(1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité » pp. 185-210
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(1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité » pp. 185-210

Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité

Je crois devoir faire ici une espece de digression sur les masques dont les comédiens grecs et les comédiens romains se couvroient la tête en joüant. Elle aidera à mieux entendre ce qui me reste à dire sur le partage de la déclamation entre le gesticulateur et le chanteur. Eschile avoit introduit en Gréce cet usage. Diomede nous dit bien que ce fut un Rosius Gallus, qui le premier porta un masque sur le théatre à Rome pour cacher le défaut de ses yeux qui étoient bigles, mais il ne nous dit pas quand Rosius vivoit.

Cet usage s’est même conservé en partie sur les théatres modernes. Plusieurs personnages de la comédie italienne sont masquez. Quoique nous n’aïons jamais fait prendre le masque à tous nos acteurs, comme les anciens, néanmoins il n’y a pas encore long-temps qu’on se servoit assez communément du masque sur le théatre françois dans la réprésentation des comédies. On s’en servoit même quelquefois dans la représentation des tragédies. Le masque quoique banni de nos tragédies, ne l’est pas encore entierement de nos comédies.

Tous les acteurs des anciens joüoient masquez, et chaque genre de poësie dramatique avoit des masques particuliers.

Dans le traité de Lucien, intitulé le gimnase, et qui est en forme de dialogue entre Solon et le scythe Anacharsis, ce dernier dit à Solon qui venoit de lui parler de l’utilité des tragédies et des comédies. " j’en ai vû joüer aux baccanales. Dans la tragédie, les acteurs sont montez sur des especes d’échasses, et ils portent des masques, dont la bouche est d’une ouverture énorme. Il en sort avec fracas des mots graves et sententieux.

Dans la comédie, les acteurs chaussez et vétus à l’ordinaire ne crient point si haut, mais leurs masques sont encore plus ridicules que ceux des premiers. " il est vrai qu’à l’aide de ces masques, l’acteur paroissoit aussi conforme qu’il le vouloit au caractere qu’il devoit soutenir.

Les acteurs anciens, tant ceux qui joüoient la tragédie, que ceux qui joüoient la comédie, avoient plusieurs masques, et ils en changeoient.

Car les gens de théatre croïoient alors qu’une certaine phisionomie étoit tellement essentielle au personnage d’un certain caractere, que pour donner une connoissance complette du caractere de ce personnage, ils pensoient qu’ils devoient donner le dessein du masque propre à le représenter. Ils plaçoient donc après la définition de chaque personnage, telle qu’on a coutume de la mettre à la tête des pieces de théatre et sous le titre de dramatis persone, un dessein de ce masque. Cette instruction leur sembloit necessaire.

En effet, ces masques représentoient non-seulement le visage, mais ils représentoient encore la tête entiere, ou serrée ou large, ou chauve ou couverte de cheveux, ou ronde ou pointuë, quoique feu Monsieur Perrault ait cru le contraire. Cet écrivain plein d’honneur et de probité, étoit de plus si galand homme, que lui-même il me pardonneroit la remarque que je vais faire. La véneration que je conserve pour sa mémoire, me fait même croire qu’il auroit corrigé sa faute si l’on l’en avoit averti.

Tout le monde sçait la fable de Phedre, dans laquelle un renard s’écrie après avoir examiné un masque de tragédie ? Avec quelle mine on manque de cervelle ?

Voici la critique de M. Perrault. dans Esope c’est un singe, … etc. mais les masques dont parle Phedre, étoient dans le même cas que la tête d’Esope. Ces masques couvroient toute la tête de l’acteur, et ils paroissoient faits pour avoir de la cervelle. On peut le voir en ouvrant l’ancien manuscrit de Térence qui est à la biblioteque du roi, et même le Térence de Madame Dacier.

L’usage des masques empêchoit donc qu’on ne vît souvent un acteur déja flétri par l’âge joüer le personnage d’un jeune homme amoureux et aimé.

