(1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »
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(1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VII. Narrations. — Dialogues. — Dissertations. »

Chapitre VII.
Narrations. — Dialogues. — Dissertations.

Je viens d’indiquer les considérations les plus générales sur lesquelles il faut se guider dans l’ordonnance de la matière qu’on doit développer. Elles suffisent à vrai dire, et si l’on s’en pénètre bien et qu’on en fasse l’application, on donnera toujours une disposition convenable à ce qu’on écrit. Il ne sera pas inutile pourtant d’ajouter ici quelques conseils particuliers sur certaines catégories de sujets, qui peuvent être souvent proposés à des élèves, et qui se ramènent volontiers à certaines formes et à certaines proportions.

Si l’on a des faits, historiques ou imaginaires, à raconter, si l’on fait une narration, une difficulté se présente. Avant même qu’on y ait mis la main, la nature des choses, la réalité impose à ces faits un certain ordre, indépendant à vrai dire de l’intelligence : tout ce qui arrive est nécessairement situé dans l’espace et dans la durée ; de là, selon les sujets, une distribution géographique et un ordre chronologique : souvent l’un et l’autre s’imposent à un même sujet. Cette facilité qui s’offre à l’écrivain de laisser les choses aller selon leur cours naturel et de s’abstenir de les soumettre à un plan original, est une dangereuse et forte tentation. Si le lieu est unique, on déroule tout simplement les faits selon l’ordre des temps : chacun a sa place fixée par sa date. S’il n’y a pas succession de temps, mais dispersion dans l’espace, on va d’un lieu à l’autre, sans s’embarrasser de rien. L’art n’intervient pas. Quand plusieurs actions se développent pendant une certaine durée en des lieux différents, on combine l’un et l’autre ordre : on choisit une unité de temps, d’après laquelle on coupe chaque action en fragments égaux, et l’on montre successivement de petites séries partielles et simultanées, jusqu’à ce qu’on ait épuisé sa matière. Ainsi Tacite, s’imposant la loi de faire l’histoire du monde romain année par année, raconte d’abord l’histoire extérieure, les campagnes, les guerres, les révoltes, puis l’histoire intérieure, les événements du palais impérial, et les affaires du sénat, enfin les menus incidents, les singularités, les circonstances secondaires, ce qu’on peut appeler les faits-divers de la vie romaine : et dans tous ces morceaux juxtaposés, il n’empiète guère d’une année sur l’autre. Ou bien on épuise d’un seul coup chaque série chronologique, et l’on ne quitte chaque localité que lorsque rien n’y doit plus arriver. Ainsi Voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, raconte d’abord toutes les guerres du règne, puis, arrivé à la paix d’Utrecht, revient à l’avènement du roi, pour raconter les anecdotes de la cour et des mœurs du temps, après quoi il reprend encore les choses au début pour développer le gouvernement intérieur, les lois, les réformes, les principes d’administration, les mesures heureuses ou funestes dans chaque département, enfin il finit par exposer chacune des principales disputes religieuses : faisant ainsi non pas une histoire générale du siècle de Louis XIV, mais une dizaine d’histoires spéciales, qui sont simplement mises bout à bout et n’ont d’unité que par le titre unique.

Ce n’est pas ainsi qu’il faut procéder : l’ordre des temps, la division des lieux doivent être un secours et non une tyrannie pour l’écrivain. Il doit y prendre un appui et ne les jamais perdre de vue dans la disposition des faits : mais il les soumettra à son intelligence et fera dominer sur eux l’ordre logique, qui se tire de la nature essentielle des choses et de leur rapport au but suprême de l’œuvre.

