(1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384
/ 3136
(1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

LXXXIXe entretien.
De la littérature de l’âme.
Journal intime d’une jeune personne.
Mlle de Guérin (2e partie)

I

Il y a une littérature extérieure et publique, il y a une littérature intérieure et privée. Celle-là est aussi supérieure à l’autre que l’âme est au-dessus du corps. C’est d’elle que nous continuons de vous entretenir aujourd’hui en feuilletant jusqu’à la fin cette correspondance et ce journal intime de cet ange terrestre qu’on appelait Eugénie de Guérin, ce saint Augustin des femmes, seulement un saint Augustin sans péché, dont les larmes ne furent point de l’expiation, mais des effusions du cœur, effusions tantôt d’enthousiasme pour Dieu, tantôt de pitié pour ses créatures, tantôt d’admiration pour la nature, et qui ne vécut comme la fleur de l’herbe des champs que pour verser sa douce odeur sous les pieds de son père, de son frère et de ses amis.

II

Quand son premier amour de famille ici-bas, son frère Maurice, fut mort entre ses bras au Cayla, et qu’elle-même fut morte après son père, on retrouva dans ses papiers ces dernières notes de son journal adressées à ce cher mort Maurice, et on les recueillit pour notre édification intellectuelle comme des reliques que la flamme aurait profanées. En voici ; lisez encore.

Elle est retirée dans sa petite chambre : elle sourit, et elle lui dit ou plutôt elle se dit à elle-même :

« J’admirais tout à l’heure un petit paysage de ma chambrette qu’enluminait le soleil levant. Que c’était joli ! Jamais je n’ai vu de plus bel effet de lumière sur le papier, à travers des arbres en peinture. C’était diaphane, transparent ; c’était dommage pour mes yeux, ce devait être vu par un peintre. Mais Dieu ne fait-il pas le beau pour tout le monde ? Tous nos oiseaux chantaient ce matin, pendant que je faisais ma prière. Cet accompagnement me plaît, quoiqu’il me distraie un peu. Je m’arrête pour écouter ; puis je reprends, pensant que les oiseaux et moi nous faisons nos cantiques à Dieu, et que ces petites créatures chantent peut-être mieux que moi. Mais le charme de la prière, le charme de l’entretien avec Dieu, ils ne le goûtent pas, il faut avoir une âme pour le sentir. J’ai ce bonheur que n’ont pas les oiseaux. Il n’est que neuf heures et j’ai déjà passé par l’heureux et par le triste. Comme il faut peu de temps pour cela ! L’heureux, c’est le soleil, l’air doux, le chant des oiseaux, bonheurs à moi ; puis une lettre de Mimi, qui est à Gaillac, où elle me parle de Mme Vialar, qui t’a vu, et d’autres choses riantes. Mais voilà que j’apprends parmi tout cela le départ de M. Bories, de ce bon et excellent père de mon âme. Oh ! que je le regrette ! quelle perte je vais faire en perdant ce bon guide de ma conscience, de mon cœur, de mon esprit, de tout moi-même que Dieu lui avait confié et que je lui laissais avec tant d’abandon ! Je suis triste d’une tristesse intérieure qui fait pleurer l’âme. Mon Dieu, dans mon désert, à qui avoir recours ? qui me soutiendra dans mes défaillances spirituelles ? qui me mènera au grand sacrifice ? C’est en ceci surtout que je regrette M. Bories. Il connaît ce que Dieu m’a mis au cœur, j’avais besoin de sa force pour le suivre.

« Toi, tu me comprendras ! »

III

Elle quitte cette douce contemplation pour une peine utile. Écoutez :

« En allant à Cahuzac, j’ai voulu voir une pauvre femme malade qui demeure au-delà de la Vère. C’est la femme de la complainte du Rosier que je t’ai contée, je crois. Mon Dieu, quelle misère ! En entrant, j’ai vu un grabat d’où s’est levée une tête de mort ou à peu près. Cependant elle m’a connue. J’ai voulu m’approcher pour lui parler, et j’ai vu de l’eau, une bourbe auprès de ce lit, des ordures délayées par la pluie qui tombe de ce pauvre toit, et par une fontaine qui filtre sous ce pauvre lit. C’était une infection, une misère, des haillons pourris, des poux : vivre là ! pauvre créature ! Elle était sans feu, sans pain, sans eau pour boire, couchée sur du chanvre et des pommes de terre qu’elle tenait là pour les préserver de la gelée. Une femme, qui nous suivait, l’a délogée du fumier, une autre a apporté des fagots ; nous avons fait du feu, nous l’avons assise sur un sélou, et, comme j’étais fatiguée, je me suis mise auprès d’elle sur le fagot qui restait. Je lui parlais du bon Dieu ; rien n’est plus aisé que d’être entendu des pauvres, des malheureux, des délaissés du monde, quand on leur parle du ciel. C’est que leur cœur n’a rien qui les empêche d’entendre. Aussi, qu’il est aisé de les consoler, de les résigner à la mort ! L’ineffable paix de leur âme fait envie. Notre malade est heureuse, et rien n’est plus étonnant que de trouver le bonheur chez une telle créature, dans une pareille demeure. C’est pire cent fois qu’une étable à cochon. Je ne vis pas où poser mon châle sans le salir, et, comme il m’embarrassait sur les épaules, je le jetai sur les branches d’un saule qui se trouve devant la porte. »

IV

Un joli enfant vient la visiter.

« Après avoir donné au petit Antoine tout ce qu’il a voulu, je lui ai demandé une boucle de ses cheveux, lui offrant une des miennes. Il m’a regardée, un peu surpris : “Non, m’a-t-il dit, les miennes sont plus jolies.” Il avait raison ; des cheveux de trente ans sont bien laids auprès de ses boucles blondes. Je n’ai donc rien obtenu qu’un baiser. Ils sont doux, les baisers d’enfant : il me semble qu’un lis s’est posé sur ma joue. »

V

« Aujourd’hui tout mon temps s’est passé en occupations, en affairages ; ni lecture, ni écriture ; journée matérielle. À présent, seule, en repos dans ma chambrette, je lirais, j’écrirais beaucoup, je ne sais sur quoi, mais j’écrirais. Je me sens la veine ouverte. Ce serait un beau moment de poésie, et je regrette de n’en avoir aucune en train. En commencer ? Non, c’est trop tard, la nuit est faite pour dormir, à moins qu’on ne soit Philomèle ; et puis, quand je commencerais quelque chose, demain peut-être je le laisserais aux rats. La réflexion me plonge vite au fond de toute chose, et je vois le néant dans tout, si Dieu ne s’y trouve pas. »

VI

« Une petite lacune. Je saute du 14 au 20. Je trouve si peu de chose à dire de mes jours, qui se ressemblent souvent comme des gouttes d’eau, que je n’en dis rien. Ce n’est pas vraiment la peine d’employer l’encre et le temps à cela, et je ferais mieux peut-être de m’occuper d’autre chose. Mais aussi j’ai besoin d’écrire et d’un confident à toute heure. Je parle quand je veux à ce petit cahier ; je lui dis tout, pensées, peines, plaisirs, émotions, tout enfin, hormis ce qui ne peut se dire qu’à Dieu, et encore j’ai regret de ce que je laisse au fond du cœur. Mais cela, je ferais mal, je crois, de le produire, et la conscience se met entre la plume et mon papier. Alors je me tais. Si ceci t’étonne, mon ami, avec la vie que tu me connais, souviens-toi que Marie l’Égyptienne était fort tourmentée dans la solitude. Il y a des esprits malins répandus dans l’air.