Hypolithe, Hercule et Nestor ne paroissoient sur le théatre qu’avec une tête reconnoissable par sa convenance avec leur caractere connu. Le visage sous lequel l’acteur paroissoit, étoit toujours assorti à son rôlle, et l’on ne voïoit jamais un comédien joüer le rôlle d’un honnête homme avec la phisionomie d’un fripon parfait. Les compositeurs de déclamation, c’est Quintilien qui parle, lors qu’ils mettent une piece au théatre, sçavent tirer des masques mêmes le pathetique. Dans les tragédies, Niobé paroît avec un visage triste, et Medée nous annonce son caractere par l’air atroce de sa phisionomie. La force et la fierté sont dépeintes sur le masque d’Hercule. Le masque d’Ajax est le visage d’un homme hors de lui-même.

Dans les comédies, les masques des valets, des marchands d’esclaves et des parasites, ceux des personnages d’hommes grossiers, de soldat, de vieille, de courtisanne et de femme esclave, ont tous leur caractere particulier.

On discerne par le masque le vieillard austere d’avec le vieillard indulgent, les jeunes gens qui sont sages d’avec ceux qui sont débauchez, une jeune fille d’avec une femme de dignité. Si le pere des interêts duquel il s’agit principalement dans la comédie, doit être quelquefois content et quelquefois fâché, il a un des sourcils de son masque froncé, et l’autre rabatu, et il a une grande attention à montrer aux spectateurs celui des côtez de son masque lequel convient à sa situation presente.

C’est ainsi que Monsieur Boindin explique les dernieres lignes du passage de Quintilien, en supposant que le comedien qui portoit ce masque, se tournoit tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, pour montrer toujours le côté du visage qui convenoit à sa situation actuelle, quand on joüoit les scénes où il devoit changer d’affection sans qu’il pût aller changer de masque derriere le théatre. Par exemple, si ce pere entroit content sur la scéne, il présentoit d’abord le côté de son masque dont le sourcil étoit rabatu, et lorsqu’il changeoit de sentiment il marchoit sur le théatre, et il faisoit si bien qu’il presentoit le côté du masque dont le sourcil étoit froncé, observant dans l’une et dans l’autre situation de se tourner toujours de profil. Les comédiens romains avoient une attention particuliere à cette partie de leur jeu.

Pollux dans l’ouvrage que nous citons, dit quelque chose qui me paroît propre à confirmer la conjecture ingénieuse et sensée dont je viens de parler. Cet auteur, en parlant des masques de caractere, dit que celui du vieillard qui joüe le premier rôlle dans la comédie doit être chagrin d’un côté, et serain de l’autre. Le même auteur dit aussi en parlant des masques des tragédies qui doivent être caracterisez, que celui de Thamiris, ce fameux témeraire que les muses rendirent aveugle, parce qu’il avoit osé les défier, devoit avoir un oeil bleu et l’autre noir.

Les masques des anciens mettoient encore beaucoup de vraisemblance dans ces pieces excellentes, où le noeud naît de l’erreur qui fait prendre un personnage pour un autre personnage par une partie des acteurs. Le spectateur qui se trompoit lui-même en voulant discerner deux acteurs dont le masque étoit aussi ressemblant qu’on le vouloit, convevoit que les acteurs s’y méprissent eux mêmes. Il se livroit donc sans peine à la supposition sur laquelle les incidens de la piece sont fondez, au lieu que cette supposition est si peu vraisemblable parmi nous, que nous avons beaucoup de peine à nous y prêter. Dans la representation des deux pieces que Moliere et Renard ont imitées de Plaute, nous reconnoissons distinctement les personnages qui donnent lieu à l’erreur, pour être des personnages differens. Comment concevoir que les autres acteurs qui les voïent encore de plus près que nous, puissent s’y méprendre ? Ce n’est donc que par l’habitude où nous sommes de nous prêter à toutes les suppositions établies sur le théatre par l’usage, que nous entrons dans celles qui font le noeud de l’Amphitrion et des menechmes, et je ne conseillerois à personne de composer une comédie françoise toute neuve dont l’intrigue consistât dans un pareil embarras.

