(1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »
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(1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

Chapitre II :
La Psychologie

I

L’homme, dit M. Lewes, dans son récent ouvrage238, n’est pas simplement un organisme animal ; c’est aussi une unité dans un organisme social. Sa vie individuelle entre comme élément dans une vie collective. De là deux espèces de moteurs : les uns personnels, égoïstes, animaux ; les autres sympathiques, altruistes, humains.

La psychologie humaine, c’est-à-dire la science du phénomène psychique, doit donc chercher des données dans la biologie et dans la sociologie. La grande erreur commise jusqu’ici a été, ou bien de ne s’occuper que des données de la conscience et de l’observation interne, comme les métaphysiciens ; ou bien de se borner, comme les biologistes, à combiner les données de l’observation interne avec l’interprétation du phénomène nerveux.

Le biologiste qui suit la vraie méthode scientifique accepte la vie, comme un fait dernier, dont il ne cherche que les fadeurs : ses conditions et les lois de sa manifestation. Le psychologiste doit de même accepter la conscience — ou pour parler d’une manière plus précise, la sensibilité — comme un fait ultime, dont il ne peut non plus étudier que les facteurs : ses conditions et ses lois.

Bien longtemps les philosophes ont pensé qu’on pouvait étudier l’esprit en ne s’occupant que très peu de l’organisme dont il dépend. La « méthode intérieure » était supposée suffisante ; même quand la physiologie eut commencé à fournir des indications sur la dépendance des faits mentaux à l’égard des états nerveux, les psychologistes insistèrent sur ce fait que la conscience ne nous dit rien de cette dépendance, et ils en concluaient qu’ils n’avaient rien à faire de la physiologie et de ses lois.

Bien interprété, ce fait que la conscience ne nous dit rien de ses conditions physiologiques aurait dû au contraire être fatal aux prétentions de la méthode intérieure. En fait, la psychologie non éclairée par la biologie ressemble à l’astronomie des Chaldéens, faite sans l’aide des mathématiques. L’observation la plus patiente des astres ne révélera pas plus le secret de leurs mouvements, que l’observation la plus attentive des états de conscience ne découvrira leurs lois. Non seulement des siècles d’une pareille observation resteraient insuffisants ; mais nous savons maintenant que même des faits élémentaires resteraient hors de notre connaissance, nous échapperaient pour toujours, si l’observation ne recevait quelque secours d’ailleurs.

M. Lewes rappelle que, le premier, il a énoncé ce fait physiologique : Le système nerveux est identique partout en propriété et en structure ; fait qui a des conséquences très importantes239 car si la propriété est partout la même, les fonctions dans lesquelles entre cette propriété doivent avoir une identité commune : les différences ne pouvant venir que des divers éléments (muscles, glandes, etc.) sur lesquels agit la névrilité. Par suite, le grand problème de la psychologie, comme section de la biologie, c’est de tirer tous les phénomènes psychiques du processus fondamental d’un tissu vivant. Ce tissu est le tissu nerveux. Ce processus est un groupement d’unités nerveuses. Une unité nerveuse est une vibration (tremor). Plusieurs unités sont groupées en une unité plus haute, en un processus nerveux qui est une fusion de vibrations : chaque processus peut se grouper avec d’autres et de ce groupement de groupes naissent toutes les variétés. Ce qui, par le côté physiologique, est simplement un processus nerveux, par le côté psychologique est un processus sensitif.

Sans prétendre expliquer la conscience qui est, comme nous l’avons vu, le postulat nécessaire de toute psychologie, M. Lewes la représente « comme la masse des ondes stationnaires formées par les ondes individuelles des vibrations nerveuses. »

« Les ondes stationnaires, dit-il, jouent un grand rôle dans les spéculations des physiciens modernes. Voici comment on peut les expliquer. Si la surface d’un lac est mise en mouvement par divers courants qui entrent dans ce lac par plusieurs points, chaque courant répand des ondes sur la surface, celles-ci atteignent finalement le rivage, d’où elles sont réfléchies vers le centre du lac. Les ondes réfléchies rencontrent de nouvelles vagues qui arrivent et le produit des deux est une vague stationnaire, formant pour ainsi dire un patron ou un type sur la surface. Naturellement la forme de ce patron dépend des vagues concourantes. Maintenant, si un nouveau courant entre dans le lac, ses ondes passeront d’abord sur ce patron d’ondes stationnaires sans l’altérer ni être altéré. Mais après avoir atteint le rivage, ces ondes à leur tour seront réfléchies vers le centre, où elles se mêleront aux ondes venues de la même source. Alors il arrivera, selon les circonstances, ou bien qu’elles changeront d’une manière marquée le patron de vagues stationnaires, ou qu’elles ne le modifieront que très légèrement. Ainsi, dans un cas, il y aura un changement appréciable dans la conscience ; dans un autre cas, il n’y en aura pas. »

On ne saurait ici, nous le répétons, essayer une exposition systématique qui ne se trouve pas dans M. Lewes et qu’il ne s’est pas proposée. Nous nous bornerons à grouper, sous les titres suivants, les études psychologiques éparses dans ses livres : nature de la vie, la conscience et ses formes, les actions réflexes, l’instinct, les sensations, le sommeil, l’hérédité.

Avant d’entrer dans cette exposition, indiquons une vue originale sur le « spectre psychologique » que l’auteur propose aux méditations du lecteur. Le spectre optique est constitué par trois couleurs fondamentales — le rouge, le violet, le vert— dues à trois modes de vibration affectant les bâtonnets et les cônes de la rétine. Chaque sensation de couleur particulière dépend de la proportion dans laquelle ces trois modes de vibration affectent la rétine : en d’autres termes, chaque couleur contient toutes les vibrations caractéristiques des autres et ne doit son individualité qu’à la prédominance d’un certain ordre de vibrations. Le spectre psychologique serait de même, d’après M. Lewes, constitué par trois modes fondamentaux d’excitations : la sensation, la pensée, le mouvement. Ces trois genres d’excitations nervoso-musculaires seraient impliqués dans chaque sensation, perception, image, conception, émotion, désir, volition, etc. En un mot, le processus psychique est toujours un processus triple. Chaque processus psychique est le produit d’un travail sensoriel, d’un travail cérébral et d’un travail musculaire. Chaque phénomène ne tire son caractère individuel ou spécifique que de la prédominance de l’un des trois ordres. Chaque état mental est ainsi une fonction de trois variables.

Si l’on combine cette conception avec la loi de Fechner sur le rapport proportionnel de la sensation à l’excitation, le lecteur comprendra peut-être que le calcul puisse être un jour appliqué à la psychologie ; quoique pour le moment, ajoute M. Lewes, les éléments ne puissent être donnés sous une forme adaptée au calcul240.

II

Il faut compter au nombre des infirmités de la pensée, dit M. Lewes241 la tendance de l’esprit humain à réaliser des abstractions, à leur donner une existence objective et indépendante. Un bon exemple de cette tendance est la doctrine jadis populaire du principe vital, qui maintenant disparaît peu à peu.

