(1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gustave Rousselot  »
/ 3385
(1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gustave Rousselot  »

Gustave Rousselot 39

I

La Critique est parfaitement à l’aise vis-à-vis de ce débutant ; car Rousselot est un débutant. C’est un inconnu. Il y a eu, de par le monde de ce temps, un Rousselot qui fut, je crois, économiste. Être un économiste, c’est bien pis que d’être inconnu. Est-il sorti de là, Gustave Rousselot, le poète ? Je ne veux point le penser. Cela me serait désagréable. Jeune, vingt-trois ans à peine, l’âge à peu près de lord Byron quand il publia ses Heures de loisir, l’auteur du livre que voici nous le jette à la tête comme un défi, avec des airs qu’assurément lord Byron n’avait pas quand il débuta. Lord Byron, qui ne s’appelait point Rousselot, et qui, malgré la médiocrité radicale de son premier recueil, devait sentir s’agiter en lui sourdement le génie qui écrivit plus tard Childe Harold et Don Juan, aurait été d’un ridicule à faire très justement pâmer de rire la Revue d’Edimbourg, s’il s’était campé devant la Critique comme Rousselot se campe devant nous tous…

Je sais bien qu’on passe beaucoup de choses à l’orgueil insignifiant des poètes. Leur orgueil même est une des formes de leur rhétorique. Mais ici, dans ce monsieur Rousselot qui intitule ses chants des Chants de force et de jeunesse 40, il y a plus que le délire de l’enthousiasme pour soi-même, qui est une forme bénévolement autorisée et devenue vulgaire de la littérature lyrique. Il y a évidemment, au fond des incroyables rodomontades, affectées ou vraies, qui commencent son livre ou le parti pris d’un jeune homme peut-être modeste, qui sait ? mais rusé comme un maquignon quoique poète et qui essaierait de blesser à vif la Critique pour l’intéresser à parler de lui, — fût-ce en mal, — ou bien donc une vanité truculente, comme celles des Scudéry et des Cyrano de Bergerac, ces fameux Gascons littéraires. Dans l’un ou l’autre de ces deux cas, Gustave Rousselot aurait fait comme les femmes : il aurait mis un pouf, et, comme beaucoup de femmes, il l’aurait mis trop gros… Kepler, en redescendant des étoiles, disait familièrement à Dieu : « Tu t’es passé six mille ans d’un contemplateur tel que moi !  » mais il redescendait des étoiles ! Rousselot ne croit encore qu’y monter ! Jamais Shakespeare n’a parlé de lui comme Falstaff. On a de lui des vers adorablement touchants, où il dit de son génie « mon pauvre génie ! » Gustave Rousselot, dans les siens, se dit beau, grand, fort, invincible et sublime, et hors de ses vers, dans sa préface en prose, il nous signifie « qu’il a trop d’orgueil, ou de nerfs (la chère petite femme !), pour s’incliner devant qui que ce soit », et il demande qu’on décourage les jeunes poètes ! Après de tels langages, voilà Rousselot tenu, impérieusement tenu d’avoir du génie. Seulement, en supposant qu’il en eût, ce serait du génie de bien mauvais ton ; et il a raison, je pense comme lui, il faudrait décourager les jeunes gens d’en avoir comme cela.

Mais a-t-il du génie ? A-t-il cette splendeur dans laquelle les ridicules disparaissent ?… C’est terriblement auguste et complet, le génie ! Je sais trop de quoi il est fait pour annoncer qu’il vient de naître un homme de génie de plus à la littérature française, et pourtant il est vrai de dire que le Poème humain de Gustave Rousselot, malgré les énormes défauts que j’y signalerai tout à l’heure, a plusieurs des qualités fortes qui constituent le génie poétique, et je suis d’autant moins suspect lorsque j’affirme qu’il les a, que le poème en question, avec son titre que je n’aime pas, est écrit tout entier dans une inspiration que je déteste.

