(1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416
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(1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

L’abbé Fléchier76

Les Mémoires de Fléchier sur les Grands Jours d’Auvergne, dont il n’avait été donné jusque-là que de rares et courts extraits, ont été publiés pour la première fois en 1844, et ont obtenu aussitôt le plus grand succès dans le monde et parmi les esprits cultivés, en même temps qu’ils ont soulevé toutes sortes de controverses dans quelques parties de la province. La nature de ces controverses avait même été telle, et l’on s’était attaqué si vivement à la personne de M. Gonod, l’honorable éditeur, qu’il devenait à craindre qu’il ne se décidât point à donner une seconde édition fort désirée. Il mourut du moins, en 1849, avant d’avoir pu satisfaire à ce vœu de l’élite du public77. Aujourd’hui que tout ce grand feu est apaisé, et qu’un esprit conciliant a prévalu, les Mémoires de Fléchier reparaissent dans les circonstances les plus propres à en faire goûter l’agrément sans qu’il doive s’y mêler aucun fiel ni aucune amertume. Mon but, dans cette introduction, sera surtout d’amener tous les esprits qui daigneront me suivre à comprendre que ces Mémoires sont tout à fait d’accord, et pour le fond et pour le ton, avec ce qu’on pouvait attendre de la jeunesse de Fléchier ; qu’ils ne la déparent en rien ; qu’ils font honneur à l’esprit de l’auteur, à sa politesse, sans faire aucun tort à ses mœurs, ni à sa prochaine et déjà commençante gravité ; que dans ce léger et innocent ouvrage, il a tout simplement le ton de la société choisie où il vivait ; et qu’on ne saurait, même au point de vue de la morale et de la religion, trouver cela plus étonnant que de voir saint François de Sales ouvrir son Introduction à la vie dévote en nous narrant de la bouquetière Glycera.

Voyons Fléchier tel qu’il était, apprenons à le goûter dans les qualités qui lui sont propres et qui lui assurent un rang durable comme écrivain et comme narrateur ; ne craignons pas de nous le représenter dans sa première fleur d’imagination et d’âme, dans sa première forme de jeune homme, d’abbé honnête homme et encore mondain ; et bientôt sans trop de complaisance, sans presque avoir à retrancher, nous arriverons insensiblement à celui qui n’avait eu en effet qu’à se continuer lui-même, et à se laisser mûrir pour devenir l’orateur accompli si digne de célébrer Montausier et Turenne, et l’évêque régulier, pacifique, exemplaire, édifiant. Il n’y a pas de vie plus unie que la sienne, ni qui se tienne mieux.

Esprit Fléchier, né en juin 1632 à Pernes, dans le Comtat-Venaissin, d’une honnête famille, mais appauvrie et réduite au petit commerce, annonça d’abord les dispositions d’un sujet parfait. Il reçut en naissant « un esprit juste, une imagination belle, mais réglée, un bon cœur, des inclinations droites » ; et comme l’a dit un autre de ses biographes, il reçut du ciel « ce naturel heureux que le sage met au rang des plus grands biens, et qui tient peu du funeste héritage de notre premier père. Les passions ne le transportaient pas ; un feu pur et doux l'animait. Il avait pour oncle maternel un père de la Doctrine chrétienne, assez célèbre en son temps, le père Hercule Audifret. Il fit donc ou acheva ses études à Tarascon dans le collège des prêtres de la Doctrine, et s’engagea même ensuite dans la congrégation, mais par des vœux simples. Il professa les humanités en différentes villes, et la rhétorique à Narbonne. Devenu prêtre, il eut à prononcer dans cette dernière ville l’oraison funèbre de l’archevêque mort en 1659 ; il n’avait mis que dix jours au plus à la préparer. La maladie et la mort de son oncle, le père Hercule, l’appelèrent à Paris en cette même année ; il se proposa d’y rester, et n’ayant pu le faire avec la permission de ses supérieurs, il sortit de la congrégation, mais en se déliant avec douceur comme ce sera toujours sa façon et méthodeae, en emportant et en laissant les meilleurs souvenirs. Il avait vingt-huit ans. C’est ici que le littérateur pour nous commence à paraître. Il s’était exercé jusque-là dans de petites compositions, dans des jeux d’esprit scolaires ou académiques ; il va continuer dans le même sens, en étendant un peu ses cadres.

Il connut Conrart, secrétaire perpétuel de l’Académie française, et qui se plaisait à produire les talents nouveaux. Ce fut Conrart qui, comme on le disait, donna Fléchier à M. de Montausier. Ce fut lui qui le recommanda à Chapelain qui était, à cette date, la grande autorité littéraire et le procureur général des grâces. Fléchier aimait à faire des vers latins : il songea à s’en servir pour sa réputation et pour sa fortune littéraire ; cette ancienne littérature scolastique, qui a encore eu, depuis, quelques rares retours, n’avait pas cessé de fleurir à cette date, avant que les illustres poètes français du règne de Louis XIV eussent décidé l’entière victoire des genres modernes, Fléchier avait adressé au cardinal Mazarin une pièce de félicitation en vers latins (Carmen eucharisticum) sur la paix des Pyrénées (1660) ; il en fit une autre l’année suivante, sur la naissance du Dauphin (Genethliacon). C’est à ce sujet que Chapelain lui écrivait une lettre que j’ai sous les yeux, inédite, datée du 18 janvier 1662, portant à l’adresse : M. Fléchier, ecclésiastique à Paris. On y lit :