On peut appliquer à tout récit, roman ou histoire, long ou court, ce que Fénelon dit en excellents termes du genre historique seulement :

« La principale perfection d’une histoire consiste dans l’ordre et dans l’arrangement. Pour parvenir à ce bel ordre, l’historien doit embrasser et posséder toute son histoire ; il doit la voir tout entière comme d’une seule vue ; il faut qu’il la tourne et qu’il la retourne de tous côtés jusqu’à ce qu’il ait trouvé son vrai point de vue. Il faut en montrer l’unité, et tirer, pour ainsi dire, d’une seule source, tous les principaux événements qui en dépendent : par là il instruit utilement son lecteur, il lui donne le plaisir de prévoir, il l’intéresse, il lui met sous les yeux un système des affaires de chaque temps, il lui débrouille ce qui en doit résulter, il le fait raisonner sans lui faire aucun raisonnement, il lui épargne beaucoup de redites ; il ne le laisse jamais languir, il lui fait même une narration facile à retenir par la liaison des faits…

« Un sec et triste faiseur d’annales ne connaît point d’autre ordre que celui de la chronologie : il répète un fait toutes les fois qu’il a besoin de raconter ce qui tient à ce fait ; il n’ose ni avancer ni reculer aucune narration. Au contraire, l’historien qui a un vrai génie choisit sur vingt endroits celui où un fait sera mieux placé pour répandre la lumière sur tous les autres. Souvent un fait montré par avance de loin débrouille tout ce qui le prépare. Souvent un autre fait sera mieux dans son jour étant mis en arrière : en se présentant plus tard, il viendra plus à propos pour faire naître d’autres événements. C’est ce que Cicéron compare au soin qu’un homme de bon goût prend pour placer de bons tableaux dans un jour avantageux. »

On combinera donc les événements moins selon leur place sensible dans le temps et dans l’espace que selon leur liaison intime. On ne sera l’esclave ni des dates ni des lieux. Qui peut, en lisant les Annales de Tacite comme il les a écrites, prendre une idée claire des guerres de Germanie ou d’Arménie ? Tout ce qui ne commence pas, ne se développe pas, ne s’achève pas dans les limites d’une année, ne laisse qu’une impression confuse, à moins que par un travail qui veut du temps et de la patience on ne rejoigne les tronçons épars de l’événement démembré par la chronologie. D’autre part, à lire Voltaire, on saisit bien l’ensemble des guerres, ou l’ensemble de l’administration financière : mais les rapports de ces parties entre elles, l’action et la réaction réciproques de la politique extérieure, de la politique intérieure, des guerres, de l’administration, de la vie de la cour, comment la situation de la France à chaque année du règne et le développement ultérieur de chaque partie de l’histoire dépendent du développement antérieur de toutes les parties, comment tout vient de tout et aboutit à tout, voilà ce qu’on ignore. Quand on lit l’histoire des guerres, on ne voit que des généraux et des soldats : il n’y a pas autre chose en France : quand on lit l’administration, il n’y a que des bureaux, des commis et des ministres ; la France, semble-t-il, est seule dans le monde et sans voisins.

Entre ces deux excès apparaît la route à suivre. Les séries simultanées de faits ne sont point uniformément parallèles. Elles se rapprochent, se croisent, se confondent, se séparent de nouveau. Il ne s’agit que de choisir quelques-uns de ces points de coïncidence ou d’intersection, en se conformant à la nature intime du sujet et à l’idée maîtresse qui doit tout dominer : ces points donneront les divisions naturelles de la matière. On ira de l’un à l’autre dans chaque série, et ainsi les séries se développeront en se réunissant et en se divisant sans cesse, jusqu’à ce qu’elles aboutissent enfin au dernier point et convergent à la fin de l’ouvrage. C’est ce que font les romanciers quand ils suivent les aventures de plusieurs individus ou de plusieurs groupes : dans la dispersion des actions particulières, il y a de temps à autre comme des nœuds qui resserrent tous les fils : les individus, les groupes se mêlent et se démêlent incessamment, et le sujet, à chaque moment dispersé, à chaque moment rassemblé, reste toujours facile à suivre pour l’esprit qui y trouve l’ordre et la clarté nécessaires.

