(1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XV. Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie. » pp. 333-345
/ 2302
(1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XV. Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie. » pp. 333-345

Chapitre XV.

Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie.

MOnsieur Formei ayant assez bien traité les matieres qui sont l’objet de ce Chapitre, nous emprunterons ce qu’il en dit, en y ajoutant nos propres réfléxions. Ce seroit, dit-il, une immense carriere à fournir que la lecture de tous les ouvrages qui se rapportent à la Philosophie, & parmi ces ouvrages, il y en a beaucoup qui sont fort au-dessus de la portée des lecteurs ordinaires.

Une personne qui a fait quelque étude de la Géométrie, pourroit orner son cabinet des ouvrages des Philosophes les plus célébres de ces derniers siécles. Tels sont Descartes, Gassendi, Newton, & Wolff. Leurs ouvrages ont été traduits en françois. Il est bon de remarquer qu’ils sont plus intelligibles dans la version & plus convenables aux différens ordres des lecteurs.

Avant que de pénétrer dans les profondeurs d’une science, il faudroit en connoître l’histoire. Celle de la Philosophie, par M. Bruker, en latin, cinq vol. in-4°. à Leipzig, est l’ouvrage le plus achevé que nous ayions dans ce genre. L’auteur l’avoit d’abord publié en allemand par demandes & réponses, & ce livre lui avoit déjà fait beaucoup d’honneur. Il l’a depuis étendu & comme refondu pour en faire sa grande histoire, où l’on ne sçait ce que l’on doit le plus admirer de l’érudition, de la netteté, & de l’ordre dans lequel les matieres sont traitées, & de la solidité de jugement, ou des graces du style de l’auteur.

Ceux qui faute d’entendre le latin seront privés de cette lecture, en trouveront une espêce de dédommagement dans l’abrégé que M. Formei en a fait, in-12. L’Histoire critique de la Philosophie, par M. Deslandes, cinq vol. in-12., est curieuse ; mais le style n’est pas toujours pur, & il s’éloigne souvent du simple & du naturel.

Pour suivre à présent l’ordre des principales parties de la Philosophie, on pourra le borner pour la Logique au fameux Art de penser, par les illustres Solitaires de Port-Royal, à la Logique de Crousaz, à l’introduction à la Logique & à la Métaphysique, par M. s’ Gravesande : l’agréable assaisonne l’utile dans la Philosophie du bon sens, dont M. le Marquis d’Argens vient de donner une derniere édition considérablement augmentée ; mais l’esprit d’irréligion s’y montre trop à découvert.

Je n’indiquerai que trois ouvrages principaux pour la Métaphysique : le premier est la Recherche de la Vérité, par le P. Malebranche, en quatre vol. in-12. : production immortelle, malgré un grand nombre d’erreurs, écrite d’un style enchanteur, & d’autant plus admirable, que les matieres qu’il traitoit sont plus séches.

L’Essai de Locke sur l’entendement humain, traduit en quatre vol. in-12., est plein d’idées lumineuses ; mais il y a quelques principes dangereux, & l’ouvrage est trop diffus. On en a fait un abrégé in-12.

La Theodicée de Leibnitz, en deux vol. in-8°. est le recueil des rêveries d’un grand homme, dont on admire la vaste génie, même lorsque ce génie lui fait faire des écarts.

On ne fera pas mal d’y joindre un livre où la morale & la métaphysique sont heureusement alliées. Ce sont des Recherches sur l’origine des idées que nous avons de la beauté & de la vertu, en deux vol. in-8°. Amsterdam 1749.

M. l’Abbé de Condillac est encore un écrivain distingué dans le même genre. On a de lui un Traité de Systêmes, un Essai sur l’origine des idées, & un Traité des sensations. Ces trois morceaux sont dignes d’un Philosophe, qui connoît toute la marche de l’esprit humain.

Il y a aussi beaucoup à profiter dans la lecture des Mêlanges de M. d’Alembert : philosophe profond qui a toute la finesse de Fontenelle, toutes ses connoissances & une force de style que Fontenelle n’avoit point.

Les livres les plus agréables & les plus utiles sont, sans contredit, ceux qui roulent sur la Physique ; plusieurs excellens auteurs se disputent ici l’entrée de notre cabinet. On ne sauroit assurément la refuser aux suivans ; Derham présente sa Théologie-Physique, & sa Théologie astronomique, l’une & l’autre traduites en françois, in-8°.

Nieuwentit nous offre son excellent livre de l’existence de Dieu, démontrée par les merveilles de la nature, in-4°., qui est à la fois la meilleure Physique & le meilleur commencement d’une bonne Théologie.

Le Spectacle de la nature, en neuf vol. in-12. ; les Mémoires sur les insectes, par M. de Reaumur, en six vol. in-4°. L’Essai de Physique de M. Muschenbroeck, en deux vol. in-4°., &c. sont dans toutes les Bibliothèques. M. Pluche, auteur du Spectacle, est peut-être trop superficiel, comme M. de Reaumur est trop minutieux ; mais l’un & l’autre ont bien mérité du public.