Monsieur,

Je reçus votre lettre et le poème latin qui l’accompagnait avec beaucoup de pudeur, ne pouvant sans rougir voir que vous le soumettez à mon jugement, lequel je ne puis exercer sans témérité sur d’autres ouvrages que sur les miens propres ; et je vous avoue que soit par cette raison, soit par le peu de loisir que me laissent mes occupations, je fus tenté de m’excuser du travail que vous exigiez de moi, et que le seul nom de M. Conrart me fit retenir votre cahier et résoudre de vous complaire. Mais, après avoir lu votre poème, vous n’eûtes plus besoin de sa recommandation auprès de moi ; vous vous y rendîtes assez considérable par vous-même, et, tout inconnu que vous me fussiez, vous vous fîtes tout seul connaître à moi pour un homme de mérite et d’esprit qui n’aviez pas une médiocre habitude avec les muses, et qui étiez avantageusement partagé de leurs faveurs. Il y a dans cette pièce de ce génie poétique qui est si peu ordinaire, grande quantité de sentiments élevés, et de vers noblement tournés. Tout y est du sujet, et le sujet sublime de soi n’y est du tout point ravalé par les expressions fort latines, et par les nombres fort soutenus et fort arrondis. L’invention m’en semble même selon l’art, et je n’y ai rien trouvé qui me donne scrupule, sinon que vous y introduisez la Renommée comme une divinité qui pénètre dans les choses futures, quoique sa fonction ne soit que de parler des événements présents ou passés. Vous y ferez réflexion, et en communiquerez avec vos amis habiles, auxquels je m’en rapporte s’ils ne s’y arrêtent pas. Je suis de leur avis pour la publication de l’ouvrage, et quand il aura paru, il aura mon suffrage et mes éloges auprès de ceux qui m’estiment connaisseur en ces matières-là…

Le ton de cette lettre est cérémonieux et un peu pesant, mais le jugement est exact. Nous y voyons Fléchier au début et appliquant à la poésie latine quelques-uns des mérites de diction qu’il transportera ensuite dans la prose française. La lettre de Chapelain se termine par deux ou trois remarques de détail dont il paraît que Fléchier a tenu compte78. La pièce en elle-même est élégante, ingénieuse, sans le feu et l’ardeur de la belle églogue de Virgile intitulée Pollion, mais animée d’une douceur et comme d’une onction pacifique très sensible et très sincère. L’expression de mitis y revient souvent et nous donne la note de cet esprit doux par excellence, et qui sut l’être sans fadeur. Le dauphin, dit-il, n’a dû naître qu’après les guerres terminées et à une heure de paix pour tout le mondeaf :

                                        Sic Fata parabant,
Nec decuit mites nasci inter crimina divos.

Il serait peu raisonnable, sans doute, d’accuser Fléchier de paganisme pour ce Fata et ce divos. Il le serait tout aussi peu de l’aller accuser de galanterie (dans l’acception fâcheuse) et de licence pour certaines anecdotes des Grands Jours. Dans l’un et dans l’autre cas, il obéit à un genre admis et à un ton donné.

C’est ainsi que dans sa pièce latine la plus considérable, qu’il a consacrée à célébrer le Carrousel royal de 1662, et à décrire les divers groupes de cavaliers qui y figuraient, il n’a eu garde d’oublier ce qui fait le principal attrait des tournois, les dames qui regardent et qui s’y enflamment, et Cupidon dans les airs qui se réjouit.

                      Mediis e nubibus ipse Cupido
Dulces insidias furtim meditatur, et artem
Exercet, ludumque suum ; sumptaque pharetra,
Blandis plena dolis et dulci tincta veneno
Nostrarum in coetus nympharum spicula torquet
Improbus, accendit que animos, et suscitat ignes.
Quaeque suis agitur studiis, sua cuique cupido est…

Du sein des nuages, Cupidon lui-même prépare furtivement ses doux pièges, il exerce son art et fait son jeu ; prenant son carquois, il en a tiré des traits délicieusement perfides et trempés d’un charmant poison ; il les lance sur nos groupes de nymphes, le méchant ! et il allume les cœurs et il attise les flammes : chacune est en proie à ses partialités, chacune a son désir.

Il faudrait être bien farouche pour se courroucer contre une mythologie si poliment touchée.

La réputation de Fléchier dans le monde lettré commençait à se faire, grâce à ses compositions de collège qui avaient leurs lecteurs et leurs juges, même à la Cour. Dans le Mémoire de quelques gens de lettres vivants en 1662, dressé par ordre de M. Colbert, Chapelain après avoir parlé de Huet, qui, disait-il, « écrit galamment bien en prose latine et en vers latin », et du gentilhomme provençal Du Périer, aujourd’hui très oublié, continue sa liste en disant : « Fléchier est encore un très bon poète latin. »

Vers cette année 1662, faisant un voyage en Normandie, et sans doute pour y voir M de Montausier nommé gouverneur de cette province, Fléchier arrivait à l’improviste chez Huet avec qui il était très lié, se glissait à pas de loup jusqu’à lui dans sa bibliothèque et le serrait tout surpris entre ses bras : « Je ne fus pas médiocrement réjoui, nous dit Huet en ses Mémoires, de la visite d’un si agréable ami. » On voit d’ici cette jolie scène familière des deux futurs prélats, dont l’un petit abbé alors, et l’autre un simple gentilhomme normand.

C’est vers ce temps que Fléchier entra dans la maison de M. de Caumartin, maître des requêtes, à titre de précepteur de son fils. M. de Caumartin avait eu d’une première femme, Marie-Urbaine de Sainte-Marthe, un fils qui devint par la suite un magistrat et un administrateur distingué ; ce fut l’élève de Fléchier79. Ayants perdu sa première femme en 1654, M. de Caumartin, resté veuf pendant dix ans, épousa en 1664, en secondes noces, Mlle de Verthamon. Ce mariage fut célébré poétiquement par Fléchier, qui était déjà dans la maison ; il fit à ce sujet une élégie en vers français dans le goût d’alors qui précédait la venue de Despréaux. L’Amour se plaint à sa mère qu’Alcandre (c’est-à-dire M. de Caumartin) résiste à tous ses traits, et que depuis la mort de sa première femme, il demeure inflexible :

Il soupira jadis son amoureuse peine.
Et ne put s’affranchir de ma première chaîne ;
Mais après cette chaîne et ces liens rompus,
Il a repris son cœur et ne l’engage plus.
[…]
Si j’expose à ses yeux l’objet le plus charmant,
Il le regarde en juge et non pas en amant ;
Et si j’offre à ses feux quelque illustre matière,
À son peu de chaleur il joint trop de lumière ;
Il examine trop les lois de sa prison,
Et veut joindre à l’amour un peu trop de raison.