La vie est le connexus des activités organiques ; c’est un ensemble de divers faits particuliers, abstrait de ces faits et érigé en réalité objective : chaque organe est composé de tissus constituants, chaque tissu a ses éléments constitutifs, chaque élément, chaque tissu a ses propriétés spécifiques, l’activité de chaque organe est la somme de ces propriétés, l’organisme est le connexus de la totalité. La vie n’est donc qu’un concept tiré des faits particuliers. Mais on l’a oublié, et on a réalisé cette abstraction ; on a déclaré que cette résultante est un antécédent nécessaire. On a parlé d’un principe vital, antérieur à toutes les activités organiques et indépendant d’elles. Quoique cette hypothèse ait encore à l’heure actuelle des partisans éminents, il suffit, pour dissiper l’illusion, de résoudre l’abstrait dans les concrets dont il est tiré.

Un lambeau de muscle détaché de l’organisme manifestera toutes ses propriétés vitales, tant que subsistera sa constitution spécifique de muscle, tant qu’il résistera à la désintégration ; il absorbera de l’oxygène, exhalera de l’acide carbonique et se contractera sons un stimulus approprié. Une glande séparée du corps continue d’être un petit laboratoire de changements chimiques, sécrétant comme il sécrétait dans l’organisme. Un nerf détaché du corps continue à manifester sa propriété spécifique de névrilité. Ces phénomènes prouvent que ce que choque partie fait dans l’organisme, chaque partie le fait hors de l’organisme. En d’autres termes, la vie de l’animal est la somme des activités vitales particulières ; elle n’est point la source des phénomènes, mais leur personnification. L’action de la vie est semblable à celle d’un mécanisme et n’en diffère que par la plus grande complication de ses parties et de ses effets.

T

Beaucoup de gens, cependant, répugnent à une pareille conception. La vie leur semble l’antithèse de l’action mécanique. Cette répugnance diminuera si l’on se met bien dans l’esprit qu’entre un mécanisme et un organisme il y a ressemblance, non identité ; que l’organisme est un mécanisme, mais un mécanisme vital, la vitalité étant la source de profondes différences. On a, on général, fixé son attention sur l’ajustement mécanique et l’on a oublié les sensations qui le guident. Sans doute, le mécanisme animal, quand il est mis en jeu, agit comme le mécanisme d’une montre, mais pour le mettre enjeu et l’y maintenir, il faut la présence constante de la sensation. La sensation est une partie nécessaire du mécanisme ; c’est le grand ressort de la montre, le feu de la machine à vapeur. En somme, l’organisme est un mécanisme et il agit mécaniquement, en tant que ses actions sont nécessairement déterminées par rajustement de ses organes ; mais l’organisme diffère du mécanisme en ce qu’il a la sensibilité pour grand ressort et que ses actions dites automatiques sont toutes déterminées par l’impulsion des sensations directrices242.

L’hypothèse d’un principe vital, qui a dominé pendant des siècles et qui est maintenant rejetée par tout le monde, sauf par quelques métaphysiciens et métaphysiologistes, n’était qu’une explication verbale ; elle substituait des mots à des idées. On en peut dire presque autant de la doctrine moderne d’une force vitale ou de forces vitales ; ce n’est aussi qu’une abstraction réalisée243, un terme qui sert à voiler notre ignorance.

Les trois seuls arguments donnés en faveur d’un principe vital qui méritent d’être considérés, sont les suivants : 1° la vie gouverne les affinités chimiques ; 2° la vie précède l’organisation et par conséquent ne peut en être le résultat ; 3° la vie est une unité directrice.

La vie gouverne-t-elle les affinités chimiques ? Rien de plus frappant d’abord que ce fait : un corps vivant conserve sa forme et ne semble pas céder à l’action destructive des agents chimiques ; tandis que, dès que la vie est éteinte, les molécules cèdent à faction des affinités chimiques. Mais en y regardant de plus près, on voit qu’au lieu de dire que les affinités chimiques sont contrôlées par la vitalité, il faut dire qu’il n’y a pas d’action vitale possible, sans l’action incessante et compliquée des affinités chimiques : nutrition, sécrétion, mouvement, tout dépend d’actions chimiques.

La vie précède-t-elle l’organisation ? le mot organisation renferme une ambiguïté ; mais si l’on remarque que par ce mot on entend la totalité des conditions nécessaires, non moins que la constitution organique, on comprendra facilement que la vie est proportionnelle à l’organisation. La vie d’une simple cellule est la totalité des activités de cette cellule. La vie d’un animal d’organisation supérieure est la somme des activités de toutes les forces en jeu, et sa complexité est en proportion de la complexité de l’organisme. La vie donc étant une résultante et variant selon les degrés de l’organisme, on ne peut dire qu’elle précède l’organisation.

Est-elle un principe directeur ? une unité supérieure ? On dit : le corps est un, toutes ses parties sont subordonnées, rassemblées pour former une unité supérieure ; notre conscience nous assure que notre vie est une unité. — Cet argument se fonde sur un fait important, mais qui est mal interprété. Oui, il y a une unité, un consensus dans l’organisme ; mais on ne doit pas l’attribuer à un principe vital, indépendant de l’organisme. Il est dû à la subordination des organes ; toutes les parties ont des rapports ; toutes agissent ensemble par le moyen du système nerveux. Là où il n’y a pas cette connexion des parties, il ne peut y avoir connexion d’organes. Coupons un polype ou un ver en plusieurs morceaux, chaque morceau continuera à vivre et à se développer ; et cependant nous ne pouvons supposer qu’en pareil cas nous avons coupé le principe vital eu plusieurs principes. C’est qu’il y a une vie de chaque partie, et une vie de l’organisme entier ; chaque cellule microscopique a son existence indépendante, fournit sa carriéré de la naissance à la mort, et la totalité de ces vies forme ce que nous appelons la vie de l’animal : l’unité est un agrégat de forces et non une force supérieure.

« Il est, certes, plus philosophique de considérer la vie comme un fait ultime, comme l’une des grandes révélations de l’Inconnaissable, comme l’un des nombreux mystères qui nous environnent… Ne substituons plus les fictions de notre imagination à la place d’une observation respectueuse. Il y a des esprits, sans doute, qui auront de la peine à s’y résigner. Ils semblent craindre que la vie ne soit dépouillée de son sens solennel, si on essaie de l’associer même de loin, aux phénomènes inorganiques. Mais cette crainte naît d’une vue étroite de la nature. C’est parce que notre respect pour la nature n’a pas été bien cultivé ; parce que notre familiarité avec les phénomènes inorganiques a émoussé en nous le sentiment de leur ineffable mystère. Les vestiges du passé de l’humanité, les cités ensevelies de Palmyre, de Ninive, du Yucatan nous émeuvent, soit dans la réalité, soit dans les livres, et nous ne sommes point saisis d’une crainte délicieuse, quand nous parcourons une carrière ou un musée géologique. Cependant le cristal n’est pas moins mystérieux que la plante ; le flux et le reflux des mers ne sont pas moins solennels que le battement du cœur humain. Et si l’observation et l’induction patientes nous ont permis de découvrir quelque chose dans l’ordre de la nature, dans la cristallisation et les marées, sans l’aide de la métaphysique ; elles peuvent aussi nous permettre de comprendre quelque chose aux lois de la vie244. »

III

La théorie de la conscience, dont nous abordons l’étude, est originale à divers égards. L’auteur en se plaçant surtout à un point de vue physiologique, examine la question des perceptions latentes ou insensibles, fort discutée depuis Leibniz, mais qui paraît dans ces derniers temps presque universellement acceptée. Ces infiniment petits de la perception pourraient bien jouer, dans la vie psychologique, un rôle aussi important que les organismes microscopiques dans le monde matériel ; et l’on peut être plus d’une fois surpris de la disproportion qui existe entre ces causes infinitésimales et les conséquences qu’elles engendrent. M. Lewes les accepte ; il distingue même, nous allons le voir, des variétés et comme une hiérarchie de consciences.

