(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 407-409
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 407-409

Buffon, [George-Louis le Clere de] Intendant du Jardin Royal des Plantes, de l’Académie Françoise & de celle des Sciences, dont il est Trésorier perpétuel, né à Montbart en Bourgogne, en 17..

On ne peut sans injustice lui refuser le titre d’Interprete de la Nature ; sa mission est trop bien établie. La Nature elle-même semble avoir voulu tenir de lui une nouvelle vie, car elle l’a pourvu des plus heureux talens, pour développer ses ouvrages & les faire admirer. Une imagination brillante, noble, vive ; un esprit lumineux & plein de sagacité ; un pinceau aussi délicat que nerveux, ou, pour mieux dire, la force du burin réunie à la mollesse du pinceau, sont les bienfaits précieux qu’elle lui a prodigués, & dont il a fait un si noble usage. Tous les sujets, tous les genres prennent sous sa plume éloquente les traits qui leur sont propres.

Depuis qu’il a consacré ses travaux à l’Histoire Naturelle, le goût de la Physique s’est considérablement étendu parmi nous. Sa maniere & son style ont su faire goûter aux esprits les plus frivoles une science d’observations, qui n’avoit été négligée, que parce que ses prédécesseurs n’avoient pas eu, comme lui, le talent de la rendre piquante & de l’embellir. Il n’appartient qu’au génie de rendre intéressans les sujets les plus arides par eux-mêmes. Le prestige de sa plume est tel, que ses tableaux deviennent des originaux qui attachent l’esprit & ravissent l’imagination, lors même qu’ils ne sont pas d’accord avec la vérité. Pourroit-on s’étonner, après cela, de voir toute l’Europe s’empresser de recueillir ses Ouvrages, & la gloire de la Langue Françoise passer chez l’Etranger avec les richesses du savoir ?

Nous ne prétendons pas garantir la justesse de toutes les observations de ce sublime Historien ; il a reconnu lui-même qu’il s’étoit égaré quelquefois ; mais on ne peut disconvenir de sa supériorité sur presque tous nos Ecrivains les plus célebres, qui ont trop négligé les graces de l’élocution, pour s’attacher à l’appareil du raisonnement. Les efforts de la raison se sont sentir dans les Ouvrages de la plupart, par la gêne & les convulsions du style : dans l’Histoire Naturelle, l’Ecrivain raisonne & peint tout à la fois.

Si le mauvais goût, qui va toujours en croissant, devient assez général pour ramener la barbarie parmi nous, ses Ouvrages subsisteront dans la Postérité, pour déposer contre son Siecle, & on le regardera comme ces monumens rares, élevés dans des temps de décadence, qui néanmoins sont les restes précieux & les images augustes des temps de perfection qui les avoient précédés.