Vénus répond à son fils en le consolant, et lui dit qu’il ne faut pas désespérer à ce point du rebelle Alcandre :

Plus ses vœux sont tardifs, plus ils seront constants ;
Il diffère d’aimer pour aimer plus longtemps,
Et sa chaîne, mon fils, qu’il traîne de la sorte,
En sera quelque jour plus durable et plus forte ;
Relève ton espoir, et choisis seulement
Une parfaite amante à ce parfait amant.

Doris sera cette amante et cette seconde épouse, Doris à la fois belle et sage, également chère à Pallas et aux muses, mais qui ne veut avec celles-ci qu’un commerce secret. Fléchier, dans ce portrait flatteur et qui a du ton de L’Astrée, insiste comme il doit sur la pudeur et la modestie qui fait le trait principal de la beauté célébréeag :

Cette chaste couleur, cette divine flamme,
Au travers de ses yeux découvre sa belle âme,
Et l’on voit cet éclat qui reluit au dehors,
Comme un rayon d’esprit qui s’épand sur le corps.

Telle Fléchier nous dépeint et nous montre à l’avance la seconde Mme de Caumartin avec laquelle il fera l’année suivante le voyage d’Auvergne, et pour qui il rédigera le récit des Grands Jours. Ce fut très probablement pour elle aussi, et à sa demande, que le cardinal de Retz, quelques années après, entreprit d’écrire ses incomparables Mémoires. Mme de Caumartin avait en elle le don d’inspirer, et ce charme auquel on obéit.

Ces vers français de Fléchier qui rappellent ceux de d’Urfé, de l’ancien évêque Bertaut, ou encore ceux de Godeau, évêque de Vence, sont ce que j’appelle des vers élégants et polis d’avant Despréaux. Ceci se rattache à la remarque la plus essentielle dans une appréciation littéraire de Fléchier : il appartient, par le goût et par la manière à la société de l’hôtel de Rambouillet, et aux gens de lettres de la première Académie dont il était en quelque sorte l’élève ; c’est là, c’est dans ce double cercle qu’il prit son pli à l’heure où son talent se forma, et il le garda toujours, même en se développant par la suite et en s’élevant ; mais il ne se renouvela point.

On a de Fléchier d’autres vers français que ceux qui ont été recueillis dans ses œuvres complètes, et ils justifient encore mieux, s’il est possible, la filiation que j’établis. Un manuscrit de la Bibliothèque impériale (Suppl. fr., n° 1016 in-fol.), qui a appartenu à M. de Boze, porte en marge à la première page : Juvenilia Flecheriana 80 ; et en tête : Divertissements, jeux d’esprit ou passe-temps de la jeunesse d’une des premières plumes de ce siècle, et au-dessous : Amusements de la jeunesse d’un homme illustre. Ce petit recueil se compose de quelques pièces de vers et de prose qui auront paru trop galantes et trop légères pour entrer dans les Œuvres imprimées81. Elles sont bien de celui qui, devenu prélat, ne négligeait pas de correspondre avec Mme Des Houlières et avec Mlle de Scudery, et qui écrivait à la première : « Quelle joie pour moi, madame, de trouver, après le cours ennuyeux d’une visite de diocèse, une lecture aussi délicieuse que celle de vos poésies ! Je croyais n’avoir plus de goût que pour les soins de l’épiscopat et pour les règles de la discipline de l’Église ; mais j’ai senti que j’aimais encore les sonnets, les stances et les idylles, et qu’au milieu des occupations les plus sérieuses j’étais encore capable d’amusement. Vous m’avez remis devant les yeux l’image d’un monde que j’avais presque oublié, et je me suis intéressé aux plaisirs et aux chagrins que vous avez exprimés dans vos ouvrages. Tout y est juste, poli, judicieux… » Fléchier n’eut jamais honte de jeter un regard en arrière vers le premier idéal poétique qu’il avait conçu et cultivé dans sa jeunesse.

On lit, au tome ixe de ses Œuvres complètes, un écrit intitulé : Réflexions sur les différents caractères des hommes, et qui, bien qu’on s’explique peu le motif qui le lui aurait fait composer, se rapporte assez bien à l’ordre d’idées, d’habitudes sociales et d’inclinations littéraires, où l’on sait que Fléchier a vécu et auquel il resta fidèle jusqu’à la fin. Par exemple, le chapitre sur « L’esprit critique et satirique » est d’un homme qui préférait de beaucoup la morale insinuante de La Fontaine fabuliste à la franche satire de Boileau et même de Molière ; on dirait que l’auteur continue de faire, à l’égard de ces derniers, quelques-unes des restrictions et des réserves de M. de Montausier. Dans le chapitre intitulé : « Du commerce avec les femmes », l’artiste insiste sur l’utilité honnête à en tirer, tout en marquant les sages précautions. Il est une classe de femmes du monde qu’il ne conseille pas de voir, les coquettes, les joueuses, etc. ; mais, celles-là exceptées, il ne pense point que le commerce habituel avec des personnes du sexe qui ont du mérite puisse être blâmé et interdit ; bien au contraire :

Il y a, dit-il, une certaine manière de vivre avec les femmes que l’on peut voir, qui en rend le commerce agréable : et quelle est cette manière, sinon celle de l’honnêteté et de la bienséance ? On va souvent voir une dame, parce qu’il y a toujours compagnie chez elle ; que c’est un réduit de gens d’esprit et de qualité ; qu’on y parle toujours de bonnes choses, ou au moins d’indifférentes ; que l’on se fait connaître, et que l’on se met sur un pied à pouvoir se passer de jeu et de comédie, qui sont les plus ordinaires occupations des gens du siècle qui n’ont rien de meilleur à faire. C’est une bonne école pour un jeune homme que la maison d’une dame de ce caractère.

