(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512
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(1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

Voltaire, [Marie-François Arouet de] de l’Académie Françoise, & de presque toutes les Sociétés Littéraires de l’Europe, né à Paris en 1694, mort dans la même Ville en 1778.

De grands talens, & l’abus de ces talens porté aux derniers exès : des traits dignes d’admiration, une licence monstrueuse : des lumieres capables d’honorer son Siecle, des travers qui en sont la honte : des sentimens qui ennoblissent l’humanité, des foiblesses qui la degradent : tous les charmes de l’esprit, & toutes les petitesses des passions : l’imagination la plus brillante, le langage le plus cynique & le plus révoltant : de la philosophie, & de l’absurdité : la variété de l’érudition, & les bévues de l’ignorance : une poésie riche, & des plagiats manifestes : de beaux Ouvrages, & des Productions odieuses : de la hardiesse, & une basse adulation : des leçons de vertu, & l’apologie du vice : des anathêmes contre l’envie, & l’envie avec tous ses accès : des protestations de zele pour la vérité, & tous les artifices de la mauvaise foi : l’enthousiasme de la tolérance, & les emportemens de la persécution : des hommages à la Religion, & des blasphêmes : des marques publiques de repentir, & une mort scandaleuse ; telles sont les étonnantes contrariétés, qui, dans un Siecle moins conséquent que le nôtre, décideront du rang que cet Homme unique doit occuper dans l’ordre des talens & dans celui de la Société.

Une admiration outrée lui a prodigué autant de louanges, que le zele & la bonne critique ont enfanté de censures contre lui. Ses succès dans quelques genres, lui ont procuré des suffrages qu’il ne méritoit pas dans d’autres. Les lumieres du discernement ont été éclipsées par les transports de l’enthousiasme, & on aura peine à croire jusqu’à quel point cette espece de fanatisme a poussé son aveuglement. En un mot, malgré tant de disparates capables de faire ouvrir les yeux, tout ce que cet Ecrivain a produit, a été accueilli, cru, préconisé ; il est devenu l’idole de son Siecle, & son empire sur les Esprits foibles ne sauroit être mieux comparé qu’à celui du grand Lama, dont on révere, comme chacun sait, jusqu’aux plus vils excrémens.

La Postérité est également à l’abri de la séduction & de la partialité ; elle sait apprécier les beautés, démêler les défauts, modérer les louanges, fixer les degrés de gloire & de blâme. Le vrai moyen de juger M. de Voltaire est donc de se transporter dans l’avenir ; de se mettre à la place de nos Descendans ; de leur supposer des lumieres, du goût, de l’honnêteté ; & de prononcer ensuite, en tâchant d’être leur organe.

Nous ne nous proposons pas d'analyser les différens travaux de cette espece d'Hercule littéraire. L'Epopée, la Tragédie, la Comédie, l'Opéra, l'Ode, la Poésie légere, tous les genres de Poésie ont été de son ressort. Dans la Prose : Historien, Philosophe, Dissertateur, Politique, Moraliste, Commentateur, Critique, Romancier, sa plume s'est exercée sur tout. Examinons avec quels succès, en défiant quiconque d'oser nous taxer avec fondement de méconnoître ce qu'il y a de bon dans cet Ecrivain, ou d'outrer la censure contre ce qu'il y a de mauvais.

 

La Henriade peut, sans contredit, être regardé comme un chef-d'œuvre de Poésie, pourvu qu'on n'exige, dans un Poëme, que la richesse du coloris, l'harmonie de la versification, la noblesse des pensées, la vivacité des images, la rapidité du style. A cet égard, cet Ouvrage l'emporte sur tout ce que les Muses Françoises ont pu produire jusqu'à ce jour de plus brillant. Mais ces qualités, quelque éminentes qu'elles soient, suffisent-elles pour l'élever à la hauteur du Poëme épique ? Cet intérêt, fruit de l'art & du génie ; cet heureux tissu de fictions ; ces combinaisons d'incidens qui saisissent & captivent l'ame du Lecteur, la tiennent dans un enchantement continuel, & la conduisent au dénouement, à travers une inépuisable variété de sensations ; où les trouve-t-on dans M. de Voltaire ? La magie des Grands Maîtres a toujours consisté dans ces puissans ressorts ; c'est en les maniant avec habileté, qu'ils se sont élevés au dessus de la sphere des Esprits ordinaires, & ont donné à leurs Ouvrages ce germe d'immortalité qui les rend précieux à tous les Peuples & à tous les Siecles.

S'il est vrai, comme l'a dit un grand Poëte*, que le plus ou le moins d'invention & d'intérêt soit ce qui distingue & subordonne entre eux les Hommes célebres ; on sera forcé de convenir, qu'à ce titre M. de Voltaire ne pourra soutenir de comparaison avec les Poëtes qui l'ont précédé. Seroit-ce en effet un paradoxe d'avancer que son Héros n'intéresse que parce qu'il est Henri IV, c'est-à-dire, un Roi dont le nom, chéri de toutes les Nations, adoré dans la sienne, parle à tout le monde en sa faveur ? Pour peu qu'on y fasse réflexion, on trouvera que c'est peut-être à cet avantage que la Henriade a dû son succès ; avantage que n'ont pas eu les autres Poëtes, qui ont été obliges de créer leur Personnage principal, & tous les événement de leur Poëme. De quelles ressources d'imagination n'ont-ils pas eu besoin pour lui intéresser au sort de leur Héros, pour lui concilier successivement l'admiration, l'amour, tous les sentimens dont une ame sensible est capable ! Dans la Henriade, le Monarque François est toujours heureux ou au moment de l'être ; aussi est-on rarement dans le cas d'éprouver pour lui ces alternatives de crainte & d'espérance, ces intéressantes perplexités, qui font tour-à-tour partager les disgraces & goûter les triomphes. Par-là, malgré les graces de son élocution, le Poëte tombe dans une monotonie insipide, & cette monotonie produit un ennui invincible, comme on l'a déjà* remarqué.

Tout, au contraire, est varié dans l'Iliade, tout y respire, tout y est en action. S'agit-il d'un Conseil, d'une Bataille ou de quelque autre événement ? ce n'est pas le Poëte qui raconte : il rapproche les objets, il les rend présens, le Lecteur devient un témoin qui voit & écoute ; l'imagination d'Homere entraîne la sienne, toutes les fois qu'il lui présente de nouveaux tableaux, & ces tableaux varient à l'infini.

Le ton de la Henriade est sans doute noble, animé, toujours élégant, mais trop narratif. Point de ces douces illusions qui vous mettent à la place du Personnage qui parle ou qui agit ; aucuns transports de cet enthousiasme, de cette ardente vigueur d'une ame enflammée qui maîtrise les autres ames ; aucune éruption imprévue de ce beau feu qui fait taire la critique, lors même qu'elle trouve à condamner dans ces écarts. Virgile étoit moins animé de ce beau feu, qu'Homere : il y supplée par l'éclat, la constance & l'égalité. Stace & Lucain n'en ont produit que des étincelles, mais ces étincelles donnent au moins par intervalles de la chaleur & de la clarté. Chez Milton, c'est un volcan qui embrase & consume tout. Le Tasse a su mieux modérer son essor, sans lui rien faire perdre sous le joug de l'Art qui le conduit. Le feu du Chantre d'Henri IV n'a d'autre effet que celui d'éblouir ; il pétille, il éclate ; jamais il n'échauffe & ne transporte.