Ces masques donnoient encore aux anciens la commodité de pouvoir faire joüer à des hommes ceux des personnages de femmes, dont la déclamation demandoit des poulmons plus robustes que ne le sont communément ceux des femmes, sur tout quand il falloit se faire entendre en des lieux aussi vastes que les théatres l’étoient à Rome. En effet, plusieurs passages des écrivains de l’antiquité, entr’autres le récit que fait Aulugelle de l’avanture arrivée à un comédien nommé Polus qui joüoit le personnage d’Electre, nous apprennent que les anciens distribuoient souvent à des hommes des rôlles de femme. Aulugelle raconte donc que ce Polus joüant sur le théatre d’Athenes le rôlle d’Electre dans la tragédie de Sophocle, il entra sur la scéne en tenant une urne où étoient véritablement les cendres d’un de ses enfans qu’il venoit de perdre. Ce fut en l’endroit de la piece où il falloit qu’Electre parut tenant dans ses mains l’urne où elle croit que sont les cendres de son frere Oreste.

Comme Polus se toucha excessivement en apostrophant son urne, il toucha de même toute l’assemblée.

On introduisit aussi à l’aide de ces masques toutes sortes de nations étrangeres sur le théatre avec la phisionomie qui leur étoit particuliere. Le masque du batave aux cheveux roux, et qui est l’objet de votre risée, fait peur aux enfans, dit Martial.

Ces masques donnoient même lieu aux amans de faire des galanteries à leurs maîtresses. Suetone nous apprend que lorsque Neron montoit sur le théatre pour y représenter un dieu ou un heros, il portoit un masque fait d’après son visage, mais que lorsqu’il y représentoit quelque déesse ou quelque heroïne, il portoit alors un masque qui ressembloit à la femme qu’il aimoit actuellement.

Julius Pollux qui composa son ouvrage pour l’empereur Commode, nous assure que dans l’ancienne comédie grecque, qui se donnoit la liberté de caracteriser et de joüer les citoïens vivans, les acteurs portoient un masque qui ressembloit à la personne qu’ils représentoient dans la piece. Ainsi Socrate a pû voir sur le théatre d’Athenes un acteur qui portoit un masque qui lui ressembloit lors qu’Aristophane lui fit joüer un personnage sous le propre nom de Socrate dans la comédie des nuées. Ce même Pollux nous donne dans le chapitre de son livre que je viens de citer, un détail très-long et très-curieux sur les differens caracteres des masques qui servoient dans les representations des comédies et des tragédies.

Mais d’un autre côté ces masques faisoient perdre aux spectateurs le plaisir de voir naître les passions, et de reconnoître leurs differens symptomes sur le visage des acteurs. Toutes les expressions d’un homme passionné nous affectent bien, mais les signes de la passion qui se rendent sensibles sur son visage, nous affectent beaucoup plus que les signes de la passion qui se rendent sensibles par le moïen de son geste et par la voix.

Cependant les comédiens des anciens ne pouvoient pas rendre sensibles sur leur visage les signes des passions.

Il étoit rare qu’ils quittassent le masque, et même il y avoit une espece de comédiens qui ne le quittoit jamais. Nous souffrons bien, il est vrai, que nos comédiens nous cachent aujourd’hui la moitié des signes des passions qui peuvent être marquez sur le visage. Ces signes consistent autant dans les altérations qui surviennent à la couleur du visage que dans les altérations qui surviennent à ses traits. Or le rouge dont il est à la mode, depuis vingt ans que les hommes même se barbouillent avant que de monter sur le théatre, nous empêche d’appercevoir les changemens de couleur, qui dans la nature font une si grande impression sur nous. Mais le masque des comédiens anciens cachoit encore l’altération des traits que le rouge nous laisse voir.

On pourroit dire pour défendre l’usage du masque, qu’il ne cache point au spectateur les yeux du comédien.

Or s’il est vrai de dire que les passions se rendent encore plus sensibles par les altérations qui surviennent sur notre visage, que par les altérations qui surviennent dans notre geste et dans toutes nos attitudes et dans notre ton de voix ; il est aussi vrai que les passions se rendent encore plus sensibles par ce qui arrive dans nos yeux que par ce qui arrive dans les autres parties de notre visage. Nos yeux seuls sont capables d’enseigner distinctement tout ce qui se passe sur le visage, et pour user de cette expression, ils le font voir tout entier malgré le masque.

L’imagination supplée, continuera-t-on, ce qui nous est caché, et quand nous voïons des yeux ardens de colere, nous croïons voir le reste du visage allumé du feu de cette passion. Nous sommes aussi émus que si nous le voïons véritablement. Plusieurs passages de Ciceron et de Quintilien, font foi que les acteurs des anciens marquoient parfaitement tous les signes des passions par le mouvement de leurs yeux, aidez et soutenus par les gestes et par la contenance. On peut dire la même chose de ceux des comédiens italiens qui joüent masquez.