Et l’auteur entre dans un détail d’exemples assez agréable. Comme un homme qui dès sa jeunesse a vécu avec les honnêtes gens, il croit à la vertu chez les autres ; et même lorsque cette vertu n’est point parfaite d’abord, il estime quelle doit gagner avec le temps, et que les années y mettant la main, elle se perfectionnera :

Rien n’est plus capable, dit-il en concluant ce chapitre, de rendre un homme sage qu’une femme sage ; et on peut maintenant dire à la louange des dames, qu’elles apprennent à vivre à ceux qui les voient. À parler de bonne fois, elles ont plus de vertus que les hommes, et si elles sont un peu plus dans la bagatelle, l’innocence s’y conserve toujours et la pureté des mœurs n’en souffre aucune atteinte.

Un peu de jeunesse et un peu d’amour-propre leur fait aimer ce qu’elles mépriseront un jour, mais elles aiment déjà ce qu’elles aimeront un jour davantage.

Le style est un peu traînant, mais la pensée est délicate. Je dois avertir cependant que, bien qu’il se trouve recueilli parmi les œuvres de Fléchier et que, selon moi, il ne les dépare pas, cet écrit est reconnu pour ne pas être de lui, mais d’un ecclésiastique de son temps et de son école ; d’un abbé Groussault82 oublié aujourd’hui, et auteur de plusieurs ouvrages dont celui-ci est de beaucoup le meilleur. C’est un disciple uu peu moins vif, mais doux, et qui fait bien comprendre, et par principes en quelque sorte, cette manière honnête et non sauvage de vivre avec le sexe ; l’abbé Goussault, dans cet écrit où il recommande « les réduits de gens d’esprit et de qualité », ne fait qu’imiter Fléchier, dans l’oraison funèbre de la duchesse de Montausier, se souvenant si complaisamment « de ces cabinets que l’on regarde encore avec tant de vénération, où l’esprit se purifiait, où la vertu était révérée sous le nom de l’incomparable Arthénice… »

Ce que Saint-Simon a vivement exprimé et résumé à sa manière lorsqu’au sujet de M. de Montausier, dans ses notes sur Dangeau, il a dit : « L’hôtel de Rambouillet était dans Paris, une espèce d’académie des beaux esprits, — de galanterie, de vertu et de science —, car toutes ces choses-là s’accommodaient alors merveilleusement ensemble. »

Je crois maintenant que nous sommes préparés à bien entendre le Fléchier des Grands Jours, celui qui même dans la bagatelle et le divertissement ne déroge jamais à l’homme comme il faut, et annonce par endroits l’homme vertueux : mais il était jeune, mais il voulait plaire, mais il avait sa fortune et sa réputation d’esprit à faire ; mais on lui avait dit en partant de Paris : « M. Fléchier, vous nous écrirez tout cela ! » mais chaque soir Mme de Caumartin et d’autres personnes de ce cercle intime le lui rappelaient ; en écrivant il n’était que leur secrétaire. Il se mit donc à tout raconter avec détail, ironie, bonne grâce, galanterie, et un tact exquis des bienséances.

Toutefois l’idée de bienséance varie avec les âges et selon les moments. Fléchier a donné de lui-même, d’après la mode de son temps, un portrait accompli et dont on serait embarrassé de rien retrancher9. L’abbé Ducreux, éditeur des Œuvres complètes de Fléchier (1682), l’a publié en entier pour la première fois : seulement il avoue qu’il a cru devoir en quelques endroits substituer quelques termes à ceux de l’original : « non qu’ils aient rien de messéant, dit-il, mais nous avons pensé que cette attention était due aux personnes d’une imagination qui se blesse aisément, et qui découvre, sous les expressions les plus innocentes, des sens détournés et peu modestes dont ne se doutaient pas ceux qui les ont employés ». Quel dommage pour les connaisseurs et les amateurs de la pure langue que, cédant à de si vains scrupules, l’éditeur ait mis je ne sais quoi du sien dans ce portrait qui, tel qu’il est, nous paraît si charmant et de toute perfection, mais qui serait plus juste encore si l’on n’y avait rien changé ! car la diction de Fléchier, c’est la finesse, la justesse et la propriété même. Voilà pourtant ce qui serait immanquablement arrivé à la relation des Grands Jours si on l’avait publiée plus tôt83. Cette production, aussi curieuse qu’agréable, ne pouvait paraître dans toute sa sincérité et son intégrité, comme avec toute sa saveur, qu’après la vraie renaissance de goût pour le xviie  siècle, et cette reprise d’étude intelligente qui fait tant d’honneur à notre âge.

Ajoutez qu’à mesure qu’on s’éloigne de ces temps anciens et de ce régime aboli, il devient d’un intérêt historique sérieux d’en bien connaître les mœurs, les usages, les particularités, les excès ; de voir toute une province et des plus rudes, saisie au vif et prise sur le fait dans ses éléments les plus saillants et les plus heurtés, dans sa noblesse, son clergé, son tiers état et ses paysans, d’assister à l’enquête et à la justice, souvent bien expéditive, qu’on y fait au nom de l’autorité royale, treize ans seulement après les rébellions de la Fronde. Telle est la qualité nouvelle que la relation de Fléchier a acquise en vieillissant : ce qui, pour l’auteur devenu tout à fait grave, n’était plus qu’une bagatelle de société, ce qui a pu continuer de paraître tel en effet jusqu’à la fin du xviiie  siècle, et tant que dura l’ancienne monarchie, a pris, à la distance où nous sommes, toute l’importance d’un témoignage circonstancié, d’un tableau neuf et hors de prix. Là où Fléchier n’avait songé qu’à exercer sa plume et à badiner avec ses amis sur les singularités d’un voyage extraordinaire, il se trouve nous avoir ouvert un jour sur un coin de l’ancienne France qui, à travers ce style si poli, éclate d’autant plus brusquement à nos yeux.