Seroit-ce encore un excès de sévérité, que de reprocher à M. de Voltaire de s'être trop délecté à prodiguer les Portraits ; de n'avoir pas répandu dans ces Portraits assez de variété ; de les dessiner tous de la même maniere ; de les peindre des mêmes couleurs ; de n'y avoir ménagé d'autre contraste que celui des antitheses ; de les terminer constamment par des pointes ou des sentences ; d'oublier ensuite, dans le cours de l'action, l'idée qu'il a donnée de ses Personnages, pour les laisser agir au hasard, sans aucune conformité avec le caractere sous lequel il les annoncés ?

Les grands Poëtes sont bien éloignés de ce défaut. Au lieu de s'amuser à faire le portrait de leurs Héros, ils sesont contentés de les peindre par leurs actions, de leur donner des caracteres puisés dans la Nature, d'en distinguer les nuances avec autant d'énergie que de vérité, de régler constamment leurs mouvemens & leurs discours, selon les passions & les intérêts qu'ils ont cru devoir leur attribuer pour le ressort & le développement du Poëme.

Ce qui diminue encore le mérite de la Henriade, comparée aux autres Poëmes, c'est le défaut de merveilleux. On a prétendu excuser M. de Voltaire, en s'efforçant de prouver qu'elle ne comportoit pas ce genre d'ornement. Quand les raisons qu'on apporte, seroient aussi convaincantes qu'elles sont foibles, que s'ensuivroit-il, si ce n'est qu'il auroit eu tort d'entreprendre un Poëme, dont le sujet n'étoit pas susceptible de toutes les parties de l'Epopée ? Mais a-t-on fait attention que sa stérilité est la vraie cause de cette disette ? N'est-il pas aisé de s'appercevoir qu'il a employé le merveilleux partout où il a pu, qu'il l'a même outré d'une maniere ridicule ? Les Personnages de la Discorde, du Fanatisme, & de la Politique, sont sans doute puisés dans le systême du merveilleux ; mais on sent au premier coup d'œil, qu'ils ont une maniere d'exister & d'agir, dans son Poëme, absolument contraire à toute vraisemblance. Quoique les Divinités du Paganisme eussent une existence réelle dans l'opinion des Grecs & des Latins, Homere & Virgile les représentent sous des images visibles & connues, toutes les fois qu'ils les introduisent sur la Scene pour leur faire jouer un rôle. Dans la Henriade, au contraire, la Discorde & la Fanatisme sont des êtres bizarres, fantastiques ; on ne les voit point, quoique l'Auteur les fasse agir & discourir avec ses autres Personnages*.

M. de Voltaire avoit donc raison d'être indécis sur le nom qu'on pouvoit donner à la Henriade. Il s'exprime ainsi lui-même à ce sujet. « Nous n'avions point de Poëme épique en France, & je ne sais même si nous en avons aujourd'hui. La Henriade, à la vérité, a été imprimée souvent, mais il y auroit trop de présomption à regarder ce Poëme comme un Ouvrage qui doit effacer la honte qu'on a reprochée si long-temps à la France, de n'avoir pu produire de Poëme épique ».

Quel que soit le nom qui lui convienne, le Lutrin lui est, sans contredit, très-supérieur, du côté de l'invention, & l'emporteroit à tous égards, si les Personnages qui y figurent étoient plus nobles, & l'action plus importante. Malgré la stérilité du sujet, avec quelle adresse & quelle fécondité Boileau n'a-t-il pas su répandre dans ce Poëme, les richesses de la fiction, les ressources de l'imagination, la diversité des caracteres, la variété des tableaux, le jeu d'une versification toujours soutenue !

Que dirons-nous du Télémaque, qui est & sera toujours un vrai Poëme aux yeux des Connoisseurs, comme nous l'avons* prouvé ? Quiconque saura apprécier les traits de l'Art & du Génie, sera forcé de convenir, qu'un seul des Episodes de cet Ouvrage immortel, renferme plus d'invention, de conduite, d'intérêt, de mouvemens & de vraie Poésie, que la Henriade entiere, moins approchante de l'Epopée, que du genre historique.

Pourquoi les admirateurs du Chantre d'Henri IV se sont-ils tant pressés de lui attribuer l'honneur exclusif d'avoir donné le seul Poëme épique dont notre Nation puisse se glorifier ? N'eût-ce pas été assez pour sa gloire, & pour celle de leur jugement, de se contenter de dire, qu'il a donné le premier Poëme héroïque, en vers, qui ait réussi dans notre Langue ?

 

D'autres Littérateurs, aussi inconsidérés, n'ont pas craint d'élever la Muse tragique de M. de Voltaire au dessus de celle de Corneille & de Racine. N'est-ce pas insulter à la crédulité publique, & ont-ils pu espérer qu'on les en croiroit sur leur parole ? On convient sans doute que l'Auteur de Mérope, d'Alzire, de Mahomet, est digne du premier rang, après ces deux Peres de la Tragédie ; on sait qu'il s'est fait un genre qui paroît lui être propre : mais les Esprits judicieux & éclairés savent en même temps qu'il ne doit ce genre qu'aux Tragiques qui l'avoient précédé, sans en excepter l'Auteur d'Atrée & de Rhadamiste, qu'on peut lui opposer comme un Rival redoutable. Corneille éleve l'ame, Racine l'attendrit, Crébillon l'effraie. M. de Voltaire a tâché de fondre dans sa maniere le caractere dominant de ces trois Poëtes ? ce qui a fait croire, avec assez de raison, à plusieurs Critiques, qu'il n'est alternativement que leur Copiste, sans avoir de genre qui lui soit véritablement particulier. Quoi qu'il en soit, si cette facilité à s'approprier si habillement les qualités de ses Modeles, ne suppose pas le véritable génie, elle annonce du moins un talent assez distingué pour justifier en partie les éloges de ses admirateurs. Nous croyons devoir même ajouter, que du côté de la morale & d'un certain ton d'Humanité qui respire dans toutes ses Tragédies, l'Auteur de Zaïre l'emporte sur les autres Poëtes tragiques ; mais il falloit, pour conserver cet avantage, qu'il respectât les vrais principes, & se défiât de la manie de débiter à tout propos & hors de propos, des sentences & des maximes. Qui ne s'apperçoit en effet que ses Personnages montrent trop de penchant à discourir ; qu'ils raisonnent le plus souvent, lorsqu'ils devroient agir ; que le Poëte se met indiscrétement à leur place, mal-adresse qui nuit toujours à l'illusion & affoiblit l'intérêt ? La Passion ne fut jamais sententieuse ; la Nature sait s'expliquer sans emphase & sans détour. Comment, après cela, la Raison & le Goût pourroient-ils avouer les acclamations prodiguées à ces tirades philosophiques, applaudies d'abord par la surprise de la nouveauté, aujourd'hui par habitude, & encore sont-elles abandonnées au peuple des Spectateurs ?

