(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XII. L’homme touffu »
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(1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — XII. L’homme touffu »

XII. L’homme touffu

(Dyerma)

Un père de famille, à sa mort, laissa deux orphelins, un fils appelé Daouda et une fille du nom d’Aïssata. Cette dernière était si jolie que son frère craignit que le roi ne la lui enlevât de force. Aussi construisit-il dans son lougan même160 une case où il logea sa sœur pour la soustraire à la vue du kuohi161. Il cessa lui-même d’habiter le village et vécut près d’Aïssata pour la protéger, si besoin en était.

Un jour que Daouda chassait l’éléphant, un bouvier se présenta à la porte de la case et demanda à boire. L’orpheline lui apporta de l’eau.

Après avoir bu, le bouvier dit à la jeune fille : « Tu es vraiment jolie ! Si tu y consens, je te prendrai comme femme et je te donnerai cent taureaux en dot ».

Le bouvier tint compte de l’avis et s’enfuit sans même s’occuper de son troupeau qui paissait près du champ de mil des orphelins. Une fois rentré au village, il courut trouver le roi et lui dit : « Kuohi, je sais où il y a une fille d’une beauté sans égale et je puis te l’amener, à condition que tu me donnes des hommes pour l’enlever car elle est gardée par son frère qui est d’une extrême cruauté ».

Le roi le fit escorter par 30 cavaliers et il les guida vers la case de Daouda. Quand la petite troupe fut à peu de distance de la case, le bouvier se rappela la menace que lui avait faite Aïssata de la vengeance de son frère. La peur le reprit. Il s’arrêta net et, s’adressant à son escorte : « Entourez cette case, dit-il. C’est là que se trouve la jolie fille que nous devons amener au kuohi. Pour moi, je vais à la recherche de mon troupeau qui s’est égaré ce matin ».

Les cavaliers marchèrent à la case. Aïssata qui les voyait venir de loin appela son frère en lui criant : « Voici des cavaliers qui viennent m’enlever ».

Daouda cessa aussitôt son travail de culture, rentra dans la case prendre ses armes et revenant, l’arc tendu et le carquois à l’épaule, il dit à sa sour : « Je vais les tuer tous, à l’exception d’un seul qui ira annoncer la mort de ses compagnons à celui qui les a envoyés ici ».

Les cavaliers étaient maintenant proches de la case. Ils poussaient des cris aigus pour épouvanter le défenseur d’Aïssata, mais Daouda commença à décocher ses flèches dont chacune traversait de 3 à 4 cavaliers. Il abattit ainsi 29 hommes et n’épargna que le dernier qui s’enfuit et alla prévenir le roi du désastre.

Le kuohi exaspéré ordonna à cent cavaliers et à cent guerriers à pied d’aller s’emparer de la jeune fille. De tous ces hommes il n’en revint qu’un au village. Les autres avaient été tués par Daouda.

Successivement le kuohi envoya plusieurs colonnes qui furent, les unes après les autres, anéanties par l’orphelin.

Un jour, une vieille vint le trouver et lui dit : « Tu gaspilles tes guerriers sans résultat. Si tu me promets un présent de valeur, dès demain tu auras en ton pouvoir la jolie fille, sœur de celui qui a tué plus de la moitié de tes guerriers.

La vieille salua le roi et s’en revint chez elle, où elle fit bouillir une plante soporifique puis, après avoir retiré de cette décoction les feuilles qu’y avaient bouilli, elle y délaya de la farine de mil. De cette pâte légère elle fabriqua des « mâssa »162.

La vieille prit alors le sentier qui menait au lougan des orphelins et tout, en marchant, elle criait « Mâssa ! Qui veut acheter de bonnes mâssa ? » Daouda, qui n’avait pas goûté de ces galettes depuis son départ du village, héla la vieille, lui en acheta deux et les mangea à belles dents. Il n’avait pas fini de mâcher la dernière bouchée qu’il tomba à terre profondément endormi.

La vieille ne perdit pas de temps. Elle courut prévenir le kuohi qu’il pouvait sans crainte envoyer prendre Aïssata par 2 hommes seulement car son défenseur ne se réveillerait pas avant le lendemain.

Le roi dépêcha deux hommes avec ordre de se saisir de l’orpheline. Quand Aïssata les aperçut, elle secoua son frère « Réveille-toi ! Deux hommes viennent pour s’emparer de moi ! — Passe moi mon carquois et mon arc ! » balbutia Daouda, sans faire le moindre mouvement, tant il était paralysé par le sommeil.

Les cavaliers s’emparèrent d’Aïssata et l’emportèrent chez le roi qui l’épousa. Quand Daouda reprit ses sens et qu’il s’aperçut de la disparition de sa sœur, il devint à moitié fou de rage. Il s’enfonça dans la forêt ne voulant plus voir d’êtres humains. Il y vécut, chassant avec les ziné ; il mangeait et dormait en leur compagnie. Il était devenu tout à fait sauvage ; des arbustes, des herbes poussaient sur sa tête.

Un jour que, fatigué de marcher, il s’était étendu sous un arbre, des bûcherons l’aperçurent. Ils se jetèrent sur lui, le ligottèrent et l’entraînèrent au village où ils le livrèrent au roi.

Le kuohi fit couper les herbes et les arbustes qui lui avaient poussé sur la tête ; on lui rasa les cheveux. Ensuite le roi le donna à sa femme Aïssata pour qu’il gardât l’enfant qu’elle avait eu de lui. Aïssata ne reconnut pas en ce captif son frère Daouda ; mais lui l’avait reconnue dès en entrant dans sa case. Il prit l’enfant et chanta cette chanson : « Ô mon neveu amuse-toi ! Fils de celle que j’ai nourrie avec le lait des vaches de notre père, amuse-toi ! »

Aïssata, en l’entendant, se mit à pousser des cris. Le kuohi accourut avec ses captifs et s’inquiéta de ce qu’elle avait à crier ainsi « Kuohi ! dit-elle, tu as fait de mon frère ton captif et tu me l’as donné pour garder mon fils ! »

Le roi demanda à Daouda si Aïssata disait la vérité. Celui-ci alors raconta au kuohi toute son histoire ; quand il fut à la fin, son beau-frère lui donna de l’or et de l’argent en quantité, des bijoux, des chevaux, des vaches et lui abandonna tout pouvoir sur la moitié du village. Par la suite il lui confia une colonne à commander car Daouda avait prouvé, aux dépens même du roi, qu’il était brave et qu’il tirait adroitement de l’arc.

Conté par FATIMATA OAZI.

Traduit par SAMAKO NIEMBÉLÉ dit SAMBA TARAORÉ.

ÉCLAIRCISSEMENTS

Cf. La princesse du Soleil (Luzel, Contes et légendes des Bretons Armoricains.) Merlin-devin (De La Villemarqué, Barsaz-Breiz) Sneewittchen (Grimm).