(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Carle Vanloo  » pp. 117-119
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(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Carle Vanloo  » pp. 117-119

Carle Vanloo

Huit pieds de haut, sur cinq de large.

Quoi qu’en dise le cher abbé, la Magdelaine dans le désert n’est qu’un tableau très agréable. C’est bien la faute du peintre qui pouvait avec peu de chose le rendre sublime. Mais c’est que ce Carle Vanloo n’a point de génie. La Magdelaine est assise sur un bout de sa natte. Sa tête renversée appuie contre le rocher ; elle a les yeux tournés vers le ciel. Ses regards semblent y chercher son Dieu. À sa droite est une croix faite de deux branches d’arbre ; à sa gauche sa natte roulée, et l’entrée d’une petite caverne. Mais tous ces objets me paraissent peints d’une touche trop douce et trop uniforme. On ne sait si les rochers sont de la vapeur ou de la pierre couverte de mousse. Combien la sainte n’en serait-elle pas devenue plus intéressante et plus pathétique, si la solitude, le silence, et l’horreur du désert avaient été dans le local. Cette pelouse est trop verte. Cette herbe trop molle. Cette caverne est plutôt l’asile de deux amants heureux que la retraite d’une femme affligée et pénitente. Belle sainte, venez ; entrons dans cette grotte, et là nous nous rappellerons peut-être quelques moments de votre première vie. Sa tête ne se détache pas assez du fond. Ce bras gauche est vrai, je le crois ; mais la position de la figure le fait paraître petit et maigre. J’ai été tenté de trouver les cuisses et les jambes un peu trop fortes. Si on eût rendu la caverne sauvage ; si on l’eût couverte d’arbustes, vous conviendrez qu’on n’aurait pas eu besoin de ces deux mauvaises têtes de chérubin qui empêchent que la Magdelaine ne soit seule. Ne feraient-elles que cet effet, elles seraient bien mauvaises.

Il est du même peintre ; et il a 5 pieds de haut sur 4 de large.

Il y a longtemps que le tableau de notre amie Mad Geoffrin, connu sous le nom de la Lecture, est jugé pour vous. Pour moi, je trouve que les deux jeunes filles, charmantes à la vérité, d’une physionomie douce et fine, se ressemblent trop d’action, de figure et d’âge. Le jeune homme qui lit a l’air un peu benêt. Avec son visage long ; son air indolent et fade, on le prendrait pour un robin déguisé. Et puis il a la mâchoire épaisse. Il me fallait là une de ces têtes plus rondes qu’ovales, de ces mines vives, et animées. On dit que la petite fille qui est à côté de la gouvernante et qui s’amuse à faire voler un oiseau qu’elle a lié par la patte, est un peu longue. Quant à la gouvernante qui examine l’impression de la lecture sur ses jeunes élèves, elle est à merveille. Seulement j’aimerais mieux que son attention n’eût pas suspendu son travail. Ces femmes ont tant d’habitude d’épier et de coudre en même temps que l’un n’empêche pas l’autre. Au reste malgré les petits défauts que je reprends dans le tableau de la Magdelaine et dans celui-ci, ce sont deux morceaux rares. Rien à redire ni au dessin, ni à la couleur, ni à la disposition des objets. Tout ce que l’art porté à un haut point y a pu mettre de perfection y est. La différence qu’il y a entre la Magdelaine du Correge et celle de Vanloo ; c’est qu’on s’approche tout doucement par derrière de la Magdelaine du Correge, qu’on se baisse sans faire le moindre bruit, et qu’on prend le bas de son vêtement seulement pour voir si les formes sont aussi belles là-dessous qu’elles se dessinent au dehors ; au lieu qu’on ne forme nulle entreprise sur celle de Vanloo. La première a bien encore une autre grandeur, une autre tête, une autre noblesse ; et cela sans que la volupté y perde rien.

Du même. De trois pieds de large, sur cinq de haut.

C’est un joli sujet que la Première offrande à l’Amour. Ce devait être un madrigal en peinture ; mais le maudit peintre, toujours peintre et jamais homme sensible, homme délicat, homme d’esprit, n’y a rien mis, ni expression, ni grâces, ni timidité, ni crainte ni pudeur ni ingénuité. On ne sait ce que c’est. Il faut convenir que rendre l’idée de la première guirlande, du premier sacrifice, du premier soupir amoureux, du premier désir d’un cœur jusqu’alors innocent, n’était pas une chose facile. Falconet ou Bouclier s’en serait peut-être tiré.

Du même De trois pieds et demi de haut.

L’Amour menaçant. C’est une seule figure debout ; vue de faces ; un enfant qui tient un arc tendu et armé de sa flèche toujours dirigée vers celui qui le regarde ; il n’y a aucun point où il soit en sûreté. Le peuple fait grand cas de cette idée du peintre. C’est une misère à mon sens. Il a fallu que le milieu de l’arc répondît au milieu de la poitrine de la figure. La corde s’est projetée sur le bois de l’arc ; la corde et le bois sur l’enfant, et toute la longueur de la flèche s’est réduite à un petit morceau de fer luisant qu’on reconnaît à peine. Et puis toute la position est fausse. Quiconque veut décocher une flèche, prend son arc de la main gauche, étend ce bras, place sa flèche, saisit la corde et la flèche, de la main droite, les tire à lui de toute sa force, avance une jambe en avant, et recule en arrière, s’efface le corps un peu sur un côté, se penche vers l’endroit qu’il menace, et se déploie dans toute sa longueur. Alors tout s’aperçoit. Tout prend sa juste mesure. La figure a un air d’activité, de force et de menace ; et la flèche est une flèche, et non un morceau de fer de quelques lignes. Je ne sais, mon ami, si vous aurez remarqué que les peintres n’ont pas la même liberté que les poètes, dans l’usage des flèches de l’Amour. En poésie, ces flèches partent, atteignent et blessent. Cela ne se peut en peinture. Dans un tableau l’Amour menace de sa flèche, mais il ne la peut jamais lancer sans produire un mauvais effet. Ici le physique répugne. On oublie l’allégorie ; et ce n’est plus un homme percé d’une métaphore, mais un homme percé d’un trait réel qu’on aperçoit. La première fois que vous rencontrerez sous vos yeux, la Saison de l’Albane où ce peintre a fait descendre Jupiter dans les antres de Vulcain, au milieu des Amours qui forgent des traits, et que vous verrez ce dieu blessé au milieu du corps d’un de ces traits, par un petit Amour insolent, vous me direz l’effet que vous éprouverez à l’aspect de cette flèche à demi enfoncée dans le corps et dont le bois paraît à l’extérieur. Je suis sûr que vous en frissonnerez.

Il y a encore de Mr Carle Vanloo deux tableaux représentant des jeux d’enfants, que je néglige, parce que je ne finirais point, s’il fallait vous parler de tout.