On ne sait presque rien de l’état des provinces au xviie  siècle ; il faut en chercher les documents épars dans les correspondances administratives. On cite le journal de l’intendant Foucault comme comblant en partie cette lacune. La spirituelle gazette de Fléchier nous montre le dedans d’une province à une date un peu antérieure et non moins à nu que ne ferait un journal d’intendant ; on y a en sus l’élégance84.

Les Grands Jours supposaient un état de choses où la féodalité avait encore ses usurpations et ses licences, où elle se riait de la justice locale et la bravait, et où il fallait que le roi, protecteur de tous, étendît le bras pour rétablir le niveau de l’équité. Le roi alors nommait un tribunal extraordinaire exerçant une justice souveraine ; les lettres patentes qui conféraient aux juges-commissaires cette pleine autorité étaient soumises à la formalité de l’enregistrement, et rien ne manquait à l’appareil de ce parlement improvisé et sans appel. Lorsque Louis XIV prit en main le gouvernement après la mort de Mazarin, l’Auvergne était un des pays les plus signalés par le nombre comme par l’impunité audacieuse des crimes ; dès 1661 et dans les années suivantes, les intendants ne cessaient d’y dénoncer à Colbert toutes sortes d’abus de pouvoir et d’excès de la part des nobles, protégés et couverts qu’ils étaient par les officiers mêmes de justice : ce fut aussi l’Auvergne que l’on jugea à propos de choisir pour commencer la réparation dans le royaume. Le bras de Colbert se reconnaît à ce coup de vigueur frappé au début et dont le retentissement fut immense. D’autres provinces depuis eurent aussi leurs Grands-Jours ; le Velay eut les siens, Limoges également. Mais ceux de Clermont paraissent avoir été les plus autorisés (pour parler avec Fléchier) qui se soient jamais tenus, même en aucun temps précédent, et du moins ils sont les derniers qui nous représentent avec éclat toute la solennité et l’étendue de pouvoir inhérentes à cette institution. Elle fut plus tard remplacée et suppléée par la tenue des assises. L’unité d’organisation mise en vigueur et appliquée dans le royaume pendant le long règne de Louis XIV rendit désormais inutile la création de ces machines extraordinaires et réparatrices, qualifiées du titre effrayant de Grands Jours et destinées surtout à abattre les restes de la tyrannie seigneuriale.

La déclaration du roi portant établissement des Grands Jours à Clermont, datée du 31 août 1665, fut vérifiée et enregistrée au parlement le 5 septembre, et le même jour le roi adressa aux échevins et habitants de Clermont une lettre où il était dit :

Chers et bien amez, la licence qu’une longue guerre a introduite dans nos provinces, et l’oppression que les pauvres en souffrent, nous ayant fait résoudre d’établir en notre ville de Clermont en Auvergne une cour, vulgairement appelée des Grands Jours, composée des gens de haute probité et d’une expérience consommée, pour, en l’étendue du ressort que nous lui avons prescrit, connaître et juger de tous les crimes, punir ceux qui en seront coupables, et faire puissamment régner la justice ; à présent qu’ils s’en vont pour vaquer à la fonction de leurs charges, et satisfaire à nos ordres, nous voulons et vous mandons que vous ayez à leur préparer les logements qui leur seront nécessaires, etc.

M. de Novion, président à mortier, était établi président de ce tribunal composé de seize conseillers pour commissaires et assesseurs. M. Denis Talon, avocat général, devait exercer les fonctions du ministère public. M. de Caumartin, maître des requêtes, était nommé pour tenir les sceaux et représenter plus directement le pouvoir royal. C’est du fils de M. de Caumartin, qu’on appelait M. de Boissy, alors âgé de douze ou treize ans, que Fléchier était précepteur. Mme de Caumartin la douairière, la jeune Mme de Caumartin étaient du voyage, ainsi que quelques-unes des femmes ou des mères des principaux magistrats. Mme Talon la mère était venue pour tenir le ménage de son fils, et le président de Novion brillait galamment au milieu de Mmes ses filles.

M. de Caumartin nous représente, dans ces Grands Jourss de Clermont, l’homme éclairé, un magistrat de cour, probe, poli, non pédant, sans passion ni prévention, humain et toujours prêt à graduer la justice, à l’adoucir sans l’énerver. Il est en lutte sourde de prérogative avec ses collègues les commissaires, qui restent obstinément des gens de robe et de palais jusqu’au sein de cette commission royale extraordinaire, et qui résistent à l’idée de devoir être présidés par lui, par un maître des requêtes, en cas d’absence ou de récusation de M. de Novion. Rien n’échappe à M. de Caumartin des ridicules et de la morgue de ses dignes collègues, de même que rien n’échappe à Mme de Caumartin la jeune des différents travers et des airs guindés ou évaporés de ces dames, de celles même venues de Paris, et qui ne sont pas tout à fait de son monde. Fléchier touchera tout cela dans le goût de ses patrons, qui est aussi le sien, avec finesse, d’un air d’indulgence et d’une griffe légère.

Durant quatre mois pleins, depuis le 25 septembre 1665, jour d’arrivée à Clermont, jusqu’au 4 février suivant, jour du départ, la maison de M. de Caumartin fut un centre de réunion et pour MM. des Grands Jours, et pour les principaux de la ville, et même pour ceux de la noblesse qui se rassurèrent à la fin jusqu’à venir affronter la vue des terribles juges. Fléchier, d’un coin du salon où il souriait et causait avec grâce, vit tout et vit bien. C’était, on le conçoit, une partie de plaisir et un régal unique pour ce beau monde de Paris, que cette expédition et ces quartiers d’hiver au cœur d’une province réputée des plus sauvages, cette série de grands crimes, ces exécutions exemplaires auxquelles on n’était pas accoutumé de si près, et entremêlées de dîners, de bals et d’un véritable gala perpétuel. Chapelle et Bachaumont, dix ans auparavant, avaient écrit une relation de leur voyage pour bien moins. Tallemants des Réaux, vers ce même temps, notait des historiettes qui étaient moins piquantes et moins relevées en saveur. Fléchier, à sa manière, fit donc comme eux, il écrivit ses historiettes et son voyage, il tint son journal. Il aurait voulu se dérober à cette tâche de société, qu’on ne le lui aurait pas permis. — « M. Dongois est le greffier de la cour, à la bonne heure ! mais vous, monsieur Fléchier, vous êtes le nôtre. » Il me semble que j’entends le rire et les paroles. On a dû lui dire quelque chose d’approchant.

