trois formes
successives d’un même art : chacune a répondu et peut encore répondre aux besoins
artistiques de certains esprits. Il n’y a point d’opposition entre le roman dit
réaliste, et qui est seulement romantique, et le roman dit idéaliste, qui est
seulement psychologique : c’est deux aspects différents d’une même vie : ils doivent
être conciliés dans un aspect total, recréant complète la vie de la raison comme celle
des sens.
Mais la littérature, art des notions, comme la peinture, art des sensations, ont,
sous le développement et la liaison des idées, produit des arts nouveaux, spécialement
émotionnels. La peinture a produit les œuvres symphoniques des Vinci et des Rubens,
évoquant l’émotion par l’agencement des couleurs et des ligues ; la littérature a
produit un art symphonique, la Poésie, évoquant l’émotion par l’agencement musical des
rythmes et des syllabes.
Ainsi entendue, la Poésie fut très postérieure à la forme du vers — qu’elle
n’implique pas nécessairement — et aux écrivains qu’on nomme les poètes. Le vers avait
été, d’abord, un appareil mnémonique : exigé, aussi, par les premières convenances du
chant, en raison de sa coupe régulière, favorable aux retours de la mélodie. Mais ni
les chanteurs homériques, ni les tragiques grecs n’étaient soucieux de produire une
musique purement verbale.
Les Latins semblent avoir les premiers senti que les mots, par une séculaire liaison
avec des idées émouvantes, avaient acquis eux-mêmes une valeur émotionnelle. Ainsi que
certaines alliances de couleur, pour avoir longtemps accompagné des objets voluptueux
ou tristes, étaient enfin devenues aptes à évoquer, indépendamment de ces objets, la
volupté ou la tristesse, ainsi certaines syllabes, employées à des mots suggérant
l’émotion, étaient devenues les signes directs de cette émotion. Dans cette naissance
d’une musique nouvelle, les rythmes acquirent une valeur avant les syllabes, et la
littérature latine nous montre une éloquence tout musicale et rythmique, insoucieuse
des notions sises sous les notes, usant les cadences, les prolongements et les césures
des phrases, à la façon de périodes mélodiques, destinées à créer l’émotion.
L’éloquence de Tite-Live, de Cicéron, de Salluste fut une combinaison solennelle et
puissante de rythmes verbaux.
Par la suite des âges, un pouvoir pareil de signification émotionnelle s’attacha aux
syllabes des mots : c’est un progrès tout comparable à celui de la musique pure, qui,
d’abord, fut la mélodie, valant par les seuls rythmes et mouvements, et qui fut enfin
l’harmonie, où chaque note (accord) acquit une force spéciale et propre d’émotion.
Certaines âmes affinées connurent la tristesse alanguie et la brûlante joie de maintes
syllabes : elles y trouvèrent la notation d’émotions musicales, mais aussi différentes
des émotions de la pure musique, que des émotions produites par les procédés
plastiques. Une harmonie des mots apparut possible, légitime : après la musique parlée
des orateurs, naquit la musique écrite des poètes.
Dois-je dire que ni Racine, ni Molière, ni la plupart des écrivains en vers ce notre
siècle ne furent des poètes ? Une convention les forçait à déformer leurs pensées pour
les soumettre à un rythme fixe et inintelligent, à des rimes superflues. Dois-je dire
encore que je n’attribue point à la poésie les pensées dites poétiques, toute pensée
me paraissant plus aisée à exprimer par une prose !
La Poésie véritable, la seule qui demeure irréductible à la littérature proprement
dite, est une musique émotionnelle de syllabes et de rythmes. Aussi voyons-nous les
premiers poètes, empêchés encore d’une poésie pure par maintes conventions, et
l’insuffisance de leur vision théorique, les voyons-nous du moins sans cesse plus
indifférents au sujet notionnel de leurs œuvres. Ronsard, sous le prétexte d’élégies,
Théophile de Viau — ce phénomène qui stupéfie la régularité cartésienne du XVIIe siècle — furent les musiciens de sonatines graciles et délicates ;
Lamartine instaura la lente et parfois monotone symphonie de nobles sentiments. Victor
Hugo créa la poésie romantique, évoquant les émotions seules de vies tout sensuelles.
Son art conserva l’insuffisance d’une forme naissante : rythmique, nullement
harmonieux.