L’un des points que notre auteur tient le plus à établir c’est que le sensorium, c’est-à-dire le siège de la sensation et de la conscience, n’est pas limité au cerveau ; que la sensibilité étant la propriété fondamentale du tissu ganglionnaire, inhérente à ce tissu, nous devons considérer le sensorium comme ayant la même extension que les centres nerveux. Il définit donc le sensorium commune : « La somme de tous les centres nerveux, chaque centre étant lui-même un petit sensorium245. » La sensibilité est une propriété histologique et non morphologique ; la disposition de l’organe est donc secondaire. « Cette doctrine diffère de la doctrine courante des physiologistes qui est celle-ci : La sensibilité n’appartient qu’aux centres qui sont dans le crâne ; tous les autres centres ont la propriété de réfléchir seulement les impressions. Par cette réflexion d’impressions, on entend que quand une impression est faite sur un nerf sensitif et transmise par lui à la moelle épinière, là, l’impression est réfléchie en un mouvement ; le nerf moteur transmet l’impulsion à un muscle ; et ainsi réduite une action non suggérée, non accompagnée de sensation quelconque. Je maintiens, au contraire, qu’à moins qu’une impression sur le nerf sensitif n’excite une sensation dans le centre, aucun mouvement n’aura lieu246. »

Dans la doctrine ordinaire, la conscience étant considérée comme ayant son siège dans le cerveau, on admet naturellement que l’impression, tant qu’elle n’atteint pas le cerveau, ne produit aucune sensation ; et si un animal privé de cerveau donne des signes de sensation, les physiologistes soutiennent qu’il n’a point réellement des sensations, mais des impressions sensitives qui produisent des actions réflexes, sans conscience de la part de ranimai.

Le mot conscience a un sens très vague ; le plus général est sensation. Il est indiscutable que nous avons un organisme sensitif, qui est excité incessamment par des stimulus internes et externes, que chacune de ces excitations est une sensation, et que toutes ces sensations doivent être les éléments de la conscience. On admet aussi que parmi ces excitations, celles-là seulement qui sont assez vives pour prédominer sur les myriades d’excitations vagues de l’organisme, sont appelées proprement sensations. On dit que nous en avons conscience ; le reste est considéré comme non existant ; ce sont des impressions inconscientes qui peuvent conduire à l’action, mais ne sont pas des sensations.

Les expressions en apparence contradictoires de « conscience inconsciente », « sensations non senties », souvent employées en pareil cas, n’auraient pas embarrassé la question, si l’on avait nettement distingué entre la sensation et la perception. « La sensation est simplement l’état actif de la sensibilité, laquelle est la propriété du tissu ganglionnaire. » La sensation étant ainsi définie, peut-il y avoir sensation sans perception ?

Il est très certain que nous avons beaucoup de sensations qui ne sont pas du tout perçues et dont nous sommes, comme on dit, totalement inconscients. » Elles sont ou si faibles, ou si familières, ou si bien noyées dans des sensations plus fortes, ou si incapables d’exciter des associations d’idées, que nous n’en sommes pas « conscients » dans le présent et que nous ne pouvons nous les rappeler plus tard. C’est ce qui arrive lorsqu’on dort pendant un sermon ou une lecture : on a la sensation des sons émis par celui qui parle, on n’en a pas la perception. Il n’y a pas à en douter ; car, d’une part, on ne sait pas ce qui a été dit ou lu, et d’autre part, si le lecteur cesse subitement, nous nous éveillons, ce qui montre que nous avions la sensation des sons. M. Lewes raconte que, étant entré dans un restaurant, il y trouva un garçon endormi au milieu du bruit ; qu’il l’appela vainement par son nom et par son prénom, mais dès qu’il eut prononcé le mot « garçon ! » le dormeur s’éveilla. L’amiral Codrington, alors simple aspirant de marine, ne put être tiré d’un profond sommeil que par le mot « signal. » Ces faits, auxquels bien d’autres ressemblent, montrent qu’il peut y avoir sensation sans perception et sensation accompagnée de perception.

« Il y a, je le répète, une malheureuse équivoque de langage qui fait paraître absurde de parler de sensations non perçues. On a tant de fois confondu la perception avec la sensation, parce qu’elles sont constamment mélangées, qu’on s’étonne d’entendre dire que l’une se produit sans l’autre247. En dépit des difficultés verbales, il faut bien nous mettre dans l’esprit que toute excitation d’un centre nerveux quelconque produit une sensation, et que la totalité de ces excitations forme la conscience générale ou sens de l’existence.

« Nous ne voyons pas les étoiles en plein jour, quoiqu’elles brillent. Nous ne voyons pas les rayons du soleil se jouer sur les feuilles dans un jour nébuleux, et cependant ce sont ces rayons qui rendent les feuilles et les autres objets visibles. Il y a une illumination générale venant du soleil et des étoiles ; mais nous y prenons rarement garde, parce que notre attention s’attache aux objets illuminés, plus brillants ou moins brillants que ce jour général. Cela ressemble à la conscience générale qui est composée de la somme des sensations, excitées par l’action incessante et simultanée des stimulus internes et externes. Cela forme pour ainsi dire la lumière du jour de notre existence. Habituellement nous n’y prenons pas garde, parce que notre attention tombe sur ces sensations particulières, plus ou moins intenses, de plaisir et de douleur, qui prédominent sur les objets de ce panorama sensitif. »

« La quantité de lumière qui nous vient des étoiles peut être petite, mais elle existe. L’éclat plus grand du soleil peut rendre inappréciable la lumière stellaire, mais elle n’empêche pas son action. De même, la quantité de sensation qui provient des petits ganglions peut, être inappréciable, en présence des influences prépondérantes des autres centres ; mais quoique inappréciable, elle ne peut être sans action ; elle est une des parties intégrantes de la totalité248. »

Nous pouvons clore ici cette discussion, en rejetant l’hypothèse courante qui veut qu’une sensation n’existe que si elle est perçue, sans quoi elle n’est qu’une pure impression. M. Lewes fait remarquer qu’en distinguant la sensation de la perception, il ne fait pas une distinction purement verbale, qui consisterait à appeler sensation ce que les autres appellent impression. Nullement : par sensation il entend la sensibilité propre à chaque centre. Le naturaliste, dit-il, sait qu’il y a une différence énorme entre le singe et l’huître ; mais il sait aussi que malgré leurs différences, tous les animaux obéissent aux mêmes lois biologiques. Je voudrais voir introduire la même réforme dans notre physiologie du système nerveux, je voudrais voir reconnaître que, malgré les diversités, tous les centres nerveux, en tant que centres, ont des propriétés et des lois en commun.

