(1767) Salon de 1767 « Peintures — [autres peintres] » pp. 317-320
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(1767) Salon de 1767 « Peintures — [autres peintres] » pp. 317-320

[autres peintres]

Michel Van Loo, directeur de l’école. Il a du dessin, de la couleur, de la sagesse et de la vérité.

Il est excellent pour les grands tableaux de famille.

Il fait les étoffes à merveille, et il y a de bons portraits de lui.

Hallé. Pauvre homme.

Vien. Sans contredit le premier peintre de l’école pour le technique, s’entend ; pour l’idéal et la poésie, c’est autre chose. Il dessine, il colorie, il est sage, trop sage peut-être, mais il règne dans toutes ses compositions, un faire, une harmonie qui vous enchantent : sapit antiquum. il est et pour les tableaux de chevalet et pour la grande machine.

La Grenée. Peintre froid, mais excellent dans les petits sujets ; c’est comme Le Guide. Ses compositions se payeront quelque jour au poids de l’or. Il dessine, il a de la couleur. Mais plus sa toile s’étend, plus son talent diminue.

Belle. Belle n’est rien.

Bachelier, fut autrefois bon peintre de fleurs et d’animaux. Depuis qu’il s’est fait maître d’école il n’est rien. Il y a dans nos maisons royales, des tableaux d’animaux de cet artiste peints avec beaucoup de vigueur.

Chardin. Le plus grand magicien que nous ayons eu.

Ses anciens petits tableaux sont déjà recherchés comme s’il n’était plus. Excellent peintre de genre, mais il s’en va.

Vernet. Homme excellent dans toutes les parties de la peinture. Grand peintre de marine et de paysage.

Millet. Nul.

Lundberg. Nul.

Le Bel. Nul.

Vénevault. Nul.

Perroneau, fut quelque chose autrefois dans le pastel.

La Tour. Excellent peintre en pastel. Grand magicien.

Roslin. Assez bon portraitiste, mais il ne faut pas qu’il sorte de là.

Valade. Rien.

Mme Vien. à nommer à la place de Mlle Basse-Porte au jardin du roi. Elle a de la couleur et de la vérité. Il y a de bonnes choses d’elle en fleurs et en animaux.

Machy. Bon peintre de bâtimens et de ruines modernes.

Drouais. C’est Drouais avec son élégance et sa craie.

Julliart. Rien.

Voiriot. Comme Julliart.

Doyen. Le second dans la grande machine, mais je crains bien qu’il ne soit jamais le premier.

Casanove. Bon, très-bon pour le paysage et les batailles.

Baudouin. Notre ami Baudouin, peu de chose.

Roland De La Porte. Pas sans mérite. Il y a quelques tableaux de fruits et d’animaux qu’on n’est pas en droit de dédaigner.

Bellengé. Comme Roland.

Amand. Je n’en ai jamais rien vu qui vaille.

Le Prince. Fait beaucoup ; bien, c’est autre chose. Certes il n’est pas sans talent, mais il faut attendre.

Guérin. Rien.

Robert. Excellent peintre de ruines antiques.

Grand artiste.

Mme Therbouche. Excellente, si elle avait en talent la dixième partie de ce qu’elle a en vanité.

On ne saurait lui refuser de la couleur et de la chaleur. Tout contre le bien qu’elle aurait atteint, si elle eût été jeune et docile. Son talent n’est pas ordinaire pour une femme et pour une femme qui s’est faite toute seule.

Parrocel. Rien, moins que rien.

Brenet. Annullé par l’indigence.

Loutherbourg. Grand, très-grand artiste presqu’en tout genre. Il a fait un chemin immense, et l’on ne sait jusqu’où il peut aller.

Boucher. J’allais oublier celui-là. à peine laissera-t-il un nom ; et il eût été le premier de tous, s’il eût voulu.

Deshays. Mauvais.

Lépicié. Pauvre artiste.

Fragonard. Il a fait un très-beau tableau ; en fera-t-il un second ? Je n’en sais rien.

Monnet. Rien.

Taraval. Bon peintre et dont le talent est à peu près ce qu’il sera. Il n’y aurait pas de mal qu’il fît quelques pas de plus.

Restout. Il faut attendre ; peut-être quelque chose, peut-être rien.

Jollain. Bien décidément rien.

Durameau. J’ai la plus haute opinion de celui-là ; il peut me tromper.

Ollivier. à en juger par quelques petits morceaux que j’ai vus, il n’est pas sans talent.

Renou. Serviteur à M. Renou.

Caresme. Je me rappelle de mauvais tableaux et de très-bons dessins de celui-ci.

Beaufort. Je ne le connais pas. Mauvais signe.

Greuze. Et Greuze donc, qui est certainement supérieur dans son genre ; qui dessine, qui imagine, qui a le faire et l’idée.