Les poètes Parnassiens eurent la gloire de dédier pleinement le vers aux fonctions
musicales. Ils choisirent à dessein, dans le besoin obstiné de traiter des sujets
rationnels, les sujets les plus vagues et les plus indifférents. Cependant ils furent
ouvriers d’une poésie prochaine, plutôt que poètes. Ils forgèrent des sonorités
précieuses, d’admirables rythmes subtils ou élargis : mais ils négligèrent le sujet
émotionnel non moins que le sujet notionnel : leurs musiques s’épandent au hasard,
trouvailles ingénieuses de manœuvres. Nul d’eux ne donne une symphonie véritable, où
soit analysée et développée la marche d’une émotion.
Le premier, M. Mallarmé tenta une poésie savamment composée, en vue de l’émotion
totale. Il adopta volontiers pour sujet l’émotion produite, dans une âme étrangement
pensive, par la création et la contemplation de rêves philosophiques. Il chercha la
forme idéale d’une poésie purement émotionnelle, mais indiquant la raison des émotions
en même temps qu’elle les traduisait. Il donna d’admirables musiques, liées entre
elles et avec leur sujet par le mystère d’un nécessaire lien : exigeant seulement, des
âmes délicates à qui il s’adressait, ce qu’exige des jeunes pianistes le dernier de
nos auteurs de polkas ; la patience préalable d’une préparation, la résignation à ne
point recréer d’emblée, mais bien après un légitime effort, les sereines et hautes
émotions de son noble esprit.
M. Mallarmé s’est vu obligé encore à conserver la forme fixe du poème : à d’autres
artistes elle apparut une entrave : et ils essayèrent la briser. Ils pensèrent que les
rimes, la régularité des rythmes, étaient des procédés musicaux précis, ayant une
signification émotionnelle spéciale : que, dès lors, ces choses ne devaient plus être
imposées d’avance aux poètes, ainsi que des cadres : mais usées suivant le besoin,
dans la symphonie, des complications émotionnelles qu’elles suggéraient. Ils rêvèrent
une rénovation de la musique verbale, comparable à la rénovation faite, dans la
musique instrumentale, par Wagner, qui n’a point annulé les airs, et les cadences, et
les retours, mais leur a donné un sens particulier, et les a employés seulement pour
produire certaines émotions.
Un jeune poète, M. Laforgue, maintenant la forme des vers, a osé déjà varier les
rythmes suivant des raisons précises, et violer les sottes règles dites « pour les
yeux » : comprenant que les sonorités seules importaient dans la poésie, et qu’un mot
singulier y pouvait bien rimer avec un terme pluriel, s’ils avaient même façon d’être
prononcés.
Je ne connais point d’autre poète, en notre littérature française d’aujourd’hui, et
j’ai vainement cherché hors de France un musicien des mots23 Les
nouveaux poètes anglais ne diffèrent des anciens, de Byron et de Swinburne, que parce
qu’ils ont un moindre talent. Mais cette mort de la poésie ne détruit point la
possibilité d’une littérature émotionnelle : la musique des mots peut être aussi
clairement, et plus entièrement, exprimée par une prose : une prose tout musicale et
émotionnelle, une libre alliance — libre au point de vue du sens notionnel — une
alliance harmonieuse de sons et de rythmes, indéfiniment variée suivant l’indéfini
mouvement des nuances d’émotion. J’admire cette musique, grandement savante déjà et
combien superbe ! — dans les confessions de l’anglais Quincey ; je l’admire surtout
dans quelques phrases prestigieuses du comte de Villiers de l’Isle-Adam, magicien des
musiques expressives, suggérant, par des liaisons de syllabes, une vivante
émotion.
Ainsi une littérature nouvelle s’est — par les lois même des formes artistiques —
constituée avec les procédés de la littérature notionnelle et comme une couleur,
aujourd’hui, peut, diversement, évoquer une sensation ou une émotion, les syllabes
denos mots sont, ensemble, les signes de notions et d’émotions. C’est deux arts, ayant
les mêmes moyens : deux littératures tout différentes, mais également précieuses pour
la destination commune de tous les arts. La littérature des notions, et la littérature
musicale recréent des modes différents de la vie : mais de la même vie.
