(1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231
/ 1635
(1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

Chapitre XVIII.
Gentils conteurs

Pierre Louÿs. — Rachilde. Marcel Schwob. — Henri de Régnier. — Jean Lorrain. — Ajalbert. — Maizeroy. — Henri Lavedan. — Gyp.

I. — Louÿs

L’heureux auteur d’Aphrodite est mieux qu’un aimable conteur. L’écrivain de telle phrase : « Chacune des femmes étendues avait déjà un compagnon secret dont elle créait le charme à l’image réelle de son désir enfantin » est un écrivain qui, de sa langue, n’a plus rien à apprendre. M. Louÿs renouvelle, en les déformant systématiquement, les aventures classiques. Léda n’avait pas compris que le Cygne l’avait possédée. Un satyre l’avertit : la voilà confuse et malheureuse. Mais le dieu du fleuve Eurotas la fait baigner dans des eaux d’oubli. Elle se rassérène. C’est « à la louange des bienheureuses ténèbres ». L’histoire est contée par le grave Mélandryon à quatre Corynthiennes. « Qu’est-ce que ça veut dire ? » insinue l’une d’elles. Mélandryon répond : « Il ne faut jamais expliquer des symboles, il ne faut jamais les pénétrer… Il ne faut pas déchirer les formes, car elles ne cachent que l’Invisible. » Elles, le cachent, mais alors elles en donnent l’équivalent. La vérité est insaisissable à la raison, mais l’image doit être sensible à notre cœur. Sans quoi, c’est trop facile. Je dis : « La fontaine sinue à travers le bois, et puis la rivière s’étale dans la plaine. » Quoi ? Rien ! Ne touchez pas à la fontaine, ni au bois, ni à la plaine. J’y veux toucher au contraire et qu’on me les ait rendus palpables. Sans quoi c’est l’allégorie dans sa fadaise et le mystère dans sa mystification. Il faut tout l’esprit, le talent et la grâce de M. Pierre Louÿs pour échauffer assez et ennoblir la vanité de son récit. Il n’y a pas de grief personnel dans cette opinion sincère ; personnellement M. Louÿs est le plus fin des conteurs symbolistes, mais je discute âprement l’esthétique de son art et de quelques-uns. Si par délicatesse nous nous détachons du naturalisme, et qu’aux tableaux donc évoqués sans fidélité ni coloris, ni émotion naturiste, nous dénions toute arrière-signification, toute « correspondance » saisissable, que reste-t-il, et est-ce assez ?

II. — Rachilde et Schwob

Madame Rachilde a fait des contes de bien des couleurs. Quelques-unes de ses couleurs familières ont passé de mode, qui furent à l’origine d’une teinte, je me souviens, excitante, cuisse-de-nymphe émue et même pâmée. Du naturalisme léger, elle a passé avec armes et bagages — avec un talent mûr et une plume bien aiguisée — au symbolisme, à ses pompes et à ses chefs-d’œuvre. Au temps du Tiroir de Mimi Corail, on ne pouvait que sourire à la joliesse aguichante des polissonneries Louis XV. Maintenant que le conteur a fini de rire, on peut causer.

Car on ne rit pas du tout, on ne plaisante pas un instant avec le Démon de l’Absurde. Recueil de contes fantastiques, d’un écrivain symboliste. Le fantastique traditionnel se formule en inventions considérables et improbables, à coup de rapprochements imprévus. C’est l’imagination étendue, l’imagination perspective. Le fantastique symboliste serait l’imagination introspective. Soit une série de phénomènes perçus. À leur occasion l’imagination peut s’emballer en un délire de complications et de substitutions. Après des recherches variées, subtiles et infructueuses, je retrouve sur ma cheminée, bien en vue, un papier égaré, et, si j’ai l’imagination d’Allan Poë je combine La Lettre volée. Mais les événements peuvent impressionner autrement un cerveau d’autre exception. Le même incident, un plus simple encore, l’audition d’un craquement de meuble par l’obscurité, peut évoquer, sans raison, c’est-à-dire sans lien logique, une cohue de sensations s’appelant l’une l’autre, courant l’une à l’autre, de plus en plus apeurées et effrayantes. Lisez le Rôdeur. C’est assez le procédé de M. Maurice Maeterlinck que les œuvres de ce dramatiste et les charges des écrivains amuseurs popularisèrent. M. Pierre Veber a su nous donner presque un frisson en imaginant un dialogue de critiques surpris par l’arrêt de l’éclairage électrique en un couloir de théâtre. Mais M. Maeterlinck utilise sa facilité de terrorisation à illustrer les positions sinon les caractères de ses personnages. Madame Rachilde nous donne le fantastique sans plus. Non qu’il n’y ait de la haute raison parmi ses contes, mais elle est indépendante de sa manière de rédiger.