C’est sur le visage que l’ame se peint, et les yeux sont la partie du visage, qui, pour ainsi dire, nous parle le plus intelligiblement.

Je m’en tiens au sentiment le plus simple, et je pense que la plûpart des passions, principalement les passions tendres, ne sçauroient être aussi-bien exprimées par un acteur masqué que par un acteur qui joüe à visage découvert.

Ce dernier peut s’aider de tous les moïens d’exprimer la passion que l’acteur masqué peut emploïer, et il peut encore faire voir des signes des passions dont l’autre ne sçauroit s’aider.

Je crois donc que les anciens qui avoient tant de goût pour la représentation des pieces de théatre, auroient fait quitter le masque à tous les comediens sans une raison. C’est que leurs théatres étant très-vastes et sans voûte ni couverture solide, les comédiens tiroient un grand service du masque qui leur donnoit le moïen de se faire entendre de tous les spectateurs, quand d’un autre côté ce masque leur faisoit perdre peu de chose.

En effet, il étoit impossible que les altérations du visage que le masque cache fussent apperçûës distinctement des spectateurs, dont plusieurs étoient éloignez de plus de douze toises du comédien qui récitoit. Entrons dans l’explication de la raison que je viens d’alléguer.

Aulugelle qui écrivoit sous l’empereur Adrien, louë l’étimologie que Caïus Bassus donnoit au mot latin persona, qui signifioit un masque, en faisant venir ce terme du verbe personare, qui veut dire resonner. En effet, ajoûte-t-il, le visage, et toute la tête étant renfermez sous la couverture du masque, de maniere que la voix ne sçauroit s’échapper que par une sortie qui est encore resserrée, il s’ensuit que la voix ainsi contrainte rend des sons plus forts et plus distincts. Voilà pourquoi les latins ont donné le nom de persona aux masques qui font retentir et resonner la voix de ceux qui les portent.

Que Bassus eut raison ou non dans son étimologie, cela ne nous fait rien. Il nous suffit qu’Aulugelle ne l’auroit point louée ni adoptée, si de son temps les masques n’eussent point été une espece d’échos. Boéce confirme encore ici notre sentiment.

La concavité du masque augmente la force de la voix, dit ce philosophe, en parlant des masques.

On ne sçauroit douter, après avoir lû le passage d’Aulugelle et celui de Boéce qui écrivoient ce qu’ils voïoient tous les jours, que les anciens ne se servissent des masques pour augmenter le son de la voix des acteurs. Ma conjecture est que l’on plaçoit dans la bouche de ces masques une incrustation qui faisoit une espece de cornet.

On voit par les figures des masques antiques qui sont dans les anciens manuscrits, dans les médailles, dans les ruines du théatre de Marcellus et de plusieurs autres monumens, que l’ouverture de leur bouche étoit excessive.

C’étoit une espece de gueule béante qui faisoit peur aux petits enfans.

Suivant les apparences, les anciens n’auroient pas souffert ce désagrément dans les masques s’ils n’en avoient point tiré quelque avantage, et je ne vois pas que cet avantage pût être autre chose que la commodité d’y mieux ajuster les cornets propres à rendre plus forte la voix des acteurs.

Nous voïons d’ailleurs par un passage de Quintillien, que le rire souffroit une altération si considerable dans la bouche du masque, qu’il en devenoit un bruit désagréable. Cet auteur en conseillant aux orateurs de bien examiner quels sont leurs talens naturels, afin de prendre un goût de déclamation convenable à ces talens, dit qu’on peut réussir à plaire avec des qualitez differentes. Il ajoûte, qu’il a vû deux comédiens célebres également applaudis, quoique leur maniere de déclamer fut bien differente, mais chacun avoit suivi son naturel dans la maniere de joüer la comédie qu’il avoit prise. Demetrius, l’un de ces comédiens, lequel Juvenal met au nombre des meilleurs acteurs de son temps, et qui avoit un son de voix fort agréable, s’étoit attaché à joüer des rolles de divinitez, des femmes de dignité, des peres indulgens et des amoureux. Stratocles, c’est le nom de l’autre comedien, de qui parle aussi Juvenal, avoit une voix aigre. Il s’étoit donc attaché à joüer les personnages des peres austeres, des parasites, des valets fripons, en un mot, tous les personnages qui demandoient beaucoup d’action. Son geste étoit vif, ses mouvemens étoient empressez, et il hazardoit beaucoup de choses capables de faire siffler un autre que lui. Une de ces choses que Stratocles hazardoit, étoit de rire, quoiqu’il sçut très-bien, dit Quintilien, par quelles raisons le rire fait un effet désagréable dans le masque.