« Aujourd’hui, et depuis même assez longtemps, je suis calme, paix de tête et de cœur, état de grâce dont je bénis Dieu. Ma fenêtre est ouverte ; comme il fait calme ! tous les petits bruits du dehors me viennent ; j’aime celui du ruisseau. Adieu, j’entends une horloge à présent, et la pendule qui lui répond. Ce tintement des heures dans le lointain et dans la salle prend dans la nuit quelque chose de mystérieux. Je pense aux trappistes qui se réveillent pour prier, aux malades qui comptent en souffrant toutes les heures, aux affligés qui pleurent, aux morts qui dorment glacés dans leur lit. Oh ! que la nuit fait venir des pensées graves ! »

VII

Les soucis actifs de sa maison la submergent en l’absence de son père ; elle emploie et nourrit quarante ouvriers des champs.

« Hier s’est passé sans que j’aie pu te rien dire, à force d’occupations, de ces trains de ménage, de ces courants d’affaires qui emportent tous mes moments et tout moi-même, hormis le cœur qui monte dessus et s’en va du côté qu’il aime. C’est tantôt ici, tantôt là, à Paris, à Alby où est Mimi, aux montagnes, au ciel quelquefois, ou dans une église, enfin où je veux ; car je suis libre parmi mes entraves et je sens la vérité de ce que dit l’Imitation, qu’on peut passer comme sans soins à travers les soins de la vie. Mais ces soins-là pèsent à l’âme, ils la fatiguent, l’ennuient souvent, et c’est alors qu’elle aspire à la solitude. Oh ! le bienheureux état où l’on peut s’occuper uniquement de la seule chose nécessaire, où, du moins, les soins matériels n’occupent que légèrement et ne prennent pas la grande partie du jour ! Voilà que pour quarante bêcheurs, ou menuisiers, ou je ne sais quoi, il m’a fallu rester tout le long du jour à la cuisine, les mains aux fourneaux et dans les oulos.

« Oh ! que j’aurais bien mieux aimé être ici, avec un livre ou une plume ! Je t’aurais écrit, je t’aurais dit combien tes envois me sont agréables, et je ne sais quoi ensuite ; ce serait plus joli que des plats de soupe. Mais pourquoi se plaindre et perdre ainsi le mérite d’une contrariété ? Faisons ma soupe de bonne grâce ; les saints souriaient à tout, et l’on dit que sainte Catherine de Sienne faisait avec grande joie la cuisine. »

« Je suis à mille choses qui remplissent tous mes moments de devoirs ou d’occupations. Ceci n’est qu’un délassement, un temps de reste que je te donne quand je puis, la nuit, le matin, à toute heure, car à toute heure on peut causer quand c’est avec le cœur que l’on parle. Une mouche, un bruit de porte, une pensée qui vient, que sais-je ? tant de choses qu’on voit, qu’on touche, qu’on sent, feraient écrire des volumes. Je lisais hier au soir Bernardin, au premier volume des Études, qu’il commence par un fraisier, ce fraisier qu’il décrit avec tant de charme, tant d’esprit, tant de cœur, qui ferait, dit-il, écrire des volumes sans fin, dont l’étude suffirait pour remplir la vie du plus savant naturaliste par les rapports de cette plante avec tous les règnes de la nature. Mon ami, je suis ce fraisier en rapport avec la terre, avec l’air, avec le ciel, avec les oiseaux, avec tant de choses visibles et invisibles que je n’aurais jamais fini si je me mettais à me décrire, sans compter ce qui vit aux replis du cœur, comme ces insectes qui logent dans l’épaisseur d’une feuille. De tout cela, mon ami, quel volume !

« Voilà sous ma plume une petite bête qui chemine, pas plus grosse qu’un point sur un i. Qui sait où elle va ? de quoi elle vit ? et si elle n’a pas quelque chagrin au cœur ? qui sait si elle ne cherche pas quelque Paris où elle a un frère ? elle va bien vite. Je m’arrête sur son chemin : la voilà hors de la page ; comme elle est loin ! je la vois à peine, je ne la vois plus. Bon voyage, petite créature, que Dieu te conduise où tu veux aller ! Nous reverrons-nous ? T’ai-je fait peur ? Je suis si grande à tes yeux sans doute ! mais peut-être par cela même je t’échappe comme une immensité. Ma petite bête me mènerait loin, je m’arrête à cette pensée : qu’ainsi je suis, aux yeux de Dieu, petite et infiniment petite créature qu’il aime.

« Tous les soirs je lis quelque Harmonie de Lamartine ; j’en apprends des morceaux par cœur, et cette étude me charme et fait jaillir je ne sais quoi de mon âme, qui me transporte loin du livre qui tombe, loin de ceux qui parlent auprès de moi ; je me trouve où sont ces esprits qui balancent les astres sur nos têtes, et qui vivent de feu comme nous vivons d’air… »

VIII

Son père l’interroge quelquefois sur ses occupations solitaires dans sa chambre : elle lui lit pour le contenter quelques passages insignifiants de ses notes, mais elle lui dérobe tout ce qui pourrait l’affliger. Elle l’avoue à son frère qui n’est pas responsable de ce qui lui manque dans la vie. Voyez :

« Le rossignol chante, le ciel est beau, choses toutes neuves dans ce printemps tardif. J’ai réfléchi après avoir écouté le rossignol ; j’ai calculé le nombre des minutes de mon existence.

« C’est effrayant, 168 millions et quelques mille ! Déjà tant de temps dans ma vie ! J’en comprends mieux toute la rapidité, maintenant que je la mesure par parcelles. Le Tarn n’accumule pas plus vite les grains de sable sur ses bords. Mon Dieu, qu’avons-nous fait de ces instants que vous devez aussi compter un jour ? S’en trouvera-t-il qui comptent pour la vie éternelle ? s’en trouvera-t-il beaucoup, s’en trouvera-t-il un seul ? Si observaveris, Domine, Domine, quis sustinebit  ? »

Elle avoue une seconde fois qu’elle cache des pages à l’œil de son père de peur de l’affliger.

« Il n’est pas bon qu’il les voie et qu’il connaisse autre chose de moi que le côté calme et serein. Une fille doit être si douce à son père ! Nous devons leur être à peu près ce que les anges sont à Dieu ! »

Un jour après, elle écrit :

« Pluie, vent froid, ciel d’hiver, le rossignol, qui de temps en temps chante sous des feuilles mortes, c’est triste au mois de mai. Aussi suis-je triste en moi, malgré moi. Je ne voudrais pas que mon âme prît tant de part à l’état de l’air et des saisons, que, comme une fleur, elle s’épanouisse ou se ferme au froid ou au soleil. Je ne le comprends pas, mais il en est ainsi tant qu’elle est enfermée dans ce pauvre vase du corps.