Telle fut, — trop brièvement esquissée — l’évolution de l’art littéraire. Que serait,
dans ces conditions, la littérature wagnérienne ? Elle serait à poursuivre l’œuvre
conciliatrice de Wagner. N’entendons-nous point la voix aimée du Maître, et qu’elle
nous dit : « Tous les arts ont une fin commune : tous ne valent que s’ils y
travaillent. Littérateurs, comprenez l’effort de vos devanciers : ils ont employé
leurs âmes à créer une meilleure vie : poursuivez leur tâche en créant la vie que
peuvent concevoir vos âmes nouvelles ! J’ai tenté la création totale de la vie par
l’union des arts : mais les arts n’étaient point prêts : vous les préparerez. Vous ne
dédaignerez aucun mode de la vie, parmi ceux dont est capable la littérature. La vie
est un enchaînement d’idées, sensibles, abstraites, se produisant l’une l’autre, et
d’émotions : vous jugerez tous ces éléments dignes d’entrer dans votre œuvre, et vous
rechercherez les signes spéciaux qui conviennent à chacun d’eux, Votre roman ne sera
ni un naturalisme, ni une psychologie, ni une fine musique verbale : il sera vivant,
par l’union de toutes ces formes. Alors, sur le fondement d’une littérature enfin
constituée, la peinture et la musique pourront ajouter leurs modes vitaux : les
artistes amont l’Art : la vie complète sera créée, par l’alliance de tous ses modes
24.
J’ai naguère voulu éclairer, ici, par quelques exemples, une théorie de la peinture
appuyée aux principes de l’esthétique wagnérienne. Laissera-t-on que je cherche, dans
quelques œuvres littéraires récentes, les exemples pareils d’une littérature
wagnérienne ? Les livres sont rares, où je pourrai trouver un progrès artistique :
quelques-uns doivent être cités.
M. Zola fut jadis le chef d’une école, dénommée pour lui naturaliste, et qui fut
seulement une réduction du romantisme aux lois nouvelles de la réalité sensible. Il
vit l’univers comme un ensemble de sensations : mais il reconnut impossible une
recréation artistique de sensations non ordinairement perçues dans la vie réelle.
C’est une vie tout sensible et matérielle qu’il a restituée dans son roman : L’Œuvre.
J’y ai lu maintes descriptions chaudes et précises, évidemment inférieures, pourtant,
aux peintures précédentes du même écrivain. La psychologie est nulle : les personnages
sont des néants, égarés en des corps très vivants, et parmi des lieux bien décrits.
Claude, le héros, est un peintre falot ; l’auteur nous répète qu’il a du génie, mais
n’a jamais songé à nous le prouver par l’analyse des idées. Puis le malheur est que
M. Zola ne se résigne point à recréer les seules notions sensibles : il prend pour
sujets des événements psychiques, et pour personnages des hommes supérieurs : il
peuple ainsi de fantômes des œuvres qui pourraient être fort belles s’il les bornait à
la description des couleurs et des gestes ; s’il variait, aussi, la musique trop
régulière, et un peu facile, de ses phrases.
M. Joris Karl Huysmans n’est point davantage un psychologue, et les conflits des
motifs ne l’occupèrent jamais. Mais il a choisi toujours — sauf dans le médiocre roman
A Rebours — des sujets adaptés à la nature spéciale de sa pensée.
Il fait vivre des tâcherons et des filles, ou quelque employé de bureau soucieux des
aisances matérielles. Et nul littérateur n’a eu, autant que celui-ci, l’algue et
précise notion des sensations diverses. Il a fait, dans un genre précieux, des romans
presque parfaits, déparés seulement par une composition parfois gauche, insuffisamment
objective et impersonnelle. Les Croquis Parisiens, qu’il a réédités,
sont une galerie d’images affinées, brillantes, restituant les odeurs et les teintes
et les bruits des choses.
