(1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »
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(1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Chapitre premier
L’idée force du monde extérieur

I. Passage du moi au non-moi. — Le premier moment du processus est la conscience d’une construction la plus simple par laquelle nous concevons des volontés autre que notre volonté. — Est-il vrai que la conscience ne puisse se dépasser soi-même. Réponse à l’idéalisme. — Construction de l’idée d’objet et de l’idée de réalité. Influence de ces idées.

II. Idée des autres moi. Le facteur social. — Est-il plus difficile de concevoir une autre conscience, un autre moi, qu’un objet en général, un non-moi. — Rôle du facteur social dans l’idée des autres moi. Influence de cette idée.

I
Passage du moi au non-moi

Le raisonnement qui nous fait passer de nous aux autres choses est une induction expérimentale et même animale, très élémentaire, non une déduction de principes à priori, ni une affirmation transcendante et « métempirique ». Nous avons exposé ailleurs notre doctrine sur ce point ; nous nous bornons ici à la résumer111.

Le premier moment du processus est la conscience d’une appétition identique et d’un état identique. Le second est l’aperception d’une différence : je jouissais, je souffre ; j’aperçois la différence, et l’image de la jouissance reste dans ma mémoire pendant que je souffre. Par là j’acquiers l’idée du diffèrent, de l’autre, de l’altérité, comme disait Platon, par opposition aux idées du semblable, du même, de l’identique. N’oublions pas non plus que la notion de pluralité est toute naturelle, puisque notre conscience est sans cesse changeante, allant d’une sensation à l’autre. Nous ne sommes nullement enfermés d’abord dans une sorte d’unité métaphysique ; nous sommes au contraire en présence d’une multiplicité de sensations qu’il faut grouper, et le groupe appelé moi ne s’organise lui-même qu’à la suite d’un travail préalable. Enfin, dès l’origine, nous acquérons la distinction du volontaire et de l’involontaire, des changements que nous tendons à maintenir et des changements que nous tendons à supprimer. Je m’aperçois très bien que, dans la douleur, mon effort est limité, contrarié, contraint. Je distingue de même les mouvements actifs et les mouvements passifs, par exemple un mouvement volontaire de mon bras et un coup reçu sur mon bras, ou même un simple déplacement involontaire de mon bras, quoique non douloureux d’ailleurs. L’animal discerne parfaitement mordre ou être mordu. Autres sont les mouvements qui se propagent de la périphérie au cerveau, autres les mouvements de réaction qui se propagent du cerveau à la périphérie : d’un côté il y a mouvement reçu, de l’autre mouvement dépensé. La conscience, étant liée aux changements et mouvements notables du cerveau, ne peut manquer de discerner ces deux grandes catégories de mouvements, les uns précédant la volition et la représentation, les autres la suivant et y obéissant.

Nous avons ainsi ce système :

Premier moment : appétition restant la même ; mêmes modifications.

Deuxième moment : même appétition ; autres modifications, — par exemple une morsure jointe à la vue d’une gueule ouverte — ; ce qui donne la distinction du même et de l’autre, conséquemment de l’un et du plusieurs, ainsi que la distinction du volontaire et de l’involontaire. Il s’agit de savoir si la conscience en restera là, même chez le plus humble des animaux. C’est ce qui ne peut avoir lieu. En effet, l’idée du vouloir est de bonne heure associée à celle du mouvement comme antécédent immédiat ; la conscience du mouvement et, en général, du changement doit donc éveiller l’idée de son antécédent : d’une volonté, d’une activité, d’un effort. Et comme l’animal ne peut placer en imagination sa propre volonté devant la morsure qu’il éprouve, il en résulte la conséquence suivante :

Troisième moment : autres modifications ; autre volonté.

