(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 190-194
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 190-194

Saint-Didier, [Ignace-François Limojon de] né à Avignon en 1668, mort dans la même ville en 1739, cultiva la Poésie Provençale avec succès, & auroit pu également réussir dans la Poésie Françoise, s’il eût eu plus de goût & des amis prompts à le censurer. Il étoit né avec des talens : trop de facilité en fut l’écueil. Il a eu cela de commun avec bien des Auteurs.

Son début dans la carriere poétique fut marqué par des prix remportés dans différentes Académies ; ce qui prouveroit peu en faveur de sa Muse, sans les autres Ouvrages de Poésie qu’il a composés. Nous ne parlerons pas de celui qui a pour titre, Voyage du Parnasse, où l’esprit de satire animant sa fécondité naturelle, l’a entraîné au delà des bornes de la précision & du bon goût ; nous ne nous attacherons qu’à son Poëme de Clovis. Quoique nous n’en ayons que les huit premiers Chants, ce Poëme mérite une considération particuliere, par ses rapports avec plusieurs traits de la Henriade, & par les morceaux heureux qu’on y rencontre. Cet Ouvrage, entre les mains de M. de Voltaire, est devenu, malgré sa médiocrité, une mine féconde, dont il a su tirer un grand parti. On peut d’abord en juger par l’invocation de la Henriade, dont la tournure est la même que celle de Clovis :

Muse, qui ceins ton front d’une immortelle gloire,
Qui, plaçant les grands noms au Temple de Mémoire,
Des outrages du temps affranchis les Guerriers,
Couronne mon Héros de tes plus beaux lauriers.
…………..
Ose répandre encor sur ces vérités saintes,
Les voiles enchanteurs de tes images feintes ;
La noble fiction, en flattant les Esprits,
Charme & conduit au vrai par des chemins fleuris,
Orne la vérité des attraits de la Fable,
Et l’offre à nos regards plus belle & plus aimable.

Nous ne nous attacherons point à tous les morceaux de ressemblance : la discussion en seroit trop étendue pour les bornes de cet article. Il suffit de faire remarquer que c’est dans ce Poëme oublié que M. de Voltaire a pris l’idée du Songe d’Henri IV, où S. Louis fait voir à ce Héros les Princes qui doivent un jour lui succéder. Le Lecteur va être à portée d’en décider lui-même.

Dans le huitieme Chant de Clovis, un vénérable Druide conduit ce premier Roi des Francs dans le Temple de la Gloire, & le fait passer, pour y aller, par un antre mystérieux, où,

Sur les pas de Clovis s’offrent de toutes parts
Des Monstres dont l’aspect étonne ses regards.
Tous semblent s’opposer à l’ardeur qui le guide :
Il veut armer son bras ; mais le sage Druide
Arrête ce transport, & lui parle en ces mots :
Apprends que la Vertu forme seule un Héros.
Tu vois le fol Orgueil, la farouche Licence,
La basse Flatterie & l’aveugle Vengeance ;
Ici l’Ambition, mere des attentats,
Semble exciter la guerre à courir sur ses pas ;
Plus loin, l’Impiété de la Fraude est suivie ;
L’Injustice & la Haine accompagnent l’Envie ;
Tous les Monstres enfin, surveillans assidus,
Qui des Palais des Rois écartent les vertus.
Mais quel objet t’arrête ! A sa fatale vue,
D’un plaisir séducteur tu sens ton ame émue :
Cet Enfant est pour nous un plus grand ennemi
Que ces Monstres hideux dont ton ame a frémi.
Fuis, ne t’expose plus au pouvoir de ses charmes.
L’amour trempe ses traits dans le sang, dans les larmes.
D’autant plus dangereux, qu’il est moins redouté,
Une feinte douceur cache sa cruauté ;
Le perside amollit les plus fermes courages,
Du Temple de la Gloire assiége les passages,
Et soufflant dans le sein une coupable ardeur,
Des grandes actions obscurcit la splendeur ;
Il dort entre les bras d’une oisive mollesse ;
Les Remords dévorans, la Douleur vengeresse,
Implacables Enfans des lâches Voluptés,
Cherchent à s’emparer des cœurs qu’il a domptés.
Souviens-toi que le Ciel cache sous ces images
Des leçons pour régner aussi grandes que sages,
T’apprend que les efforts illustrent les Guerriers,
Et que, sans les travaux, il n’est point de lauriers.
Mais ne te flatte point d’un triomphe facile ;
Ici le fer te prête un secours inutile.
Contre ces ennemis que sert d’armer ton bras ?
C’est le cœur qui contre eux doit livrer des combats :
L’homme porte par-tout ces monstres dans lui-même :
Il faut, pour les dompter, une vertu suprême,
C’est-là l’unique gloire ; un Prince généreux
Doit, par de tels combats, rendre son Peuple heureux.
Soudain d’un nouveau Ciel la lumiere éclatante
Offre aux yeux de Clovis une plaine riante….

C’est dans cette plaine qu’est situé le Temple de la Gloire. Clovis y est introduit par le sage Druide, qui offre à ses regards, comme S. Louis à Henri IV, le tableau de tous les Rois de France qui doivent un jour y occuper une place. On voit par-là que l’Imitateur a eu peu de peine à suivre un pareil canevas. Le caractere de chaque Roi & de chaque Guerrier qui devoit s’illustrer sous les regnes suivans, est assez bien saisi. Les Portraits d’Henri IV, de Louis XIII, de Richelieu, de Louis XIV, sont sur-tout bien dessinés & frappans. On ne peut s’empêcher d’admirer les quatre Vers qui terminent celui de Louis XIV : M. de Voltaire n’en a pas de mieux frappés.

Que ses hautes vertus font naître de Grands Hommes !
Les exemples des Rois nous font ce que nous sommes ;
Tout cherche à s’élever, quand ils sont généreux ;
Sont-ils foibles ? tout rampe & languit avec eux.