Si M. de Voltaire est plus moraliste que nos autres Poëtes tragiques, combien lui sont-ils supérieurs pour l'invention des sujets, la contexture des plans, la conduite de l'intrigue, l'art de dessiner les caracteres, de les soutenir, de les varier, fruit précieux du vrai talent, & la marque la plus sûre du génie ? Pourquoi faut-il, au contraire, que, par une fatalité qui n'établit pas son mérite dans les Esprits clairvoyans, il ne se soit presque jamais attaché qu'à des sujets* traités avant lui ? D'un autre côté, où trouvera-t-on, dans les plans qui lui appartiennent, la hardiesse, la régularité, la souplesse, la dextérité, qui caractérisent ceux de Corneille, de Racine & de Crébillon ? Les ressorts de ses Pieces sont communément foibles, mesquin, & peu dignes de Melpomene : des Lettres sans adresse, des Quiproquo, des Enfans inconnus, des Reconnoissances, des Oracles, des Prodiges ; tels sont les agens perpétuels de sa Muse, toujours timide, embrouillée, chancelante, pour peu qu'elle soit abandonnée à elle-même.

Sur quelles raisons ses admirateurs s'appuient-ils pour établir sa supériorité ? Ils disent que ses Tragédies sont plus souvent représentées, que celles de ses prédécesseurs. Qui ne sentira que ce raisonnement est à peu près de la même force que celui de Scudéry, qui prétendoit également prouver la supériorité de sa Tragédie de l'Amour tyrannique, sur celle du Cid, parce qu'il y avoit plus de Suisses tués, à sa Piece, qu'à celle de Corneille ? Quand on ignoreroit que le choix des représentations dépend des Comédiens, & non du Public, on seroit encore en droit de leur répondre, que les Pieces de Corneille & de Racine ne paroissent si rarement, que parce qu'elles ont occupé la Scene pendant près d'un Siecle, qu'il est peu de personnes qui ne les sache par cœur, & que l'amour de la nouveauté fait souvent courir après des beautés frivoles, sans affoiblir le tribut d'admiration qu'on doit aux beautés solides. On pourroit leur répondre encore, que M. de Voltaire étant devenu le Poëte à la mode, le goût du Siecle, corrompu par ce Poëte lui-même, ne doit pas servir de regle, quand il s'attache uniquement à lui ; qu'il paroît assez que ce goût ne s'occupe que de ce qui peut l'amuser ; qu'il s'inquiete peu s'il est d'accord avec les vrais principes ; & qu'enfin, indépendamment des dispositions de la multitude pour son Poëte favori, les ressorts de la Cabale qui le préconise, contribuent, plus que tout le reste, à le rendre Possesseur exclusif du Théatre.

S'ils ajoutent que Corneille n'a que neuf ou dix Pieces restées au Théatre, nous répliquerons que celles de ce Poëte qui ont été rejetées, sont bien supérieures aux Tragédies de M. de Voltaire, qui ont eu le même sort, malgré le charme du style. Il n'en a pas lui-même dix qui se soient soutenues ; & pour Alzire, Mérope, Zaïre & Mahomet [qui ne seront jamais comparables à Cinna, aux Horaces, à Polyeucte & à Rodogune], peut-on oublier qu'il est l'Auteur de Zulime, de Mariamne, d'Artémire, d'Eriphile, du Duc de Foix, de Rome sauvée, du Triumvirat, d'Adélaïde, des Scythes, des Guèbres, des Pélopides, &c. qui sont bien loin d'offrir des plans & des scènes de génie, comme Othon, Surena, Sertorius, Attila, &c. ?

Qu'on en revienne donc à son pinceau séducteur, qui peut être regardé, entre ses mains, comme une baguette magique ; & qu'à ce titre on lui donne le premier rang parmi les Poëtes tragiques de ce Siecle, en réservant toutefois à Crébillon le droit de réclamer contre cette décision, parce qu'il a fait Electre, Atrée & Rhadamiste, qui annoncent le vrai génie de la Tragédie.

 

Les éloges prodigués à sa Muse comique, ont été plus modérés. Et véritablement il faudroit plus que de la confiance pour oser célébrer M. de Voltaire parmi les vrais enfans de Thalie. La meilleure de ses Comédies auroit peine à figurer dans la classe de celles qu'on regarde comme médiocres. Il faut qu'il soit bien foible à cet égard, puisque, malgré le talent qu'il a de peindre, & d'embellir jusqu'à ses défauts, il n'a pu se concilier les suffrages du Public. On convient que l'esprit du genre comique lui est totalement inconnu ; qu'il n'a présenté sur la Scene qu'un monstre bizarre, mélangé de ris & de pleurs, pétri d'aigreur & de sentiment, de fiel & de gaieté. Il a cependant chaussé le Brodequin presque autant de fois que le Cothurne. L'Indiscret, la Femme qui a raison, la Prude, le Droit du Seigneur, l'Ecueil du Sage, la Comtesse de Givry, le Dépositaire, &c. sont autant de fruits malheureux de l'ambition qu'il a toujours eue de se distinguer dans toutes les parties de la Poésie. L'Enfant prodigue, Nanine & l'Ecossaise, ont été applaudis, & le sont encore ; mais qui ignore que ces applaudissemens ne sauroient être attribués qu'à l'indulgence du Siecle, à sa bizarrerie, ou à sa malignité ?

 

Il seroit humiliant pour sa mémoire, de rappeler qu'il s'est exercé à des Opéra, & dans la Carriere des Malherbe & des Rousseau, avec aussi peu de succès dans l'un que dans l'autre genre. Ses Drames lyriques sont de la plus pauvre invention, & d'un style entiérement opposé à celui qui convient à ces sortes de Pieces : Samsom, Pandore, le Temple de la Gloire, n'ont servi qu'à le mettre un peu au dessus de l'Abbé Pellegrin, quand il ne s'agira pas de Jephté. Aussi a-t-il eu la droiture de se rendre justice, en écrivant à M. Berger : « J'ai fait une grande sottise de composer un Opéra ; mais l'envie de travailler pour un homme comme M. Rameau, m'avoit emporté. Je ne songeois qu'à son génie, & je ne m'appercevois pas que le mien n'est point fait du tout pour le genre lyrique ».

Quant à ses Odes, il suffit de les lire, & l'on n'aura pas de peine à deviner la cause de son acharnement contre le grand Rousseau & M. le Franc, qu'il s'est efforcé de rabaisser, après avoir fait de vains efforts pour les suivre.

 

Le seul genre où il est véritablement incomparable, est celui qu'on appelle Poésies légeres, ou Pieces fugitives. Tous les Poëtes qui l'ont précédé, lui sont inférieurs, & l'on pourroit prédire que ceux qui le suivront, auront de la peine à l'égaler. Jamais personne n'a su mieux donner une tournure ingénieuse aux plus minces bagatelles ; prodiguer, avec autant de grace que de facilité, la finesse des pensées, l'agrément des figures, la délicatesse des tours, l'élégance, & la légéreté. Toujours fin, naturel & brillant, quelquefois Philosophe éclairé, une plaisanterie ingénieuse, des saillies piquantes, des traits de lumiere, un coloris riant & suave, donnent à toutes ses Productions un caractere qui n'appartient qu'à lui.