La conscience, dans son sens général, étant la somme de toutes nos sensibilités, le confluent de plusieurs courants de sensations ; il en résulte que dans les animaux inférieurs, doués d’un système nerveux simple, les phénomènes sensitifs sont simples et qu’à mesure que l’organisation croit en complexité, les phénomènes sensitifs deviennent nécessairement plus complexes, et les éléments de la conscience générale plus nombreux. Ceci conduit à examiner la question des diverses formes de conscience.

L’unité du système nerveux dans tout le règne animal a été généralement reconnue ; mais, chose étrange, on n’en a pas déduit l’unité de conscience. « Les diverses formes de la conscience ou sensibilité peuvent être groupées convenablement sous ces trois titres : 1° Conscience du système (systemic consciousness) ; 2° conscience des sens (sense-C.) ; 3° conscience de la pensée (thought-G.)249. »

La conscience du système, qui nous donne les principaux éléments du sens de l’existence, renferme toutes les sensations naissant du système en général et en particulier des fonctions organiques. A moins d’adopter l’hypothèse de Descartes sur les bêtes-machines, il faut admettre que les animaux plus humbles ont cette forme de la conscience, ceux qui rejettent cette conclusion sont dupes d’une équivoque de langage, qui leur fait supposer qu’il y a quelque élément de pensée renfermé dans la conscience et même dans la sensation. Mais quoique tout animal doive sentir, il ne s’ensuit pas qu’il doive penser. Qu’on remarque, d’ailleurs l’absurdité des conséquences. Si un mollusque n’a pas de sensation, il en sera de même du crustacé. Si le crabe est une machine, de même pour l’abeille, pour le castor, pour l’éléphant, pour le chien, pour le singe. « A moins de jeter la science aux vents, nous devons admettre que tous les animaux sont conscients (ont des sensations) quoiqu’ils n’aient pas chaque forme de conscience. »

La conscience des sens renferme toutes les sensations dérivées des organes des cinq sens.

La conscience de la pensée renferme toutes ces phénomènes de pensée et d’émotion qui regardent plutôt le psychologue. Tout ce que le physiologiste peut faire, c’est d’indiquer les rapports de cette forme de la conscience, avec les forces intérieures et les parties du système nerveux qui lui servent d’organes. Quant à la pensée, nous ne savons pas et ne saurons peut-être jamais ce qu’elle est. Nous ne savons plus ce qu’est la vie. Mais nous pouvons apprendre qu’elles sont les lois de la vie et les lois de la pensée. Au physiologiste la première tâche, au psychologue la seconde.

On s’expliquera ce que la théorie qui précède peut avoir d’insuffisant en se rappelant que M. Lewes n’entend se placer qu’au point de vue physiologique. M. Herbert Spencer et M. Bain nous ont fait pénétrer bien plus avant dans le mécanisme de la conscience humaine, en nous montrant ce double courant d’intégration et de désintégration qui la constitue, cette condition du temps qui s’impose à elle et lui donne la forme d’une succession. Mais M. Lewes nous introduit dans un autre monde, et cet exemple nous paraît propre à montrer ce que nous avons essayé d’établir dans l’introduction ; c’est qu’en psychologie, la méthode subjective et la méthode objective sont aussi nécessaires l’une que l’autre.

IV

Aux considérations qui précèdent sur les sensations inconscientes se rattache étroitement la théorie des actions réflexes. Il est frappant et instructif de remarquer combien la psychologie française s’en est peu occupée. Restreinte aux faits de conscience, elle a fui tout ce qui avait une apparence physiologique. Et tandis que l’humeur envahissante de la physiologie la conduisait à étendre constamment son domaine, et même à en sortir de tout côté, la psychologie, confinée dans d’étroites limites, laissait échapper mainte portion de son domaine, et ne demandait qu’à subsister. Les discussions sur la limite des deux sciences, qui ont rempli la première moitié du xixe  siècle, cherchaient à déterminer des frontières qui n’existent pas. Entre la psychologie et la physiologie, il n’y a pas de limites naturelles. Sans doute un acte purement physiologique (la circulation) diffère totalement d’un acte purement psychologique (un raisonnement déductif) : mais il y a tout un ordre de faits (perceptions insensibles, actions réflexes, instincts, etc.) par lesquels les deux vies se mêlent et se confondent. On aurait moins discuté sur ce sujet, si l’on avait mieux compris que nos divisions sont en grande partie arbitraires, par suite de la continuité des phénomènes ; que l’homme distingue ce que la nature mélange, et que si la science est une analyse, le monde est une synthèse.

L’étude des actions réflexes est la continuation de celle de la conscience. En effet, tandis que dans la théorie courante, le sensorium étant restreint au cerveau, l’action qui a son centre dans la moelle épinière est dite réflexe et considérée comme d’une nature toute différente, la théorie de M. Lewes qui étend le sensorium à tous les centres nerveux, n’admet plus entre l’action du cerveau et celle de la moelle épinière qu’une différence de degré. Établir que la corde spinale est un centre sentant, tel est le but qu’il se propose, en se fondant sur ses propres expériences, sur celle d’autrui et sur les déductions qui en découlent. Il veut « donner le coup final250 » à la théorie de l’action réflexe, à laquelle il n’épargne pas même la raillerie.

La doctrine des écoles, dit-il, est celle-ci : « Les actions nerveuses mentales, les actes de sensation et de volition, ne peuvent avoir lieu sans cerveau251. » Vous tirez sur la queue d’un chien, il crie. « Et le physiologiste qui vous reprocherait d’avoir fait mal à son chien, vous assurera tranquillement que ses cris ne marquent ni douleur ni sensation, quand son cerveau a été enlevé. « Purement réflexe, mon cher monsieur ! » et il sourirait à votre supposition qu’un animal sans cerveau puisse éprouver une sensation252. »

A l’appui de cette doctrine, on cite des faits et des expériences. « Les recherches de Flourens firent époque. Elles étaient vraiment frappantes : les conclusions qu’il en tira furent annoncées dans ce style systématique, tranchant, absolu, qui caractérise les écrivains français » ; de là, leur popularité européenne, malgré les réserves de Müller et de Cuvier. Flourens soutenait que l’animal privé de cerveau perdait toute sensation, toute perception, tout instinct et toute volition. Mais les expériences contraires de Bouillaud, Longet, Dalton ont infirmé ses conclusions.