M. Marcel Schwob, le maître conteur de Cœur double, dans une préface ingénieuse, a émis à propos du Démon de l’Absurde deux théories distinctes. D’abord, prenant le mot absurde dans son sens lexicographique, mais déplaçant d’un demi-tour la théorie du consentement universelle, de M. Francisque Sarcey et généralement des gens de bon sens, il s’assure que l’absurde est non le sentiment excentrique d’un indépendant ou d’un réfractaire, mais bien l’opinion même de la multitude. C’est l’avis connu des bons sceptiques. M. Schwob s’étaye d’une assertion de Chamfort : « Il y a à parier que toute idée publique est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre. » Qu’il me permette de rapprocher le sixième Soliloque sceptique de Lamothe le Vayer : « Quand le vulgaire — et la pourpre et le cordon bleu en font partie — a une fois épousé une opinion pour absurde qu’elle soit, il se raidit d’autant plus à la maintenir qu’elle est déraisonnable et absolument opposée à la vérité, qui, n’est ni escoutée, ni comprise par la folle et ignorante multitude. » Tout de même, et malgré l’autorité de Chamfort, de Lamothe et de Marcel Schwob, il n’est pas de sincère exactitude (et aucun historien de mœurs n’admettra) qu’une collectivité choisisse jamais des opinions absurdes, c’est-à-dire à elle fâcheuses. Le fait est que le peuple, y compris la pourpre et le cordon bleu, a été désaccoutumé par force à se faire une opinion ; contrairement à la théorie de Taine, il est avéré que les événements maniés par quelques individus (appelés « grands hommes » dans le vocabulaire de la méthodologie historique) déterminent le plus souvent ses avis intellectuels comme ses mœurs. Et, dans la mesure où il est libre, il ne peut élire que des idées qui arrivent à lui un temps nécessairement longs après leurs conceptions, soit après que la nature des choses les avait suggérées à des penseurs, par conséquent au moment même où les choses qui n’ont garde de stagner imposent à des synthétistes plus récents des philosophies plus adéquates. En définitive, les opinions des multitudes sont imposées ou arriérées plutôt qu’absurdes.