Pourquoi cette Muse, si ingénieuse, si légere, a-t-elle été si souvent hardie, téméraire, & licencieuse ? Pourquoi a-t-elle immolé avec si peu d'égards, la vérité, la décence, à l'essor de son imagination déréglée, & au désir de plaire à quelque prix que ce fût ? La Pucelle, la Guerre de Geneve, quelques-uns de ses Contes, & tant d'autres fruits de l'audace & de la malignité, ne sauroient être loués, malgré la beauté des détails, par le libertinage lui-même, puisque cette même Muse qui les a produits les a désavoués, dans le temps qu'elle conservoit encore quelques restes de pudeur.

Du Monde poétique, suivons M. de Voltaire dans la vaste carriere de la Prose. Il en a parcouru toutes les parties, & par-tout il a laissé l’empreinte de ses ravages. Qu’on ne s’imagine pas que nous voulions faire entendre par-là, que sa Prose soit mauvaise ou inférieure à sa Poésie : ce seroit être absurde, que de méconnoître dans le Prosateur les mêmes qualités qui brillent dans le Poëte. Soit qu’il écrive en vers ou dans le style ordinaire, il a presque toujours la même vivacité, le même esprit, les même graces, la même harmonie. Nous avouerons encore, que, si on excepte Racine, Despréaux, & M. le Franc, aucun de nos bons Poëtes n’a eu, comme lui, le talent d’écrire, dans les deux Langues, avec une égale supériorité. Mais peut-on se dissimuler qu’en séparant le coloris, du fond des tableaux, on ne distingue, à travers les prestiges du pinceau qui les enlumine, tous les genres altérés ; l’illusion, substituée à la vérité ; les idées reçues, sacrifiées à l’envie de plaire ; & le ton qui convient aux matieres qu’il traite, défiguré par sa maniere, indépendante de toutes les regles ? Dans l’Histoire, que s’est-il proposé ? que d’amuser son Lecteur, au lieu de l’instruire ; que de prêter au mensonge des amorces pour la foible crédulité ; que de faire triompher la fiction à l’aide d’une tournure insidieuse ou du sel de l’épigramme ?

L’Essai sur l’Histoire générale annonce sans doute un talent supérieur ; mais il ne sera jamais regardé par des Esprits sages & instruits, que comme un tableau infidele, où, sous prétexte de peindre les progrès de l’esprit des Nations, l’Auteur s’efforce de ramener tous les événemens à l’objet qu’il s’étoit proposé, celui d’établir le fatalisme, systême qui est le comble de l’absurdité. Tous les caracteres, toutes les actions, toutes les conjectures, toutes les réflexions, ne tendent qu’à favoriser ce principe. L’Historien renverse, sans pudeur, tous les monumens de l’Histoire, s’attache aux Traditions les plus suspectes, s’appuie sur les Auteurs les plus décriés, & ne redoute pas le mépris dû à une crédulité puérile ou à une mauvaise foi odieuse, pourvu qu’il abuse la multitude, qu’il veut absolument subjuguer & égarer. De là, cette affectation de présenter la vertu malheureuse, & le vice toujours triomphant. S’il parle d’une bataille, c’est pour faire remarquer que les Combattans qui avoient pour eux la justice, ont eu les revers en partage. Ses réflexions sur les différens Princes ne tendent qu’à prouver que les plus méchans ont vécu dans la prospérité, & les plus vertueux dans l’infortune. Dès qu’il trouve la moindre trace de superstition, il étale un air de triomphe ; il proscrit les abus avec un ton de confiance propre à persuader qu’il est le seul à ignorer, ou à feindre d’ignorer qu’on les a condamnés avant lui. Il fait plus : quand les faits ne prêtent pas assez à la censure, ou ne rentrent pas dans son plan, il les transforme, les envenime, les violente, pour les assujettir à son but, & croit être Philosophe, toutes les fois qu’il n’est qu’imposteur ou méchant. Que penser, en effet, de tant d’anecdotes hasardées, de tant de critiques puériles, de ce vain appareil de sagacité qui ne se plaît à fouiller que dans les cloaques, & en fait exhaler sans celle des vapeurs & des nuages qui corrompent ou interceptent les vérités les plus connues ?

Cet Essai sur l’Histoire générale a été foudroyé par des critiques, qui n’ont été réfutées que par des injures. On y a démontré des milliers d’erreurs, qui n’ont été défendues que par d’autres erreurs, plus absurdes & plus multipliées ; d’où il est aisé de conclure, qu’en voulant peindre l’esprit des Peuples, il n’a peint véritablement que son propre esprit, c’est-à-dire, un esprit asservi à toutes les bizarreries d’une imagination déréglée, aveuglé par les travers d’une raison inconséquente & sans suite, emporté par les inquiétudes d’un caractere audacieux & sans frein.

Le Siecle de Louis XIV est écrit dans le même goût, & avec la même infidélité. Il ne s’agit pas d’examiner s’il contient quelques chapitres bien écrits. Ce mérite est le moindre de tous ceux qu’exige l’Histoire. La justesse & la vérité en sont l’ame. La maniere de raconter, quoique piquante, ne sauroit suppléer au fond des choses, ou justifier la malignité des réflexions. D’ailleurs, est-ce d’un ton d’aisance qui annonce plus l’oubli des égards que la supériorité du génie, est-ce par chapitres, que les grands Historiens nous ont transmis les Annales des Nations ou les actions des Princes ? Trouve-t-on dans cet Ouvrage, & dans tous les autres du même Auteur, ce nerf historique, cette combinaison des matieres, cet esprit de liaison & de suite, cet ensemble qui nourrit & soutient l’esprit du Lecteur, & forme une chaîne non interrompue de tableaux qui le fixent & l’intéressent jusqu'à la fin ? Au lieu de cela, l’Historien de Louis XIV ne présente que des miniatures détachées, des croquis informes, des dissertations épigrammatiques.

Il a eu sans doute ses raisons pour traiter ainsi l’Histoire. Incapable de soutenir une narration continue, moins pour faciliter l’attention, que pour ménager des repos à sa plume, trop pétillante pour avoir une force toujours égale, il circonscrit les objets, les divise, les isole avec une incohérence qui laisse la liberté d’extraire & de transporter les chapitres, sans nuire à l’ordonnance de l’Ouvrage, ce qui prouve qu’il n’y en a aucune.

On peut en dire autant du Siecle de Louis XV, moins bien écrit & plus infidele encore. Ajoutons seulement, qu’on aura peine à croire, en le lisant, qu’un Auteur ait pu débiter tant de faussetés manifestes, travestir tant d’événemens, les présenter d’un profil si contraire à la bienséance & à la vérité, sous les yeux d’une infinité de gens, témoins oculaires des faits qu’il y dénature.