Cette solution est celle qui exige la moindre dépense de construction mentale. Il suffit de se continuer soi-même par la pensée derrière l’obstacle qu’on rencontre, sous forme d’une volonté autre, d’un effort autre. C’est ainsi que l’animal et l’enfant projettent des activités plus ou moins semblables à la leur derrière les objets extérieurs. L’animal qui sent la dent de son ennemi n’a besoin d’aucune subtilité métaphysique pour imaginer un autre animal mordant. Il n’invoque pas le principe de causalité : c’est une inférence immédiate d’une représentation particulière à une autre représentation particulière.

Pour prendre un autre exemple, l’enfant à qui sa mère parle éprouve passivement une sensation qu’il n’a pas antérieurement pensée et voulue. Au contraire, quand il crie, il se donne à lui-même des sensations et il s’aperçoit qu’il n’a qu’à les penser, à les vouloir et à faire effort pour se les donner. Il distingue donc fort bien les cris poussés par lui et les sons d’une voix étrangère. Il y a d’ailleurs des sensations qu’il est toujours en son pouvoir de se donner : ce sont les sensations musculaires ou motrices, les sensations attachées au mouvement ; dès que l’enfant meut une partie de son corps, il éprouve ces sensations et peut les renouveler en recommençant le même effort moteur.

Enfin, ce qui achève de faire la part non seulement du moi, mais même de notre propre corps par opposition aux autres corps, ce sont les expériences où nous touchons et explorons un membre au moyen d’un autre. Par exemple, lorsque je presse ma main gauche avec ma main droite jusqu’à éprouver une sensation douloureuse, je distingue l’effort musculaire dans la main qui presse, la résistance dans la main pressée, la pression et la douleur éprouvées dans cette main et qui varient selon que l’autre main appuie plus ou moins fort. Si je serre la main d’une autre personne au lieu de la mienne, j’éprouve encore le sentiment d’effort musculaire et de résistance, mais je ne sens plus la pression et la douleur. J’arrive ainsi à distinguer mon corps de tout autre et à supposer dans les autres corps tantôt volonté et douleur, tantôt simplement activité, pression, résistance, impénétrabilité, force motrice.

L’idéalisme répète sans cesse que tout ce que nous connaissons est par cela même dans notre conscience ; que les perceptions, sensations et autres choses semblables sont des faits de conscience ; que les phénomènes de la nature nous sont connus seulement sous forme de représentations, conséquemment comme processus psychiques ; en un mot, qu’on ne peut dépasser sa conscience. Il y a dans toutes ces propositions un mélange de vérité et d’inexactitude. La notion d’être réel n’est pas la même chose que la notion d’objet. L’objet, c’est la forme que l’appréhension de la réalité prend dans notre conscience sous une double série de conditions : 1° celles de la conscience en général, 2° celles de telle affection spéciale d’un sens particulier. Il est clair que tout objet est pour notre conscience et dans notre conscience : il est représenté. Mais nous concevons encore l’être réel, l’existence de la chose en tant qu’elle est à part de notre conscience, autre que notre conscience, indépendante de notre conscience. Dira-t-on que c’est là un cercle vicieux, et même une contradiction, parce que c’est toujours notre conscience qui construit et conçoit cette chose autre qu’elle ? Sans doute notre conscience la conçoit, mais elle la conçoit cependant comme non elle, comme autre qu’elle, comme n’existant en elle qu’à l’état subjectif de conception, non à l’état objectif d’existence. Avec le raisonnement des idéalistes, il faudrait soutenir que je ne puis concevoir un temps où je n’existais pas, par exemple le siècle de César, puisque ce temps où ma conscience n’existait pas est cependant dans ma conscience à l’état d’idée et conçu par elle. Pourtant, il est bien certain que je dépasse ma conscience quand je conçois le siècle de César, et encore bien mieux quand je conçois le trentième siècle, où je n’existerai plus. N’est-il pas étrange que les idéalistes nous refusent le droit de concevoir le négatif, l’autre, le différent, et d’appliquer ces notions à la conscience même prise en son tout ? D’une chose toute simple ils font un mystère insondable. Et leur dialectique repose sur deux métaphores : dans la conscience et hors de la conscience, — comme si la conscience était une sphère matérielle où pénètrent des rayons du dehors et que tout rayon saisi par la conscience lui fût nécessairement intérieur. Mais la conscience n’est pas une région de l’espace ni du temps ; le seul fait d’avoir conscience d’une sensation présente, joint au souvenir d’avoir eu conscience d’une sensation passée et contraire, nous permet déjà de concevoir, au-delà de la sensation présente, d’autres sensations possibles, et, derrière cette possibilité de sensations, une activité réelle autre que notre sensation même. L’animal, nous l’avons vu, objective en dépit de la métaphysique idéaliste et sans avoir besoin de tant de raisonnements.