Le rire ne déplaît point par lui-même sur la scéne comique, et nous le sentons bien. Moliere lui-même fait rire quelquefois ses personnages à plusieurs reprises. Il falloit donc que les éclats de rire redoublez retentissent dans la bouche du masque, de maniere qu’il en sortit un son désagréable. C’est ce qui ne devoit pas arriver, si la bouche et les parties interieures du masque les plus voisines de cette bouche n’eussent pas été revêtuës d’un corps dur et resonnant qui changeoit quelque chose au son naturel de la voix en augmentant ce son.

Je hazarderai ici une conjecture toute nouvelle, et qui peut donner l’intelligence d’un passage de Pline mal entendu jusques ici ; c’est que les anciens après s’être servi d’airain pour incruster les masques, y emploïerent ensuite des lames fort minces d’une espece de marbre.

Pline, en parlant des pierres curieuses, dit que la pierre qu’on appelle calcophonos ou son d’airain est noire, et que suivant l’étimologie de son nom, elle rend un son approchant du son de ce métail lorsqu’on la touche. C’est pourquoi, ajoute-t-il, on conseille aux comédiens de s’en servir.

Quel usage veut-on que les comédiens pussent faire d’une pierre qui avoit cette proprieté, si ce n’étoit d’en incruster une partie de la bouche de leurs masques, après qu’elle avoit été sciée en lames fort minces. Ces masques qui étoient de bois, comme nous l’apprenons dans les vers que prudence a fait contre Symmaque, étoient propres à recevoir cette incrustation. Ceux qui récitent dans les tragedies, dit notre poëte, se couvrent la tête d’un masque de bois, et c’est par l’ouverture qu’on y a ménagée, qu’ils font entendre leur déclamation ampoulée.

Solin qui a écrit quelque temps après Pline semble nous apprendre pourquoi l’usage de cette pierre étoit à préferer à celui de l’airain dans le revêtement intérieur d’une partie des masques. C’est qu’en repercutant la voix, elle n’altere point la clarté du son, au lieu que le bruissement de l’airain met toujours un peu de confusion dans les sons qu’il renvoïe. Après avoir dit que la pierre au son d’airain resonne comme ce métail, il ajoute qu’elle ne préjudicie point à la netteté de la voix lorsqu’on l’emploïe avec discrétion.

Nous pouvons juger de l’attention que les anciens avoient pour tout ce qu’ils jugeoient capable de mettre de l’agrément ou de la facilité dans l’execution de leurs pieces de théatre, par ce que Vitruve nous dit sur la maniere d’y placer des echaea ou des vases d’airain propres à servir d’échos. Cet auteur, en parlant de l’architecture du théatre, entre dans un détail long et méthodique sur la forme de ces vases, qui n’étoient apparemment autre chose que des plaques d’airain rondes et un peu concaves, ainsi que sur les endroits où il falloit les placer, afin que la voix des acteurs trouvât à propos des échos consonans.

Vitruve en nous disant que tous ces vases devoient être de tons differens, nous dit assez que l’ouverture et leurs autres dimensions ne doivent pas être les mêmes, et comme ces vases étoient encore placez à une distance differente des acteurs, il falloit bien qu’ils fussent des échos plus ou moins faciles à ébranler afin de répondre uniformement. Vitruve se plaint que de son temps les romains négligeassent de placer de ces echaea dans leurs théatres, à l’imitation des grecs, qui étoient soigneux d’en mettre dans les leurs. Apparemment que les romains profiterent de l’avis de Vitruve, car Pline se plaint que ces vases et les voûtes dans lesquelles on les plaçoit, absorbassent la voix des acteurs.

Il prétend qu’ils faisoient un aussi méchant effet que le sable de l’orchestre, c’est-à-dire, de l’espace qui étoit entre le théatre et les spectateurs les plus avancez.