Ce serait mal me comprendre, dit M. Lewes, que de supposer que je ne considère pas le cerveau comme l’organe principal et dominateur de toute la vie psychique. « J’ai déjà dit qu’il a les fonctions les plus nobles, mais il n’exclut pas la part des autres ganglions à la conscience générale. Les sensations qui viennent des sens et des viscères, il les additionne, les combine, les modifie, et par un mode de transformation profondément mystérieux, les élabore en idées. Il est le généralissime qui contrôle, dirige et inspire les actions de tous les officiers subordonnés. Mais supposer que ces subordonnes n’ont pas aussi leurs fonctions indépendantes, c’est une erreur. Généraux, colonels, capitaines, sergents, caporaux, simples soldats, tous sont des individus comme le généralissime, avec un pouvoir inférieur et des fonctions différentes, selon leurs positions respectives. Mais si le commandant en chef est tué, l’armée a encore ses généraux ; si les généraux sont tués, les régiments ont encore leurs colonels. Bien plus, par un effort énergique, un caporal peut faire tenir ferme à sa compagnie. C’est là la situation de l’animal dont le cerveau a été enlevé ; chaque partie séparée de l’organisme a son général, son colonel, ou son caporal253. »

Tout centre nerveux ayant donc une sensibilité qui lui est propre, « un point fondamental qui me paraît, dit M. Lewes, totalement inadmissible, c’est l’hypothèse que le mécanisme réflexe est indépendant de la sensibilité, que les actions réflexes ont lieu sans sensation 254. » Il ne peut s’empêcher d’exprimer sa surprise sur la faiblesse d’évidence qui sert de base à la célèbre « théorie des actions réflexes255. » Pour prouver que les actions réflexes sont indépendantes de la sensation, il est nécessaire de prouver d’abord que les actions du cordon spinal sont indépendantes de la sensation. Ce qui n’a jamais été prouvé, et a même été posé contre toute évidence256.

Il serait hors de notre sujet, et de notre compétence, de suivre M. Lewes dans sa longue étude sur les actions réflexes ; il nous suffira d’en résumer les points principaux et d’exposer brièvement les raisons sur lesquelles il se fonde, pour établir que la moelle épinière est un centre de sensation :

1° Opinion des physiologistes antérieurs. La doctrine qui reconnaît au cordon spinal des fonctions sensitives, n’est point neuve. Robert Whitt l’a soutenue. Prochaska considérait le cordon spinal comme formant une grande partie du sensorium commune, et il en donnait pour preuve les faits connus de sensibilité, manifestée par des animaux sans tête. J.-J. Sue, père du célèbre romancier, vit que la moelle épinière pouvait, en une certaine mesure, remplacer les fonctions du cerveau. Legallois, Wilson, Philipi, Lallemand, Calmeil arrivèrent à des conclusions analogues, sous diverses formes. Ainsi beaucoup de faits établissant les fonctions sensitives du cordon spinal étaient connus, et même une vague conception de leur sens réel était généralement répandue, jusqu’au moment où la Théorie réflexe vint expliquer ces faits comme le résultat d’un ajustement, mécanique. Mais cette doctrine même n’a pas manqué d’opposants. J.-W. Arnold l’a réfutée. Carus disait ironiquement que le mot réflexe était une clef pour débrouiller toutes les serrures. Schiff soutient que toutes les actions cérébrales, aussi bien que spinales, sont réflexes et dépendent d’un arrangement mécanique257.

Si des considérations historiques nous passons aux faits eux-mêmes, nous pouvons considérer sous deux aspects l’évidence qu’ils nous fournissent : déductivement et inductivement.

2° Evidence déductive. Une ressemblance de structure implique une ressemblance de propriétés, et la substance ganglionnaire du cordon spinal étant d’une nature semblable à la substance ganglionnaire du cerveau, il doit y avoir nécessairement entre les deux une communauté de propriétés. « Le seul fondement pour nier que les actes des animaux décapités sont déterminés par une sensation, c’est que le cerveau ou encéphale est considéré comme l’unique siège de la sensation. Pour expliquer la ressemblance entre les actes de l’animal qui a un cerveau et ceux de l’animal qui n’en a pas, on a inventé une théorie qui dit : ces actions sont réflexes. Mais, dans l’animal sain il y a action réflexe, plus la transmission d’une impression au cerveau, et c’est ce qui produit la sensation ; dans l’animal décapité, nous voyons une action réflexe, moins la transmission au cerveau. »

Un gentleman soutenait, un jour, qu’il n’y avait de mines d’or qu’au Mexique et au Pérou. A l’encontre de son assertion, on lui montre un lingot venant de Californie. Lui, sans se déconcerter le moins du monde : Ce métal, je l’avoue, ressemble extrêmement à l’or ; vous me dites qu’il passe pour tel chez les essayeurs et sur le marché. Je ne le conteste pas. Néanmoins, ce métal n’est pas de l’or, mais de l’auruminium ; il ne peut être de l’or, parce que l’or ne vient que du Mexique et du Pérou.

L’animal décapité se défend, se dérobe aux vexations qu’on lui cause, se débrouille, accomplit plusieurs de ses actions ordinaires ; mais on dit qu’il fait tout cela sans cette sensibilité qui le guiderait, s’il n’était décapité. Ce n’est point de l’or, c’est de l’auruminium.

Dans les îles Fidji, quand un homme va mourir, quelques heures avant sa mort, on porte son corps au dehors. Là quelques-uns peuvent encore manger, parler. Mais pendant tout ce temps, il est réputé mort. Manger, boire, parler, ce sont des actes involontaires du corps, de la coquille vide, comme disent ces insulaires ; mais l’âme est partie, suivant eux. La théorie de l’action réflexe a remis en mémoire à M. Lewes cette bizarre croyance258.

3. Évidence inductive. La spontanéité et le choix sont deux signes palpables, auxquels nous reconnaissons la présence de la sensation et de la volition. Cherchons donc si les animaux décapités manifestent ces signes palpables. Voici d’abord pour la spontanéité. On doit remarquer d’abord, dit M. Lewes, qu’un animal décapité est privé des divers stimulus qu’il peut recevoir par les yeux, les oreilles, l’odorat, lesquels déterminent des mouvements ; il reste donc nécessairement en repos, à moins d’être excité par des sensations viscérales. Il affirme qu’un examen attentif et répété d’animaux décapités fournit une abondante évidence d’actions spontanées259. Passons au choix. M. Lewes soumet un triton sain et vigoureux à diverses expériences. Il le touche, le pince, le brûle avec de l’acide acétique, etc..... Il note soigneusement les actes de l’animal. Puis l’ayant décapité, il le soumet de nouveau aux mêmes expériences ; les réactions de l’animal sont exactement semblables : il cherche à se dérober à la douleur, à se débarrasser de l’acide qui le brûle.

Ces expériences, auxquelles M. Lewes en joint bon nombre d’autres, l’amènent à conclure « que l’évidence de la spontanéité et du choix, de la sensibilité et de la volition ne permet pas de méprise, et que par conséquent le cordon spinal est un centre sentant260. »

4° Examen des objections. Après avoir examiné les raisons et les faits en faveur de la sensibilité de la moelle épinière, il faut voir ce que l’on fait valoir contre elle. Laissons de côté le premier argument tiré de ce préjugé universel que le cerveau est le seul sensorium ; car c’est là une simple pétition de principe. Laissons de côté un second argument, tiré de ce que beaucoup d’actions ont lieu sans éveiller une conscience ou une attention distincte (comme respirer, digérer, etc.). Cet argument ne prouve rien ou prouve trop. Une action peut être sensationnelle, sans produire ce sentiment secondaire, ordinairement appelé « conscience » ; et en ce sens on pourrait même dire que la pensée est inconsciente ; bien plus, que les sensations même le sont. Il reste le cas frappant des maladies ou lésions de la moelle épinière, à la suite desquelles on ne sent rien au-dessous de l’endroit blessé. C’est là le « cheval de bataille » de la théorie réflexe. Je ne conteste aucunement ces faits, dit M. Lewes261, mais je fais remarquer que dans ce cas il se produit une division de l’axe cérébro-spinal en deux centres indépendants. Pour ce qui concerne la sensation et la volition, le malade est comme coupé en deux. En faut-il conclure que la partie inférieure ne sent pas ? Elle sent, mais à sa manière. Si lorsqu’un bras, séparé du corps, est disséqué par l’anatomiste, on voyait les doigts saisir le scalpel, le repousser, ou le pouce essuyer l’acide irritant, je ne vois pas pourquoi on refuserait d’admettre que te bras sent, quoique l’homme ne sente pas. Il en est de même dans le cas de ces malades. Si une jambe est pincée, piquée, l’homme ne sent pas ; mais elle s’agite et se remue. Le segment cérébral possède les organes de la parole et les traits du visage, par lesquels il peut communiquer ses sensations aux autres ; tandis que le segment spinal n’a aucun moyen semblable de communiquer ses sensations. Mais ceux qu’il a, il les emploie.