M. Basin a donné des abrégés du grand ouvrage de M. de Reaumur, qui sont faits de main de maître. Il a débuté par l’Histoire des Abeilles, & il a publié depuis l’abrégé de l’Histoire des Insectes. Joignez-y le traité d’insectologie, & les Recherches sur les feuilles, par Monsieur Bonnet.

M. de Beaurieu a donné un abrégé de l’histoire des insectes en deux vol. in-12., à l’usage des enfans, qui est bien écrit, & plein d’utiles moralités.

Le Traité des Sens de M. le Cat est très-bon ; & les autres ouvrages du même chirurgien décélent un métaphysicien profond & un observateur exact.

Pour la Physique expérimentale en particulier, il y a les Expériences physiques de Pierre Poliniere, & les Leçons de Physique de l’Abbé Nollet (en six vol. in-12.) qui a effacé entiérement Poliniere. Il ne faut point séparer de ses Leçons, son Art de faire les expériences, trois vol. in-12., 1769., le dernier ouvrage & le plus utile peut-être de ceux de cet habile Académicien. Ses Recherches sur les Phénomenes électriques, Essai & Lettres sur l’Electricité, sont encore curieux & instructifs.

Le Pere Buffier a traité presque toutes les parties de la Philosophie, en divers vol. in-8°. Mais pour s’épargner la peine de les rassembler, il faut acheter son Cours de toutes les Sciences en un vol. in-fol. Il y a d’excellentes choses dans ce cours ; mais il a besoin d’être rectifié & suppléé en bien des endroits ; & pour cela, il faut avoir les livres qui ont paru depuis. Nous avons indiqué les principaux.

Le P. Regnault a mis en entretiens, d’abord le Physique en cinq volumes in-12., & depuis la Logique sous le titre d’Art de trouver la vérité. On a encore son Origine ancienne de la Physique nouvelle, trois vol. in-12. Cet auteur a de la méthode, & il écrit agréablement ; mais il est peu approfondi.

Divers auteurs ont traité des sujets particuliers de Physique, tels que M. de Maupertuis dont on a recueilli tous les ouvrages en quatre vol. in-8°. à Lyon 1754. C’est la meilleure édition. Sa Figure de la terre & sa Vénus physique, ont été bien accueillies dans le tems, quoiqu’il y ait dans ce dernier livre des idées très-bizarres.

La Pluralité des mondes, de Fontenelle, sera toujours lue avec plaisir. C’est le premier des Philosophes françois, qui ait donné des graces à la raison.

N’oublions pas pour la gloire du beau sexe les Institutions physiques de Mme. du Chatelet, en deux volumes in-4°. : ouvrage qui étonne par l’immensité des calculs, & par les connoissances de la femme ïllustre qui les a faits.

Le Traité de l’Aurore Boréale, par M. de Mairan, est un vrai modèle dans son genre. Son Traité de la Glace n’est ni moins bon, ni moins curieux.

Les Observations curieuses sur toutes les parties de la Physique, en trois vol. in-8°., sont rédigées avec beaucoup d’intelligence & écrites avec goût, sans cette affectation d’ornemens qui est ridicule dans un livre instructif. Elles sont du Pere Bougeant, connu par son ingénieux Amusement sur le langage des bêtes : jeu d’esprit qu’il n’auroit pas dû se permettre, mais que des ennemis ardens traiterent avec trop de rigueur.

Le voyage du monde de Descartes, par le P. Daniel, se fait lire avec plaisir. On en conclut que Descartes étoit un très-beau génie, mais qu’il n’est guéres sorti de sa tête que des romans de Philosophie.

Il n’y a point de plus vastes recueils sur toutes les matieres philosophiques que les Mémoires de différentes Académies. Les plus étendus & les plus considérables sont sans contredit ceux de l’Académie Royale des Sciences de Paris, publiés sans interruption depuis l’an 1699. Ces mémoires, avec quelques autres ouvrages qui y appartiennent, sont une des plus belles collections qui puissent entrer dans un cabinet. Ceux que le prix de l’édition in-4°. pourroit rebuter, trouveront dans l’édition in-12. de quoi satisfaire leur curiosité sans épuiser leur bourse.

La maniere dont M. de Bremond, mort à la fleur de son âge, avoit commencé à publier les Transactions philosophiques, les auroit mis en état de figurer à côté des Mémoires précédens.

Les Mémoires de l’Académie de Prusse, dont M. Paul nous a donné un choix en 2. vol. in-4°. & sept vol. in-12., à Avignon, chez Niel 1769., sont estimés.

Il y a de grands ouvrages sur l’histoire naturelle qui décoreroient bien un cabinet dans lequel on ne regretteroit point une certaine dépense. Mais la plûpart de ces livres sont en latin.

Il y en a un en françois qui pourroit bien effacer tous les autres, s’il est jamais fini. C’est l’Histoire naturelle, générale & particuliére avec la description du cabinet du Roi, par M. M. de Buffon & d’Aubenton, en plusieurs vol. in-4°. qui se continuent. Nous avons déjà 16. volumes sur les quadrupedes & un vol. sur les oiseaux. Ce livre est écrit avec une pompe d’expression, que le sujet ne faisoit pas espérer. Ce n’est pas là peut-être la véritable parure des livres d’instruction ; mais si c’est un défaut, il a bien des agrémens.