Le second point touché dans la préface de Schwob est l’élucidation de l’Absurde, au sens où l’entend Rachilde, en un sens très admissible et très admis, mais nettement différent du précédent. C’est l’inattendu psychologique. Celui-ci a une valeur objective, il est d’importance et de nécessité puisqu’il existe. Mais il est l’inexplicable, et en ce sens l’absurde. M. Schwob analyse : « Quand nous saisissons des choses leurs rapports de position, nous les classons suivant la cause et l’effet ; quand nous les envisageons suivant leurs relations de ressemblance et de grandeur, nous les classons suivant les idées logiques de notre esprit… on peut imaginer que les choses ont entre elles d’autres rapports que le rapport scientifique et le rapport logique. » Mais on peut même dire qu’elles n’ont ni l’un ni l’autre de ces deux rapports qui sont tous deux des façons subjectives de représentation d’un inconnu. M. Schwob poursuit : « Elles peuvent se rapporter l’une à l’autre en tant qu’elles sont des signes… et il est possible que, les signes étant très différents, les choses signifiées soient très voisines. » (Il est possible, en effet, et ce serait juste assez d’une métaphysique complète pour qu’il fût certain.) Dès lors, les juxtapositions d’anecdotes les plus bizarres deviennent légitimes, de par la logique et la liaison occultes des choses signifiées, dont nos symboles sont les projections disparates. M. Schwob ne dit pas cela brutalement, il demeure dans un style moins scolastique, plus imagé ; mais je ne crois pas trahir sa théorie. Or, je réponds : il n’est pas impossible certes, mais que c’est improbable ! Schwob parlait des rapports des choses ; que sont tous ces rapports ? Des procédés variés d’association d’idées ; la ressemblance, une association ; la position, autre association ! Nous ne savons rien, nous comparons. Dès lors, les évocations inattendues d’un conteur bizarre sont bien moins sans doute les traductions fidèlement et aveuglément inscrites de cohérences inattingibles en leur mystère d’absolu que le dévidement d’un morceau de fil mental où les acquisitions de l’esprit adhèrent en chapelet, suivant des coagulations empiriques, en vertu d’associations de hasard, et de toute la bohème psychologique. — On ne reproche d’ailleurs pas au conteur de dire son chapelet, pourvu que les Aves soient jolis à regarder et d’un bruissement harmonieux. — Tel est assez le cas du Démon de l’Absurde. On louera non seulement cette hyperesthésie féminine que discerna Marcel Schwob, mais une vigueur point soufflée, — malgré quelques roulades et quelques trémolos.

III. — Régnier

Contes à soi-même, dit le titre, des contes adroits et émouvants, des notations de carnet d’une parfaite tenue, des poèmes en prose. Le Sixième mariage de Barbe-Bleue est un bien gentil chef-d’œuvre. Les lecteurs n’ont pas à craindre, bien qu’ils lisent un poète, les descriptions d’une poésie lassante, et les tableaux d’un Télémaque flou. « Le paysage glissait de chaque côté (de la barque) en files d’arbres, en prairies, en feuillages se correspondant ou s’alternant d’un bord à l’autre. Leur double passage reconstituait derrière moi, si je tournais la tête pour les voir, une ordonnance et une surprise nouvelles dont l’aspect se modifiait encore à mesure de mon progrès vers ce qui fournissait à mon changement la matière de sa variété. » C’est la précision même, une précision de myope, qui veut se rendre compte et, à défaut des couleurs, voir nettement les lignes. Même conscience dans les analyses psychologiques ; M. de Régnier alourdira au besoin sa phrase, dans des constructions à la manière de M. Brunetière. Mais encore y inclura-t-il tout ce qu’il y veut mettre, et les petites phrases n’y parviendraient pas, qui disloquent les rapports que la période souligne : « … Car c’est moins le temps qui use nos sentiments que le crédit qu’on leur accorde et, si les raisons d’aimer sont en nous-mêmes, c’est d’autrui d’où proviennent d’ordinaire celles qui font que nous n’aimons plus. »

M. de Régnier est triste, et la mélancolie des Contes qu’il s’est faits à soi-même nuira à leur succès. Moins que leur grisaille, nous regrettons un peu leur excessive personnalité. Le conte est populaire ou n’est pas. Personnalité, et populaire, je m’entends. Jamais, l’on n’a trop de personnalité, — et il ne s’agit pas de rédiger des légendes « pour le peuple ». Mais l’essence du conte est : une histoire débitée par un, parlant à d’autres qui écoutent. Or il ne parle et ils n’écoutent que s’ils aiment à s’émouvoir en commun. Pour soi seul on ne compose point de si longs récits ; un poème en prose, une note sur un album, ou rien du tout, le canapé et le cigare suffisent ; à une exaltation plus forte le poème s’impose et se clame. Le livre de M. de Régnier manquerait un peu de rapidité et de vie. Mais il nous paraît d’une forme plus amusante, plus personnelle et plus réussie que ses recueils de vers. Si j’avais à dire mes préférences, j’avouerais que je préfère ses contes à ses poèmes, et ses articles à ses contes. On ne verra pas ici d’ironie, on sait que les Mains et la Gardienne sont d’un des rares bons poètes d’une génération qui en compte peu. Et puis ces jugements à crans sont si ridicules. France l’écrivait ce matin : « Il en est des strophes des poètes comme des femmes ; rien n’est plus vain que de les louer : la mieux aimée sera toujours la plus belle… »

IV. — Lorrain

Voici un bon écrivain et le meilleur chroniqueur de ce temps. Poète honorable, conteur souvent exquis (lisez Sonyeuse), surtout silhouettiste et dialogueur consommé. Il a dans le journalisme parisien créé bien des genres. Ses premiers Restif de la Bretonne furent d’inoubliables croquis féminins, et tout le vice, toute la fête de Paris y était transcrite sans apprêt ni rature.