Nous terminons ici l’exposé sommaire des opinions de notre auteur, sur la doctrine courante des actions réflexes. Peut-être aura-t-elle paru un peu en dehors de notre sujet. Mais la psychologie nouvelle que nous essayons d’exposer ici, d’après ses principaux représentants, embrasse dans la région des faits un domaine bien plus large que la psychologie ordinaire. Elle pense que ces phénomènes obscurs, où la vie psychique commence à peine à poindre, sont à beaucoup d’égards les plus curieux à étudier et les plus féconds.

En résumé, l’action réflexe est un processus de groupement qui fait le fond de tous les phénomènes psychiques. Ses genres les plus élevés sont la sensation et l’action. Nous avons déjà vu que M. Herbert Spencer assigne une place à l’action réflexe dans l’évolution ascendante de la vie psychique : M. Lewes la rapproche de même de l’instinct.

L’instinct, dit-il262, a été souvent invoqué pour prouver la théorie des idées innées ; il sert beaucoup mieux à appuyer la doctrine de l’évolution. Par son caractère merveilleux et mystérieux il est devenu naturellement le sujet favori des adversaires de l’école expérimentale. Mais que nous apprend la psychogenèse sur cette question ? C’est que l’instinct est une expérience organisée, une intelligence non discursive ; en d’autres termes, que dans l’intelligence et dans l’instinct, les processus nerveux et logiques sont les mêmes. Seulement, dans l’intelligence, les opérations sont facultatives, impliquent le choix des moyens pour arriver à une fin ; dans l’instinct, les opérations sont fixées, uniformes, sans hésitation dans le choix des moyens.

Nous pouvons distinguer dans l’organisme trois ordres de phénomènes : 1° ceux qui sont absolument nécessaires, comme la respiration, la sécrétion, etc. ; 2° ceux qui ont admis autrefois une alternative dans le choix des moyens, mais qui sont fixés maintenant, quoique variables encore dans certaines limites (les instincts) ; 3° ceux qui admettent diverses alternatives pour arriver à une fin (actes intellectuels, discursifs).

Le caractère d’uniformité sur lequel on insiste souvent vient naturellement du succès dû aux moyens choisis. L’impulsion ayant été une fois satisfaite par un objet, le choix fait une fois a été fait pour toujours. Mais ce qui prouve que l’objet a bien été en réalité choisi, c’est que si les conditions changent, il ne satisfait plus les impulsions de l’animal ; cet objet est rejeté et un autre cherché à sa place. Bien plus, non-seulement, l’ancien objet est rejeté quand il ne satisfait plus les impulsions, mais un nouvel objet est recherché de préférence s’il offre un caractère agréable. Ainsi, nous voyons dans nos serres, les insectes chercher leur nourriture et leur nid dans des plantes tropicales qui ne peuvent vivre en plein air dans les pays où ces insectes sont nés. Ainsi les plantes indigènes qui ont servi de nourriture et de nid à des générations successives sont négligées pour des plantes nouvelles que l’insecte découvre actuellement pour la première fois. Quiconque a étudié les oiseaux sait bien qu’ils choisissent toujours pour leurs nids les meilleurs matériaux, qu’ils laisseront intacts ceux que leur espèce a l’habitude d’employer, s’ils en ont de plus doux à leur portée. Enfin l’hypothèse du choix est confirmée par ce fait que les instincts sont sujets à des illusions tout comme la raison263.

V

Le reste de l’ouvrage est consacré aux sens et sensations, au sommeil et aux phénomènes d’hérédité.

« Combien de sens avez-vous ? » demande le voyageur de Sirius, dans Voltaire. Et l’habitant de Saturne répond : « Soixante-douze, mais tous les jours nous nous lamentons d’en avoir si peu. » L’Européen a si bien appris à se contenter de cinq sens, qu’il regarde comme une absurdité, d’essayer d’en changer ou d’en augmenter le nombre. Cependant plusieurs physiologistes et psychologistes n’ont pas craint de dire que la réduction de nos sens à cinq est une « idée des plus ridicules »264. M. Lewes pense que c’est une question fort difficile, et qu’il n’y a qu’un profond anatomiste qui puisse déterminer combien nous avons d’organes distincts pour les sens. Il adopte cependant la division suivante :

Sensations venant du système qui comprennent, 1° les sensations organiques, 2° les sensations de surface, qui nous sont données par la peau.

Sensations venant des sens proprement dits et qui comprennent le toucher, le goût, l’odorat, l’ouïe et la vue.

« Je voudrais, dit l’auteur, appeler l’attention sur l’importance psychologique de cette vaste classe de sensations qui ont été appelées sensations venant du système, et que les psychologistes et les physiologistes ont si étrangement négligées. Ils ont donné aux sensations, venant des sens, une part presque exclusive dans la formation de notre activité sensitive, et ont souvent parlé de l’esprit comme étant un pur produit des cinq sens. » L’exemple le plus frappant est la statue de Condillac, et si monstrueuse que soit cette hypothétique statue, elle n’est qu’un développement logique de cette idée, que tout provient des cinq sens externes. « On a essayé de montrer ici que l’esprit est l’aspect psychique de la vie ; qu’il est la somme de l’organisme sensible, tout comme la vie est la somme de l’organisme vital ; que les divers organes peuvent produire séparément des fonctions spéciales, soit vitales, soit mentales, mais qu’on ne peut pas dire qu’il existe un organe exclusif de la vie. Le lecteur peut rejeter cette opinion ; mais elle lui est soumise après bien des années de méditation, et avec cette hésitation naturelle à produire tout ce qui n’est pas susceptible de preuve265. »

Si nous cherchons maintenant266 sous quelles divisions principales peuvent se grouper les phénomènes psychiques, nous trouverons que la classification populaire en sentir et penser, ou esprit et cœur, indique en gros les premiers groupes. Nous pouvons ensuite les décomposer en « six centres, trois pour chaque division. » Dans le premier groupe, nous pouvons mettre les sensations, les perceptions et les idées, qui représentent l’activité intellectuelle. Dans le second groupe nous pouvons mettre les sensations, les instincts, ou appétits, et les émotions qui représentent l’activité morale.

