(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »
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(1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Saint-Pol-Roux (1861-1940) »

Saint-Pol-Roux (1861-1940)

[Bibliographie]

L’Âme noire du Prieur blanc (1893). — Épilogue des Saisons humaines (1893). — Les Reposoirs de la Procession (1894). — La Dame à la Faulx (1899). — La Rose et les Épines du chemin (1901).

OPINIONS.

Charles-Henry Hirsch

Je me borne à seulement dire mon extrême joie d’avoir suivi, avec M. Saint-Pol-Roux, la Procession qu’imagina son rêve, — et mon ravissement au spectacle des splendides reposoirs que son art sincère édifia… Il sera celui qu’il a défini, le Poète : l’entière humanité dans un seul homme, — car il marche, hautain, à la conquête de l’avenir, en semant, avec le geste large des forts, à la volée, le bon grain d’où naîtront des fleurs éternelles comme les pierreries.

Et, d’avoir lu ces pages de clarté, j’ai gardé l’âme éblouie comme au passage d’une gloire lumineuse d’archange, telle qu’on peut la songer d’après l’or, le rouge et le bleu des images naïves, peintes pieusement autrefois.

[Mercure de France (avril ).]

Louis Lormel

L’Univers est une catastrophe tranquille ; le poète démêle, cherche ce qui respire à peine sous les décombres et le ramène à la surface de la vie. Ainsi, en cette note, l’auteur élucide l’œuvre : glose de la Nature, parmi le pèlerinage de la Vie. Et chaque reposoir semble nous offrir le symbole d’une divinité nouvelle. Comme Victor Hugo, M. Saint-Pol-Roux est un panthéiste. Cet éloge semblera faible à vos yeux — bons snobs qui préférez Baudelaire au « génial bafouilleur ». Mais dire que — païen et, malgré son bon vouloir, nullement métaphysique — l’auteur des Reposoirs est notre Victor Hugo, c’est dire qu’il est, à notre sens, de cette demi-douzaine d’écrivains nouveaux qui sont les maîtres du Futur et dont les moins contestés sont Henri de Régnier et… et qui ? Et puis ces poèmes en prose sont d’une langue neuve et bigarrée où tout se traduit en images : style qu’on imiterait mal. (Le portrait en tête du volume : d’un Lohengrin écossais.)

[L’Art littéraire (juin ).]

Camille Mauclair

Un berger ivre de soleil et de thym, mais dont les moutons auraient égaré leurs bêlements sur le chemin de la lumineuse Damas, c’est peut-être tout Saint-Pol-Roux, poète simple à la ferveur gaie, en qui se recèle un adorateur farouche de la Pourpre… Voici un homme au cœur vrai, pour qui le monde visible existe, tumultueux traineur d’images de pierreries dans la sèche politesse de nos logiques latines, j’ai dit ailleurs : le Monticelli des lettres.

[Portraits du prochain siècle ().]

Lucien Muhlfeld

Les Reposoirs de la Procession sont de belles pensées, de belles métaphores, de belles phrases. Ce sont des images, des images riches. Même aux esquisses qu’il s’amuse à rendre, Saint-Pol-Roux met toute sa palette, et quelle palette !

[Revue blanche (février ).]

Emmanuel Signoret

Saint-Pol-Roux n’est point, comme Jean Moréas, un parfait écrivain. Mais je salue en lui toutes les fougues et tout le ruissellement de sang et d’or des hommes de génie. Sa parole est évocatrice et s’épanche — tonnante et éblouie — comme un torrent qui tombe de haut.

[La Plume ().]

Remy de Gourmont

L’un des plus féconds et les plus étonnants inventeurs d’images et de métaphores… Le Pèlerinage de sainte Anne, écrit tout entier en images, est pur de toute souillure, et les métaphores, comme le voulait Théophile Gautier, s’y déroulent multiples, mais logiques et très bien entre elles : c’est le type et la merveille du poème en prose rythmée et assonancée. Dans le même tome, le Nocturne, dédié à M. Huysmans, n’est qu’un vain chapelet d’incohérentes catachrèses : les idées y sont dévorées par une troupe affreuse de bêtes. Mais l’Autopsie de la vieille fille, malgré une faute de ton, mais Calvaire immémorial, mais l’Âme saisissable, sont des chefs-d’œuvre. M. Saint-Pol-Roux joue d’une cythare dont les cordes sont parfois trop tendues : il suffirait d’un tour de clef pour que nos oreilles soient toujours profondément réjouies.

[Le Livre des masques ().]

Edmond Pilon

M. Saint-Pol-Roux a écrit la tragédie de la Mort d’une autre façon que M. Maeterlinck. L’auteur de l’Intruse n’avait fait qu’allusion, celui de la Dame à la Faulx , au contraire, insiste sur la présence effective de la Camarde ; il en fait le personnage réel, palpable, principal de son livre. Ainsi Holbein, peignant, d’un pinceau profond, les bas-reliefs de sa Danse Macabre, ainsi le maître de la Mort de Marie et les naïfs poètes du moyen âge ! Un souffle de désespérance, d’épouvante et de deuil passe sur les chapitres de cette œuvre comme un grand envol d’oiseaux de nuit.