D’un autre côté, Cassiodore dit dans l’épitre cinquante et une du livre premier, que la voix de ceux qui joüent des tragédies, étant fortifiée par les concavitez, rendoit un son tel qu’on avoit peine à croire qu’il pût sortir de la poitrine d’un mortel.

Ces concavitez ne pouvoient être que les echaea et le cornet du masque. On peut juger par l’attention que les anciens faisoient sur toutes ces choses, s’ils avoient négligé de chercher des inventions propres à faire faire aux masques de théatre l’effet, qui, suivant Aulugelle, leur avoit fait donner le nom de persona.

Si les écrivains de l’antiquité avoient pû croire que les generations à venir pussent être jamais en peine d’expliquer des choses qui étoient sans difficulté pour eux, soit parce qu’ils les voïoient tous les jours, soit parce que tout le monde avoit alors entre les mains des livres qui expliquoient méthodiquement ces choses-là, ils auroient mieux circonstancié leurs narrations. Mais ils ont cru que la posterité seroit toujours au fait des choses dont ils parloient, ainsi ils n’en ont dit le plus souvent que ce qu’il convenoit d’en dire pour appuïer un raisonnement, pour fonder une comparaison, pour expliquer une circonstance, ou pour rendre raison d’une étimologie. Ceux mêmes qui ont écrit méthodiquement sur la poësie, sur l’architecture et sur plusieurs autres arts, jugeant qu’il étoit inutile de faire préceder leurs raisonnemens et leurs dogmes par des descriptions exactes de ce qui étoit sous les yeux de tout le monde, se jettent d’abord dans des préceptes et dans des discussions que les contemporains trouvoient très-claires, mais qui sont des énigmes pour la postérité, à cause que le flambeau qui éclairoit les contemporains s’est éteint. Par exemple, comme les anciens ne nous ont pas laissé la description de l’interieur du colisée, les architectes doutent encore quelle étoit la distribution intérieure du troisiéme étage de cet amphithéatre, quoique les deux premiers étages intérieurs soient encore à peu près dans leur entier. Par la même raison, il reste encore aux antiquaires bien des choses à expliquer sur les masques. Peut-être que cela ne seroit point si nous n’avions pas perdus les livres que Denis D’Halicarnasse, Rufus et plusieurs autres écrivains de l’antiquité avoient écrit sur les théatres et sur les representations. Ils nous auroient du moins instruits de beaucoup de choses que nous ignorons, s’ils ne nous avoient pas tout appris. On peut voir un catalogue de ces écrivains dont les livres sont perdus, dans le quatriéme chapitre de la premiere partie de l’ouvrage que le P. Boulanger jesuite a composé sur le théatre des anciens.

Mais nous en sçavons encore assez pour concevoir que les anciens tiroient un grand service des masques qui mettoient les comediens en état de se faire entendre sur des théatres sans couverture solide, et où il y avoit plusieurs spectateurs qui étoient éloignez de douze toises de la scéne où l’on récitoit. D’ailleurs, comme nous l’avons déja dit, le masque faisoit perdre peu de chose aux spectateurs, dont les trois quarts n’auroient pas été à portée d’appercevoir l’effet des passions sur le visage des comediens, du moins assez distinctement pour les voir avec plaisir. On ne sçauroit démêler ces expressions à une distance de laquelle on peut néanmoins discerner l’âge et les autres traits les plus marquez du caractere d’un masque. Il faudroit qu’une expression fut faite avec des grimaces horribles pour être renduë sensible à des spectateurs éloignez de la scéne au-delà de cinq ou six toises.

Je repeterai encore une observation : c’est que les acteurs des anciens ne joüoient pas comme les nôtres à la clarté des lumieres artificielles qui éclairent de tous côtez, mais à la clarté du jour qui devoit laisser beaucoup d’ombres sur une scéne où le jour ne venoit guere que d’en haut. Or la justesse de la déclamation exige souvent que l’altération des traits dans laquelle une expression consiste, ne soit presque point marquée.

C’est ce qui arrive dans les situations où il faut que l’acteur laisse échapper malgré lui quelques signes de sa passion.

Nous avons donc raison de faire joüer nos acteurs à visage découvert, et les anciens n’avoient pas tort de faire porter des masques aux leurs. Je reviens à mon sujet.