Et voici, de Lorrain, la Petite Classe, du Lorrain à point et faisandé. « La Petite classe, dit Barrès, en préface, c’est le nom charmant dont Lorrain, qui y fait figure, baptise ceux et celles qui se piquent d’avoir les opinions, les sensations, les enthousiasmes, les dégoûts, les frissons artistiques les plus neufs… Les plus jeunes, les plus naïfs, les plus séduisants et aussi les plus compliquées élégantes professionnelles, voilà ce qu’est la petite classe, en même temps que son nom souligne fort bien le goût très singulier et très décidé qu’ont les femmes de cet instant pour l’instruction. » Au vrai, je ne crois guère que les petites femmes de Lorrain aient le moindre goût pour les professeurs. Ceux-ci soigneraient mal leur incurable ennui. Elles sont incapables du moindre effort de recueillement. Elles y seraient d’ailleurs ridicules.

Les personnages de ce Tallemant des Réaux archifin de siècle correspondent à un milieu particulier, ni l’aristocratie, ni la finance juive, ni le monde artiste : c’est le clan de la bourgeoisie surmenée, la bourgeoisie très millionnaire et gagnant beaucoup d’argent. Vous voyez à quels salons je fais allusion, maisons assoiffées de plaisirs, de neuf, d’excentrique. M. Lorrain s’est fait l’historiographe appliqué, minutieux, coloriste de ces échauffements. On souhaiterait parfois une pointe plus acérée d’ironie (parce que, après tout, il n’y a que des imbéciles là-dedans), et que l’auteur ne « s’épate » pas lui-même, comme à quelques passages presque naïfs. Tout de même M. Jean Lorrain est, notre meilleur, notre précieux déformateur d’orchidées.

V. — Ajalbert

Dans les Nouvelles qui composent le Cœur gros comme dans les précédentes publiées par M. Ajalbert, on trouve un scepticisme attendri, un réalisme sentimental, une mélancolie boulevardière, bref des contraires savamment dosés en vue de l’émotion distinguée à communiquer. Même le style va de la simplicité grosse de Zola au tortillé de Goncourt et au bâton rompu des vaudevillistes. Seul, le mode d’exposition des récits n’est ni assez imprévu, ni assez piquant. Et peut-être trop de fois lûmes-nous des contes commençant par ces mots : « Chacun avait raconté sa première aventure d’amour… Moi, commença Jacques Vergnieux, etc. » et finissant par : « Jacques s’était tu, Cernesse ne songeait point à railler, et personne n’osait parler le premier dans le silence. » Il faut savoir gré pourtant à M. Ajalbert d’avoir méprisé l’épilogue d’usage : « Jacques alluma un quatrième cigare, s’étendit sur un divan, et considéra gravement les couronnes tremblantes de fumée, sans plus penser à rien, dans la lassitude aiguë de tant de passé remué… » — cet épilogue, n’est-ce pas, que les typographes du Gil-Blas ont toujours tout composé sur le marbre…

VI. — Maizeroy

Autre conteur facile : M. René Maizeroy. M. Maizeroy n’a jamais tiré d’un sac une demi-mouture, mais bien plutôt trois que deux. Dans L’Adorée, roman, il analysait la jalousie ridicule et imméritée qu’inspire une jolie femme à un mari détraqué. Dans En folie, conte, même mari fatigué par des noces antérieures, même jolie femme, mais nuance spéciale de jalousie. Le comte Jacques de X… épouse une petite Élaine, bonne famille, et exquise. Mais sa nuit de noce qu’il escomptait difficile, douloureuse, saignante et écœurante, se passe très bien. Peut-être s’est-elle passée trop bien, digère-t-il. Et alors scrupules, inquiétudes rétrospectives, ridicules des enquêtes, idée fixe dégénérant en folie. L’était-il avant la lettre ? Nous ne le saurons pas. Singulier conte, et reprise imprévue d’un problème que la Grand’Mère de Béranger résolvait d’un sourire gras :