Il

C’est, en effet, l’inspiration de cette doctrine dont Condorcet fut le philosophe. C’est la chimère de l’humanité victorieuse de toutes les résistances de la vie, et même de la mort qui les termine. C’est, enfin, l’affolement d’une espérance qui serait imbécille si elle n’était pas insensée ! Victor Hugo, ce ballon qui chante les ballons, a, dans une de ses dernières poésies, appelée, je crois, l’Aérostat, exprimé l’idée que Gustave Rousselot tourne et retourne, concentre ou dilate dans son poème tout à la fois humanitaire et panthéistique, où Hégel coudoie Condorcet. Victor Hugo, comme l’auteur du présent poème, et comme d’ailleurs tous les béats et les béants de la Libre Pensée, qui croient aux perdrix tombant toutes rôties dans le bec humain, croit, par conséquent, à la déification progressive et nécessaire de l’homme. Ce bec figue avale aussi celle-là ! Il admet, comme une loi du monde, cette démence de l’orgueil qu’on ne trouvait autrefois que dans les maisons de fous, et qui trône maintenant dans les Philosophies et dans les Poèmes. Mais quelle que soit la foi du grand Hugo à cette extravagance, le jeune homme du Poème humain est d’une absurdité bien autrement ardente et soutenue que la sienne. Il est vaincu, Hugo ! Lui et d’autres poètes contemporains ont parfois agacé et fait lever dans leurs poésies cette bête monstrueuse de la déification de l’homme, mais, avant Gustave Rousselot, personne n’avait fait sur cette idée seule quelque chose comme cinq mille vers, — et cinq mille vers dans lesquels la verve et le mouvement ne défaillent pas une minute, et dont beaucoup sont, ma parole d’honneur ! magnifiquement beaux…

Car, il faut bien en convenir, pour être beaux les vers n’ont pas toujours et nécessairement besoin d’être vrais. — Et c’est ce qui fait le danger des poètes, ces fascinateurs ! La beauté de leurs chants peut être absolument indépendante des choses qu’ils expriment. Elle peut être toute dans leur manière de les exprimer… Sans doute, l’idéal de la poésie la plus puissante serait la réunion de la vérité la plus pure et de la plus pure beauté, dans un entrelacement sublime ; mais, en réalité, le plus souvent, elles se dédoublent, et la poésie a la vie assez dure, cette immortelle ! pour ne pas mourir de ce dédoublement. La Poésie, pour qui veut bien y réfléchir, n’est, en somme, qu’une superbe force personnelle qui subsiste, quel que soit l’emploi qu’on en fait. C’est ainsi, par exemple, qu’Ovide, qui fut un poète immense, est resté encore, pour nous chrétiens qui l’avons dépassé en sentiments et en idées, un poète, malgré l’erreur de ses mythologies. C’est ainsi que pourrait l’être, et que l’a été à plusieurs places de son poème, l’auteur du Poème humain,  qui nous invente une mythologie de l’avenir tout aussi fausse que les mythologies du passé, mais moins facile à trouver, car, ainsi que l’auteur des Métamorphoses, il ne l’avait pas sous la main et il l’a cherchée dans sa tête. Ovide n’avait qu’à orner de son génie les traditions fabuleuses et les légendes du monde païen, qui, après le plus éblouissant épanouissement, allait s’évanouir, tandis que l’auteur du Poème humain — qui ne relève que d’une philosophie abstraite — n’a que le rêve de cette irréalisable philosophie ! Il lui faut, avouons-le ! pour rouler, comme le vent roule une feuille, ce rêve qui tient en quatre mots, sans l’abandonner jamais et en le renouvelant toujours, le long d’un volume tout entier, une vigueur de projection et de propulsion peu communes. Qu’on le sache bien ! son poème lyrique n’est pas une succession de chants coupés par des repos. C’est un chant unique, sur un sujet unique, qui va d’une filée de son premier vers à son dernier vers. A cette époque d’anémie poétique où l’on s’épuise le tempérament à faire des sonnets et où, pour pouvoir dire quelque chose, on se met à décrire jusqu’aux brins d’herbe qu’on a sous les pieds, on est content de rencontrer une poitrine assez bien organisée pour souffler, d’une seule haleine, fût-ce une bulle de savon de cinq mille vers, sans s’y reprendre à deux fois avec son fuseau ! Cela donne à penser que dans ce pauvre temps de débilitation universelle la race des poètes n’est pas encore perdue, et que Gustave Rousselot est peut-être du bois dont se font ces flûtes enchantées.