Divine ? Magnus ? Les deux plutôt. La Vie triomphe de la Mort, la Mort de la Vie ; puis la Vie elle-même renaît de la Mort, et c’est le spectacle éternel de Faust à Axël ! Œuvre touffue, ardente, éloquente, lumineuse, tragique, la Dame à la Faulx, plutôt poème dramatique que drame, vaut par une langue d’un rythme heureux se mesurant bien aux épisodes. Certains passages, comme le dialogue de Magnus et de la Dame à travers le huis du Manoir, les scènes de l’Université, du Carnaval, la Kermesse finale de la Mort, sont d’une haute inspiration, d’une sublime portée poétique. Le divin, l’abject, l’éclatant, le sombre, le rire, les larmes, l’espoir, le doute, le meurtre, l’amour, se partagent les multiples scènes de ce grand ouvrage qui en contient de superbes. Ainsi la scène III du sixième tableau où la Communion des Amants :

Simples comme la brise des vallons et de la mer,
Simples comme l’aurore et comme l’eau de source…

Le style imagé, coloré, souple et neuf convient étroitement à ce sujet d’humanité large. La Dame à la Faulx fait époque. Peu louangée actuellement, elle défrayera les propos de la critique future. Nul, depuis Villiers de l’Isle-Adam, n’a donné plus complètement que dans cette œuvre l’impression du « génie ». Ce jugement d’un poète ami est le nôtre aussi. Aussi celui qu’adoptera l’avenir.

[La Vogue ().]

Paul Adam

La Dame à la Faulx marque la plupart des heures historiques, comme dans le symbole naïf des vieilles pendules. Un oiselet, se trompant à voir ce bras sec ainsi qu’une branche d’hiver, s’y perche, puis se réfugie au centre de la cage vide du thorax, pour y palpiter à la place d’un cœur, pour y expirer un parfum de compassion, de joie vivante et d’amour. Qu’un admirable poète, Saint-Pol-Roux, ait inventé cette image et fait, autour, bondir les passions d’une tragédie, c’est un espoir d’humanité rêveuse. La Dame à la Faulx besogne éternellement parmi les œuvres, les peuples, les hommes et les vœux des races, afin de faciliter la tâche des devins.

[Le Journal (16 janvier ).]

Henri Degron

Tout net, il me plaît d’affirmer la Beauté grande de cette œuvre, qui est la manifestation dramatique (théâtre idéaliste) la plus importante de ces quinze dernières années. Cette œuvre fera date — ainsi l’a écrit justement M. Edmond Pilon. — Œuvre humaine, essentiellement d’Amour et de Vie !… Le souffle tragique de Mort qui la traverse dit assez qu’au-dessus d’elle encore, il y a la Beauté, l’immortalité. Nos actions, seules, ne sont rien ; les pensées, seules, demeurent.

Ah ! la Dame à la Faulx n’est pas un livre où toutes les tranches de vie vous sont servies à petites doses, où les faits et gestes d’un chacun… sont notées exactement, psychologiquement… Non, mieux encore, plus grand encore ! car, au milieu d’un décor superbe et d’irréel, des personnages magnifiés passent, se meuvent, parlent, s’aiment et souffrent. Toutes les rafales humaines se déchaînent en ce livre, en lequel murmurent aussi — arpèges très exquis — des bruits de baisers, des musiques de violes, des gouttes de rosée qui tombent !… Ajoutez à cela un style étonnant, extraordinaire ! Vers d’une inouïe beauté, d’une longueur comme sans fin, d’un raccourci charmant, s’entremêlant en un désordre merveilleux. Chaos qui s’ordonne au fur et à mesure que la pensée s’affirme ! Métaphores d’une originalité profonde, images se suivant, se culbutant, pour après s’éteindre sur des phrases en lesquelles ont passé des torrents d’harmonie. Tout un flux, tout un reflux d’ondes jolies et lentes, grondantes et apaisées. Marée montante, d’où émergent les rubis et les émeraudes, et dont les flots aux embruns échevelés battent le phare où brille, fulgure l’étoile de Beauté claire !

[La Plume ().]

Louis Dumur

M. Saint-Pol-Roux est un magicien de l’image. Il a le don, violent comme un instinct, de transformer l’univers en un grouillement prodigieux de phantasmes significatifs. À sa voix, tout s’anime, tout prend corps ; les monstres surgissent de partout, apocalyptiques, hurlant chacun son symbole ; la nature inanimée se gonfle, se tord et, prise d’enfantement, accouche d’une création horrifique ; on s’effare ; on roule de cauchemar en cauchemar ; on se croit dans une autre planète ; et, tout à coup, au brusque déclic d’une métaphore, à un détour de phrase, à un mot, on s’aperçoit qu’il s’agit au fond de choses très simples dans le décor de l’éternelle poésie. L’homme s’appelle Magnus ; la femme, identifiée avec la vie, n’est autre que Divine ; Elle, c’est la mort, la Dame à la Faulx. Le drame se joue entre ces trois entités, grandiose, hallucinant, mais sans autre complexité essentielle que celle qu’on imagine de suite à la seule énonciation des personnages. Magnus aime Divine et va s’unir à elle ; survient la terrible Dame, qui le voit, le Veut, l’envoûte par la séduction de ses divers avatars, et finalement… le fauche. C’est le drame de la mort, et par conséquent, si l’on veut, celui de la vie, mais de la vie toujours en face de la mort, donc seulement celui de la mort, quoi qu’en dise M. Saint-Pol-Roux dans sa préface… Je dirai seulement à ceux qu’étonna déjà la verve estomirante de l’auteur des Reposoirs de la Procession  : lisez la Dame à la Faulx, c’est de beaucoup ce qu’il a fait de plus fort. M. Saint-Pol-Roux est le dernier des grands romantiques, soignons-le. Bürger, le poète de la ballade de Lenore , saluerait en lui son plus authentique disciple, qui le dépasse d’ailleurs de cent coudées — ou plutôt, pour rester dans la note, de cent cubitus.

[Mercure de France (mai ).]