(1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IX. Des Epistolaires ou Ecrivains de Lettres. » pp. 265-269
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(1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre IX. Des Epistolaires ou Ecrivains de Lettres. » pp. 265-269

Chapitre IX.

Des Epistolaires ou Ecrivains de Lettres.

LA France abonde en écrivains de ce genre ; mais nous en avons peu de bons.

Les Lettres de Balzac & de Voiture eurent dans leur tems un succès, qu’on ne sauroit imaginer aujourdhui. Le premier est un harangueur empoulé ; l’autre est un faux bel esprit. D’où vint donc cette grande réputation qu’ils acquirent & qui a passé jusqu’à nous ? C’est que le premier au milieu de ses phrases emphatiques, avoit de l’harmonie, de l’élégance & cette sorte de pompe qui flatte les oreilles ; c’est que le second avoit naturellement l’esprit délicat & fin : mérite qui ne s’accorde pas toujours avec le goût, mais qui répandoit des agrémens jusques sur ses plus mauvaises Lettres.

Bussi Rabutin écrit correctement ; mais c’est tout. Il n’y a rien dans ses Lettres qui justifie la haute idée, que Messire Roger de Bussi Rabutin avoit de lui-même.

Sa cousine, Madame de Sevigné, avoit bien plus d’esprit & plus de graces. Ses Lettres sont le modèle d’une conversation, libre, piquante, délicate, enjouée. On n’a jamais conté avec plus de vivacité & de naturel. Ce style enchanteur n’appartenoit qu’à Madame de Sevigné ; & celui qui croiroit, en écrivant une Lettre, devoir ou pouvoir l’imiter, se tromperoit lourdement. C’est un ton qui lui étoit particulier, & qui ne va bien qu’à elle. On a donné un extrait de ses Lettres sous le titre de Sevigniana, in-12. Cet abrégé se fait lire avec plaisir, quoiqu’il y ait peu d’ordre, & que l’auteur n’ait presque eu en vue que de compiler ce qui regardoit les Solitaires de Port-Royal & leurs amis.

Les Lettres de Madame de Maintenon, sont plus faites pour servir de modèle. Une simplicité noble, une élégance sans affectation, une précision extrême sans sécheresse, en font le caractère.

Voilà ce que nous avons de mieux dans le genre épistolaire. Si l’on veut du médiocre ou du mauvais, on a les Lettres de Boursault, qui, à quelques anecdotes près, sont très-peu de chose. Elles forment trois vol.in-12.

Les Lettres galantes du Chevalier d’Her** sont moins remarquables par quelques traits délicats & fins que par les fadeurs monotones & les plaisanteries entortillées qui les caractérisent. M. de Fontenelle, qui en est l’auteur, les chérissoit d’autant plus que le public lui paroissoit injuste à l’égard de cet enfant de son génie. On a imprimé depuis un recueil de ses Lettres qui forme le onziéme volume de ses œuvres. Il y en a quelque-unes d’agréables.

On ne doit pas porter le même jugement des Lettres familieres du Président de Montesquieu. Il est vrai qu’on n’y apprend que des particularités relatives à l’auteur ; mais cet auteur a tant de réputation que ses minuties deviennent des choses importantes. D’ailleurs, on l’y voit tel qu’il étoit, philosophe aimable, bon ami, homme officieux, enjoué sans apprêt, & se livrant sans effort aux sentimens que l’amitié lui inspire.

On n’a pas trouvé le même caractère de franchise & de bonne amitié dans les Lettres secrettes de M. de V**. On y voit un homme qui forcé d’habiter une retraite & d’avoir un correspondant à Paris, donne à ce correspondant des éloges que le cœur ne paroît pas dicter. Le poëte & le bel esprit s’y font sentir quelquefois ; le véritable ami ne s’y rencontre guéres. Peut-on souffrir d’ailleurs les injures grossieres qu’il vomit contre tous ses ennemis ? Ce ton d’emportement ne plaît pas même aux malins, qui aiment les plaisanteries satyriques & non les sarcasmes grossiers.

Ce ton d’amertume se fait remarquer encore dans les Lettres de Rousseau. Il y dit le pour & le contre. Il flatte ceux qui peuvent le protéger ou le servir ; il outrage tous les autres. L’impression qui reste de la lecture de ses Lettres n’est pas favorable à l’auteur.

On trouve dans les mémoires de Racine le pere, publiés par son fils un grand nombre de Lettres, qui donnent de ce poëte une idée beaucoup plus avantageuse. Il y paroît bon ami & bon pere. Le style n’a rien d’ailleurs qui puisse se faire remarquer, si l’on excepte ses deux Lettres contre les solitaires de Port-Royal. Il ne faut pas pourtant les comparer aux Lettres Provinciales : ouvrage inimitable qui ne tombera pas, quoique les Jésuites qui en font le sujet soient tombés.

On a fait un grand nombre de recueils de Lettres, pour former le style de ceux qui veulent en écrire. Vous avez le Secrétaire de la Cour, qui, par le mauvais choix des Lettres qu’il renferme peut être appellé le Secrétaire du peuple. On n’a jamais écrit plus platement & plus maussadement.

Les Modèles des Lettres imprimé à Lyon, il y a quelques années, est une collection puisée dans nos meilleurs épistolaires françois. Les préliminaires dont l’auteur l’a ornée en augmentent le prix. Mais les Lettres étant puisées dans différens auteurs, qu’un homme, d’un esprit ordinaire, ne sçauroit imiter, ce recueil est beaucoup moins utile qu’on ne croit. Il faudroit pour un pareil livre, non un compilateur, mais un homme qui écrivît parfaitement dans le genre épistolaire, & qui composât lui-même toutes les Lettres avec le soin qu’un pareil travail demande.

La même raison qui nous fait restreindre l’usage du Modèle des Lettres, nous empêche de conseiller un Choix des Lettres des plus célébres écrivains, qu’on a publié à Paris, en deux vol.in-12. Ces sortes de livres se font lire avec plaisir à cause de leur variété ; mais pour les lire avec fruit, il faudroit qu’ils fussent mieux digérés, plus uniformes & plus méthodiques.