La sensation forme ainsi le point de départ de chaque série. Mais nous avons déjà vu qu’il y a diverses espèces de sensations formant deux groupes principaux : sensations des sens, sensations du système. Les premières ont presque toujours été considérées comme impersonnelles, parce qu’elles nous mettent en relation consciente avec des objets externes, avec le non-moi. Les secondes (sensations des muscles, des viscères) sont au contraire extrêmement personnelles, parce qu’elles ne nous mettent en relation consciente qu’avec ce qui se passe dans notre corps. Les émotions ont leur racine profonde dans notre personnalité.

L’extériorité des sensations des sens et l’intériorité des sensations du système, créent une large ligne de démarcation entre les perceptions qui naissent des unes, et les appétits ou instincts qui naissent des autres ; et celles-ci à leur tour donnent naissance aux diverses formes de sensibilité, connues sous les noms de pensée et d’émotion.

On n’a jamais douté que nos perceptions et idées aient leur origine dans la sensation. Le vieil adage : Nihil est in intellectu , etc... peut être équivoque ; mais il montre ce fait incontestable, que la sensation est la base de toute opération intellectuelle. « Je me sens donc justifié à considérer l’idéation, comme la forme de la sensibilité cérébrale qui est déterminée par les connexions cérébrales avec les ganglions des centres spéciaux. De même, l’émotion peut être considérée comme la forme de sensibilité cérébrale qui est déterminée par les connexions avec les ganglions de sensation des viscères267. » Et ainsi se trouverait justifiée l’opinion populaire qui place dans les « entrailles » la principale source des émotions.

Le sommeil et la transmission héréditaire ont été en France l’objet de travaux si importants et si nombreux, qu’il n’y a pas lieu de nous y arrêter longtemps ; notre but étant surtout de faire connaître les résultats les plus nouveaux de la psychologie anglaise.

Sous le titre de « nouvelle théorie du rêve » M. Lewes explique ce phénomène comme il suit268 :

Les centres nerveux sont mis constamment en activité par divers stimulus, qui entrent par le canal imparfaitement clos des cinq sens, ou mieux encore qui proviennent des états organiques, des sensations du système. Cette activité donne naissance à une suite d’idées, en vertu de la loi d’association. Car c’est une loi de la sensibilité que toute sensation doit se décharger, soit en une action réflexe, soit en un sentiment réflexe, soit dans les deux. De plus, c’est une tendance inévitable de notre nature, de lier toute sensation à une cause externe, de la projeter hors de nous, pour ainsi dire. Dans l’état de veille, rien de plus fréquent que de voir des objets, d’entendre des sons qui ne correspondent à rien de réel. Nous sentons la puanteur horrible d’un égout longtemps après avoir passé hors de sa portée. Un goût amer nous reste dans la bouche, longtemps après que la substance amère a disparu. Pour que ces sensations ne soient pas considérées comme produites par des objets réels, présents, que faut-il ? une confrontation constante avec, les données des autres sens. Si je me laisse aller à la rêverie, je puis bien m’imaginer errer dans les rues de Bagdad ou de Bassora ; mais en ouvrant les yeux, je me retrouve dans mon cabinet et je suis ramené bien vite à la réalité. Dans l’état d’excitation cérébrale appelé hallucination, cette confrontation des diverses données des sens est négligée ; dans l’état d’isolement cérébral nommé rêve, cette confrontation est impossible. Dans l’hallucination, l’activité cérébrale domine complètement toutes les excitations de dehors ; dans le sommeil l’activité cérébrale, quoique faible, est entièrement isolée des excitations externes. Ainsi s’explique le phénomène du rêve et la croyance à la réalité objective de nos idées et de nos sensations.

Cette doctrine, qui s’accorde avec celle des écrivains français les plus autorisés, conduit M. Lewes à résoudre affirmativement la question : Si nous rêvons toujours ? Puisque les centres nerveux sont constamment excités par des stimulus internes ou externes, et que cette activité donne naissance à des suites d’idées, l’induction nous amène à conclure que nous pensons toujours, bien que nous en puissions perdre le souvenir.

On pourra trouver un peu maigre le chapitre consacré à l’hérédité. Mais dans une Physiologie de la vie commune, on ne pouvait guère qu’effleurer ce sujet encore plein d’obscurité et de problèmes. A notre avis, les études sur la transmission héréditaire, considérée au point de vue psychologique, sont destinées à jouer un grand rôle, quand la science sera entrée complètement dans la voie qu’elle ne fait que d’essayer. Nous avons vu M. Herbert Spencer et M. Lewes demander à l’hérédité une solution toute nouvelle sur l’origine des idées. Mais ceux qui refuseraient de les suivre jusque-là et d’admettre que l’hérédité puisse trancher une des questions les plus importantes et les plus controversées de la philosophie, ceux-là même seront pourtant bien obligés d’accorder qu’un grand nombre défaits psychologiques ont leur source dans la transmission héréditaire. Comme il n’y a, je pense, aucun spiritualiste qui veuille met l’influence de l’organisme sur nos tendances, nos passions, nos idées, nos aptitudes, et comme l’organisme est hérité, il faut bien que l’influence de l’hérédité se fasse sentir, au moins médiatement, sur notre constitution psychologique. L’expérience vulgaire a fait depuis longtemps cette découverte ; il reste à la science à la préciser et à l’expliquer. Certaines monstruosités de l’ordre moral, des dépravations précoces, des goûts bizarres, ne semblent explicables que par l’hérédité. Aussi peut-on s’étonner, avec M. Lewes, de voir l’un des plus célèbres historiens philosophes de l’Angleterre, Buchle, soutenir qu’il n’y a dans les cas cités que des coïncidences empiriques, dont on peut faire ce qu’on veut269.

Ceux qui combattent l’hérédité citent des faits qui leur semblent concluants : le fréquent défaut de ressemblance des parents et des enfants, la postérité des hommes de génie si souvent médiocre. Périclès produit un Paralos et un Xanthippos. L’austère Aristide produit l’infâme Lysimaque. Le puissant esprit de Thucydide était-il représenté par un Milésias idiot et un Stéphanos stupide ? La grande âme d’Olivier Cromwell se retrouvait-elle dans son fils Richard ? Qu’étaient les héritiers de Henri IV et de Pierre le Grand ? Qu’étaient les enfants de Shakespeare et les filles de Milton ? Qu’était le fils unique d’Addison ? Un idiot.

Ceux qui soutiennent l’hérédité rétorquent l’argument et disent : Pourquoi ces phrases proverbiales : « l’esprit des Mortemart », « l’esprit des Sheridan », si l’on ne croit à la transmission ? Torquato Tasso était fils d’un père célèbre. On a de même les deux Herschell, les deux Colman, la famille Kemble, les Coleridge. Enfin, l’exemple le plus frappant est celui de Sébastien Bach, dont le génie musical se retrouve, à un degré inférieur, chez trois cents Bach, issus de diverses mères270.

La question de l’hérédité se complique encore quand on recherche s’il est vrai, comme l’ont avancé certains auteurs, que le père donne les organes de la vie animale, et la mère les organes de la vie végétative.