Une autre ambiguïté du mot conscience, c’est qu’il désigne tantôt une série de faits et d’événements, un contenu, tantôt une certaine manière de connaître, un acte de connaissance. Or, comme acte de connaissance, la conscience peut fort bien dépasser son contenu actuel pour concevoir un autre contenu possible ; elle peut même concevoir négativement quelque chose d’autre que la totalité de son contenu. Pour combiner la négation non avec l’idée moi (non-moi), ou pour combiner l’adjectif autre avec le substantif moi (autre que moi, différent de moi), il n’est nullement nécessaire de « dépasser son moi », de monter pour ainsi dire au-dessus de soi-même par le moyen d’une « conscience intellectuelle112 », impersonnelle, éternelle, ou d’un « acte de raison pure ». Point n’est besoin d’une faculté extraordinaire et mystique pour concevoir une négation, ni pour mettre le signe — à la place du signe +. La différence est la chose du monde qui nous est le plus familière, puisque nous n’avons une conscience distincte que des différences ; nous sommes donc habitués à concevoir ou le contraire de ce que nous sentons, ou quelque chose de différent. Un son n’est pas une couleur ; il est non-couleur, autre que couleur. Nous n’avons qu’à continuer ainsi : quand nous arrivons au groupe des sensations, émotions et appétitions qui nous constituent, il ne nous est pas difficile de concevoir autre chose que notre moi, comme nous concevons autre chose que la couleur, ou le son, ou l’odeur. Un coup qu’un autre nous donne, un objet qu’il nous enlève, nous fait faire tout de suite connaissance avec un ordre de phénomènes qui dépend si peu de nos désirs qu’il les contrarie : c’est le non-moi ; et ce non-moi ne reste pas à l’état d’entité métaphysique, abstraite, car il a la forme, par exemple, d’un homme qui nous frappe ou qui nous prend notre morceau de pain, d’un animal qui nous mord, etc. Nous retrouvons dans ce non-moi des mouvements et des formes qui nous sont connus en nous-mêmes. Nous y voyons notre image comme en un miroir, mais une image qui se retourne contre nous, nous bat, nous fait mal, nous résiste : le non-moi devient autrui, il devient vous ou lui, un autre homme, un autre être vivant en chair et en os. L’objectivité s’impose sous forme de résistance à notre volonté. Nous n’avons pas besoin de monter en quelque sorte sur notre propre tête pour contempler un horizon de « vérité infinie, de réalité absolue ». Encore moins avons-nous besoin, avec Fichte, d’invoquer le devoir pour attribuer une réalité à la bête qui nous mord ou à l’homme qui nous fait violence. Mais le plus étonnant, ce serait, avec Renouvier, d’invoquer une croyance libre, un acte de libre arbitre pour objectiver ce qui nous contraint, ce qu’il y a de moins libre au monde. Est-ce volontairement que la brebis croit à l’existence du loup qui la dévore ? Elle n’est que trop forcée d’y croire.

Les difficultés que les métaphysiciens accumulent sur cette question viennent de la façon artificielle dont ils posent le problème, en termes abstraits et symboliques. Ils partent d’abord d’un moi qu’ils supposent tout formé, et fermé, d’une monade en possession de soi par la conscience ; ils prêtent même à ce moi une conscience de son unité, de son identité ; puis, après avoir ainsi clos toutes les portes et fenêtres du moi sur le dehors, ils se demandent comment le moi pourra sortir de soi. En outre, nous avons vu qu’ils assimilent métaphoriquement et géométriquement la conscience à un intérieur, à un dedans, le monde à un extérieur, à un dehors ; ils posent donc le problème en termes d’espace, — ce qui le rend insoluble, puisqu’il faudrait alors sortir hors de soi.

