(1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 8, des instrumens à vent et à corde dont on se servoit dans les accompagnemens » pp. 127-135
/ 2348
(1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 8, des instrumens à vent et à corde dont on se servoit dans les accompagnemens » pp. 127-135

Section 8, des instrumens à vent et à corde dont on se servoit dans les accompagnemens

Je reviens à la basse continuë. On voit dans un bas-relief antique ce que nous avons lu dans Ciceron, je veux dire que les instrumens ne se taisoient point après avoir préludé, mais qu’ils continuoient de joüer pour accompagner l’acteur. Bartholin le fils qui composa à Rome son livre sur les flutes des anciens, met dans ce livre une planche gravée d’après un bas-relief antique qui represente une scene de comedie, qui se passe entre deux acteurs. L’un qui est vétu de long et qui paroît le maître, saisit son esclave d’une main, et il tient dans l’autre main une espece de sangle dont il veut le frapper. Deux autres acteurs, coeffez comme les premiers du masque que portoient les comediens des romains, entrent sur la scene, au fond de laquelle on voit un homme debout qui accompagne de sa flute.

Cette basse continuë étoit composée ordinairement de flutes et des autres instrumens à vent, que les romains comprenoient sous le nom de tibiae. On ne laissoit pas néanmoins d’y employer aussi quelquefois de ces instrumens, dont les cordes étoient placées à vuide dans une espece de bordure creuse, et dont la concavité faisoit un effet approchant de celui que fait le ventre de nos violes.

Suivant que cette bordure étoit dessinée, suivant qu’elle avoit dans sa partie basse un ventre configuré d’une certaine maniere, on donnoit un nom different à ces instrumens, dont les uns s’appelloient testudines, et les autres citharae, c’est-à-dire lyres ou harpes.

Comme on voulut d’abord tirer de ces instrumens plus de tons differens qu’ils n’avoient de cordes differentes, on racourcissoit la corde dont on prétendoit tirer un son plus aigu que celui qu’elle rendoit quand on la touchoit à vuide, en la pinçant avec deux doigts de la main gauche, armez apparemment de dez d’ivoire, tandis qu’on la faisoit resonner avec la main droite. C’étoit dans cette main que les joüeurs de lyre portoient une espece d’archet court et qui ne consistoit qu’en un morceau d’ivoire ou de quelqu’autre matiere dure, façonné pour l’usage qu’on en vouloit faire. Il s’appelloit pecten en latin. Les anciens ajouterent dans la suite tant de cordes à la lyre, qu’ils n’eurent pas besoin de cet artifice.

Ammien Marcellin dit que de son temps, et cet auteur vivoit dans le quatriéme siecle de l’ère chrétienne, il y avoit des lyres aussi grosses que des chaises roulantes.

En effet, il paroît que dès le tems de Quintilien qui a écrit deux siecles avant Ammien Marcellin, chaque son avoit déja sa corde particuliere dans la lyre. Les musiciens, c’est Quintilien qui parle, ayant divisé en cinq échelles dont chacune a plusieurs dégrez, tous les sons qu’on peut tirer de la lyre, ils ont placé entre les cordes qui donnent les premiers tons de chacune de ces échelles, d’autres cordes qui rendent des sons intermediaires, et ces cordes ont été si bien multipliées que pour passer d’une des cinq maîtresses cordes à l’autre, il y a autant de cordes que de degrez.

Nos instrumens à corde qui ont un manche, à l’aide duquel on peut tirer avec facilité differens tons d’une même corde qu’on racourcit à son plaisir en la pressant contre le manche, auroient été bien plus propres pour un accompagnement, d’autant plus que nous les touchons encore d’un archet fort long et garni de crin, avec lequel on unit et on prolonge aisément les sons, ce que les anciens ne pouvoient point faire avec leur archet. Mais je crois que les anciens n’ont pas connu les instrumens de musique à corde et à manche. Du moins tous les instrumens que nous trouvons sur les monumens antiques, où l’on en voit un grand nombre, ont leurs cordes placées à vuide. Voila, suivant les apparences, pourquoi les anciens se servoient moins volontiers dans l’accompagnement de leurs lyres, quoiqu’ils leur eussent donné dans la suite jusqu’à trente ou quarante cordes, ou principales ou subsidiaires, que de leurs instrumens à vent. Ils avoient un grand nombre de ces instrumens, dont la construction et l’usage se sont perdus. D’ailleurs les instrumens à vent sont si propres pour les accompagnemens, que nous nous en servons dans nos basses continuës, quoique nous aïons des violes et des violons de plusieurs especes.

Cependant les anciens ne laissoient pas d’emploïer quelquefois leurs instrumens à corde pour accompagner ceux qui recitoient des tragedies. Nous voïons qu’ils le faisoient, et par les anciennes scholies sur les poëtes tragiques grecs, et par le traité de Plutarque sur la musique.