Dans un sujet simple et court, dans une composition de collège, histoire ou fiction, dont l’unité est toujours stricte et le dessin peu compliqué, la forme la meilleure, la plus maniable et la plus efficace, est la forme dramatique : dialogue à part, bien entendu. Les lois si simples, si exactes de la composition dramatique s’appliqueront à merveille aux narrations qu’on pourra vous donner à développer. Exposer son sujet, c’est-à-dire indiquer le temps, le lieu, toutes les circonstances particulières, présenter les personnages, marquer les caractères, annoncer l’action qui va mettre aux prises ces personnages et ces caractères, en rappelant tous les événements antérieurs qu’il est nécessaire de connaître pour comprendre ce qui va se passer ensuite ; développer le sujet, c’est-à-dire montrer le jeu des caractères, l’évolution des idées et des sentiments, la série des faits qui résultent des états d’âme et qui les modifient aussi, faire agir en un mot et souffrir les personnages, dénouer enfin le sujet, c’est-à-dire pousser l’action et les caractères vers un but où l’une s’achève et les autres se complètent, de telle sorte que le lecteur n’ait plus rien à désirer et que toutes les promesses du début soient remplies, voilà la formule classique de l’œuvre dramatique, qui s’adapte merveilleusement aux conditions des brèves narrations.

Ce caractère dramatique, cette exacte combinaison de détails rapportés à un but unique, et placés pour produira leur plus grand effet, ce progrès constant de l’action, cette rigoureuse analyse des passions, l’appropriation merveilleuse des discours et des faits, la rapidité du développement, la précision des effets, c’est par là surtout que les Fables de La Fontaine ont réussi : si ces qualités ne sont pas plus précieuses en elles-mêmes et plus essentielles que l’imagination pittoresque et le sentiment poétique, elles sont du moins plus utiles ; si elles ne font pas l’auteur plus grand, elles contribuent plus à la fortune du livre. Et elles mettent en valeur les autres qualités. Etudiez les Fables de La Fontaine et prenez M. Taine pour guide7 : vous n’en sauriez choisir de meilleur, ni qui vous fasse mieux saisir comment La Fontaine a composé ses Fables, comment on doit composer toute espèce de récit.

Il faut observer, dans le choix des détails qui exprimeront l’action et les caractères, que tout ce qui est réel et vrai n’est pas à recevoir. Il ne faut prendre que ce qui est significatif. Il y a dans la nature mille traits accidentels, nécessaires, si l’on veut, puisqu’ils sont, mais qui ne disent rien à l’esprit, et qui ne sont que la condition des autres, le fond où ils se détachent. L’homme ne peut vivre sans manger ; ce qui n’empêche pas que, s’il n’y a pas une raison spéciale qui vienne du sujet, on ne fait pas dîner devant nous les héros du roman, ni les personnages de l’histoire. Généralement aussi, nous ne les voyons ni dormir, ni s’habiller, ni tousser ; ils entrent, ou sortent, sans qu’on nous dise qu’ils ouvrent les portes, qu’ils montent ou descendent les escaliers ; quand ils vont dans la rue, il ne nous importe guère de quel côté du trottoir, et ce n’est que par le caprice d’une nouvelle école que nous lisons parfois l’émouvante énumération des rues, quais et boulevards par où passe un homme pour aller de Montrouge aux Batignolles. Sauf toujours le besoin des cas particuliers, cela en soi n’a rien d’intéressant et est en dehors de l’art : cela seul a droit d’entrer dans le récit, qui est expressif, qui contribue à peindre les caractères ou à faire avancer l’action.

Pareillement, quand vous faites parler vos personnages dans une narration, ou que vous avez choisi ou reçu la forme du dialogue, il ne s’agit pas de copier aussi exactement que possible l’allure et le ton d’une conversation réelle. Il y a beaucoup à en retrancher : il faut resserrer, condenser, concentrer. « Quand deux personnes conversent, dit très bien M. Taine, vont-elles droit au but ? Le discours ne traîne-t-il pas en détails interminables ? Si la passion y jaillit, n’est-ce pas une saillie, et si l’éloquence y éclate, un hasard ? À peine trois ou quatre points brillants sur un fond monotone et terne ; le reste n’est que monotonie et confusion. » L’écrivain, dans le dialogue qu’il compose, à l’imitation de la conversation réelle, ne garde que ces points brillants et fait abstraction du reste.