Maman, que lui dit la famille ?
— Rien, mais un mari plus sensé
Eût pu connaître à la coquille
Que l’œuf était déjà cassé.

M. Maizeroy excelle à dissimuler sous le cruellisme morbide des situations le scabreux de ses sujets et le décolleté de ses épisodes. Il a des pages de sensualité vive, en bon français, pas tout à fait moderne, ni très à lui, ni même à Maupassant qui l’avait pris un peu partout, en bon français de l’Exposition de 1878. À cette heure il se répète, en contes abréviatifs des romans d’autrefois. Ses lectrices, vieillies avec lui, lui conservent certainement une estime dont il n’a pas démérité.

VII. — Lavedan

Décomposer avec une minutie sans finesse les soucis d’un oisif gandin, tracer en grossissement ses occupations, détailler en dialogues des recettes pour dissiper le hâle de la mer et attendrir les barbes rétives, n’est pas assez pour faire un bon livre, et Leur beau physique est loin d’être du meilleur Lavedan. Il est vrai que M. Henri Lavedan, que je goûte d’ordinaire, n’a pas pris aujourd’hui grand mal à édifier ce volume, articles du quotidien Le Journal, ni hier à écrire lesdits articles. Telles quelles, dans leur hâte assez distinguée, ces chroniques se laissaient parcourir, au chocolat, et parfois, une fois par colonne, un trait d’observation piquante — c’est-à-dire une invention heureuse, car observe-t-on ? — forçait le sourire. Au volume les répétitions fatiguent, des insuffisances se soulignent, et le vice fondamental de la conception du dandysme qu’a M. Lavedan éclate : il n’y a pas dans toute sa galerie de personnages deux hommes vraiment élégants ; ce ne sont que des maniaques d’une spécialité, le chapeau, la cravate ou la chaussette. (Même, chacun en son genre, ils laissent voir d’étranges défaillances, inaperçues semble-t-il de leur annaliste : Voici le spécialiste du linge, celui qui se fait blanchir en Dauphiné ; il étale son trousseau, et M. Lavedan note : « faux-cols, plastrons, manchettes, etc. » (p. 275) ; j’avais entendu dire que les calicots eux-mêmes n’usaient plus de telles chemises démontables). Ainsi M. Lavedan paraît avoir une idée un peu confuse de l’élégance moderne… Ses bonshommes, il les a faits exprès des crétins prétentieux, et le livre où ils s’agitent, amusant sans doute, est d’un satirique assez snob et guindé. C’est difficile d’écrire du dandysme : Brummel lui-même est de beaucoup le plus pâle écrit de Barbey.

VIII. — Gyp

Gyp est habile manieur et montreur de pantins, les plus pantins, les moins en chair qui soient. Cela atteint à la convention de Guignol, et c’est presque aussi amusant. Des personnages symboliques, à noms typiques, baron Sinaï, Madame de Transpor, Madame de Fryleuse, les Granton, s’agitent en des schèmes de passions, ne montrent que des projections d’aventures, planes, sans émotion, mais en une déformation systématique, saccadée et briseuse. Monde inexistant que le monde de Gyp, mais auquel sa virtuosité a donné une valeur de suggestion créatrice : j’entends que des femmes du dernier tiers de ce siècle ont été, sont, seront des Paulette, insensibles et chercheuses, parce que Gyp leur a fourni cette artistique figuration de l’hystérique. Je le félicite de l’avoir fait dans le français le plus adéquat, le plus collant, le plus digestif, le plus classique (s’il m’est permis d’évoquer, par de justes épithètes, la logique, la plastique, l’hygiène et l’histoire).