Pour M. Bourget, au contraire, la vie apparaît toute en les déductions des motifs :
le monde des sensations est à peine indiqué dans ses beaux romans. J’aime le dernier
d’eux, Crime d’Amour, plus peut-être qu’il ne conviendrait : la
psychologie y est un peu factice, trop stendhalienne pour les âmes modernes des
héros ; le personnage de la femme est pâle, ses pensées enchaînées par des liens
sommaires. Puis l’on peut se défier d’une analyse qui trop souvent consiste en des
interrogations au lecteur : le lecteur doit apprendre de l’auteur pourquoi se produit
tel ou tel phénomène moral, et non entendre l’auteur le lui demander. Cependant les
deux âmes du mari et de l’amant vivent une vie singulière et charmante, au travers de
ces fines pages. Depuis l’avènement du romantisme, Duranty avait seul tenté la
création d’une vie psychologique : M. Bourget a eu l’honneur de rendre à notre
littérature l’analyse des notions rationnelles : il l’a fait en un style net et
gracieux. Voudra-t-il, ainsi préparé, nous donner bientôt une œuvre de vie totale, et
moins constamment occupée aux cruelles passions ; tenant un meilleur compte des idées
sensibles, qui causent les conflits de motifs, et qui en résultent ?25
Combien sont admirables et vivantes, malgré les défauts d’une composition fragmentée,
les notes du comte Léon Tolstoy sur le siège de Sébastopol ! Les notions sensibles y
sont mêlées aux plus minutieux raisonnements. La vision créatrice de l’auteur projette
ces personnages dans l’objectivité absolue d’une existence complète : elle dissèque
merveilleusement les motifs véritables du courage, de l’héroïsme, de la peur, et les
actes, et les sensations que ces motifs produisent. Toutefois l’incohérence du récit
est extrême : vingt personnages occupent successivement l’intérêt : de là, chez le
lecteur une lassitude, dans l’effort à recréer ces vies, si diverses et complexes, et
qui défilent, laissant la place à d’autres. Tolstoy, et plus encore Gontcharov, ont
donné à l’Art les romans de la psychologie sans nul parti-pris : mais ils ont été les
aristocrates d’une race indolente ; ils ont laissé aux Français le soin de parfaire la
forme du roman : et voici qu’à nos esprits, coutumiers de cette forme, la vie de leurs
œuvres apparaît incomplète.
Les romans nouveaux, hors ceux que j’ai nommés, ne témoignent pas un sérieux progrès
de fart littéraire. Je ne puis apprécier davantage les œuvres nouvelles des poètes.
Les Complaintes de M. Laforgue m’ont séduit plutôt par des innovations formelles : les
émotions exprimées sont encore très vagues, insuffisamment enchaînées et déduites.
M. Mallarmé, occupé à une œuvre très hardie, n’a fait paraître rien, sinon un sonnet
sur Wagner, publié ici même, qui était fort beau, et dont on a beaucoup ri. M. Paul
Verlaine, un poêle parnassien de grand talent, a montré dans Jadis et
Naguere, parmi maints poèmes médiocres, dans une inanité totale d’idées ou de
plans, quelques musiques charmantes, languides et mièvres, et d’une tristesse
souriante. Mais voici que le plus musicien des mots, M. le comte de
Villiers de l’Isle Adam, a dressé, dans Axel, le monument, imparfait et gigantesque,
de la littérature émotionnelle.
Comme les romanciers russes, et plus profondément, l’auteur de ce roman dialogué est
un aristocrate. Il vit, naturellement, par le seul besoin de sa hautaine différence,
une vie supérieure, puissamment créée au dessus de notre réalité vulgaire qu’il ne
perçoit plus. Il enfante les images, toujours réelles et magnifiques, d’âmes
harmonieuses : il recrée leurs actes et leurs visions : il éprouve les angoisses et
les joies de leurs émotions. Et, comme tous les aristocrates, il n’a point le pouvoir
de fixer ces images : la rédaction étant un travail postérieur à la création
artistique, une descente dans le monde, à lui fermé, des réalités habituelles. Aussi
les personnages de ses œuvres ne vivent point pour nous la vie totale qu’il leur crée.
Mais M. le comte de Villiers de l’Isle-Adam connaît le mystère d’une musique
surnaturelle. Ses livres sont mal composés, les notions ne s’expliquent point l’une
par l’autre : par instants, malgré ces défauts, une phrase surgit, qui bouleverse
l’âme et la force à créer la plus intense vie d’une émotion précise.26 Un amoncellement de syllabes fortes et rapides ; et la passion des
cœurs amoureux y vibre comme en quelque géniale symphonie ; ailleurs une mélodie lente
et fluente : un adagio de miraculeuses paroles, et l’éveil d’une tristesse royale.