« Pour me distraire, j’ai feuilleté Lamartine, le cher poète. J’aime l’hymne au rossignol et bien d’autres de ces Harmonies, mais que c’est loin de l’effet que me faisaient ses Méditations ! C’étaient des ravissements, des extases ; j’avais seize ans : que c’était beau ! Le temps change bien des choses. Le grand poète ne me fait plus vibrer le cœur, il ne m’a pas même pu distraire aujourd’hui. »

Hélas, c’étaient les seize ans qui étaient beaux !

IX

Ailleurs, elle raconte l’ameublement de sa chambre, ses livres, son christ, son chapelet, ses gravures, ses tableaux. Pourquoi M. de Ruder, cet émule mystique du mystique Scheffer, n’avait-il pas alors conçu, dessiné et peint cette ardente et touchante image du Christ priant sa dernière prière pour les hommes dans le bois des Oliviers ?

Certes, M. de Ruder eût été son Lamartine en peinture ; un habile burin lui aurait rendu cette figure qui n’a besoin ni de couleurs, ni de tons, ni de nuances pour passionner le regard. La pensée est tout dans le dessin ! Le coloris n’est que le vêtement de l’idée. La foudre est dans la main ; c’est elle qui frappe ! ici elle a incrusté du premier coup le Sauveur des hommes dans l’âme et dans les yeux de l’humanité !

Il est nuit, mais une de ces nuits lumineuses sur les collines de Judée ; les disciples de ce sage, qui voit sa mort pour le lendemain dans la colère des grands et dans l’indifférence du peuple de Jérusalem, reposent endormis et à peine visibles, étendus sur les racines des noirs oliviers ; le Christ les fuit comme des compagnons qui commencent à douter et dans l’esprit de qui la trahison s’insinue pour ébranler la foi chancelante.

Il tourne les épaules à la forêt sacrée pour chercher du regard le ciel du côté où la lune en illumine l’avenue. Ses rayons, qui attirent et qui enflamment les vapeurs humides de la nuit, forment un nimbe orageux, confus, éclatant, au-dessus des oliviers, autour de la tête de l’agonisant. Il tombe à genoux devant un gros fragment de rocher qui supporte ses coudes et ses deux mains jointes pour supplier son Père céleste. Ses mains jointes sont tellement éloquentes par la pression des doigts contre les doigts et par les veines à travers lesquelles on voit circuler le sang brûlant de se répandre pour l’homme, son frère, que, lors même qu’on ne verrait ni le corps, ni les jambes, ni le buste, ni la tête divine, mais que ces mains seules sortiraient de l’ombre, le tableau aurait suffisamment parlé au cœur ; on aurait pleuré, on aurait compris que ces deux mains tendues par l’enthousiasme de l’agonie triomphante étaient assez fortes pour arracher l’aiguillon à la mort et le salut de l’humanité au ciel. — La passion de ces mains est égale à l’objet.

Mais la tête renversée en arrière les dépasse encore ! C’est une tête de Christ que la peinture n’avait pas encore inventée, même sous le pinceau de Scheffer ; un Guido Reni à son bon temps, mais un Guido Reni avec l’énergie de Michel-Ange ! Les traits sont beaux comme l’homme qu’on a rêvé, mais jamais vu, — l’Antinoüs mystique. — Son regard perce la nuit et porte à son Père toutes les supplications de la terre ; le vent de la miséricorde, qui souffle à lui, fait onduler sa barbe et ses cheveux comme la sainte ferveur de l’invocation ; le corps s’affaisse sous la force dépensée de la prière, ses pieds crispés prient comme ses mains, ses genoux à demi renversés cherchent en vain leur aplomb parmi les dalles concassées, effondrées, soulevées sur le sol par le récent tremblement de terre ; toute la nature, quoique maintenant sereine et attentive, est dans l’expectative de sa prochaine convulsion. Le spectateur ne sait pas ce qu’il éprouve, mais il éprouve quelque chose qu’il n’a jamais éprouvé, — la séparation de lui-même en deux parts : l’une qui s’unit à la prière divine, l’autre qui voudrait souffrir avec son grand prêtre et qui ne peut que l’admirer. Voilà le tableau du peintre, qui cette fois n’a pas été un peintre, mais un transfigurateur religieux. Toutes les fois que je me retrouve en face de ce tableau, je pense à Mlle de Guérin qui a transfiguré aussi la parole intime, le Verbe intérieur de l’homme, et je me dis : — Oh ! si elle l’avait vu ! — C’est là le Christ qu’elle eût inspiré !

N’en parlons plus, elle n’est plus là ; mais sa chère âme y est tout entière.

X

Reprenons ses confidences, à elle.

« Il ne nous manque au Cayla que toi », écrit-elle à ce frère chéri dans ces notes qu’il n’a jamais lues, « cher membre que le corps réclame. Quand t’aurons-nous ? Rien ne paraît s’arranger pour cela. Ainsi, nous passerons la vie sans nous voir. C’est triste, mais résignons-nous à tout ce que Dieu veut ou permet. J’aime beaucoup la Providence qui mène si bien toutes choses et nous dispense de nous inquiéter des événements de ce monde. Un jour nous saurons tout ; un jour je saurai pourquoi nous sommes séparés, nous deux qui voudrions être ensemble. Rapprochons-nous, mon ami, rapprochons-nous de cœur et de pensée en nous écrivant l’un à l’autre. Cette communication est bien douce, ces épanchements soulagent, purifient même l’âme comme une eau courante emporte son limon. »

XI

« Une journée passée à étendre une lessive laisse peu à dire. C’est cependant assez joli que d’étendre du linge blanc sur l’herbe ou de le voir flotter sur des cordes. On est, si l’on veut, la Nausicaa d’Homère ou une de ces princesses de la Bible qui lavaient les tuniques de leurs frères. Nous avons un lavoir, que tu n’as pas vu, à la Moulinasse, assez grand et plein d’eau, qui embellit cet enfoncement et attire les oiseaux qui aiment le frais pour chanter.

« Notre Cayla est bien changé et change tous les jours. Tu ne verras plus le blanc pigeonnier de la côte, ni la petite porte de la terrasse, ni le corridor et le fenestroun où nous mesurions notre taille quand nous étions petits. Tout cela est disparu et fait place à de grandes croisées, à de grands salons. C’est plus joli, ces choses nouvelles, mais pourquoi est-ce que je regrette les vieilles et replace de cœur les portes ôtées, les pierres tombées ? Mes pieds même ne se font pas à ces marches neuves, ils vont suivant leur coutume et font des faux pas où ils n’ont pas passé tout petits. Quel sera le premier cercueil qui sortira par ces portes neuves ? Soit nouvelles ou anciennes, toutes ont leurs dimensions pour cela, comme tout nid a son ouverture. Voilà qui désenchante cette demeure d’un jour et fait lever les yeux vers cette habitation qui n’est pas bâtie de main d’homme. »

Et un peu plus bas :

« Un chagrin : nous avons Trilby malade, si malade que la pauvre bête en mourra. Je l’aime, ma petite chienne, si gentille. Je me souviens aussi que tu l’aimais et la caressais, l’appelant coquine. Tout plein de souvenirs s’attachent à Trilbette et me la font regretter. Petites et grandes affections, tout nous quitte et meurt à son tour. Notre cœur est comme un arbre entouré de feuilles mortes. »

Ce frère tombe malade à Paris ; — elle l’apprend ; elle lui écrit sans oser lui envoyer la lettre, de crainte de froisser la nouvelle épouse.