Nous avons un Dictionnaire d’Histoire naturelle, en six vol. in-8°., par M. de Valmont de Bomare. Cet ouvrage intéressant a été très-bien accueilli du public. Il est exact, curieux & écrit sensément. L’on en doit donner une édition augmentée de plus de moitié en 18. vol.

Le Dictionnaire encyclopédique embrasse les mêmes objets que M. de Bomare, mais il s’étend sur beaucoup d’autres choses. Exposer l’ordre & l’enchaînement des connoissances humaines, présenter sur chaque science & sur chaque art, soit libéral, soit méchanique, les principes généraux qui en sont la base, & les détails les plus essentiels qui en sont le corps & la substance ; c’est-là le vaste, le magnifique projet des auteurs de l’Encyclopédie. Ce projet fut imaginé & donné au public, il y a près de deux siécles, par l’illustre Chancelier Bacon. Ce grand homme nous a laissé un arbre encyclopédique, où se trouve la division générale de la science humaine en histoire, Poésie & Philosophie, selon les trois facultés de l’entendement, mémoire, imagination & raison.

Il y a une vingtaine d’années que quelques gens de lettres, réunis en société, annoncerent au monde savant qu’ils alloient exécuter dans tous ces points le projet de Bacon, sous le titre d’Encyclopédie, ou de Dictionnaire raisonné des sciences, des arts & des métiers, en dix-sept vol. in-fol., sans y comprendre plusieurs volumes de planches dans le même format. Les sept premiers volumes de ce Dictionnaire furent livrés en effet entre les années 1751. & 1757., & les dix derniers volumes ont été publiés au commencement de l’année 1766. Il y a de très bonnes choses dans la partie mathématique, & dans la partie physique de cet ouvrage, lorsque les points qu’on y traite n’ont aucun rapport direct ou indirect avec la religion & les bonnes mœurs. Mais en général, peut-on conseiller la lecture de ce Dictionnaire à tout homme qui aime la Religion ? Ce livre trop fameux & trop digne de l’être, a été proscrit par les deux Puissances, & l’on peut citer contre lui les Arrêts du Conseil & des Parlemens, les comptes rendus des gens du Roi, les Mandemens de plusieurs Evêques, &c. Ces anathêmes devant effrayer les ames délicates, nous ne nous étendrons pas davantage sur ce qu’il y a de bon & de mauvais dans l’Encyclopédie.

Le Dictionnaire de Physique, par le Pere Paulian, en trois vol. in-4°., abrégé en deux vol. in-8°., est un précis exact de tout ce qu’on a écrit sur cette matiere. Après une préface où les principes sont exposés, viennent les détails du livre qui sont comme il convient à un ouvrage élémentaire, bien présentés, dégagés de toute discussion trop savante, & fondés, sur ce qu’on a dit de meilleur en faveur de la Physique moderne. Pour profiter de cette nomenclature, il faut commencer par lire l’article physique. On trouve, sous ce mot, l’ordre des connoissances qu’il faut acquérir avec la succession des idées qu’il est bon de recueillir du Dictionnaire même. L’abrégé en 2. vol. in-8°. a été plusieurs fois imprimé & toujours accueilli. On peut assurer que l’auteur y a fort bien analysé ses idées ; son livre est méthodique, instructif, suffisamment orné de figures & du style le plus analogue au sujet.

L’Astronomie est une partie de la Physique trop intéressante pour être oubliée. Mr. l’Abbé de la Caille a donné des Leçons élémentaires de cette science 1761. in-8°. qui peuvent suffire aux lecteurs ordinaires.

Les savans ont l’Astronomie de M. de la Lande, en deux vol. in-4°., & les autres écrits de cet estimable Académicien, éleve de M. de l’Iste, & éleve qui a surpassé son maître. Ses Tables astronomiques de M. Halley augmentées, ses Ephémérides, &c. &c., sont des secours journaliers fournis aux Astronomes. Il a donné encore une histoire de l’Astronomie digne de ses profondes connoissances.

La description des arts, & le détail de leurs procédés & de leurs résultats, occupé dans ces derniers tems l’Académie des sciences. Cette illustre Compagnie a publié dans des cahiers séparés divers morceaux sur cette matiere aussi intéressans pour les artistes que pour les amateurs des Arts. Ceux qui ne pourroient se procurer cette collection, ont le Dictionnaire portatif des Arts & Métiers, par M. Macquer, 1766., deux vol. in-8°. Quoique ce livre se resserre dans de bornes étroites, il y a de quoi satisfaire la curiosité de ceux qui ne veulent ni ne peuvent tout approfondir.

Comme nous sommes dans la classe de ces sortes de lecteurs, nous bornerons là ce que nous avions à dire sur les meilleurs livres qui traitent des différentes parties de la Philosophie. Cette science devient immense & le seul recueil des Mémoires des Académies de l’Europe, épuiseroit la fortune d’un homme aisé.