Par quel hasard ces précieuses vertus dominent-elles dans ce drame, plus qu’en les
œuvres antérieures de M. de l’Isle-Adam ? La conception, comme toujours, est superbe s
la rencontre de deux jeunes esprits princiers, qui renoncent la sagesse pour l’or, et
l’or pour l’amour. La composition, comme toujours, est faible : un directeur de
théâtre serait fou, qui accueillerait un drame aussi mal construit. Et c’est, aux
actes I, IV et V, la merveille d’une musique radieuse, adaptée au sujet, presque
continue : c’est la solennelle majesté d’un rite sacré, où bruissent les révoltes de
quelque luxurieuse passion ; c’est l’émotion douloureuse d’une lutte entre la science
et les épouvantables désirs des ors ; c’est un chant d’amour si fervide et cruel, que
le cœur halète, abîmé, sous l’afflux des perverses harmonies.
Chacun de ces artistes emploie des qualités précieuses sous des formes diversesai. Quand donc un artiste viendra-t-il qui associera ces qualités et ces
formes, au profit d’une complète vie littéraire ? Aurons-nous le roman que vingt
siècles, de littérature nous ont préparé, un roman recréant les notions sensibles et
les raisonnements intimes, et la marée des émotions qui, par instants, précipite les
sensations et les notions dans un confus tourbillon tumultueux ? Cette construction du
roman parfait se fera par une habitude croissante de concevoir et de recréer la vie :
elle aura besoin, encore, d’une forme parfaite, dont les dernières œuvres de nos
romanciers nous peuvent suggérer l’idée.
Pour restituer une complète vie littéraire, l’artiste devra d’abord borner son effort
à la création d’un seul personnage. Lorsqu’il y a deux rôles dans un roman, l’artiste
doit, alternativement, les vivre l’un et l’autre : c’est une nécessité, pour lui, de
modifier sans cesse ses visions. Une difficulté en résulte à concevoir réelles ces
vies qui paraissent, s’effacent, reparaissent. Le romancier dressera une seule âme,
qu’il animera pleinement : par elles seront perçues les images, raisonnés les
arguments, senties les émotions : le lecteur, comme l’auteur, verra tout, les choses
et les âmes, à travers cette âme unique et précise, dont il vivra la vie27.
L’artiste devra limiter la durée de la vie qu’il voudra construire, Il pourra ainsi,
durant les quelques heures de cette vie, restituer tout le détail et tout
l’enchaînement des idées, On n’aura plus des perceptions isolées, inexpliquées, mais
la génération même, continue, des états mentaux.
La vie que peuvent recréer les littératures est une vie où les émotions interrompent,
par places, la série des notions. L’artiste devra mêler à la forme du récit, la forme
musicale de la Poésie. Il exprimera les douleurs et les joies par des agencements
sonores et rythmiques de syllabes, insoucieux, dans ces rares passages, du sens
notionnel des mots : puisque, aussi bien, nuls mots ne peuvent traduire les
émotions.
La vie, — notre vie surtout, si nerveuse — est un avènement ininterrompu de notions
nouvelles. Sans cesse les sensations survenantes nous portent à des notions plus
subtiles : l’artiste, recréant cette vie, devra désigner ces notions nouvelles par des
termes nouveaux. Mais ce progrès ne sera possible que si nous reconquérons d’abord à
la littérature un langage aujourd’hui prostitué.
Pour qu’un littérateur puisse faire des mots nouveaux, et les faire compréhensibles,
il faut que la grammaire et la langue soient rigoureusement fixées, et que les mots
existants gardent un sens précis. Or le journalisme quotidien a privé la langue
française de ces deux vertus. Afin de rendre plus aisée nos hâtives écritures, nous
avons substitué à la grammaire logique un amas de routines et d’incorrections. Le
sujet, l’attribut, nous avons mis ces choses aux mêmes cas : nous avons adopté une
syntaxe ridicule, où s’étale, innombrable et monstrueuse, l’exception. Que l’on
invente un mot nouveau : la phrase sort des phrases habituelles et nous ne comprenons
pas, faute d’une syntaxe logique, assignant aux termes dans tes phrases la place même
qu’ils occupent dans la pensée, — Mais la misère la plus cruelle de notre langue est
l’abolition des significations précises, la pestilente invasion des synonymes et des
métaphores. Le mot est une image : à chaque mot doit répondre une image, une notion
nette, unique. Or, pour la rapidité de notre parole, nous avons atténué extrêmement
cette vision du sens attaché aux mots. Les termes ne sont plus des images, dans notre
esprit, mais suggèrent, au plus, de lointains fantômes d’images. Qui se demande,
écrivant, ce que représente chacun des termes qu’il emploie ? De là plusieurs mots
admis à un même sens, dans l’effacement de leur sens précis : de là des phrases d’une
incohérence stupéfiante : « Il s’est oublié jusqu’à s’emporter … » Sur une telle
langue comment greffer des mots nouveaux sans être incorrect et sans devenir
inintelligible ? La recréation littéraire des notions subtiles no sera possible que si
l’on se reprend à voir les mots ; alors seulement on pourra les modifier, les
infléchir, suivant les nuances des idées.