« Voilà ma journée : ce matin à la messe, écrire à Louise, lire un peu, et puis dans ma chambrette. Oh ! je ne dis pas tout ce que j’y fais. J’ai des fleurs dans un gobelet ; j’en ai longtemps regardé deux dont l’une penchait sur l’autre qui lui ouvrait son calice. C’était doux à considérer, et à se représenter l’épanchement de l’amitié dans ces deux petites fleurettes. Ce sont des stellaires, petites fleurs blanches à longue tige, des plus gracieuses de nos champs. On les trouve le long des haies, parmi le gazon. Il y en a dans le chemin du moulin, à l’abri d’un tertre tout parsemé de leurs petites têtes blanches. C’est ma fleur de prédilection. J’en ai mis devant notre image de la Vierge. Je voudrais qu’elles y fussent quand tu viendras, et te faire voir les deux fleurs amies. Douce image, qui des deux côtés est charmante, quand je pense qu’une sœur est fleur de dessous ! Je crois, mon ami, que tu ne diras pas non. Cher Maurice, nous allons nous voir, nous entendre ! Ces cinq ans d’absence vont se retrouver dans nos entretiens, nos causeries, nos dires de tout instant. »

XII

De sombres pressentiments l’obsèdent ; elle ne les confie qu’au papier.

Après un trop court séjour au Cayla, Maurice est reparti, mieux, mais pas guéri. Le journal reprend :

« Je rentre pour la première fois dans cette chambrette où tu étais encore ce matin. Que la chambre d’un absent est triste ! On le voit partout sans le trouver nulle part. Voilà tes souliers sous le lit, ta table toute garnie, le miroir suspendu au clou, les livres que tu lisais hier au soir avant de t’endormir, et moi qui t’embrassais, te touchais, te voyais. Qu’est-ce que ce monde où tout disparaît ? Maurice, mon cher Maurice, oh ! que j’ai besoin de toi et de Dieu ! Aussi, en te quittant, suis-je allée à l’église où l’on peut prier et pleurer à son aise. Comment fais-tu, toi qui ne pries pas, quand tu es triste, quand tu as le cœur brisé ? Pour moi, je sens que j’ai besoin d’une consolation surhumaine, qu’il faut Dieu pour ami quand ce qu’on aime fait souffrir.

« Que s’est-il passé aujourd’hui pour l’écrire ? Rien que ton départ ; je n’ai vu que toi s’en allant, que cette croix où nous nous sommes quittés. Quand le roi serait venu, je ne m’en soucierais pas. »

XIII

« J’ai commencé ma journée par me garnir une quenouille bien ronde, bien bombée, bien coquette avec son nœud de ruban. Là, je vais filer avec un petit fuseau. Il faut varier travail et distractions ; lasse du bas, je prends l’aiguille, puis la quenouille, puis un livre. Ainsi le temps passe et nous emporte sur sa croupe.

« Éran vient d’arriver. Il me tardait de le voir, de savoir quel jour tu étais parti de Gaillac. C’est donc vendredi, le même jour que d’ici. Ce fut un vendredi aussi que tu partis pour la Bretagne. Ce jour n’est pas heureux ; maman mourut un vendredi, et d’autres événements tristes que j’ai remarqués. Je ne sais si l’on doit croire à cette fatalité des jours. »

XIV

Un passage de Bossuet, qui atteignait à la mélancolie par la grandeur, surtout dans ses vieux jours, la frappe et se grave dans sa mémoire : « En effet, ne paraît-il pas un certain rapport entre les langes et les draps de la sépulture ? On enveloppe presque de même façon ceux qui naissent et ceux qui sont morts : un berceau a quelque idée d’un sépulcre, et c’est la marque de notre mortalité qu’on nous ensevelisse en naissant. »

XV

« Papa est mieux : il a eu la fièvre, peu dormi. Nous lui avons cédé notre chambre qui est plus chaude, et j’ai pris ton lit. Il y a bien longtemps que je n’avais dormi là ; depuis, je crois que j’emportai de la tapisserie la main de l’homme qui allait défaire un nid qui s’y trouve peint. Je lui prêtais du moins cette mauvaise intention qui me mettait en colère à chaque réveil, et que je punis enfin par un acte de rigueur dont je fus punie à mon tour. On me gronda d’avoir déchiré le pauvre homme, sans écouter qu’il était méchant. Qui le voyait que moi ? Pour bien se conduire avec les enfants, il faut prendre leurs yeux et leur cœur, voir et sentir à leur portée et les juger là-dessus. On épargnerait bien des larmes qui coulent pour de fausses leçons. Pauvres petits enfants, comme je souffre quand je les vois malheureux, tracassés, contrariés ! Te souviens-tu du Pater que je disais dans mon cœur pour que papa ne te grondât pas à la leçon ? La même compassion me reste, avec cette différence que je prie Dieu de faire que les parents soient raisonnables.

« Si j’avais un enfant à élever, comme je le ferais doucement, gaiement, avec tous les soins qu’on donne à une délicate petite fleur ! Puis je leur parlerais du bon Dieu avec des mots d’amour ; je leur dirais qu’il les aime encore plus que moi, qu’il me donne tout ce que je leur donne, et, de plus, l’air, le soleil et les fleurs ; qu’il a fait le ciel et tant de belles étoiles. Ces étoiles, je me souviens comme elles me donnaient une belle idée de Dieu, comme je me levais souvent quand on m’avait couchée, pour les regarder à la petite fenêtre donnant aux pieds de mon lit, chez nos cousines, à Gaillac. On m’y surprit, et plus ne vis les beaux luminaires. La fenêtre fut clouée, car je l’ouvrais et m’y suspendais, au risque de me jeter dans la rue. Cela prouve que les enfants ont le sentiment du beau, et que par les œuvres de Dieu il est facile de leur inspirer la foi et l’amour.

À présent, je te dirai qu’en ouvrant la fenêtre, ce matin, j’ai entendu chanter un merle qui chantait là-haut sur Golse à plein gosier. Cela fait plaisir, ce chant de printemps parmi les corbeaux, comme une rose dans la neige. Mimi est au hameau, papa à sa chambre, Éran à Gaillac, et moi avec toi. Cela se fait souvent. »

XVI

La saison change.

