(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fort, Paul (1872-1960) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fort, Paul (1872-1960) »

Fort, Paul (1872-1960)

[Bibliographie]

La Petite Bête (1890). — Plusieurs choses (1894). — Premières lueurs sur la colline (1894). — Presque les doigts aux clefs (1894). — Monnaie de fer (1894). — Il y a là des cris (1895). — Ballades : Ma Légende (1896). — Ballades : La Mer (1896). — Ballades : Les Saisons (1896). — Ballades : Louis XI, curieux homme (1896). — Ballades françaises, 1re série (1897). — Montagne, ballades françaises, 2e série (1898). — Le Roman de Louis XI, ballades françaises, 3e série (1899). — Les Idylles antiques, ballades françaises, 4e série (1900).

OPINIONS.

Léon-Paul Fargue

Premières lueurs sur la colline : L’étonnement, apprenti d’un sens supplémentaire qui débuterait, médiante, d’une croyance d’hier ; d’un excentrique prétexte prématurément doué par une révolution de capitale fonction dans la vie. Dès que blessé du fardeau relayé, le poète s’y devine indiqué seul : et rapacement, que ce soit écrit. Est-il assez content ? Maintenant nous voilà un homme (si l’on débutait éternellement sans s’accoiser). Il sent si frileux, cousu du capuce de pénitent sans faute, honorifiquement lourd, sans tenir chaud ! Transplanter serait donner tare et pèse du pain. — Rêve sans temps au même site, si naïf, que si loin qu’aille le chemineau, sensuelle milice, il ne gagne un pouce sur l’astre auquel il s’acoquine. Or, sous le rouet d’aube, malle-poste, une main convalescente sort d’un lit, au secours du Fatigué d’action timide, tardive, malgré qu’il trébuche, pour se mouvoir en dépit du sommeil devant la ville synoptique. En avènement, il choque le rempart, écolier qui, après l’inscrite borne munificente, chût derrière la colline dans un trône ; roi soudain d’un peuple tourmenté, sans espoir, par coutume d’habitacle. — Se bat avec ses sens, doux relaps ; tâche de tout voir en la plaine convoitée ; cursif avare, glisse et déplore, inscient de la distance, au ciel ciroféraire ; sans abrivent que l’angle obtus, et chante l’effroi rural en faisant souris aux calus, médian tombeau du regard, vacillant et visant la mi-côte du ciel trop parallèle au sol. Si on le savait là, on s’éveillerait plus vite et le chercherait ; car le but est le supplice où l’on viole le droit d’asile du Christ houiller ci-devant ; les ouvrages de défense gourmands ne tolèrent une prémice de bonheur et avancent de la porte Sud. — Or, le guet se dégrade lui-même, belluaire pleurant devant le chrétien. Et le poète plein de cachet qui fait la lecture a converti, stimulé, se donnant lui-même la discipline : c’est la vie.

[Mercure de France (juillet ).]

Tristan Klingsor

Ce que voulut pour le vers Stuart Merrill, Paul Fort le veut pour la prose. Le style des Ballades a les tons merveilleux d’un tableau de Van Eyck ou bien d’un conte de Chaucer. Toutes les nuances de l’arc-en-ciel et toutes les richesses de l’Orient, il les a. Comme chez Gustave Kahn, la phrase chatoie, multicolore et changeante. Parfois, le mot s’irradie subitement, fait place à des teintes plus douces et reparaît de nouveau dans tout son éclat. Ailleurs, ce sera une description d’une luminosité limpide.

Il semble que Paul Fort se rapproche de Gustave Kahn par les images. Dirai-je, en outre, qu’il a des points communs avec Jules Laforgue pour la conception ? Il s’agit d’affinités intellectuelles seulement, cela va sans dire, et non pas d’imitation : l’auteur des Ballades est trop personnel pour qu’on puisse lui faire un pareil reproche. Paul Fort, comme Laforgue, regarde la vie dans quelque miroir légendaire.

[Le Livre d’Art (mars ).]

Francis Vielé-Griffin

M. Fort a pris à travers champs ; sa cueillette est brutale parfois, car il a pris la fleur avec la racine ; il s’est ordonné un bouquet spécieux d’un arôme rustique, où le franc parfum d’une herbe se mêle à l’odeur d’imprimé que dégage le papier dont il protège les tiges. — M. Fort est parfois très obscur et n’aime pas l’alinéa. Nos goûts sont autres.

[Mercure de France (avril ).]

Pierre Louÿs

Les Ballades françaises sont de petits poèmes en vers polymorphes ou en alexandrins familiers, mais qui se plient à la forme normale de la prose, et qui exigent (ceci n’est point négligeable) non pas la diction du vers, mais celle de la prose rythmée. Le seul retour, parfois, de la rime et de l’assonance distingue ce style de la prose lyrique.

Il n’y a pas à s’y tromper, c’est bien un style nouveau. Sans doute, M. Péladan (Queste du Graal) et M. Mendès (Lieder) avaient tenté quelque chose d’approchant, l’un avec une richesse de vocabulaire, l’autre avec une virtuosité de syntaxe, qui espacent aisément les rivaux. En remontant davantage encore dans notre littérature, on trouverait même déjà de curieux essais de strophes en prose… Si la tentative de M. Paul Fort a eu quelques précédents, elle n’en est que plus audacieuse. On trouve d’ailleurs des ancêtres aux méthodes les plus personnelles, et celle-ci serait mauvaise si elle était sans famille.