La vérité, c’est qu’au début la conscience est une collection de sensations multiples, de phénomènes et de représentations de toutes sortes, un panorama diversifié et confus, une procession vertigineuse d’apparences changeantes. La seule unité est l’appétit sourd de vivre, qui subsiste sous cet amas incohérent et qui se sent vaguement lui-même. Mais cet appétit ne dit pas encore moi, ne se représente pas en opposition et en séparation avec un monde extérieur. Nous n’avons donc dès l’origine qu’un sentiment très vague d’unité, et un sentiment plus clair de pluralité ; en outre, nous avons le sentiment du désir et celui de l’opposition au désir. Le reste n’est plus qu’affaire de groupement et de classification : il n’y a plus qu’à construire dans l’imagination, par le procédé que nous avons décrit, des centres d’images divers : la conscience se polarise spontanément, et ses deux pôles sont le voulu, le non-voulu, derrière lequel, nécessairement, nous replaçons une volonté ou activité, mais non plus la volonté autour de laquelle nous groupons tout ce qui provient de notre propre appétition. Il y a là un effet d’optique interne et de perspective ton te naturelle. Les appétitions et les sensations se distribuent régulièrement selon leurs rapports de fait, si bien que, pour notre conscience, des centres divers se forment dont l’un finit par s’appeler moi, et les autres vous, lui, etc.

Selon Riehl, on s’en souvient, toute sensation étant le discernement d’une différence entre l’état actuel senti et un autre état non senti ou inconscient, la sensation se trouve toujours en rapport avec du non-senti, et c’est ce non-senti qui devient « le réel » au-delà de la sensation. — Nous avons déjà répondu qu’on ne peut pas établir un rapport entre un terme donné à la conscience et un autre qui ne l’est pas. C’est entre deux états de conscience qu’on peut saisir une différence. Ce n’est pas le non-senti et l’inconscient que nous objectivons sous forme de réel au-delà du senti, c’est au contraire le senti et le conscient que nous continuons au-delà du non-voulu, du forcé, surtout si ce forcé est douloureux. C’est donc bien dans l’appétition et dans sa limite qu’il faut chercher l’origine du contraste entre moi et non-moi. L’existence ne se mesure pas seulement pour nous au pâtir, mais encore et surtout à l’agir. Nous projetons hors de nous une action plus ou moins analogue à la nôtre, et c’est cette action, placée ainsi derrière nos sensations, qui devient objet, et objet réel.

Une fois construite, l’idée d’objet est, par excellence, une idée-force : l’être qui conçoit les objets agissant sur lui, et sur lesquels il peut réagir, ne réagit pas de la même manière que l’être qui ne conçoit ni les objets, ni leur action, ni sa réaction possible. Dans le second cas, la réaction n’est que mécanique ; dans le premier cas, elle est en même temps psychique, et elle offre un degré de complication bien supérieur. Elle a beau être toujours déterminée, c’est un déterminisme dans lequel le sujet réagit sur l’objet par l’idée même qu’il a de cet objet.

II
Idée des autres moi. — Le facteur social

Au lieu de l’idée du non-moi en général ou de l’objet, examinons de plus près l’idée des autres moi.

Nous avons rappelé tout à l’heure que Fichte n’invoquait rien moins que le devoir pour être certain de l’existence d’autres hommes, parce qu’il partait d’un moi supposé seul et ayant le privilège de se concevoir dans son indépendance. En Angleterre, Clifford et ses imitateurs ont fondé la métaphysique, « la métempirique », sur le fait même que nous admettons d’autres consciences analogues à notre conscience : selon eux, ces autres consciences ne peuvent, comme les phénomènes matériels encore inconnus, devenir pour nous objets de conscience ; elles sont donc rejetées en quelque sorte de notre conscience, ou actuelle ou possible, et elles constituent des éjets, non des objets. — A ce compte, les animaux eux-mêmes feraient de la métempirique en supposant chez leurs semblables des sensations et des volontés analogues aux leurs.