« Je me sens portée aux larmes ; cependant je ne suis pas malheureuse. D’où cela vient-il donc ? De ce que, apparemment, notre âme s’ennuie sur la terre, pauvre exilée !… Voilà Mimi en prière ; je vais faire comme elle et dire à Dieu que je m’ennuie. Oh ! moi, que deviendrais-je sans la prière, sans la foi, la pensée du ciel, sans cette pitié de la femme qui se tourne en amour, en amour divin ? J’étais perdue et sans bonheur sur la terre. Tu peux m’en croire, je n’en ai trouvé encore en rien, en aucune chose humaine, pas même en toi. »

« Une lettre, mais pas de toi ! C’est d’Euphrasie qui me donne des nouvelles de Lili, tristes nouvelles qui me font craindre de perdre cette pauvre amie. Je vais à Cahuzac en faire part à ma tante. »

XVII

La Vialarette, une bonne servante volontaire du hameau, vient à mourir. Écoutez :

« La Vialarette ne te portera plus des marrons et des échaudés de Cordes ; la pauvre fille ! elle est morte la nuit dernière. Je la regrette pour ses qualités, sa fidélité, son attachement pour nous. Étions-nous malades ? elle était là ; fallait-il un service ? elle était prête, et puis d’une discrétion, d’une sûreté ! du petit nombre de personnes à qui l’on peut confier un secret. C’était le sublime de sa condition, ce me semble, que cette religion du secret que l’éducation ne lui avait pas apprise. Je lui aurais tout confié.

« L’enterrement était pénible à voir ; mais j’ai voulu accompagner jusque-là celle qui n’a ni frère ni sœur, celle qui a suivi sur ce cimetière tous ceux des nôtres qu’elle a vus mourir, celle qui a fait tant de pas pour nous, hélas ! à pareil jour, samedi. Enfin j’ai voulu lui donner cette marque d’affection et l’accompagner de mes prières jusqu’au bord de l’autre monde. J’ai entendu la messe à côté de son cercueil.

« Il fut un temps où cela m’aurait effrayée ; à présent, je ne sais pas comment je trouve tout naturel de mourir ; cercueils, morts, tombes, cimetières, ne me donnent que des sentiments de foi, ne font que reporter mon âme là-haut. La chose qui m’a le plus frappée, ç’a été d’entendre la bière tombant dans la fosse : sourd et lugubre bruit, le dernier de l’homme. Oh ! qu’il est pénétrant, comme il va loin dans l’âme qui l’écoute ! Mais tous ne l’écoutent pas ; les fossoyeurs avaient l’air de voir cela comme un arbre qui tombe ; le petit Cotive et d’autres enfants regardaient là-dedans comme dans un fossé où il y aurait des fleurs, l’air curieux et étonné. Mon Dieu ! mon Dieu ! quelle indifférence entoure la tombe ! Que les saints ont raison de mourir avant l’heure, de faire leurs propres obsèques en se retirant du monde ! Est-ce la peine d’y demeurer ? Non, ce n’est pas la peine, si ce n’était quelques âmes chères à qui Dieu veut qu’on tienne compagnie dans la vie. Voilà papa qui vient de me visiter dans ma chambre et m’a laissé en s’en allant deux baisers sur le front. Comment laisser ces tendres pères ? »

XVIII

Elle raconte qu’elle va se chauffer au soleil, pendant l’office des morts, dans le cimetière du hameau.

« D’où diriez-vous que je viens, ma chère Marie ? Oh ! vous ne devineriez pas ; de me chauffer au soleil dans un cimetière. Lugubre foyer si l’on veut, mais où l’on se trouve au milieu de sa parenté. Là, j’étais avec mon grand-père, des oncles, des aïeux, une foule de morts aimés. Il n’y manquait que ma mère qui, hélas ! repose un peu loin d’ici. Mais pourquoi me trouvais-je là ? Me croyez-vous amante des tombeaux ? Pas plus qu’une autre, ma chère. C’est que je suis allée me confesser ce matin : et comme il y avait du monde, et que j’avais froid à l’église, je suis sortie et me suis assise au soleil dans le cimetière ; et là les réflexions sont venues, et les pensées vers l’autre monde, et le compte qu’on rend à Dieu. Le bon livre d’examen qu’une tombe ! Comme on y lit des vérités, comme on y trouve des lumières, comme les illusions, les rêves de la vie s’y dissipent, et tous les enchantements ! Au sortir de là, le monde est jugé, on y tient moins.

Le pied sur une tombe, on tient moins à la terre.
(Lamartine)

« Il n’est pas de danseuse qui ne quittât sa robe de bal et sa guirlande de fleurs, pas de jeune fille qui n’oubliât sa beauté, personne qui ne revînt meilleur de cette terre des morts. »

XIX

Ainsi cela se poursuit parmi tous les événements de la vie, petits ou grands, tristes ou gais ; c’est la vicissitude éternelle, mais la vicissitude interprétée, sentie, comprise par une âme intelligente de ce qu’elle souffre et joyeuse de ce qu’elle cueille en passant sur le bord du chemin.

Lisez cette note d’un de ses beaux jours où elle se promène avec son père et son petit chien légué par Lili, une de ses amies qu’elle a récemment ensevelie :

« Depuis ce matin, rien de joli que la naissance d’un agneau et ce cahier qui commence au chant du rossignol, devant deux vases de fleurs qui embaument ma chambrette. C’est un charme d’écrire dans ces parfums, d’y prier, d’y penser, d’y laisser aller l’âme.

« Je suis fatiguée d’écriture, deux grandes lettres m’ont brisé la main. Aussi ne mettrai-je pas grand-chose ici ; mais je veux marquer un beau jour, calme, doux et frais, une vraie matinée de printemps. Tout chante et fleurit. Nous venons de la promenade, papa, moi et mon chien, le joli chien de Lili : chère petite bête ! il ne me quitte jamais : quand je m’assieds, il vient sur mes genoux ; si je marche, il suit mes pas. On dirait qu’il me comprend, qu’il sait que je remplace sa maîtresse. Nous avons rapporté des fleurs blanches, violettes, bleues, qui nous font un bouquet charmant. J’en ai détaché deux pour envoyer à E***, dans une lettre : ce sont des dames de onze heures ; apparemment ce nom leur vient de ce qu’elles s’ouvrent alors, comme font d’autres à d’autres heures, charmantes horloges des champs, horloges de fleurs qui marquent de si belles heures. Qui sait si les oiseaux les consultent, s’ils ne règlent pas sur des fleurs leur coucher, leur repas, leurs rendez-vous ? Pourquoi pas ? tout s’harmonise dans la nature ; des rapports secrets unissent l’aigle et le brin d’herbe, les anges et nous dans l’ordre de l’intelligence. J’aurai un nid sous ma fenêtre ; une tourterelle vient de chanter sur l’acacia où il y avait un nid l’an dernier. C’est peut-être la même. Cet endroit lui a convenu, et, en bonne mère, elle y replace son berceau.

« Rien ne me fait du bien comme d’écrire, parce qu’alors je m’oublie. La prière me fait le même effet de calme, et même mieux, en ce qu’il entre quelque chose de suave dans l’âme. »

XX

« Depuis cinq jours je n’ai pas écrit ici ; dans ce temps il est venu des feuilles, des fleurs, des roses. En voilà une sous mon front, qui m’embaume, la première du printemps. J’aime à marquer le jour de cette belle venue. Qui sait les printemps que je retrouve ainsi dans des livres, sur une feuille de rose où je date le jour et l’an ? Une de ces feuilles s’en fut à l’île de France, où elle fit bien plaisir à ce pauvre Philibert. Hélas ! elle aura disparu comme lui ! Quoique je le regrette, ce n’est pas cela, mais je ne sais quoi qui m’attriste, me tient dans la langueur aujourd’hui. Pauvre âme, pauvre âme, qu’as-tu donc ? que te faut-il ? Où est ton remède ? Tout verdit, tout fleurit, tout chante, tout l’air est embaumé comme s’il sortait d’une fleur. Oh ! c’est si beau ! allons dehors. Non, je serais seule et la belle solitude ne vaut rien. Ève le fit voir dans Éden. Que faire donc ? Lire, écrire, prier, prendre une corbeille de sable sur la tête, comme ce solitaire, et marcher. Oui, le travail, le travail ! occuper le corps qui nuit à l’âme. Je suis demeurée trop tranquille aujourd’hui, ce qui fait mal, ce qui donne le temps de croupir à un certain ennui qui est en moi.