Pierre. Et M. le chevalier Pierre que j’avais oublié dans la liste de nos artistes. Vous allez croire, mon ami, que je vous l’avais réservé exprès pour nos menus plaisirs ; il n’en est rien. à juger Pierre par les premiers tableaux qu’il a faits au retour d’Italie et par sa galerie de st Cloud, mais surtout par sa coupole de st Roch, c’est un grand peintre. Il dessine bien, mais sèchement ; il ordonne assez bien une composition, et il ne manque pas de couleur.

Comptez bien, mon ami ; et vous trouverez encore une vingtaine d’hommes à talens, je ne dis pas à grands talens ; c’est plus qu’il n’y en a dans tout le reste de l’Europe.

Avec tout cela je crois que l’école a beaucoup déchu et qu’elle déchera davantage. Il n’y a presque plus aucune occasion de faire de grands tableaux. Le luxe et les mauvaises mœurs qui distribuent les palais en petits réduits anéantiront les beaux-arts. à l’exception de Vernet qui a des ouvrages commandés pour plus de cent ans, le reste des grands artistes chomme.

Nota Bene que dans la liste précédente quand je dis qu’un artiste est excellent, c’est relativement à ses contemporains, à une ou deux exceptions près, qui ne valent pas la peine d’être désignées ; et que quand je dis qu’il est mauvais, c’est relativement au titre d’académicien dont il est décoré. Dans le vrai, il n’y en a aucun qui n’ait quelque talent, et en comparaison de qui un homme du monde qui peint par amusement ou par goût, un peintre du pont notre-dame, même un académicien de st Luc ne soit un barbouilleur. Ce Parocel que j’ai tant maltraité, ce Brenet sur lequel j’ai un peu exercé ma gaieté, obtiendraient peut-être de vous et de moi quelque éloge, si l’un né chaud, bouillant, se chargeait d’une décoration ou de quelques-uns de ces ouvrages éphémères qui demandent beaucoup d’imagination et de faire ; et l’autre, d’un sujet historique, si les besoins domestiques ne le pressaient point, et s’il n’entendait pas sans cesse à ses oreilles le cri de la misère, qui lui demande du pain, des jupons, des souliers, un bonnet.

Avant de passer aux sculpteurs, il faut, mon ami, que je vous entretienne un moment d’un tableau que Vien a exécuté pour la grande impératrice. Je ne parle pas de celle qui dit son rosaire, qui fait de sa cour un couvent, et qui n’est pourtant pas une petite femme ; mais de celle qui donne des lois à son pays qui n’en avait point ; qui appelle autour d’elle les sciences et les arts, qui fonde les établissemens les plus utiles, qui a su se faire considérer dans toutes les cours de l’Europe, contenir les unes, dominer les autres, qui finira par amener le polonais fanatique à la tolérance ; qui aurait pu ouvrir la porte de son empire à cinquante mille polonais, et qui a mieux aimé avoir cinquante mille sujets en Pologne ; car vous le savez tout aussi bien que moi, mon ami, ces dissidens persécutés deviendront persécuteurs, lorsqu’ils seront les plus forts, et n’en seront pas moins alors protégés par les russes. Tout cela n’a peut-être pas le sens commun, mais qu’importe ? Voici le sujet du tableau de Vien.

Il y avait longtemps que Mars reposait entre les bras de Vénus, lorsqu’il se sentit gagner par l’ennui. Vous ne concevez pas comment on peut s’ennuyer entre les bras d’une déesse ; c’est que vous n’êtes pas un dieu. L’envie de tuer le tourmente, il se lève ; il demande ses armes. Voici le moment de la composition. On voit la déesse toute nue, un bras jetté mollement sur les épaules de Mars, et lui montrant de l’autre main ses pigeons qui ont fait leur nid dans son casque. Le dieu regarde et sourit. Que la déesse est belle, voluptueuse et noble ! Que la poitrine du dieu est chaude et vigoureuse ! J’aime son caractère, parce qu’il est simple et non maniéré. On tourne autour de ces deux figures ; elles sont debout, d’aplomb et non raides. à droite, c’est une colonade ; à gauche, un grand arbre ; au pied de cet arbre, deux amours tapis sous un bouclier d’or. C’est un très-beau coin du tableau, et celui du casque, de la cuirasse et des deux pigeons ne lui cède guère ; et puis l’harmonie générale du tout.

L’artiste n’a rien fait de mieux ; et j’espère que ma souveraine en sera un peu plus satisfaite que le roi de Pologne. C’est que je m’en suis moins inquiété ; j’ai dit à Vien : voilà le sujet, voilà comme je le conçois. Faites… et je ne suis point entré dans son attelier qu’il n’eût fait.

Et venons à nos sculpteurs. ô qu’ils sont pauvres, cette année ! Pigalle est riche et de grands monumens l’occupent. Falconet est absent.