Et d’autant que ce n’est pas là seulement une affaire de souffle dans le sens matériel et organique du mot. Non pas. C’est mieux que cela. Le souffle, chez des poètes dignes de ce nom, vient de l’enthousiasme. C’est l’enthousiasme, le Dieu en nous, comme traduisait madame Staël ; c’est l’enthousiasme, cet élargisseur des poitrines et des cœurs, qui donne aux poètes cette longue haleine et cette force d’enlever leurs vers comme sur des ailes, en plein ciel, en plein air, en pleine étendue, et, quoiqu’il se perde ici dans la chimère, l’auteur du Poème humain en a le foyer. C’est par l’enthousiasme qu’il est vengé de la déraison de ses croyances et de la fausseté des systèmes dont il a fait sa poésie. Le panthéiste qui a osé écrire de lui-même ;

Et je sens bien qu’en moi lentement s’élabore
La cristallisation d’un Dieu !

l’optimiste halluciné qui annonce le monde nouveau ;

Ainsi, l’homme est partout, — partout est la pensée ;
L’adorable Espérance à jamais est fixée :
Ses ailes sont prises aux fleurs !…
Tout est bon ; tout est beau… La pauvre race humaine
A force de pleurer son âme sur sa chaîne
L’a dissoute au sel de ses pleurs…

l’enivré d’espoir impossible qui s’écrie :

C’est ainsi qu’écartant la vieillesse et l’enfance
Nous referons la vie… et, grisé de jouvence,
Le monde aura toujours vingt ans !…

ce divinisateur même de Dieu, de Dieu qui, dans l’agrandissement forcené de tout, doit devenir Dieu davantage, est, certes ! bien heureux d’avoir à son service la faculté de l’enthousiasme, cette expression du feu du cœur qui se tord autour de son idée, et qui en cache, au moins, dans sa flamme, l’absurdité !

III

Ainsi oui ! absurde, et d’une absurdité incomparable tant elle est effrénée ! marchant englouti jusque par-dessus la tête dans les moissons levées d’idées fausses qui couvrent — épis de révolte ! — le sol crevassé de ce temps ; enivré par les sciences modernes qui l’ont frappé de leurs vertiges ; optimiste furieux qui mord l’histoire du passé comme un tigre, — du passé dont, malgré la noblesse de son espèce, il s’abaisse à être le chacal, — orgueilleux comme Nabuchodonosor lui-même, ce petit ! fou enfin, si vous le voulez, mais poète, poète par l’enthousiasme, par la palpitation sacrée, par le battement d’un cœur qui ne battrait peut-être pas plus fort quand ce serait pour la vérité ! Il l’a dit lui-même, dans un vers splendide comme il en sait faire :

Le battement du cœur frappe aux portes du ciel !

Le sien y frappe. Mais les forcera-t-il ?… C’est surtout par l’enthousiasme et l’âme, et l’émotion, qu’il est poète. L’âme fait tout pardonner. Religieuse envers et contre toutes les philosophies qui l’ont dépravée, la sienne est tellement altérée de la soif du dieu personnel, appelé par lui le dieu inconnu, qu’il en fait incessamment bomber l’idée concrétisée sur le fond voyant de son panthéisme oublié. Inconséquent à tout quand il s’agit de Dieu, dédiant à Dieu son livre, dans une pose naïve de gladiateur enfant, au milieu du cirque de l’athéisme contemporain qui le nie de toutes parts, déiste d’un déisme involontaire et fatal, à travers lequel l’idée chrétienne coule, sans qu’il s’en doute peut-être, comme le sang dans la chair humaine ; déiste malgré lui, qui eût fait effacer à Bossuet sa phrase célèbre : « Le déisme n’est qu’un athéisme déguisé », voilà, en quelques mots, ce poète nouveau, à son début, qui lave les sottises de son esprit dans l’émotion de sa poésie, ce jouvenceau de vingt-trois ans qui s’en vient orgueilleusement demander à la Critique de l’égorger, si elle l’ose… et celle-ci, comme vous le voyez, ne l’égorge pas ! Elle le laissera vivre, cet agneau… Mais, dans l’intérêt de sa poésie future, elle lui signalera les défauts de sa poésie actuelle, qui sont grands, — aussi grands que ses qualités.