« Pourquoi est-ce que je m’ennuie ? Est-ce que je n’ai pas tout ce qu’il me faut, tout ce que j’aime, hormis toi ? Quelquefois je pense que c’est la pensée du couvent qui fait cela, qui m’attire et m’attriste. J’envie le bonheur d’une sainte Thérèse, de sainte Paule à Bethléem. Si je pouvais me trouver dans quelque sainte solitude !… Le monde n’est pas mon endroit ; mon avenir serait fait alors, et je ne sais ce qu’il sera. »

XXI

On l’invite dans les environs à assister à la fonte d’une cloche. Les réflexions que cela lui suggère se rapprochent du dithyrambe de Schiller. Cela finit par une réflexion triste et vraie comme tout ce qui est triste.

« Je ne suis pas en train d’écrire ; il fait un vent qui souffle à tout emporter, même les idées. Sans cela, je dirais tout ce qui m’est venu près de ce fourneau, en pensées religieuses, gaies, tristes ; ce que j’ai coulé d’années, de siècles, de baptêmes, de glas, de noces, d’incendies, avec cette cloche. Quand elle finira, qui sait tout ce qui aura fini dans Andillac et dans le monde ? L’âge des cloches prend des siècles, du temps sans fin, à moins d’un malheur ou d’une révolution. Ainsi, tous tant que nous étions là, nous ne la verrons pas refondre. Cela seul est solennel : ne plus voir ce qu’on voit. Il y a là quelque chose qui fait qu’on y attache fort les yeux, quand ce ne serait qu’un brin d’herbe. »

Quel instinct de notre immortalité dans ces paroles !

XXII

Elle aime les fleurs et voudrait apprendre la botanique pour avoir une langue de plus, afin de mieux adorer et louer le créateur du cèdre et de l’hysope ! — « Maurice, tu me l’apprendras ; ce serait bien facile avec une Flore. Mais quand seras-tu ici au printemps ? Tu n’y viens que tard ; ce n’est pas lorsque l’hiver a fauché toute la beauté de la nature (suivant l’expression de notre ami, saint François de Sales) qu’on peut se mettre à botaniser : plus de fleurs alors, et ce sont les fleurs qui m’intéressent parce qu’elles sont si jolies sur ces tapis verts. J’aimerais de connaître leur famille, leurs goûts, quels papillons elles aiment, les gouttes de rosée qu’il leur faut, leurs propriétés pour m’en servir au besoin. Les fleurs servent aux malades. Dieu fait ses dons à tant de fins ! Tout est plein pour nous d’une merveilleuse bonté ; vois la rose qui, après avoir donné du miel à l’abeille, un baume à l’air, nous offre encore une eau si douce pour les yeux malades. Je me souviens de t’en avoir mis des compresses quand tu étais petit. Nous faisons tous les ans des fioles de cette eau qu’on vient nous demander. »

XXIII

Un autre jour la gaieté des champs la saisit.

« Flageolet, hautbois, grosse caisse, rossignols, tourterelles, loriots, merles, pinsons, belle et grotesque symphonie du moment. C’est, en l’honneur de la fête votive, la bruyante musique d’Andillac qui retentit jusqu’ici et se mêle à celle des oiseaux. Au moins ne manquons-nous pas de concerts dans nos champs ; tu aimes ceux de Paris sans pouvoir y aller toujours, et moi, sans y aller, je m’y trouve. C’est de tous côtés, de tous les arbres, des voix d’oiseaux, et mon charmant musicien, le rossignol de l’autre soir, chantant encore près du noyer du jardin. Ce sont pour moi des charmes, des plaisirs que je ne puis dire. Aussi quelqu’un me disait : “Vous êtes heureusement née pour habiter la campagne.” C’est vrai, je le sens, et que mon être s’harmonise avec les fleurs, les oiseaux, les bois, l’air, le ciel, tout ce qui vit dehors, grandes ou gracieuses œuvres de Dieu. »

XXIV

Et voyez maintenant comme elle aime les bêtes ! Insensé qui ne les comprend pas ! Lisez les lignes suivantes, et jugez combien la piété bien entendue et bien sentie s’étend à tout, depuis l’étoile incommensurable jusqu’au pauvre petit chien qui n’a que ses deux pattes à laisser à sa maîtresse. J’ai toujours reproché au christianisme son insensibilité pour les animaux, comme si ce qui aime tant n’avait point de cœur, comme si ce qui pense, calcule et combine, n’avait point sa part d’intelligence. Encore une fois lisez ceci.

« Vous avez raison de dire que je suis heureusement née pour habiter la campagne. C’est mon endroit ; je souffrirais bien plus ailleurs ; je reconnais en ceci un soin de la Providence, qui fait tout avec amour pour ses créatures, qui ne fait pas naître la violette dans les rues. Vous me voyez bien appuyée sur ma fenêtre, contemplant tout ce vallon de verdure où chante le rossignol ; puis je vais soigner mes poulets, coudre, filer, broder dans la grande salle avec Marie. Ainsi, d’une chose à l’autre, le jour passe, et nous arrivons au soir sans ennui.

« Un chagrin. Mon cher petit chien, mon joli Bijou est malade, si malade que je crains qu’il n’en meure. Pauvre bête ! comme il est oppressé, comme il gémit, me lèche les mains et me dit : “Soulagez-moi ! ” Je ne sais que lui faire, il ne prend rien que quelques gouttes de sirop de gomme qu’il lèche sur mes doigts ; c’est ainsi que je le nourris, moitié sucre, moitié caresses. Hélas ! que sert d’aimer ? je ne le sauverai pas. Cela me ferait pleurer, si je ne renvoyais mes larmes. Pleurer une bête, c’est bête, mais le cœur n’a pas d’esprit ni trop d’amour-propre souvent. Puis mon Bijou est si joli, si gracieux, si gentil, si précieux, me venant de Lili ! Un chien, c’est si riant, si caressant, si tendre, si à nous ! Je crois que je pleurerai, mais ce sera ici dans ma chambrette où se passent mes secrets.