L’Histoire de Charles XII & celle du Czar Pierre ne seront jamais des Histoires, que pour les Esprits légers, qui préferent l’agrément de la narration & les étincelles du style, au récit noble & grave qui doit caractériser le véritable Historien. La premiere a mérité à son Auteur le titre de Quinte-Curce François, sans doute parce que l’Historien d’Alexandre n’a pas été plus scrupuleux que celui du Roi de Suede. La seconde n’est pas digne du même honneur ; avec un génie aussi romanesque, elle est très-éloignée d’avoir autant de graces. La plume de l’Ecrivain n’y paroît qu’usée, foible, intarissable en répétitions. L’attention de répéter sans cesse que le Czar est un grand Homme, annonce tout au plus un Ouvrage de commande, & ne persuaderoit pas la supériorité du Héros, s’il n’avoit pas lui-même d’autres titres pour la faire sentir.

Nous ne parlerons pas du Tableau du Genre humain, de l’Histoire du Parlement, de la Philosophie de l'Histoire, ni de tant d’autres Ouvrages, prétendus historiques, qui ne sont capables de piquer la curiosité que par la hardiesse & la licence, qui y attaquent les objets les plus respectables. Il suffit de dire que les fautes, les erreurs, les bévues, s’y entrechoquent à chaque page, & que l’Ecrivain y répete, répete, répete sans cesse les mensonges qu’il avoit déjà répétés en mille endroits.

Et cependant il a grand soin d’assarer, dans toutes ses Préfaces, que la vérité est son objet principal. Et cependant toutes les fois qu’il abuse de la crédulité publique, il ne manque jamais de lancer de terribles anathêmes contre les imposteurs. A-t-il prétendu en imposer par cette ruse ? Telle a pu être son intention ; mais on l’a surpris si souvent en contradiction avec cette intrépide vérité, qui, selon lui, le passionnoit ; il a si mal soutenu tant de combats contre des Critiques plus véridiques & mieux instruits, que ses assurances & ses protestations sont un signal de défiance, & ses réponses aux censures, de nouveaux motifs d’incrédulité.

 

Après avoir été Historien Romancier, M. de Voltaire a voulu être Romancier Philosophe. Pour s’épargner la peine d’imaginer, il a puisé chez les Etrangers des sujets & des plans, qu’il a habillés ensuite à sa mode ; Zadig, Memnon, le Monde comme il va, sont presque entiérement tirés de l’Anglois : mais, il faut l’avouer, la maniere dont il s’est approprié ces sujets, dont il les a enluminés ; mais les réflexions ingénieuses & pleines de sens dont il les a enrichis ; mais les traits sins & agréables dont il les a assaisonnés, l’en rendent comme le Créateur.

Nous conviendrons que Candide & le Huron sont de son invention, & que l’invention, du premier sur-tout, est originale ; mais nous sommes obligés d’ajouter que ces deux Romans, dépourvus de machines & de nœuds, n’offrent qu’une suite d’événemens décousus & le plus souvent invraisemblables ; que la hardiesse & l’obscénité en forment l’intérêt principal ; & que ces défauts ne sauroient être rachetés par l’agrément des détails & les graces du style. Nous ne parlerons pas de la Princesse de Babylone, Roman plus satirique que moral, plus ordurier qu’ingénieux : le désœuvrement & le libertinage peuvent seuls procurer des Lecteurs à cette Production indécente & médiocre.

 

En qualité d’Ecrivain Moraliste & de Philosophe, il eût pu acquérir des droits sur la reconnoissance des hommes, si les vérités utiles qui percent de temps en temps dans ses Ouvrages, n’étoient éclipsées par les erreurs nuisibles qui y sont répandues. Pour quelques traits de lumiere, quelques vûes bienfaisantes, des réflexions saines, des transports d’humanité, qui décelent plutôt une compassion orgueilleuse qu’une véritable sensibilité ; combien de contradictions, d’inconséquences, d’emportemens, d’absurdités, & de délires ! Presque toujours, sous prétexte de combattre les abus, il se précipite dans les excès de l’indépendance. S’il se déchaîne contre le Fanatisme religieux, c’est en montrant, & pour faire naître un fanatisme plus dangereux encore, celui de l’irréligion. S’il attaque certains préjugés, assez indifférens aux yeux de la saine Philosophie, c’est pour y substituer tout le travers des opinions arbitraires. Quel Philosophe, que celui qui préconise tantôt la Religion, & tantôt l’Incrédulité ; qui tantôt donne des regles de morale, & tantôt est l’écho du libertinage ; qui tantôt nie l’immortalité de l’ame, tantôt admet un Dieu Rémunérateur ! Quel Philosophe, qu’un Raisonneur toujours en opposition avec ses principes, toujours ennemi de ses propres systêmes, toujours versatil & sans aucune forme déterminée ! Il recommande la tolérance, & se peint comme le plus intolérant des Hommes ; il vante le pardon des offenses, & s’est livré à tous ses ressentimens ; il réclame en faveur de l’honnêteté, de la décence, & il a oublié jusqu’aux moindres égards. Quel Philosophe, qu’un Auteur qu’on ne peut ni définir ni suivre, qui laisse ses Lecteurs dans un doute perpétuel sur ses vrais sentimens ! Quel Homme, que celui dont les circonstances ont dirigé toutes les affections ; qui croit ou rejette, qui loue, blâme, flatte ou déchire, selon les impressions qu’il éprouve, & dont les impressions sont toujours le produit des plus petits ressorts !

 

Dans la Littérature, il a porté le même esprit & les mêmes variations. Après avoir donné de bons préceptes, & plus souvent encore de bons exemples, l’amour du Pour & du Contre, une inquiétude continuelle, des idées passageres, assujetties aux dispositions du tempérament, de l’humeur, de la vanité, égarent, embrouillent ses opinions ; lui font oublier qu’il décrédite ses jugemens par les contrariétés les plus palpables, qu’il condamne ce qu’il avoit prescrit, & qu’il rejette les principes qu’il avoit suivis : semblable à ces Tyrans qui renversent les Loix au gré de leurs caprices, & en établissent sans cesse de nouvelles, pour appuyer leur domination.

Il n’a rien de véritablement décidé que l’ambitieuse manie d’avoir voulu passer pour le dépositaire du Génie de tous les Arts, pour un Littérateur universel, pour un Homme unique. La plupart de ses Dissertations littéraires sont un tribut d’hommages qu’il se paye à lui-même, ou des arrêts prononcés contre ses Rivaux ; ses observations sur la Tragédie, une justification de ses Pieces, & la satire adroite de celle des autres ; son Essai sur la Poésie épique, une Apologie de la Henriade, & une censure injuste des autres Poëmes ; la connoissance des beautés & des défauts de la Poésie & de l’Eloquence, dans la Langue Françoise, donnée sous un nom emprunté, l’apothéose de ses Productions ; mille autres Ouvrages de sa façon, sont autant de trompettes sonores qu’il consigne à la Renommée, pour préconiser son mérite en tout genre.