M. Paul Fort l’a faite sienne par la valeur théorique qu’il lui a donnée ; par l’importance qu’elle affecte dans son œuvre et mieux encore par les développements infiniment variés dont il a démontré qu’elle était susceptible.

[Ballades françaises, préface ().]

François Coppée

M. Paul Fort me rappelle le romantique Aloysius Bertrand dont le livre unique de poèmes en prose est aujourd’hui tombé dans un très injuste oubli. L’imagination de M. Paul Fort, comme celle de son devancier, est brillante et pittoresque ; j’ajoute qu’elle est plus abondante et plus étendue. Il se plaît à écrire de courtes pages d’un art subtil et parfait. Celle-ci donne la sensation d’une image d’Épinal collée au mur d’une auberge de village ; celle-là fait songer à une pierre gravée, à un camée grec, et cette autre est pareille à une feuille de parchemin, ornée et fleurie par le soigneux pinceau de l’imagier. Certainement, nous sommes en droit d’attendre beaucoup de M. Paul Fort, qui possède à un haut degré le sentiment de la légende et de la chanson populaire.

[Le Journal (7 octobre ).]

Henri de Régnier

Ce livre (Ballades françaises) me paraît tout à fait, par rapport à l’œuvre future de M. Paul Fort, ce que furent les Serres chaudes au début de celles de M. Maurice Maeterlinck. De même que M. Maeterlinck y exposait, sous la vivante forme de poèmes, sa méthode d’analogies, qui, développée et mûrie, a donné ses drames et ses essais, ainsi M. Paul Fort offre un vaste répertoire d’images et de pensées. Il y a là, il faut le dire, une abondance singulière et une vitalité puissante, toute la plantureuse confusion d’un esprit qui se cherche et s’exerce dans tous les sens, à travers les zigzags de toutes ses fantaisies, obéissant à des poussées disparates, à des intuitions subites, aux soubresauts d’une verve capricieuse, à tout ce que l’instant fait passer d’émotions, d’images et de rythmes en une âme extraordinairement vibrante et attentive, prompte à les saisir au passage et à en fixer la nuance, la forme ou le mouvement. Il y a là un don remarquable d’expression, une dextérité rare à surprendre l’idée non seulement en sa poussière lumineuse d’aile envolée, mais à la capturer toute palpitante de son vol. En appelant le livre des Ballades françaises de M. Paul Fort un répertoire, j’ai voulu seulement en indiquer un aspect et y voir une sorte de fonds où l’auteur certainement reviendra puiser d’autant plus sûrement qu’il est représenté là par les attitudes les plus diverses de son esprit ; il y donne son prisme mental.

[Mercure de France (mai ).]

Remy de Gourmont

Celui-ci fait des ballades. Il ne faut rien lui demander de plus ou, du moins, présentement. Il fait des ballades et veut en faire encore, en faire toujours. Ces ballades ne ressemblent guère à celles de François Villon ou de M. Laurent Tailhade ; elles ne ressemblent à rien. Typographiées comme de la prose, elles sont écrites en vers et supérieurement mouvementées… Ce poète est une perpétuelle vibration, une machine nerveuse sensible au moindre choc, un cerveau si prompt, que l’émotion, souvent, s’est formulée avant la conscience de l’émotion. Le talent de Paul Fort est une manière de sentir autant qu’une manière de dire.

[Le Livre des masques, 2e série ().]

René Boylesve

Celui qui, à mon sens, a le mieux parlé de Paul Fort, c’est Henry Ghéon, qui l’a comparé à nos cathédrales gothiques. Ceci est d’une magnifique clairvoyance. Aucun autre objet au monde, sinon ces merveilles monumentales de l’art français, ne pourrait lier en une si parfaite unité le sublime au familier, l’élan céleste et les pauvres contorsions de la physionomie humaine. Je crois très réellement voir ressusciter en Paul Fort l’âme ancienne de la France, toute pure, sans mélange aucun : généreuse, ardente, étourdie, éperdue de beaux désirs, ignorante de la conception de beauté qui nous vint plus tard d’Italie, religieuse et maligne, hardie et libre jusqu’à la témérité, avec des frousses, des peurs nerveuses du diable ou de son ombre, enfin spirituelle, facétieuse et familière.

Ne vous sentez-vous pas passer de la dalle où le fidèle se prosterne jusqu’au faite vertigineux des hautes voûtes et à l’éclat des verrières, puis retomber à l’humble posture de l’oraison, dans ces quelques lignes d’une ballade :

« Tout taré que je suis, me voici donc ce simple, devant ta majesté qui me courbe ! et je t’aime de ne plus me comprendre, dans ta foule, ô Forêt, que comme une floraison très pâle seulement.

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« Jalousies, vous naissez. Les chênes et les mousses : voilà des différences dont l’être souffre et meurt.

« On souffre. Les petits étouffent les plus grands, ou les plus grands écrasent… Et que c’est saint, au fond, cette lutte infinie vers la lumière ! Que sais-je ?… C’est la vie que Dieu veut ainsi, non autrement. »

[L’Ermitage (mai ).]

A. Van Bever

Empruntant, sous les contours fallacieux de la prose, la plastique et la rythmique du vers, mêlant aux images les plus transparentes le coloris violent des réalités, l’art de ce poète s’affirme en petits tableaux parfaitement achevés, où l’habileté du peintre ne le cède en rien au lyrisme de l’évocateur.

[Poètes d’aujourd’hui ().]