Mais il a beaucoup à ajouter aussi. Quand deux personnes causent, c’est par une série d’allusions : elles savent ce dont elles parlent, elles se connaissent, et un mot en dit long pour chacune d’elles. Même si elles sont étrangères l’une à l’autre, elles n’ont pas le souci de se faire connaître, d’étaler leur caractère. Ainsi, comme elles disent mille choses insignifiantes, elles ne disent pas la plupart des essentielles. L’écrivain doit les dire : il faut qu’il leur fasse dire leur secret, ouvrir le fond de leur âme sans en avoir l’air. De là vient la difficulté que présente à manier la forme du dialogue. S’il suit la réalité, il risque d’être insignifiant, plat, superficiel : s’il tire les idées et les sentiments du fond des cœurs, il devient symbolique, froid, invraisemblable. Car comme on ne se confesse pas au public, et qu’en outre on se connaît mal d’ordinaire, ce qu’on doit dire pour se peindre au lecteur n’est pas ce qu’on dirait dans la réalité. Le dialogue que demandent la logique des événements et la nature intime des individus, n’est pas celui que composent dans le monde les circonstances, les convenances et l’intérêt : ce qui est philosophique et vrai n’a guère l’air de la vie et de la réalité. Le problème à résoudre, délicat, s’il en fut, est de choisir dans le dialogue réel les mots expressifs, de les achever au besoin, et de se servir ainsi de la réalité sensible épurée et modifiée sans violence, pour atteindre et manifester le vrai intime et invisible. Il n’est pas aisé d’y réussir : on voit des hommes de talent, au théâtre, présenter des personnages qui sont à tour de de rôle de plates photographies et des types abstraits, qui tantôt parlent le verbiage insignifiant de leur condition dans le monde, et tantôt proclament la théorie profonde de l’auteur sur leur caractère.

Les écrivains les plus déterminés à serrer de près la réalité font un choix plus large, mais font un choix, pour peu qu’ils soient artistes. Et s’ils font des peintures saisissantes, des dialogues émouvants avec des incidents insignifiants, et des mots inexpressifs, c’est que l’adoption même de ces détails, de ces mots, leur accueil et leur place dans le cadre que l’auteur a tracé, leur donnent une signification d’autant plus profonde, une expression d’autant plus intense, qu’elles sont plus inattendues. La petitesse même des moyens en fait la puissance, et le choix qui en est fait parmi les milliers et les milliers de moyens pareils, également petits et méprisables. Cet homme que nous fait entrevoir le grand romancier Tolstoï, lorsqu’il peint le défilé interminable des blessés de Borodino qui passe sous les yeux de son héros ému et navré, cet homme couché sur le ventre au fond d’une charrette, dans la demi-ombre de la bâche, blessé, on ne sait où ni quand, d’on ne sait quelle blessure, sans visage, sans nom, sans passé, sans avenir, forme obscure et vague un moment devinée et disparue pour jamais : c’est là, semble-t-il, un détail insignifiant ; et pourtant que de pensée, que d’émotion ramassée en ce seul trait ! Quel autre peindrait plus l’horreur de la scène et l’inhumanité de la guerre ? Mais rien n’est plus idéaliste que ce réalisme : ce blessé anonyme et invisible n’était rien : il est devenu pour l’artiste le symbole des milliers d’individus que la même fatalité soumet à la même misère, il les personnifie, les exprime, les évoque. Le grand écrivain n’a pas pris dans la nature le détail expressif : il a créé l’expression par son choix volontaire, qui a exclu tous les autres détails identiques pour en recevoir un seul. La grande différence qu’il y a entre cet art-là et l’art classique ne serait-elle pas que l’art classique choisit le fait suprême, intense, où tous les semblables sont contenus, comme le moins dans le plus ; l’autre, au contraire, l’art réaliste ou naturaliste, quand il ne cesse pas d’être un art, choisit encore, mais choisit le fait moyen, rigoureusement équivalent, identique aux faits de la collection qu’il représente, n’ayant rien de plus, rien de moins, comme une expérience de physique ne doit rien contenir qui ne se retrouve dans toutes les apparitions ou reproductions du phénomène qu’elle manifeste ?