Son livre, d’ailleurs, a de la composition, de l’art ; Fléchier en met à tout. Il considère les Grands Jours comme une sorte de tragi-comédie, et il y dispose le touchant, l’horrible, le gai, avec alternative et comme on assortit des nuances. Il ne commence son récit qu’à l’arrivée à Riom, et lorsqu’on est sur la terre d’Auvergne. À propos de la rivalité entre Riom et Clermont, il cite complaisamment des vers de Chapelain, ce qui lui arrivera encore en un autre endroit : il y a là une légère flatterie à l’adresse de Chapelain, l’un de ses protecteurs. Parmi les choses rares de la ville, il se laisse montrer une dame qu’on y estime, tant en esprit qu’en beauté, l’une des merveilles du monde. Il entre dans le détail de cette beauté qui, sans être achevée, lui paraît avoir de l’agrément :

Ceux qui la connaissent particulièrement, dit-il, trouvent en elle quelque chose de plus charmant que cet extérieur, et disent que c’est l’esprit le plus doux, le plus enjoué, le plus insinuant et le plus adroit du monde, qui pense très justement, donne un tour très galant à ce qu'elle pense…. Aussi, tiennent-ils la conquête de ses yeux sûre, et ne croient pas que les cœurs les plus sévères puissent tenir une demi-heure contre elle, lorsqu’elle a bien entrepris de les toucher. Je sais des gens qui voulaient bien en faire l’épreuve.

Ces gens-là ne sont autres que lui-même. N’allons pas faire comme des lecteurs peu avertis. Ne nous en étonnons pas, ne nous en scandalisons pas. Fléchier, à cet âge et dans cette mode de société, est et doit être, au moins en paroles, partisan et sectateur du bel amour raffiné, de l’amour, respectueux à la Scudéry ; de l’amour, non pas tel qu’on le fait dans le petit monde, mais de celui qui durerait des siècles avant de rien entreprendre et entamer. Il sait sa carte de Tendre, il sait son code et sa procédure des cours d’amour, il a lu L’Astrée. Lisez donc la première historiette toute romanesque qu’il a mise à dessein en tête des Grands Jours pour les commencer sous de gracieux auspices, et ne pas trop dépayser tout d’abord, lisez-la comme vous feriez d’une nouvelle de Segrais ; voyez-y ce qu’il a voulu surtout y montrer, l’application du sentiment et du ton des précieuses chez une belle de province ; et tout en notant ce que le récit a pour nous de singulier de la part d’un jeune abbé, qui avait déjà titre alors prédicateur du roi, disons-nous bien : ce n’est là autre chose qu’une contenance admise et même requise dans un monde d’élite, l’attitude et la marque d’un esprit comme il faut. Qu’ajouter encore ? la sage Mme de Caumartin trouvait cela fort bon chez le précepteur de son fils ; Mme de Sablé, l’oracle de la justesse et censée convertie, si on lui prêta ensuite la relation à lire (comme il est bien probable), n’y trouvait pas à redire.

On se met en route de Riom pour Clermont. Fléchier se plaît à décrire le chemin et le paysage qui remplit agréablement l’intervalle. On est dans une longue allée plantée des deux côtés et arrosée d’un double ruisseau :

on découvre en éloignement les montagnes de Forez d’un côté, et une grande étendue de prairies, qui sont d’un vert bien plus frais et plus vif que celui des autres pays. Une infinité de petits ruisseaux serpentent dedans, et font voir un beau cristal qui s’écoule à petit bruit dans un lit de la plus belle verdure du monde. On voit de l’autre les montagnes d’Auvergne fort proches, qui bornent la vue si agréablement, que les yeux ne voudraient point aller plus loin, car elles sont revêtues d’un vert mêlé qui fait un fort bel effet, et d’ailleurs d’une grande fertilité…

Fléchier en chaque occasion aura de ces descriptions de la nature, descriptions un peu maniérées et qui empruntent volontiers aux choses des salons, au cristal, à l’émeraude, à l’émail, leurs termes de comparaison et leurs images : toutefois, sous l’expression artificielle, on retrouve un certain goût et un sentiment fleuri de la nature.

Chemin faisant il se raille un peu des harangueurs de campagne qui saluent au passage et retardent la marche de MM. des Grands Jours. Dès l’arrivée à Clermont sa raillerie change d’objet, et il montre M. Talon dans son zèle, visitant avant tout les prisons « pour voir si elles étaient sûres et capables de contenir autant de criminels qu’il espérait en faire arrêter ; et, suivant les chambres et les cachots, il minutait déjà les conclusions qu’il devait donner. » Ainsi débute et va procéder cette douce ironie sans trop avoir l’air d’y toucher ; et un peu plus loin il nous donnera de la magnifique harangue d’ouverture de M. Talon une analyse exacte et qui est à la fois malicieuse.