IV

Ces qualités, je les ai dites sans presque les montrer ; car les beautés du Poème humain, réelles et nombreuses, ne sont guères citables, par le fait de l’ampleur de leurs développements et de ce long souffle qui les emporte tellement d’ensemble qu’on ne peut pas plus les détacher que les planches unies du vaisseau qui cingle au fil d’un flot puissant et qui monte toujours ! Ces qualités — et c’est leur gloire — ne sont pas du tout celles de la poésie de ce temps dévasté de poésie. Elles n’ont rien de cette chose sans entrailles et sans horizon, de cette Chinoise d’éventail ou de paravent, aux petits détails microscopiques, à la description éternelle d’atomes, même dans la sphère du sentiment, et que nous avons vue se produire parmi nous depuis la mort du grand et idéal Lamartine. De poésie forte et dans un autre accent, nous n’avons vu surgir, et bien récemment encore, que le livre qui a monté tout à coup dans la renommée comme un faucon décapuchonné, écrit par cette femme étrange, par ce sphinx de génie terrible qui a proposé l’énigme de son sexe à la Critique, presque épouvantée de tant de virilité… Gustave Rousselot vient après madame Ackermann. Après la poésie désespérée de madame Ackermann, cette Niobé sans enfants, d’un désespoir impie, voici le poème de Rousselot, ce Poème humain, qui est une Bacchanale d’espérance. Les deux seuls ouvrages, en résumé, qui, dans l’ordre poétique, méritent de tirer la Critique de son abîme d’indifférence réfléchie, et d’être mis par elle l’un à côté de l’autre, comme on y mettrait deux cariatides de marbre ou d’airain différents. Malheureusement pour Gustave Rousselot, l’une écrase l’autre, de ces cariatides… La Niobé vieillie est plus forte que le jeune homme qui croit, comme… un jeune homme, que la force est dans la jeunesse. Elle lui apprend qu’elle n’y est pas. Elle lui apprend que la poésie se fait avec de la douleur comme la vie, et que les plus grands poètes furent les plus vieux, depuis Homère jusqu’à Milton, — et même Byron, qui mourut à trente-neuf ans, date menteuse ! mais avec les cheveux blancs d’une vieillesse prématurée. Cette vieille Niobé, du reste, a eu beau souffrir, elle a eu beau se tordre comme le Laocoon dans l’angoisse, la fureur et le désespoir farouche, elle n’en a pas moins gardé l’irréprochabilité de son airain et de son marbre, tandis que le poète du Poème humain, de ce jeune Bacchant ivre de l’Espérance, est bien loin de briller par la pureté du sien.

C’est un incorrect. Voilà le grand reproche. Son enthousiasme, à lui, qui est sa qualité première, et qui le lance trop loin du détail pour qu’il puisse en avoir jamais le fini, roule dans ses bouillonnements par trop d’écume et de bavures. C’est un incorrect, — comme Alfred de Musset, qui avait aussi des rayures dans son marbre, et à qui la Critique, avec juste raison, l’a tant reproché. C’est un incorrect, et non pas seulement un incorrect par défaillance, par le fait de l’organisation qui, à certain moment, se fatigue. Il l’est aussi comme cela. Bien souvent, dans le cours de son poème, la strophe admirablement commencée ne finit pas comme elle commence. Le trait final, cette pointe d’acier qui fait la flèche et où se mire l’éclair, s’émousse et s’évanouit dans la nue du commun, et l’imprécision de l’image. Quelquefois, au milieu de la strophe la plus brillamment tricotée, apparaît brusquement un trou. L’harmonie craque et crie. La rime faiblit jusqu’à la lâcheté. Mais à ces incorrections, qui sont des défaillances et qui ne sont pas sans remède, il s’en ajoute d’autres plus coupables, qui viennent de perversion intellectuelle, de volonté et de système. Il fallait bien que l’optimisme de l’orgueil, à cet enivré de la vie, à ce grisé de jouvence, pour parler comme lui, ajoutât son insolence à tout ; et voilà comme, à la poésie même, il l’a ajoutée ! Voici comme ce marmot-Titan, qui demandait dans sa préface qu’on décourageât les jeunes poètes et qu’on jetât sans pitié dans le barathrum des Spartiates tout ce qui ne serait pas conformé pour devenir un Hercule, a, par une inconséquence de l’orgueil qui se frappe sans vouloir se punir, inventé une théorie qui semble une protectrice de sa faiblesse.