M. Lewes, qui rejette cette opinion, maintient la loi d’hérédité, en faisant remarquer qu’elle est la règle, mais qu’il faut tenir compte des causes perturbatrices qui expliquent les exceptions. La physiologie nous dit que toujours et nécessairement la race hérite de l’organisation des parents ; et que si l’organisation est héritée, il en est de même des tendances et des aptitudes. Notre expérience de l’hérédité est si constante, que rien ne nous paraîtrait plus incroyable que des parents nègres donnant naissance à un enfant ayant les traits d’un Européen, ou que deux moutons produisant une chèvre. Mais tandis qu’il y a constance dans la transmission des caractères généraux, il y a une variation considérable dans la transmission des particularités individuelles. L’enfant peut hériter des deux parents ou de l’un seulement. Nous n’attendons pas que deux scrofuleux engendrent un enfant sain, que des parents irascibles produisent un caractère doux, que deux idiots donnent naissance à un homme de génie. Mais si les aptitudes des parents sont différentes, si le père a du talent pour la musique, et que la mère n’en ait pas, et si deux enfants naissent de ce mariage, il se peut que l’un soit musicien comme son père, l’autre insensible comme sa mère, ou que tous deux soient musiciens, ou qu’aucun ne le soit. On n’aurait pas exagéré la portée des objections, si l’on avait remarqué que l’influence de l’un des deux parents peut détruire celle de l’autre, et que, par suite, les exceptions apparentes à la loi d’hérédité viennent au contraire confirmer cette loi.

Cette question tient à beaucoup d’autres, dit M. Lewes, tout en refusant de les aborder ; et pour ce qui concerne la transmission héréditaire du développement intellectuel et moral, il nous renvoie à M. Herbert Spencer. Il n’est peut-être pas inutile de faire remarquer qu’il y a là un ensemble de faits qui pourraient servir de preuves en faveur de la loi d’évolution, et de la continuité des phénomènes naturels.

En finissant, au risque d’élargir un peu trop notre cadre, nous essayerons d’indiquer par quelle conclusion hardie M. Lewes termine son nouveau livre. Sa thèse, qui est celle de l’identité du mouvement et du fait de conscience, dépasse et à beaucoup d’égards contredit tout ce que Mill, Spencer et Bain ont avancé sur ce point.

L’identité du sujet et de l’objet, dans la sphère du connaissable, est, dit-il, généralement acceptée parmi les philosophes. De même pour l’identité de la matière et de la force. Parmi les physiologistes, on reconnaît aussi que toute sensation est accompagnée d’un processus nerveux. Mais on déclare bien haut qu’entre le mouvement et la sensation (feeling), il n’y a, il ne peut y avoir aucun passage.

Je reconnais, dit l’auteur, que le passage du mouvement à la sensation, que la transformation de l’un en l’autre est inintelligible. Aussi je n’admets pas cette transformation : et quand on me dit qu’une excitation nerveuse en atteignant le cerveau est transformée en sensation, je demande d’où on le sait et comment on le prouve. En fait, on ne le prouve pas.

Il n’est pas étonnant que des concepts aussi dissemblables que ceux de mouvement et de sensation semblent irréductibles à un terme commun, puisque l’un est regardé comme le signe d’un processus dans l’objet, l’autre comme un processus dans le sujet. Mais l’analyse psychologique conduit à cette conclusion que les processus objectifs et subjectifs ne sont que deux aspects d’un seul et même fait : un aspect est le senti, l’autre est le sentant. Je n’entends nullement dire que le changement dans l’existence externe (qui nous est connu comme mouvement) n’a lieu qu’en nous, car je rejette l’hypothèse idéaliste : mais, quel que puisse être ce changement en dehors de la sphère de notre sensibilité, dans cette sphère, il est un mouvement senti et rien de plus. Le mouvement est un fait spécial en termes duquel tous les autres états de conscience sont traduits, quand nous les considérons objectivement. Ayant ce caractère objectif et paraissant être la marque distinctive du non-moi, il est séparé par abstraction de la sensation ; cette abstraction est substantialisée, de sorte que les deux aspects deviennent deux entités qui ne servent qu’à embarrasser les philosophes.

Il importe avant tout de bien concevoir que la distinction logique entre les conditions d’un phénomène et le phénomène lui-même, est simplement un artifice. Il y a là non pas deux choses — d’une part, un groupe de conditions (causes), d’autre part, un résultat (effet) — mais une seule et même chose vue différemment. Ce que nous appelons les conditions, ce sont les facteurs analytiques que nous avons découverts dans le fait. Appliquons ceci à la question qui nous occupe et nous verrons que le processus nerveux n’est pas l’antécédent de la sensation, mais que tous deux sont identiques.

Il est surabondamment prouvé qu’un mouvement externe précède un mouvement interne dans les nerfs sensoriels, que celui-ci précède un processus nerveux ; mais il n’y a absolument aucune preuve que ce processus nerveux précède et produise sa sensation. Si cela était, la loi de conservation de l’énergie serait en défaut, puisqu’un mouvement aboutirait à quelque chose qui n’est ni un mouvement ni un mode de mouvement. Il est aussi absurde de chercher comment une excitation nerveuse se transforme en mouvement musculaire, — comment la contractilité, quand elle est excitée, est liée à une contraction. Cette question ne peut avoir qu’un seul sens : quelles sont les conditions connues du tissu musculaire vivant et les modes de réaction de ce tissu, quand on l’excite ? C’est là une recherche physiologique. Et si, après avoir déterminé ces conditions, nous les isolons dans la pensée, mettant d’une part le tissu, d’autre part l’agent stimulant, assurément rien n’en différera plus que la contraction qui en est le résultat. Mais c’est par un artifice qu’on les isole ainsi ; en réalité, la contraction est identique à ses conditions et n’est rien de surajouté à elles. La seule transformation qui ait lieu ici est celle de certains facteurs analytiques en un fait synthétique.

Il en est de même pour la transformation supposée du processus nerveux en sensation. Ce processus est l’aspect objectif de la sensation. Si la sensation paraît différente de lui, la raison en est simple. Ce caractère d’intériorité qui la distingue rend impossible l’explication de son objectivité, de son extériorité. Quand on essaie de passer de l’une à l’autre, on ne le peut ; il n’y a aucun pont entre ces deux opposés, qui se combattent et s’excluent réciproquement.

Le spiritualiste croit que le mouvement nerveux est perçu par un agent spécial. Mais nous n’avons aucune preuve, quelle qu’elle soit, de l’existence de cet agent. De plus, comme le phénomène de conscience varie avec le phénomène nerveux, outre ces deux quantités qui sont en fonction l’une de l’autre, il n’y a aucune raison d’en admettre une troisième qui n’expliquerait rien.

D’un autre côté, le physiologiste suppose que le mouvement se transforme en sensation, sans spécifier où le nouveau phénomène se produit ; il le laisse flottant dans le vague et se contente de l’appeler un mystère.

Je n’accepte ni l’une ni l’autre de ces explications, dit M. Lewes. Le processus nerveux et le processus sensitif ne sont pas pour moi deux processus, mais deux aspects d’un processus seul et unique.

Il finit par cette conclusion : « Que l’existence — l’absolu — nous est connue dans l’acte de sentir qui, dans son expression la plus abstraite, est changement, externe et interne. Le mouvement est le symbole des changements externes parce qu’il est le mode de sensation dans lequel tous les autres sont traduits, quand on les considère objectivement271. »