(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Bachelier  » pp. 147-148
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(1761) Salon de 1761 « Peinture —  Bachelier  » pp. 147-148

Bachelier

Vous n’imagineriez jamais que les Amusements de l’enfance de Bachelier, c’est cet énorme tableau qui a dix pieds de hauteur, sur vingt pieds de long. Il y a des enfants qui grimpent à des arbres ; il y en a qui sont montés sur des boucs, sur des béliers ; il y en a de toutes sortes d’espèces et de couleur ; mais point de vérité. Ils sont habillés comme jamais des enfants ne l’ont été ; tout cela a un air de mascarade qui fait fort mal avec [l’]air de paysage et de bergerie ; et puis des chèvres, des brebis, des chiens, des animaux, qu’on ne reconnaît point. Une exagération qui tient partout de la bacchanale. Avec tout cela, mon ami, de quoi faire une belle tapisserie. C’est que la tapisserie ne demande pas la même vérité que la peinture ; c’est qu’il faut songer à la durée, à la gaieté d’un appartement, à un autre effet. Aussi les objets sont-ils ici tous détachés les uns des autres ; ce sont des groupes isolés, des masses de couleurs tranchantes, sur un fond très éclairé. Cet homme a de l’esprit ; et avec cela il ne fera jamais rien qui vaille. Il y a dans sa tête des liens qui garrottent son imagination et elle ne s’en affranchira jamais, quelque secousse qu’elle se donne. Si vous causiez un instant avec lui, vous croiriez qu’elle va s’échapper et se mettre en liberté ; mais bientôt vous reconnaîtriez que les liens sont au-dessus des efforts, et qu’il faudra que cela se remue toute la vie, sans se dresser et partir.

Du même. Il a 9 pieds de haut sur 6 de large.

Avez-vous jamais rien vu de si mauvais avec tant de prétention que ce Milon de Crotone. Premièrement c’est la tête et le bras du Laocon antique. Mais le Laocoon a saisi avec ce bras un des serpents dont il cherche à se débarrasser, et le Milon de Bachelier se laisse bêtement dévorer une jambe par un loup qu’il étranglerait avec sa main libre, s’il songeait à s’en servir. Mais le Laocoon est dans une situation violente, mais d’aplomb ; et l’on ne sait pourquoi le Milon de Bachelier ne tombe pas à la renverse. Et puis pour le rendre souffrant, il l’a fait contourné, convulsé, strapassé. Mon ami Bachelier, retournez à vos fleurs et à vos animaux. Si vous différez, vous oublierez de faire des fleurs et des animaux, et vous n’apprendrez point à faire de l’histoire et des hommes.

Sa Fable du cheval et du loup est fort bien. C’est un grand tableau en encaustique qu’il a réduit et mis à l’huile. Les animaux sont bien, et le paysage a de la grandeur et de la noblesse ; mais l’eau qui s’échappe du pied du rocher ressemble à de la crème fouettée, à force de vouloir être écumeuse.

Son Chat d’Angora qui guette un oiseau est on ne peut mieux ; physionomie traîtresse ; longs poils bien peints ; etc…

Il y a de l’esprit, du mouvement, et de la chaleur dans l’esquisse de la Descente de Croix. J’aimerais mieux avoir croqué ces figures-là où l’on ne discerne presque rien encore que leur action avec l’ordonnance générale, que de m’être épuisé après ce mauvais Milon de Crotone.