S’il s'est prodigué les éloges, il n’a pas négligé les moyens de s’en procurer de la part des autres. Quantité d’Auteurs médiocres ont été honorés de ses suffrages, & transformés, par cette adresse, en autant d’adorateurs. Mais pour avoir déprisé les Hommes de tous les Siecles, en faveur de ceux du Siecle nouveau ; pour avoir voulu, comme un autre Encelade, chasser les Dieux de l’Olympe, afin d’y régner seul avec des petites Divinités de sa création ; enfin, pour avoir loué sans mesure les d'Alembert, les Marmontel, les Thomas, les St. Lambert, les Delaharpe, les Condorcet, &c. il a décrié également ses éloges & ses critiques. Etre assez mal-adroit pour réduire le mérite de Voiture à quatre pages, celui de Lafontaine à trente Fables ; n’accorder à Rousseau que trois ou quatre Odes & quelques Epigrammes ; reprocher à Corneille les défauts de son Siecle, & lui donner le nom de Déclamateur ; qualifier les Tragédies de Racine, d'Idylles en Dialogues bien écrits & bien rimés ; traiter celles de Crébillon, de Rêves d’Energumene & de lieux communs ampoulés ; accuser Boileau de n’avoir jamais su parler au cœur ni à l’imagination ; Fénélon, d’avoir écrit d’une maniere foible ; Bossuet, d’avoir fait des Déclamations capables d’amuser des enfans ; Montesquieu, de n’avoir su qu’aiguiser des Epigrammes & accumuler de fausses citations ; s’efforcer enfin de dépouiller tous nos Grands Hommes de la gloire qui leur appartient, pour en revêtir des Pygmées que cette gloire écrase : n’est-ce pas, d’un côté, ressembler à cet Empereur, qui, pour avilir le Sénat, fit partager à son cheval les honneurs consulaires ? N’est-ce pas, de l’autre, se jouer des instrumens de sa propre vanité ? Car, après tout, ces Pygmées n’en paroissent que plus Pygmées sur le haut piédestal où il les a élevés.

Quant aux autres Ecrivains qui ont eu le malheur de lui déplaire ou de le contredire, il a eu la bonté de se mettre au dessous d’eux, par la maniere dont il les a traités. Aussi amateur de la dispute, que les Scaliger, les Garasse, les Saumaise, il les a laissés bien loin derriere lui, toutes les fois qu’il a fait couler de sa plume des torrens d’injures, de sarcasmes & de grossiéretés. Quel spectacle ! que celui du plus grand Bel-Esprit qui ait paru parmi nous, se roulant, sans égard pour lui-même, dans un cercle perpétuel d’expressions les plus basses & les plus odieuses, & ne répondant à ses adversaires qu’à l’aide des épithetes les plus atroces, telles que celles d’Energumene, de Radoteur, de Cuistre, de Polisson, de Gredin, d’Escroc, de Voleur, de Pédéraste, & de tant d’autres, que nous rougirions de répéter ! Quel objet de comparaison ! entre les sentences, les maximes, les tours fins & délicats, les expressions ingénieuses, les beaux sentimens qu’il exprime si énergiquement dans plusieurs endroits de ses Ouvrages, & ce débordement de fiel & de malignité, ce tissu d’indécences, de mensonges, de calomnies, répandues sur tant d’Ecrivains de mérite, Etrangers, Nationaux, Prélats, Militaires, de tous les Ordres & de tous les Etats, qui n’ont eu d’autre tort, à son égard, que de n’avoir pas pensé comme lui, & d’avoir osé l’écrire ! Quels seront les sentimens de la Postérité, quand, après avoir admiré la Henriade, Mérope, Alzire, &c. elle verra paroître, à leur suite, la Guerre de Geneve, la Défense de mon Oncle, les Honnêtetés Littéraires, & une infinité d’autres Libelles, qui supposeroient dans elle le plus grand degré de perversité, si elle ne les rejetoit avec horreur !

Nous n’insisterons pas davantage sur ce tableau si humiliant pour la Littérature, pour la Philosophie, & pour l’Esprit humain en général : nous l’avons mis dans le plus grand jour dans le Tableau philosophique de l’Esprit de cet Ecrivain, & nous nous faisons un devoir de ne pas nous recopier.

C’est ici le lieu d’examiner comment, avec des travers, des foiblesses, des défauts, des excès si révoltans, cet Auteur a pu se procurer un si grand nombre de Partisans.

Ses Admirateurs ne peuvent se dissimuler que quantité de ses Pieces de Théatre n’aient éprouvé des chutes humiliantes ; ses Histoires fourmillent d’erreurs, de bévues, & de faussetés ; ses Mélanges littéraires offrent une infinité de faux principes, de faux jugemens, de critiques injustes ; ses Productions polémiques sont odieuses, comme nous l’avons indiqué, par de fausses imputations, des mensonges, des calomnies. Et cependant on le lit, il amuse ; on seroit même tenté de le croire, si on pouvoit se refuser à l’évidence & à l’équité, qui le combattent.

Ce problême n’est pas difficile à résoudre. Qu’on retranche certains de ses Ouvrages, qui sont d’un style de la derniere classe ; toutes les fois qu’il ne s’oublie pas, il sait éblouir le Lecteur & le disposer, par les charmes d’une diction toujours simple & brillante, à adopter ses idées, à approuver ce qu’il approuve, à condamner ce qu’il condamne. Comme les choses ne saisissent les Hommes que selon la proportion qu’elles ont avec leur intelligence, & que les lumieres de la multitude ne sont ni justes ni profondes ; comme la maniere d’exprimer une pensée décide de tout chez la plupart des Lecteurs : il n’est pas étonnant que par l’art de se mettre à la portée du commun des esprits, de rendre ses idées avec agrément, il ne se fasse goûter, & n’enleve des suffrages.

Au talent de séduire par une superficie agréable, il joint une attention plus essentielle encore, celle de mettre les passions dans ses intérêts. L’amour de l’indépendance qu’il prêche dans ses Ecrits, amour qui flatte naturellement tous les Hommes ; l’apologie qu’il fait souvent des foiblesses humaines ; la tolérance & l’humanité, qu’il ne cesse de recommander, & dont tout le monde a besoin, n’ont pas peu contribué à décider en sa faveur les Hommes de tous les états, de tous les âges, assez foibles pour croire sur parole, & trop peu réfléchis pour rien approfondir. Les Jeunes-gens sur-tout, que le moindre joug importune ; les Esprits légers, à qui la nouveauté est toujours assurée de plaire, que les plus minces saillies persuadent dès qu’elles les amusent, n’ont pas eu de peine à passer du goût à l'enthousiasme, & de l'enthousiasme à une espece de fatanisme.

Ajoutons à toutes ces raisons, qu’il n’est aucun Auteur plus agréable, plus varié, plus commode. On le lit sans se fatiguer ; il ne présente que la fleur des sujets ; il réveille par des antithèses ; il voltige d’objet en objet ; il a l’art de saisir les contrastes ; de se jouer avec la saillie, de remplacer le raisonnement par l’épigramme ; enfin, il aime mieux mentir & déchirer, que d’être froid ou ennuyeux. Faut-il s’étonner, après cela, qu’il ait trouvé le secret d’en imposer à tant de Gens, de leur faire adopter ses idées, à peu près comme le subtil Charlatan qui amuse, fait acheter sa drogue à ceux même qui n’y ont pas de foi ?