Quand donc naîtra cette littérature artistique, produisant la vie totale d’une
âme ?
Je crois entendre la voix de Wagner, adressant à l’Art de notre temps ces ingénieuses
demandes. Un long séjour dans les casemates universitaires a développé chez moi,
jusque l’hallucination, le sens de la prosopopée. Mais voici que j’entends, la voix de
l’Éternelle Sagesse, de la tout-voyante Isis, en ma faveur dévoilée. Elle parle avec
une lente pitié : elle répond :
« Les sagaces exspectations, en vérité ! Elle naîtra, cette belle littérature, dans
la bienheureuse semaine — oh si proche ! — où tous les jours seront des jeudis : dans
la semaine où les âmes différentes, seules capables de créer un tel art et de le
recevoir, où elles seront excitées à raffinement ininterrompu, joyeux, de leur
différence ; dans la semaine, — la délicieuse semaine bien aimée — où l’État fera aux
artistes un petit public très subtil ; dans la semaine où le littérateur pourra donner
son œuvre à quelques âmes spécialement préparées pour la recréer ; dans la semaine —
demain, demain matin ! — où un sage tyran comprendra que seule la joie des artistes a
quelque raison d’être : où il écartera des artistes les vaines ombres meurtrières de
l’humanité démocratique ; où il les entretiendra dans la santé de leurs estomacs,
l’élégance de leurs vêtements, et la liberté sereine de leurs âmes ! »
Teodor de Wyzewa
Richard Wagner, par Catulle Mendès (un vol. in-18, de 294 pages, à 3
fr. 50),
Ce livre réunit les études que M. Catulle Mendès a consacrées à Richard Wagner.
Dans l’Avant-propos est développée la thèse … « ne pas tendre à Wagner les mains qui
l’applaudissent … »
Ensuite, des Souvenirs personnels : Souvenirs de Triebchen, très
aimables aperçus sur la vie du Maître à Triebchen ; — Épître au roi de Thuringe, amusant
récit des représentations du Rheingold, à Munich, en 1869.
A la Revue Wagnérienne ont été données les Notes sur la
théorie Wagnérienne.
Puis, sept grandes études, brillantes et fortes, sur les drames Wagnériens, parmi
lesquelles celle sur Tristan est à signaler. L’étude sur Parsifal était inédite.
En Épilogue, le dialogue du vieux Wagnériste et du jeune prix de Rome
que connaissent nos lecteurs.
Ouvrage très littéraire et d’un continu intérêt.
Le portrait de Richard Wagner gravé à l’eau-forte par Eug. Abot (une
planche de 12 X 17, à 3 fr.) que nous avions annoncé vient d’être publié. D’un ton très
délicat et achevé avec beaucoup de finesse, il est en outre d’une très exacte
ressemblance et d’une belle expression. A côté des nombreux portraits de Wagner faits à
l’étranger, celui-ci, d’un artiste français, doit tenir une des meilleures places.
Beethoven — la sua vita e le sue opere — par Leopold
Mastrigli (un vol. in-18. de 288 pages, à 3 fr. 50).
Cette nouvelle biographie de Beethoven, si elle ne donne que peu de documents nouveaux,
est intéressante et utile par un exact résumé des travaux plus considérables qui l’ont
précédée. La partie spécialement biographique est faite surtout avec des lettres du
Maître : la partie critique avec les jugements de Richard Wagner très habilement réunis
et cités. L’ouvrage se termine par le catalogue des œuvres de Beethoven.
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