V

Dans une note, qui fait suite à la préface de son poème, et qui n’est pas plus modeste que cette préface, Gustave Rousselot nous a donné la poétique d’après laquelle il a composé ce Poème humain. Poème humain, poétique humaine ; car elle est pleine d’une bonté pour la faiblesse humaine, poétique très étonnante de la part d’un jeune homme si fort ! Du coup de cette poétique, en effet, et de sa seule autorité privée, Gustave Rousselot affranchit la poésie française de ses règles séculaires, dans l’intérêt de ceux qui n’ont pas assez de vigueur pour les subir, et dans le sien, à lui, qui s’en croit tant ! « Je trouve le moment venu — dit ce jeune Spartacus de la prosodie — de se séparer de la routine, et c’est pourquoi j’ai modifié le nombre ordinaire de syllabes… Mon idée — ajoute-t-il — est même que le poète a le droit de compter les mots en variant, au besoin, selon le hasard du vers… » Au hasard du vers ! Ce n’est pas plus compliqué que cela. Les règles prosodiques gênent tout le monde, les débiles et même les forts. Vous êtes faible ; je suis fort ; l’affaire peut s’arranger. Et on les supprime. Fatuité charmante ! « Henriette de Bourbon, ôte-moi mes bottes ! » disait Lauzun. Gustave Rousselot ôte les siennes tout seul. Et s’il continue à ôter ainsi tout ce qui le gêne, nous verrons de drôles de spectacles. En attendant, nous voyons, dans son Poème humain, qu’il y fait rimer LOIN avec SOUTIEN à la page 195, et qu’il y obtient, à mainte place, des effets de cacophonie aussi étonnants que celui-ci :

Il se revêt de chair comme l’arbre d’écorce,
Et comme de sa coque l’œuf !

Ce « de sa coque l’œuf  », il est vrai, semble décisif contre sa théorie et la brise comme l’œuf dans sa coque. Elle nous rappelle, cette théorie, celle de ces singuliers grammairiens qui voulaient, il y a quelques années, traiter l’orthographe comme Rousselot veut traiter la prosodie. Ils prétendaient qu’il fallait affranchir aussi l’orthographe, et que les cuisinières qui ne la savaient pas étaient celles-là qui la savaient le mieux… Que sont devenus ces farceurs ? Autrefois, on les payait par des éclats de rire. Mais le monde est devenu si sot qu’il faut maintenant craindre leur influence, et que nous arriverons peut-être à être obligés de la discuter, cette haute influence des farceurs !

Quant à Gustave Rousselot, qui a l’âge de la candeur, s’il est candide, il est, comme je l’ai dit et comme je viens de le prouver, aussi inconséquent à son orgueil, dans la misérable conception de sa poétique, qu’insolent pour la poésie elle-même. Il ne faut pas mépriser son gagne pain. La poésie est son gagne-pain de renommée. Il l’abaisse jusqu’à n’être plus qu’un art facile, à la portée des plus vils rimailleurs, et l’outrage à l’art des vers est ici d’autant plus grand que Gustave Rousselot sait les frapper… autrement qu’en les déshonorant. En effet, et que ceci soit mon dernier mot, ce jeune garçon a vraiment âme de poète. Il a sur le front la petite étoile. La Critique, qu’il brave, et qui voudrait le voir sorti de ce fatras d’idées fausses dans lesquelles il galvaude un bel enthousiasme, peut lui dire avec mansuétude : Vous seriez un fameux Jocrisse si vous n’étiez pas un poète. Mais, Ganymède nouveau, l’enthousiasme vous a arraché à la bêtise ! Allez ! mon fils, l’enthousiasme vous a sauvé !