 

Qu’opposent à tous ces tours d’adresse, à ce torrent d’approbation, les Gens de goût & les Hommes sages ? Ils sont témoins de la séduction, ils en calculent la durée, ils en prédisent le terme. Ils savent, d’après des principes invariables, fortifiés par une expérience constante, que le beau seul & l’honnête peuvent soutenir les épreuves du temps. Ils conviennent que parmi les Ouvrages de M. de Voltaire, il y en a quelques-uns d’excellens ; mais ils soutiennent [on commence à les croire, & on les croira de plus en plus] qu’il y en a beaucoup de médiocres & un grand nombre de mauvais : que le talent de saisir les rapports éloignés des idées, de les faire contraster, semble lui être particulier ; mais qu'il y met trop d'affectation, & que les productions de l'art sont sujettes à périr : qu'il n'a que l'éloquence qui consiste dans l'arrangement des mots, dans leur propriété, & non celle qui tire sa force des pensées & des sentimens, qui est la véritable : qu'il n'a aucun systême suivi, & n'a écrit que selon les circonstances, & presque jamais d'après lui-même : que le plus grand nombre de ses Ouvrages ne sont faits que pour son Siecle, & que par conséquent la Postérité n'en admettra que très-peu : que si la gloire du génie n'appartient qu'à ceux qui ont porté un genre à sa perfection, il est déjà décidé qu'il ne l'obtiendra jamais, parce qu'il ressemble à ce fameux Athlete, dont parle Xénophon, habile dans tous les exercices, & inférieur à chacun de ceux qui n'excelloient que dans un seul : que son esprit est étendu, mais peu solide ; sa lecture très-variée, mais peu réfléchie ; son imagination brillante, mais plus propre à peindre qu'à créer : qu'il a trop souvent traité sur le même ton le Sacré & le Profane, la Fable & l'Histoire, le Sérieux & le Burlesque, le Morale & le Polémique ; ce qui prouve la stérilité de sa maniere, & plus encore le défaut de ce jugement qui sait proportionner les couleurs au sujet : qu'il néglige trop dans ses Vers, ainsi que dans sa Prose, l'analogie des idées & le fil imperceptible qui doit les unir : que ses grands Vers tomdent un à un, ou deux à deux, & qu'il n'est pas difficile d'en composer de brillans & de sonores, quand on les fait isolés : enfin, que la révolution qu'il a tentée d'opérer dans les Lettres, dans les idées & dans les mœurs, n'aura jamais son entier accomplissement, parce que les Littérateurs qu'il égare, & les Disciples qu'il abuse, en les amusant, peuvent bien ressembler à Charles VII, à qui Lahire disoit, On ne peut perdre plus gaiement un Royaume ; mais qu'il s'en trouvera parmi eux, qui, comme ce Prince, ouvriront les yeux, chasseront l'Usurpateur, & rétabliront l'ordre.

 

Nous venons d'examiner l'Ecrivain, il ne s'agit plus que d'analyser l'Homme. Nous ne renouvellerons pas ici les reproches qu'on lui a faits tant de fois, reproches qu'on lui a faits tant de fois, reproches dont la discussion seroit si capable d'ensevelir la gloire des talens, sous l'opprobre des travers de l'esprit & du cœur : ce détail n'est pas de notre ressort. Notre intention est de le représenter tel qu'il s'est montré dans ses propres Ouvrages ; & quel vaste champ n'y offre-t-il pas aux réflexions du vrai Philosophe ! Jamais Homme fut-il plus le jouer de son amour-propre, de son esprit, de son imagination, de son cœur, & de sa fausse raison !

 

Entraîné par l'amour de la gloire à tous les genres, &, par une vive sensibilité, à toutes les passions, ces deux mobiles sont devenus le ressort principal de ses talens, & la regle du différent usage qu'il en a fait, Modeste, s'il eût été universellement encensé ; doux, s'il n'eût point été contredit ; religieux, & zélateur du Culte dans lequel il est né, pour peu que ce chemin eût pu le conduire à la fortune ou à la célébrite : on l'eût vu le modèle & le défenseur des vrais principes, en tout genre, si l'intérêt de sa vanité eût pu s'accorder avec aucune espece de dépendance. Mais l'ardeur excessive & l'impétueuse délicatesse de son amour-propre, ont été la cause de ses variations, de ses égaremens, de l'altération de ses idées, de ses goûts, & de ses sentimens. De là, ces transports d'estime & ces haines implacables contre tant d'Hommes de Lettres, qui, tour à tour, ont été comblés de ses éloges ou accablés de ses sarcasmes, selon le cas qu'ils ont paru faire de son mérite, ou selon l'opinion du Public sur le leur. De là, d'abord ami & flatteur du grand Rousseau, il est devenu son ennemi le plus acharné, & n'a cessé de le poursuivre sous la cendre qui couvre son tombeau. De là, ami & flatteur de Maupertuis, la préférence éclairée d'un grand Roi le souleve contre ce Philosophe, & l'engage dans des démêlés, qui lui ont été si honteux & si funestes. De là, ami & admirateur de Crébillon, il a publié, du vivant de ce Poëte, des Critiques anonymes contre lui, parce qu'il étoit jaloux de sa gloire ; & des Libelles, après sa mort, parce que le Monarque lui élevoit un monument. De là, ami & protecteur soi-disant de Desfontaines, il a tâché de le couvrir d'opprobre, pour n'en avoir pas été toujours loué, & pour en avoir éprouvé des justes censures. De là, ami & admirateur de J. J. Rousseau, il a insulté plus encore à ses disgraces qu'à ses erreurs, à cause de la supériorité de son éloquence, & du peu de cas qu'il a paru faire de la Philosophie & de ses Disciples. De là, ami & défenseur de Montesquieu, il s'est permis les Critiques les plus minutieuses & les plus injustes contre ses Ouvrages, afin de s'élever au dessus de lui. De là, ami & défenseur de M. Helvétius, il a attendu le moment de sa mort, pour le mépriser & le rendre ridicule. De là enfin, le Recueil de ses Ouvrages offre un choc perpétuel de louanges, de blâmes, d'applaudissemens, de sarcasmes, de flatterie, & d'emportemens.

Il a traité le Public de la même maniere. Après avoir d'abord gardé quelques mesures, il a méconnu toutes les bienséances, & a insulté sa Nation, ou plutôt toutes les Nations, dès qu'il en a été mécontent : on peut en juger par son Discours aux Welches, ses Stances sur les Italiens, ses Satires contre les Allemands, ses Plaisanteries sur les Espagnols & les Portugais. Les Anglois mêmes, si souvent loués dans ses écrits, sont devenus, comme les autres Peuples, le jouet de ses plaisanteries.

 

L'humeur, dont il n'a jamais su se rendre maître, a aussi beaucoup influé sur ses éternelles variations. Son imagination en a suivi tous les mouvemens, & porté toutes les empreintes. Tantôt sensible, tantôt délicat, tantôt caustique, selon les différentes dispositions de son ame ; tantôt sincere & tantôt artificieux ; tantôt amateur du vrai, & tantôt opposé à la vérité ; tantôt modéré & tantôt excessif, il a toujours été, comme nous l'avons déjà remarqué, l'Homme du temps, de la circonstance, du moment. Ses pensées, ses expressions, ses jugemens, si on les compare les uns les autres à mesure qu'ils se présentent, sont moins de lui, que du Génie qui l'inspiroit alors : peu d'Auteurs, au style près, paroissent moins appartenir en propre à eux-mêmes : à force d'avoir tous les caracteres, il n'en a aucun.