« Une de mes amies demandait une fois des prières pour son chien malade ; je me moquai d’elle et trouvai sa dévotion mal placée. Aujourd’hui j’en ferais comme elle, je ne trouve pas cette prière si étrange : tant le cœur change l’esprit ! Je n’aimais pas Bijou alors ; ma conscience ne s’offusque pas d’intéresser le bon Dieu à la conservation d’une bête. Y a-t-il rien d’indigne dans ses créatures, et ne peut-on pas lui demander la vie de celles que nous aimons ? Je suis portée à le croire et qu’on peut, excepté le mal, tout demander à Dieu, au bon Dieu. Ce nom familier, ce nom populaire de la Divinité m’inspire toute sorte de confiance. Qu’attendre d’un être inaccessible, si loin, si loin de l’homme qu’on ne peut pas l’aimer en l’adorant ? et le cœur, cependant, veut aimer ce qu’il adore et adorer ce qu’il aime ; ce qui s’est fait quand Dieu s’est fait chair, quand il a habité parmi nous. De cette condescendance infinie nous est venue notre foi confiante. Il faut que je retourne auprès de mon pauvre Bijou qui, certes, m’a menée assez loin. »

« Il est mort, mon cher petit chien. Je suis triste et n’ai guère envie d’écrire. »

« Je viens de faire mettre Bijou dans la garenne des buis, parmi les fleurs et les oiseaux. Là je planterai un rosier qui s’appellera le rosier du Chien. J’ai gardé les deux petites pattes de devant si souvent posées sur ma main, sur mes pieds, sur mes genoux. Qu’il était gentil, gracieux dans ses poses de repos ou de caresses ! Le matin, il venait au pied du lit me lécher les pieds en me levant, puis il allait en faire autant à papa. Nous étions ses deux préférés. Tout cela me revient à présent. Les objets passés vont au cœur ; papa le regrette autant que moi. Il aurait donné, disait-il, dix moutons pour ce cher joli petit chien. Hélas ! il faut que tout nous quitte, ou tout quitter. »

XXV

Et comme elle décrit les scènes de la vie rustique !

« Je retourne à la salle loin de papa ; j’écrivais ceci au chant des jeunes poulets qui piquent l’herbe sous ma fenêtre, au bruit joyeux des moissonneurs qui sont dans les chènevières. Heureuses gens qui suent et qui chantent !

« Les gracieuses choses qui se voient dans les champs et que je viens de voir ! Un beau champ de blé plein de moissonneurs et de gerbes, et, parmi ces gerbes, une seule debout faisant ombre à deux petits enfants, et leur grand’mère les faisant déjeuner avec du lait !

« Rien ne monte à ma chambre ce soir que le chant des cigales.

« Ce soir, au crépuscule, j’écris d’une main fraîche, revenant de laver ma robe au ruisseau ! C’est joli de laver, de voir passer des poissons, des flots, des brins d’herbe, des feuilles, des fleurs tombées, de suivre cela et je ne sais quoi au fil de l’eau. Il vient tant de choses à la laveuse qui sait voir dans le courant de ce ruisseau ! C’est la baignoire des oiseaux, le miroir du ciel, l’image de la vie, un chemin courant ! etc., etc. »

XXVI

« Que survient-il donc ? rien que le bruit des fléaux tombant en cadence sur l’aire. Cette cadence, accompagnée du chant des coqs et des cigales, fait quelque chose d’infiniment rustique que j’aime !… »

Et plus loin…

« En entrant dans ma chambrette ce soir à dix heures, je suis frappée de la blanche lumière de la lune qui se lève ronde derrière un groupe de chênes aux Mérix ; la voilà plus haut, plus haut, toujours plus haut, chaque fois que je regarde. Elle va plus vite dans le ciel que ma plume sur ce papier, mais je puis la suivre des yeux ; merveilleuse faculté de voir, si élevée, si étendue, si jouissante ! On jouit du ciel quand on veut ; la nuit même, de sur mon chevet, j’aperçois, par la fente d’un contrevent, une petite étoile qui s’encadre là vers les onze heures et me rayonne assez longtemps pour que je m’endorme avant qu’elle soit passée ; je l’appelle aussi l’étoile du sommeil, et je l’aime. La pourrai-je voir à Paris ? Je pense que mes nuits et mes jours seront changés, et je n’y puis penser sans peine. Me tirer d’ici, c’est tirer Paule de sa grotte ; il faut bien que ce soit pour toi que je quitte mon désert, toi pour qui Dieu sait que j’irais au bout du monde. Adieu au clair de la lune, au chant des grillons, au glouglou du ruisseau ; j’avais de plus le rossignol naguère ; mais toujours quelque charme manque à nos charmes. À présent, plus rien qu’à Dieu, ma prière et le sommeil. »

« Dirais-tu ce qui me fait souffrir à présent en moi ? C’est cette petite reine Jeanne Gray, décapitée si jeune, si douce, si charmante, à qui je pense. »

« Une compagne dans ma chambrette, une perdrix blessée à l’aile, mais bien leste encore, bien vive, bien gentille ; elle se coule comme un rat dans tous les coins de sa prison et se prive, s’accoutume à me voir, si bien qu’elle mange et boit à mes côtés. Je voudrais la porter à Charles.

« Un peu de malaise m’a fait jeter sur ton lit, ce lit où tu as couché six mois dans la fièvre, où je t’ai vu si pâle, défait, mourant, d’où le bon Dieu t’a tiré par prodige. Tout cela s’est mis avec moi sur ce lit ; j’ai vu, revu, pensé, béni ; puis un petit sommeil et un rêve… »

XXVII

Qu’on ne s’étonne pas à me voir tant citer ; je suis sans cesse tenté de laisser aller ma plume, mais qu’écrirait-elle qui valût ce que nous lisons ainsi ensemble ? Si on me disait : « Parlez sur l’Imitation », je prendrais ce livre presque divin et le lirais, car rien de ce que je pourrais dire ne vaudrait un de ces versets pleins de suc. — Il en est ainsi des pages de mademoiselle de Guérin ; ôtez quelques superstitions féminines et quelques petitesses enfantines de dévotion qui ne scandalisent pas, mais qui humilient l’intelligence et qui tiennent à l’éducation, à l’habitude, au séjour, à la fréquentation de quelques ecclésiastiques, tels que l’abbé de Lamennais et ses disciples, tout est naïf, sublime, divin sous sa plume ; on ne peut rien dire d’elle qui ne soit mille fois dépassé par les éjaculations solitaires de cette âme. Excusez-moi donc : le modèle que j’ai sous les yeux tue le commentaire, contentez-vous d’admirer.

XXVIII

Il faut lire, quand Maurice se marie, son extase de reconnaissance sur les cadeaux de noces venus des Indes, que sa belle-sœur lui envoie. — « Voilà pourtant ce qui nous arrive de Gaillac par le messager ; j’ajoute encore que ton frère me rapporte une perdrix qu’il a tuée et deux pauvres cailles blessées… Les souffrants sont pour moi et l’ont toujours été ; étant enfant, je m’emparais de tous les petits poulets blessés ; faire du bien, soulager, est la moelle du cœur d’une femme. »

Suivons cette veine de gaieté au mariage de son frère.