Ce n’est pas que la plaisanterie de Fléchier soit toujours irréprochable ; il a du bel esprit, et par endroits du précieux, il a du mauvais goût. Il caresse volontiers son idée jusqu’au bout et concerte son expression ; il pousse et redouble à plaisir son antithèse. Il veut introduire de l’agrément en tout et partout, même dans le récit des plus grands crimes. De ces défauts il gardera les uns jusqu’à la fin85, et il les fondra dans cettes manière compassée et ornée, qui, s’appuyant d’une période nombreuse et d’une parfaite justesse de diction, composera son éloquence. D’autres défauts pourtant tenaient à sa jeunesse, et ils disparaîtront avec l’âge. C’est ainsi que dans les Grands Jours, il parle des habitants des monts « qui ne menacent de rien moins que de brûler ceux qui leur font quelque déplaisir, et qui, étant toujours sous la neige, ne laissent pas d’avoir souvent recours au feu pour se venger ». C’est ainsi qu’il dira, par le même jeu de mots que Racine : « Cependant il est certain que pendant qu’il (un mari) faisait brûler ce chaume, sa femme brûlait d’amour avec son galant. » Pour marquer la fécondité des femmes de Clermont, et le grand nombre d’enfants qu’ont la plupart d’entre elles, il dira que la petite vérole, qui est la contagion des enfants, « s’étant répandue, s’est enfin lassée dans la ville, et après en avoir emporté plus de mille, s’est retirée de dépit qu’elle a eu qu’il n’y parût pas ». Par cette disposition de bel esprit qui s’arrête et se complaît à la bagatelle, Fléchier n’est point de l’école sévère et judicieuse de Boileau : il a en lui de ce goût qu’aura Fontenelle, et qu’avait Benserade, un goût de ruelles dans le meilleur sens du mot.

Quoique bon et exquis écrivain à sa date, il n’est pas attique : l’atticisme est proprement l’opposé du genre asiatique trop surchargé d’ornements ; mais il a éminemment l’urbanité, qui est le contraire de la rusticité.

Il s’est bien peint à nous dans sa première forme littéraire lorsque, dès les premiers jours de son arrivée à Clermont, étant allé faire une visite à Vichy, il y rencontre des religieuses, des dames, un capucin à demi mondain, et des précieuses de province. « Faire des vers et venir de Paris, ce sont deux choses qui donnent bien de la réputation dans ces lieux éloignés. » Or Fléchier réunissait ces flatteuses conditions, ayant déjà publié des vers qu’on avait distingués dans les recueils du temps, et de plus étant prédicateur déjà fort goûté. Le compliment guindé que lui adressent les précieuses du lieu en l’abordant ; L’Art d’aimer, traduit par le président Nicole, qu’elles trouvent sur sa table, et qu’il leur prête avec le regret de ne pouvoir en même temps les rendre plus aimables ; la demande d’un sermon à faire, qui lui arrive précisément ce jour-là, tout cet ensemble compose un petit tableau malin, moqueur, assorti pourtant, et où rien ne jure. Fléchier, en écrivant son récit, ne songeait qu’à faire sourire son beau monde aux dépens des fausses précieuses : aujourd’hui, quand nous le lisons, une partie de notre sourire lui revient à lui-même, à l’abbé spirituel et fin, si bien tourné, si pénétré de son bon goût, mais un peu précieux.

Arrivant à son sujet principal qui est la chronique des Grands Jours, il nous montre le premier coup qui frappe sur une tête altière et imprudente, le vicomte de La Mothe de Canillac, « fort considéré pour sa qualité dans la province, et, au sentiment de tous, le plus innocent de tous les Canillac ». Ce qui n’empêchait pas qu’il n’eût bien à se reprocher quelques petits crimes ; mais allié et parent du président même des Grands Jours, de M. de Novion, et fort de son innocence relative, 86 le vicomte de Canillac devait se croire à l’abri des recherches, et il fut le premier atteint. Il avait contre lui les souvenirs de la Fronde, et d’avoir guerroyé contre le roi. Le président, comme les hommes peu sûrs de leur conscience, était avide de commencer par un coup d’éclat, qui mît la sienne en honneur, et qui affichât hautement son impartialité. M. Talon aussi, dans sa morgue magistrale, réclamait une première grande victime exemplaire, qui imprimât la terreur à la ronde. Fléchier nous fait discrètement sentir ces raisons combinées, et il exprime, en la partageant, l’opinion de M. de Caumartin, plus humain et plus équitable. On sent déjà, à cette modération du narrateur, le futur évêque de Nîmes, qui, dans ses luttes diocésaines avec les protestants, aura à adoucir sans cesse l’humeur et les procédés expéditifs de M. de Bâville.

Cette première arrestation de M. de Canillac, et celle d’un autre gentilhomme, M. de Montvallat, firent une grande impression dans les campagnes : à force d’y paraître appuyer les faibles, les Grands Jours rendirent tout à coup ceux-ci insolents, et peu s’en faut oppresseurs à leur tour. M. de Novion a l’air de s’en applaudir, et, dans une lettre adressée à Colbert, il disait (octobre 1665) :

Nous avons quantité de prisonniers ; tous les prévôts en campagne jettent dans les esprits la dernière épouvante. Les Auvergnats n’ont jamais si bien connu qu’ils ont un roi comme ils font à présent. Un gentilhomme me vient de faire plainte qu’un paysan lui ayant dit des insolences, il lui a jeté son chapeau par terre sans le frapper, et que le paysan lui a répondu hardiment qu’il eût à lui relever son chapeau, ou qu’il le mènerait incontinent devant des gens qui lui en feraient nettoyer l’ordure. Jamais il n’y eut tant de consternation de la part des grands, et tant de joie entre les faibles.

Le trait, tel qu’il est rapporté par M. de Novion, a un air de fierté qui ne déplaît pas et qui pourrait faire illusion ; il y faut un correctif. Fléchier, dans l’aperçu qu’il donne des mêmes circonstances et des mêmes scènes, est plus véridique ou plus complet. Il nous fait voir le paysan, l’homme voisin du sol et en ayant gardé de la dureté, tel qu’il était alors, tel que le connaissait d’abord le vieil Hésiode, et tel qu’il redevient si aisément dans tous les temps. « Nous autres races d’hommes qui vivons sur la terre, nous sommes jaloux », a dit quelque part Ulysse chez Homère. Dure et ingrate nature humaine, pétrie au fond d’envie, bien plus que de bonté, qui ne sort guère d’un excès que pour un autre, et qui, dès qu’elle n’est plus foulée et à terre, a besoin de fouler quelqu’un :

Si on ne leur parle avec honneur, nous dit Fléchier dans son récit, et si l’on manque à les saluer civilement, ils en appellent aux Grands Jours, menacent de faire punir, et protestent de violence. Une dame de la campagne se plaignait que tous ses paysans avaient acheté des gants et croyaient qu’ils n’étaient plus obligés de travailler, et que le roi ne considérait plus qu’eux dans son royaume. Lorsque des personnes de qualité, d’esprit et de fort bonnes mœurs, qui ne craignaient point la plus sévère justice, et qui s’étaient acquis la bienveillance des peuples, venaient à Clermont, ces bonnes gens les assuraient de leur protection, et leur présentaient des attestations de vie et mœurs, croyant que c’était unes dépendance nécessaire, et qu’ils étaient devenus seigneurs, par privilège, de leurs seigneurs mêmes.