 

Qu'a produit, dans sa raison, cette inquiétude turbulente ? Des lumieres, des vérités courageuses, des contradictions, des inconséquences, des absurdités. Cette raison n'a jamais vu les objets que comme elle pouvoit les voir, c'est-à-dire avec l'œil du préjugé, variant sans cesse selon l'impulsion momentanée. Dans les Lettres, dans la Philosophie, dans l'Histoire, lorsqu'il est désintéressé, le vrai échappe rarement à sa vue ; mais le plus petit intérêt l'obscurcit, l'altere, le dénature, dans son esprit.

Cette morale bienfaisante qu'il a publiée avec un zele si apparent, étoit-elle dans son cœur ? N'a-t-elle point été un systême ? Qu'on rapproche ce qu'il dit dans de certaines occasions, de ce qu'il débite dans d'autres ; qu'on rapproche ses sentimens d'humanité, du mépris qu'il témoigne pour l'humanité en général ; ses déclamations contre les vices, des peintures séduisantes qu'il en fait ; son enthousiasme pour les vertus, du ridicule qu'il leur donne ; ses élans affectueux pour la tolérance, de ses rigueurs impitoyables contre les abus : & on sera à portée de juger, que s'il a été quelquefois réellement pénétré des belles maximes qu'il énonce, il ne l'a pas moins été des maximes qui leur sont contraires, puisque celles-ci paroissent aussi senties, aussi vives, & qu'elles sont aussi fortement énoncées & plus souvent répétées que les autres.

 

Qu'on accorde, s'il se peut, tant de disparates avec l'idée de la Philosophie. La véritable doit également agir sur l'esprit & sur le cœur : sur l'esprit, par des principes éclairés, solides, & invariables ; sur le cœur, par des sentimens honnêtes, supérieurs, & à l'épreuve de tout : c'est par ce rapport des pensées & des sentimens qu'elle éleve l'Homme au dessus de la classe ordinaire.

La marche du Philosophe, quand il est ce qu'il doit être, est toujours lumineuse, conséquente, égale, pleine de franchise & de dignité. Pourquoi donc ces incertitudes, ces erreurs, ces contradictions ? Pourquoi ce mélange d'élévation & de petits moyens, de hardiesse & de petites ruses, de dédains & de petites prétentions ? Pourquoi systématiser sans principes, moraliser sans mœurs, dogmatiser sans mission, rétracter dans un temps ce qu'on a avancé dans un autre, y revenir ensuite après les désaveux les plus formels ?

Le caractere du Philosophe est supérieur à toutes les foiblesses. Pourquoi courir sans cesse après la louange, & se déconcerter au moindre trait de contradiction ? Pourquoi encenser la grandeur, outrager la médiocrité ou les cendres des Morts ? Pourquoi employer tant de manéges, prendre si souvent le masque, se travestir en mille manieres, emprunter tant de faux noms ? Pourquoi le Professeur en vérités, par excellence, n'a-t-il osé paroître que sous la sauvegarde des Vadé, des Carré, des Akakia, des Zapata, des Bazin, des Escarbotier, des Rustan, des Ramponneau, & d'une infinité d'autres noms, dont le burlesque annonce plutôt l'Histrion, que le Dissertateur éclairé ?

Le but du Philosophe est de découvrir & de faire connoître la vérité. Est-ce à travers des saillies, des épigrammes, des jeux de mots, des plaisanteries indécentes, qu'elle se plaît à lancer ses rayons & à faire entendre son langage ? Est-ce en attaquant la Religion par des sarcasmes, en la défigurant par de fausses imputations, en la noircissant par des calomnies, qu'on peut espérer d'en renverser les fondemens ? N'est-ce pas au contraire lui rendre hommage par l'excès de sa déraison & de sa mauvaise foi ?

Le fruit des travaux du Philosophe est l'instruction & le bonheur des Hommes. Que pouvoient produire ceux d'un Ecrivain, qui, d'un côté, tantôt philantrope, tantôt ennemi du Genre-humain, toujours occupé de ses intérêts, ne s'est guere attaché qu'à entretenir le Public de lui-même, à le faire confident de ses actions, de ses services, de ses libéralités, de ses aumônes ; qui, de l'autre, s'est fait un jeu d'attaquer les principes, de corrompre les sources, de franchir les bornes, de renverser les Loix, d'aveugler les Esprits. Qu'ont-ils produit en effet ? Ce que la saine Philosophie ne sauroit avouer pour son ouvrage, l'indépendance, le désordre, la corruption, le bouleversement de toutes les idées. Qu'on l'écoute & qu'on le suive ; qu'en résultera-t-il ? Les Jeunes gens apprendront à son école à secouer le joug du devoir, à répéter des blasphêmes, à triompher de leurs déréglemens : les Gens de Lettres, à peu respecter les modeles, à déguiser leurs larcins, à violer les regles, à oublier les bienséances, à se déchirer sans égard : les Nations à abandonner leurs principes, leurs loix, leur caractere, pour se repaître d'idées frivoles, de vûes chimériques, de goûts fantasques & passagers ; à préférer à leur intérêt, à leur gloire, à leur repos, l'attrait du plaisir, les honneurs du persiflage, & les charmes de la constance.

Tel est cependant l'Homme, dont la plus grande partie de la Nation a fait son Idole, & qu'on a encensé, sur ses derniers jours, au point de ne pas craindre de le rendre ridicule, en le couronnant & lui décernant sur un Théatre public, les honneurs de l'Apothéose ; tel est cependant l'Homme qu'on a préconisé, célébré, honoré avec enthousiasme, & à qui on s'est proposé très-sérieusement d'élever des statues, sans songer que dans l'Antiquité, & chez tous les Peuples sages, cet honneur n'a jamais été que le prix des vertus héroïques, ou des services rendus à la Patrie. Seroit-ce donc à ce titre que M. de Voltaire jouiroit d'un privilége que les Turenne, les Luxembourg, les Catinat, les l'Hôpital, les Daguesseau, on si bien mérité & n'ont point obtenu ? Si les Bossuet, les Fénélon, les Corneille, les Racine, les Despréaux, n'ont eu jusqu'ici d'autres monumens élevés à leur gloire, que les fruits de leur génie, plus durables que le marbre & l'airain : il faut qu'on se défie bien du génie de M. de Voltaire, puisqu'on a cherché à subjuguer la Postérité par les hommages du Siecle présent. Mais la Postérité juge les Auteurs & les Siecles : elle réduira, d'un côté, l'Ecrivain à sa juste valeur : de l'autre, elle saura que son Apothéose n'a pas été l'ouvrage de la Nation, mais l'effet des intrigues de quelques Gens de Lettres, qui, pour lors, seront vraisemblablement inconnus.