(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857)

[Bibliographie]

Chansons morales et autres (1815). — Chansons (1821). — Chansons nouvelles (1825). — Chansons inédites (1828). — Chansons nouvelles et dernières (1833).

OPINIONS.

Armand Carrel

Si Béranger n’était pas l’écrivain le plus populaire de l’époque, ce serait certainement l’un des plus ingénieux, des plus instruits, des plus attachants causeurs que l’on puisse rencontrer dans cette société qui l’a beaucoup recherché et qu’il a beaucoup fuie, lui préférant tantôt la retraite, tantôt l’amitié de quelques jeunes gens bons et généreux, enfants de ce peuple dont il est le peintre fidèle et le poète aimé.

[Le National ().]

Benjamin Constant

Béranger fait des odes sublimes quand il ne croit faire que de simples chansons.

[Correspondance ().]

Sainte-Beuve

Les relations de Béranger dans les dix dernières années avec Chateaubriand, avec Lamennais et même avec Lamartine ont été célèbres ; elles sont piquantes quand on songe au point d’où sont partis ces trois hommes. Quand je me les représente en idée tous réunis sous la tonnelle autour de l’auteur de tant de couplets narquois, j’appelle cela le Carnaval de Venise de notre haute littérature. Il faut rendre à Béranger cette justice, qu’il n’a pas, le premier, recherché ces hommes réputés d’abord plus sérieux que lui, qui ne le sont pas, et à aucun desquels il ne le cède par l’esprit. Ils sont venus à lui ; oui, tous, un peu plus tôt, un peu plus tard, ils sont venus reconnaître en sa personne l’esprit du temps, lui rendre foi et hommage, lui donner des gages éclatants…

[Causeries du lundi ().]

Armand de Pontmartin

Je déclare, après avoir relu attentivement l’édition complète des Chansons, qu’au point de vue religieux et politique, M. Béranger a joué le rôle le plus perfide, le plus coupable et le plus vil ; qu’il doit figurer au premier rang de ceux qui ont fait du mal à l’humanité, à leur époque et à leur pays ; que ce mal, il l’a fait sciemment, froidement, non pas par entraînement et par passion… mais avec calcul, en versant la goutte de poison là où il savait qu’elle serait plus corrosive et plus meurtrière et en prenant pour auxiliaire, dans son œuvre criminelle, tout ce que l’esprit de parti a de plus bas, de plus méchant et de plus bête. J’affirme qu’au point de vue moral, non seulement M. Béranger a été corrupteur, mais qu’il a choisi de préférence, dans la corruption, ce côté ignoble et grossier qui n’a rien de commun avec les ardeurs de l’amour et de la jeunesse, mais qui plaît aux libertins de mauvais ton, aux sexagénaires blasés, aux Don Juan de comptoir et d’estaminet.

[Nouvelles causeries littéraires ().]

Proudhon

Béranger appartient à la Révolution, sans nul doute ; il vit de sa vie ; ses chansons, comme les fables de La Fontaine, les comédies de Molière et les contes de Voltaire, ont conquis, parmi le peuple et les hautes classes, une égale célébrité. Et c’est ce qui élève Béranger au-dessus de tous les poètes contemporains : en fait d’art et de poésie, une pareille universalité d’admiration est décisive et dispense de tout autre argument.

[Étude sur Béranger ().]

Ernest Renan

On ne peut nier que son œuvre ne soulève aux yeux du critique une singulière difficulté. La légèreté, chez lui, est réfléchie et voulue. C’était, dit-on, un homme sobre, d’un jugement rare, plein de bons conseils, buvant peu et beaucoup plus prévoyant qu’il ne voudrait le faire croire dans ses chansons. Quand on m’apprend tout cela, je suis presque tenté de m’écrier : Tant pis ! Viveur, je l’eusse placé à côté de ses confrères, représentants de l’antique gaîté, fous de bon aloi, buveurs sincères, qui ne faisaient pas de chansons sociales et philosophiques et ne voyaient rien au-delà de leurs joyeux refrains. Mais si l’on m’apprend que Lisette et le Chambertin ne sont que des figures de rhétorique, que ce chanteur insouciant qui prétend n’avoir d’autres soins que les dîners du caveau et sa maîtresse, a une philosophie, une politique, et, Dieu me pardonne ! une théologie, toute mon esthétique est en désarroi.

Journal des débats (17 décembre ).]

Hippolyte Babou

Le mérite de Béranger consiste, non pas, comme on l’a dit, en ce qu’il a élevé la chanson au niveau de l’ode, mais en ce qu’il a tenté pour la chanson ce que La Fontaine avait tenté pour la fable. Il a inventé la comédie et la satire chantantes, comme La Fontaine avait réalisé l’apologue définitif, l’apologue satirique et comique. Est-ce à dire pour cela que Béranger ait atteint à la hauteur de La Fontaine ? Loin de là ; son génie tenait trop de l’humeur de Franklin et de la verve courante de Voltaire pour être essentiellement un génie poétique.

[Les Poètes français, recueil publié par Eugène Crépet (1861-).]

Goethe

Comme il tourne et façonne un sujet dans son esprit, avant de lui donner la forme définitive ! Puis, quand tout est mûr, quelle finesse, quel talent, quelle ironie, quel persiflage ! Que de cœur, de naïveté et de grâce !

[Entretiens de Goethe et d’Eckermann, traduction ().]

Louis Veuillot

Il a, pour servir ses passions, dégradé la langue comme l’âme du peuple… Il a parodié les paroles de la prière pour outrager les sentiments chrétiens ; il a tourné en ridicule la foi, les sacrements, la pudeur et la mort…

[Mélanges, tome III, 2e série.]

Philarète Chasles

Béranger, qui n’a été qu’un moteur des masses et un Camille Desmoulins en chansons… s’est donné une Lisette, une bouteille et un mirliton : cela faisait partie de son équipage et de son arsenal de conspirateur. Il eut l’air de se griser, il fit semblant d’aimer la fille. Il chanta le grenier dans érotisme ; il aiguisa, polit, compassa et lima, avec un bonheur et une recherche dignes d’Horace, son épicuréisme bourgeois et de commande. Ce fut son triomphe, car il plut à tout le monde.

[Mémoires, tome Ier ().]

Leconte de Lisle

Le génie de Béranger est à coup sur la plus complète des illusions innombrables de ce temps-ci, et celle à laquelle il tient le plus ; aussi ne sera-ce pas un des moindres étonnements de l’avenir, si toutefois l’avenir se préoccupe de questions littéraires, que ce curieux enthousiasme attendri qu’excitent ces odes-chansons qui ne sont ni des odes ni des chansons. L’homme était bon, généreux, honnête. Il est mort plein de jours, en possession d’une immense sympathie publique, et je ne veux, certes, contester aucune de ses vertus domestiques ; mais je nie radicalement le poète aux divers points de vue de la puissance intellectuelle, du sentiment de la nature, de la langue, du style et de l’entente spéciale du vers, dons précieux, nécessaires, que lui avaient refusés tous les dieux, y compris le dieu des bonnes gens, qui, du reste, n’est qu’une divinité de cabaret philanthropique.

[Le Nain jaune ().]