La poëtique d’Horace suppose encore cet usage, et Dion raconte que du temps de Neron on se servit de ces instrumens dans la representation de quelques tragedies.

Il est facile de comprendre après ce que nous venons de dire, pourquoi l’on a marqué avec tant d’exactitude au bas du titre des comedies de Terence le nom des instrumens à vent dont on s’étoit servi dans la representation de chaque piece, comme une information sans laquelle on ne pouvoit pas bien comprendre quel effet plusieurs scenes devoient produire dans l’execution, ou comme une instruction necessaire à ceux qui voudroient les remettre au théatre.

La portée de chaque espece de flutes étoit très-bornée du temps de Terence, parce que ces instrumens n’étoient encore percez que d’un petit nombre de trous.

Ainsi cet enseignement empêchoit qu’on ne se méprît sur l’espece de flute dont il falloit se servir, et par consequent qu’on ne se méprît au ton sur lequel il falloit déclamer plusieurs endroits des comedies de ce poëte.

Non seulement on changeoit de flutes lorsque les choeurs venoient à chanter, mais on en changeoit encore dans les recits. Donat nous apprend qu’on se servoit de l’espece de flutes que les anciens appelloient tibiae dextrae, et dont le ton étoit très-bas, pour accompagner les endroits serieux de la comedie. On se servoit des deux especes de flutes que les anciens appelloient flutes gauches et flutes tyriennes ou serranae pour accompagner les endroits de plaisanterie. Ces endroits se prononcent naturellement d’un ton de voix plus élevé que les endroits serieux. Aussi le ton de ces flutes étoit-il plus aigu que le ton des flutes droites.

Dans les scenes meslées de traits serieux et de bouffonneries, on emploïoit alternativement toutes ces especes de flutes.

Il me semble que ce passage jette presentement un grand jour sur le titre des comedies de Terence, qui souvent ont mis à la géne des sçavans commentateurs, sans qu’ils y disent rien sur quoi l’on puisse fonder un jugement arrêté.

Comme nous l’avons exposé dans le premier volume de cet ouvrage, les romains avoient, lorsque Donat écrivoit, des comedies de quatre genres differens.

Celles du premier genre qu’ils appelloient togatae ou les comedies à longues robes, étoient très-serieuses. Les tabernariae l’étoient moins. Les atellanes leur étoient apparemment semblables en cela, et les mimes devoient être de veritables farces. On ne doit donc pas être surpris du détail où entre Donat, en parlant en general des flutes dont on se servoit pour accompagner la recitation des comedies.

Le passage de Donat explique encore un endroit de Pline où cet historien dit, que pour faire les flutes gauches on emploïoit le bas du même roseau, dont le haut servoit à faire les flutes droites.

Le bas du roseau étant plus épais que le haut, il doit rendre un son plus aigu, et le haut du roseau doit par consequent rendre un son plus grave. Tous les livres de physique en donnent la raison.

Mais, me dira-t-on, vous semblez louer les acteurs des anciens, d’une chose qui passe pour un défaut. En disant d’un acteur qu’il chante, on croit le blâmer. Je réponds que cette expression renferme veritablement un reproche dans notre usage, mais c’est uniquement à cause du sens limité dans lequel nous avons coutume d’emploïer le mot de chanter, lorsque nous nous en servons en parlant de la déclamation théatrale.

Il est établi qu’on ne dise d’un acteur qu’il chante, que lorsqu’il chante mal à propos, lorsqu’il se jette sans discernement dans des exclamations peu convenables à ce qu’il dit, et lorsque par des tons empoulez et remplis d’une emphase que le sens des vers désavouë, il met hors de propos dans sa déclamation un patetique toujours ridicule, dès qu’il est faux. On ne dit pas d’un acteur qu’il chante lorsqu’il ne place qu’à propos les soupirs, les accents les plus aigus et les plus graves, comme les tons les plus variez. Enfin lorsqu’il emploïe dans les endroits où le sens de ce qu’il dit le permet, la déclamation la plus approchante du chant musical. On ne dit point que l’actrice qui daigne encore jouer quelquefois le rôlle de Phedre dans la tragedie de Racine, qu’elle chante le recit qui commence par ces paroles. juste ciel ! Qu’ai-je fait aujourd’hui ? quoique sa déclamation ne soit alors differente du chant musical, que parce que les sons que forme une personne qui déclame ne sont point frappez separement et ne reçoivent pas leur perfection dans les mêmes parties de l’organe de la parole, que les sons que forme une personne qui chante.

Or on voit bien que le chant vitieux dont on vient de parler, ne sçauroit être imputé aux acteurs de l’antiquité. Ils avoient tous fait un long apprentissage de leur art, comme je le dirai plus bas, et presque toujours ils ne faisoient que reciter une déclamation composée par des hommes dont cette tâche étoit la profession particuliere.