Si vous avez à faire une démonstration, une dissertation, il y aura de même à choisir entre les diverses preuves que vous aurez aperçues. Il va de soi que, si vous avez une raison décisive, incontestable, il ne faudra pas vous amuser à dérouler une série de probabilités ou d’arguments peu concluants. Encore moins faudra-t-il les servir après la preuve qui emporte tout : celle-là dite, il n’y a qu’à conclure, elle dispense des autres. Mais il est rare qu’il y ait cette inégalité entre les arguments qui s’offrent : on choisira alors les plus efficaces et on les disposera autant que possible selon leur degré de force, de façon que les plus décisifs viennent à la fin et terminent toute contestation. Cette gradation est nécessaire à observer : si ce qui précède immédiatement la conclusion était facilement réfutable, le lecteur se révolterait, et la démonstration n’aboutirait pas. Ce qui fait le plus d’effet, c’est ce qu’on lit ou ce qu’on entend en dernier lieu : l’impression en est plus forte sur l’esprit, et la fortune du raisonnement en dépend.

On pourra, selon les matières, se décider pour la forme inductive ou la forme déductive : prouver par l’expérience des faits réels, ou par les conséquences des principes évidents. À l’ordinaire, les deux méthodes peuvent se combiner. Il est bon de contrôler par les faits les conclusions de la théorie ; il est bon aussi d’appuyer les vérités d’expérience sur les principes de la raison. Selon les sujets, selon la force différente de chaque catégorie de preuves, on commencera d’abord par les faits ou par la théorie : de façon que toujours la vraisemblance augmente et fasse place enfin à l’évidence.

Souvent aussi la division exacte entre les preuves de fait et les raisons théoriques ne saurait se faire, et une dissertation n’est qu’un enchaînement continu d’inductions et de déductions, de spéculations et d’observations, qui, par une progression régulière, par une clarté croissante, forment la conviction du lecteur.

Ordinairement la vérité n’est pas si évidente ni si absolue, qu’elle ne puisse être contestée par des arguments sérieux et contredite par une opinion vraisemblable. Il ne suffit pas alors de donner les raisons pour lesquelles on s’est rangé d’un côté : il faut aussi discuter celles qui pourraient engager à passer de l’autre. Il faut prévoir ce qu’on peut dire en faveur de la thèse contraire, et ce qu’on peut dire contre la thèse que vous défendez. Vous êtes donc souvent en présence de trois catégories d’arguments : 1º ceux dont l’adversaire se servira pour établir son opinion ; 2º ceux qu’il emploiera à détruire la vôtre ; 3º ceux qui établissent votre opinion. Ce sont là trois parties naturelles de la démonstration. Comment devront-elles s’ordonner ? Il est clair qu’il faut proposer d’abord la solution ou les solutions de la question que d’autres ont présentées ou peuvent présenter, et que vous ne croyez pas devoir accepter : en les repoussant, vous donnez vos raisons qui réfutent celles qu’on a données pour les autoriser. Puis vous proposez la solution qui vous paraît véritable. Vous écartez les difficultés qui peuvent empêcher de la recevoir, vous réfutez les objections, et quand vous avez ainsi doublement débarrassé et aplani le terrain, vous passez aux preuves directes, positives, décisives. Parfois, vous ne pourrez réfuter les objections et démêler les difficultés qu’après avoir montré les raisons concluantes : il arrive que celles-ci sont nécessaires pour venir à bout de celles-là et qu’il faut les connaître d’abord. Le goût, la justesse d’esprit, la logique en avertissent. Mais il n’est guère possible qu’il ne faille pas démolir la thèse adverse avant d’élever la sienne : c’est une règle qui ne souffre guère d’exception, et l’on peut dire que dans toute question sujette à controverse, où l’on peut répondre sans absurdité : oui ou non, il faut examiner d’abord les raisons qui engagent à répondre oui, quand on doit répondre non, et commencer par les raisons qui sont en faveur du non, quand on doit conclure par le oui. Ce serait favoriser l’adversaire que d’agir autrement et d’intervertir cet ordre.