D’après notre précédente analyse, il n’est pas plus difficile, et peut-être même il est plus facile de concevoir une autre conscience qu’un objet matériel quelconque. Il y a toujours là un simple effet de déduction, de projection et, en définitive, d’imagination. Je puis me figurer très aisément des sensations, des émotions, des appétitions comme les miennes ; l’imagination n’a pas pour unique objet des phénomènes dans l’espace : elle roule aussi sur les phénomènes dans le temps et sur les sujets conscients de ces phénomènes. Vous concevoir, pour moi, c’est simplement vous construire par cette imagination psychologique qui, chez les romanciers, devient la faculté dominante. Vos phénomènes de conscience sont simplement les miens affectés de la négation non miens ; votre moi est un moi affecté de la négation non moi.

Ajoutons seulement que le facteur social est, ici encore, de majeure importance. Loin de naître isolé dans sa monade, l’être vivant, surtout l’homme, naît en relation avec d’autres êtres semblables à lui. Par hérédité, il a déjà une prédisposition cérébrale à construire la représentation de ses semblables et à la reconnaître. De même qu’il y a des peurs instinctives devant les formes d’animaux qui sont l’ennemi héréditaire, il y a des sympathies instinctives devant les formes de l’ami héréditaire. Nous ne disons donc pas d’abord moi ; nous dirions plutôt nous, si nous pouvions parler et traduire en mots notre disposition cérébrale. Notre conscience est sociale par essence : si elle a une centralisation naturelle autour de l’appétit, elle a aussi un mouvement d’expansion naturel vers d’autres êtres également sentants et doués d’appétit. La représentation d’un être semblable à nous est donc aussi automatique à l’origine que la vision de notre image dans l’eau ou dans un miroir. Il suffit, encore une fois, de nous apercevoir que cette image ne dépend pas de notre volonté, de notre centre d’appétitions, pour la concevoir autre et autre volonté, amie ou ennemie. Le zoomorphisme est la métaphysique instinctive de tous les animaux, et il se réduit à une simple combinaison d’images.

Une fois construite, la représentation des autres êtres, devient une idée-force, ou plutôt une collection d’idées-forces toujours présentes à notre conscience, avec lesquelles nous comptons toujours, et qui manifestent leur influence dans tous nos actes, dans tous nos mouvements. Nous ne commençons pas par avoir des autres êtres une idée contemplative et théorique : nous n’en avons à l’origine qu’une idée émotionnelle, appétitive et pratique. Le inonde se divise pour nous en ce qui est désirable et ce qui est redoutable, en amis et ennemis ; il y a pour l’animal des choses bonnes ou des choses mauvaises, des êtres bons ou des êtres méchants, c’est-à-dire des formes qui attirent et des formes qui repoussent, des images de jouissances ou des images de souffrances sous tel aspect visible, tangible, etc. En même temps que tous les objets se classent ainsi par leurs attributs appétitifs, des mouvements pour réagir s’organisent, soit d’aversion, soit d’appétition proprement dite. Le monde des représentations est donc aussi un monde d’images motrices. L’être doué d’appétit est tout d’abord ballotté au milieu des îlots qu’il pousse et qui le repoussent ; c’est seulement bien plus tard qu’il pourra se retirer en quelque sorte sur le rivage pour contempler par l’intelligence le grand tumulte de la mer. Le métaphysicien alors se demandera comment il a pu passer du moi au non-moi : c’est-à-dire qu’après avoir artificiellement sépare deux termes inséparables, il cherchera vainement un moyen naturel de les ramener à cette continuité qui est la vraie loi de la vie et de la conscience.