« C’est trop joli, ce que je vois, pour ne pas te le dire : nos demoiselles, là-bas, le long du ruisseau, chantant, riant, se montrant çà et là sous des touffes d’arbres comme des nymphes de nuit, à la clarté d’un feu d’allumettes que fait Jeannot, leur fanal courant : c’est la pêche aux écrevisses, plaisir qu’Érembert a voulu donner à ces jeunes filles que tout amuse. J’ai mieux aimé être ici à les voir faire et te le dire. Je les entends rire et toujours rire ; cet âge est une joie permanente. Pour moi, j’ai besoin de repos, de me coucher au lieu d’errer sur le frais gazon d’un ruisseau. Adieu, Maurice ; nous avons bien parlé de toi en montrant les cadeaux de noce. Je ne voudrais pas te quitter, mais de force. Il y aurait de quoi passer la nuit ici à décrire ce qui se voit, s’entend, dans ma délicieuse chambrette, ce qui vient m’y visiter, de petits insectes, noirs comme la nuit, de petits papillons mouchetés, tailladés, volant comme des fous autour de ma lampe. En voilà un qui brûle, en voilà un qui part, en voilà un qui vient, qui revient, et sur la table quelque chose comme un grain de poussière qui marche. Que d’habitants dans ce peu d’espace ! Un mot, un regard à chacun, une question sur leur famille, leur vie, leur contrée, nous mènerait à l’infini ; il vaut mieux faire ma prière ici devant ma fenêtre, devant l’infinité du ciel. »

XXIX

« Mme et M. de Faramond, une lettre de Louise, hier une d’Antoinette, plaisir et bonheur. Demain, je pars avec ces demoiselles. Adieu, cahier ; mais je le prendrai peut-être pour me trouver avec toi. »

« Oh ! les vieux châteaux, avec leurs grandes salles, leurs meubles antiques, leurs larges fenêtres d’où l’on voit tout le ciel, les portraits de belles dames et de grands seigneurs, cela fait je ne sais quel plaisir à voir, à s’y voir errant de chambre en chambre. Oh ! j’aime les vieux châteaux, et je me complais depuis un jour dans cette jouissance. C’est de Montels que je t’écris, dans une chambre écartée où j’ai, par bonheur, trouvé de l’encre ; j’avais oublié d’en prendre, et c’était grande privation de ne pouvoir rien tracer de tout ce qui se peint en moi dans cette demeure de mon goût. Je m’y plairais toujours, d’autant qu’à chaque endroit ce sont des souvenirs d’enfance, et tu sais comme ce passé fait plaisir. J’avais neuf ans quand je vins à Montels. En arrivant j’ai reconnu l’église sous son grand ormeau où j’allais sauter à l’ombre, puis la grande cour et puis la petite avec son puits, la porte à vitres du salon, et, dans ce salon, les grandes belles dames que j’aimais tant à voir ; une à côté d’un capucin en méditation qui fait contraste, chose que je n’avais pas tant remarquée qu’à présent. Dans l’enfance, les effets de réflexion touchent peu. Nous sortons, nous courons. »

XXX

Elle va à Paris ; elle assiste à tout ; elle soulage tout. — Avant de retourner au Cayla rejoindre son père, elle va passer quelques semaines en Nivernais chez une charmante amie digne d’elle, jeune, belle, lettrée, Mme de Maistre. Elle se lie d’amitié avec cette compagne dont l’âme aimante et mystique a de l’analogie avec la sienne.

Description de journées de joie et d’ennui dans son vieux château du Berry et de quelques courses jusqu’aux neiges de l’Auvergne. Effusions intimes par-ci par-là, qui rappellent l’âme à son nid comme le chalumeau du berger rappelle au bercail le troupeau dispersé.

À cette époque percent çà et là quelques mots qui font entrevoir un goût naissant, mais caché, pour un ami de son frère, M. d’Aurevilly, homme de même race, qui lui donne de temps en temps des nouvelles de son frère et qu’elle semble aimer par reconnaissance. Mais la pitié, tout aimable qu’elle est, n’est pas de l’amour ! Il semble que M. d’Aurevilly avait le cœur engagé ailleurs. On ne sait rien à cet égard, tout flotte dans la pénombre, tout s’évanouit dans le silence et peut-être dans les larmes. — « Pauvre cœur, n’auras-tu pas trop de poids ? — Oh ! le mot ! encore un mot de sainte Thérèse. Ou souffrir ou mourir ! Xavier de Maistre est à Paris, je l’ai vu, je lui écris, je l’aime. » Qui n’eût pas aimé le vieillard de quatre-vingt-cinq ans, dont l’âme avait la naïve jeunesse de vingt-cinq ans ?

XXXI

« Il fut un temps, il y a quelques armées, où la pensée d’écrire à un poète, à un grand nom, m’aurait ravie. Si, quand je lisais Prascovie ou le Lépreux, l’espoir d’en voir l’auteur ou de lui parler m’était venu, j’en aurais eu des enthousiasmes de bonheur. Ô jeunesse ! Et maintenant j’ai vu, écrit et parlé sans émotion, de sang-froid et sans plaisir, ou que bien peu, celui de la curiosité3, le moindre, le dernier dans l’échelle des sensations. Curiosité encore, il faut le dire, un peu décharmée, étonnée seulement de ne voir rien d’étonnant. Un grand homme ressemble tant aux autres hommes ! Aurais-je cru cela, et qu’un Lamartine, un de Maistre, n’eussent pas quelque chose de plus qu’humain. J’avais cru ainsi dans ma naïveté au Cayla, mais Paris m’a ôté cette illusion et bien d’autres. Voilà le mal de voir et de vivre, c’est de laisser toutes les plus jolies choses derrière. »

XXXII

La pensée de l’état de son frère devenu sa propre pensée la suit toujours. On assiste par ce journal à cette permanence du sentiment.

« Si jamais tu lis ceci, mon ami, tu auras l’idée d’une affection permanente, ce quelque chose pour quelqu’un qui vous occupe au coucher, au lever, dans le jour et toujours, qui fait tristesse ou joie, mobile et centre de l’âme. — En lisant un livre de géologie, j’ai rencontré un éléphant fossile découvert dans la Laponie, et une pirogue déterrée dans l’île des Cygnes, en creusant les fondations du pont des Invalides. Me voilà sur l’éléphant, me voilà dans la pirogue, faisant le tour des mers du Nord et de l’île des Cygnes, voyant ces lieux du temps de ces choses : la Laponie chaude, verdoyante et peuplée, non de nains, mais d’hommes beaux et grands, de femmes s’en allant en promenade sur un éléphant, dans ces forêts, sous ces monts pétrifiés aujourd’hui ; et l’île des Cygnes, blanche de fleurs, et de leur duvet, oh ! que je la trouve belle ! Et ses habitants, qui sont-ils ? que font-ils dans ce coin du globe ? Descendant comme nous de l’exilé d’Éden, connaissent-ils sa naissance, sa vie, sa chute, sa lamentable et merveilleuse histoire ; cette Ève pour laquelle il a perdu le ciel, tant de malheur et de bonheur ensemble, tant d’espérances dans la foi, tant de larmes sur leurs enfants, tant et tant de choses que nous savons, que savait peut-être avant nous ce peuple dont il ne reste qu’une planche ? Naufrages de l’humanité que Dieu seul connaît, dont il a caché les débris dans les profondeurs de la terre, comme pour les dérober à notre curiosité ! S’il en laisse voir quelque chose, c’est pour nous apprendre que ce globe est un abîme de malheurs, et que ce qu’on gagne à remuer ses entrailles, c’est d’y découvrir plus de cimetières. La mort est au fond de tout, et on creuse toujours comme qui cherche l’immortalité ! »

Lamartine.