Mais voici ce qu’ajoute Fléchier, et qui est plus curieux que tout, car on y retrouve cette éternelle question des biens chez une race avare et âpre au partage : « Ils étaient encore persuadés que le roi n’envoyait cette compagnie que pour les faire rentrer dans leur bien, de quelque manière qu’ils l’eussent vendu, et sur cela ils comptaient déjà pour leur héritage tout ce que leurs ancêtres avaient vendu, remontant jusques à la troisième génération. » En n’ayant l’air que de sourire, le futur évêque de Nîmes se montre encore ici un connaisseur très clairvoyant et très expérimenté de la nature humaine, et ne versant d’aucun côté. C’est un moraliste qui connaît les grands, et déjà les petits.

L’humanité, dont Féchier donne en plus d’un endroit des marques, ne prend jamais la forme à laquelle le xviiie  siècle nous accoutumera ; il ne fait point état de philanthropie, il n’étale rien. Lorsque, dans son récit, il en a assez de ces détails sur la question, la torture, et sur les façons de procéder de la justice d’alors, il nous dira sans transition aucune, et simplement pour varier : « C’est une chose agréable que la conversation ; mais il faut un peu de promenade au bout, et je ne trouve rien de plus doux que de prendre un peu l’air de la campagne après avoir passé quelques heures d’entretien dans la chambre. Nous montâmes donc en carrosse avec quelques dames…. » Dans son mélange d’historiettes (et il appelle quelquefois ainsi d’affreuses histoires) il a soin d’en introduire de temps en temps d’agréables, et qui diversifient les impressions. Parmi les plus jolies, il faut compter l’idylle de la belle Étiennette et de son amoureux, tous deux pareils à Daphnis et Chloé, et la malice du sorcier qui leur joua, pendant leur première semaine de noces, un si vilain tour. Ceux qui, à la lecture, se sont effarouchés de cette espièglerie si gentiment racontée, et de quelques autres traits du même genre, ou de quelques mots francs et vifs à la rencontre, ignorent donc comment on causait alors dans la meilleure compagnie, et je dirai même, quand on s’y sent bien à l’aise et chez soi, comment on y cause aujourd’hui encore.

Les jours de grande exécution, Fléchier aimerait à sortir de la ville et à se tenir à l’écart, par un sentiment d’humanité, qui se confond chez lui avec la bienséance. Après plusieurs jours de mauvais temps, et lorsqu’un rayon de soleil permet la promenade, il s’échappe volontiers et va chercher, ne fût-ce que dans quelque cloître, un lieu propice à la réflexion et à un paisible entretien. Il a introduit habilement et ménagé, à travers son récit, quatre ou cinq de ces entretiens développés, dans lesquels les personnes du lieu lui racontent, sur l’histoire et les événements du pays, ce qu’il n’a pu savoir directement de lui-même. C’est ainsi qu’au sortir de l’église des jésuites, il se fait raconter, par un janséniste de la ville, l’histoire de l’établissement des révérends pères à Clermont. On était alors au plus fort de la querelle religieuse ; il n’y avait pas dix ans que Les Provinciales avaient paru : Fléchier, on le sent, les a beaucoup lues, et son ironie en profite ; mais il garde son jugement libre, et il se moque doucement des deux partis.

Une des idées les plus singulières qu’ont eues les contradicteurs des Grands Jours, lors de la première publication, ç’a été de supposer que je ne sais quel philosophe du xviiie  siècle y avait intercalé à plaisir des passages ou des historiettes malignes pour faire tort à la religion et à la noblesse, et pour décrier l’ancien régime. S’il fallait discuter sérieusement cette assertion, elle ne subsisterait pas devant les preuves dites positives 87 et matérielles. Il existe une relation des Grands Jours d’Auvergne, autre que celle de Fléchier. Dongois, que j’ai déjà nommé, et qui remplissait les fonctions de greffier de la commission des Grands Jours, le même qui fut depuis greffier en chef du Parlement, et que Boileau, son oncle, a appelé quelque part l’illustre M. Dongois, rédigea à son retour à Paris, et par curiosité, un récit de ce qui s’était passé à Clermont. Ce récit, en style de procès-verbal, vient contrôler utilement l’élégante chronique de Fléchier, et il la confirme de tout point. « Il en prouve, suivant moi, l’authenticité de la manière la plus évidente. » C’est la conclusion d’un magistrat exact et consciencieux, M. Taillandier, qui a pris la peine d’examiner le manuscrit de Dongois, aux Archives. Mais, à ne nous en tenir ici qu’à la littérature, n’avons-nous pas aussi nos preuves ? Il y a une historiette, entre autres, celle du curé de Saint-Babel, qui avait surtout choqué : « On l’accusait dans le monde, dit Fléchier en parlant de ce curé condamné à mort pour ses méfaits, d’avoir instruit ses paroissiennes d’une manière toute nouvelle ; de leur avoir inspiré quelque autre amour que celui de Dieu, et de leur avoir fait des exhortations particulières, bien différentes des prônes qu’il leur faisait en public. » Et continuant sur le même ton, il raconte comment ce curé, un jour qu’il était appelé près d’une mourante pour les derniers sacrements, avait négligé la maîtresse pour la servante : « Il ne se soucia plus du salut de sa maîtresse, dans le dessein qu’il eut contre l’honneur de la servante… Au lieu d’écouter la confession de l’une, il faisait sa déclaration à l’autre ; et bien loin d’exhorter la malade à bien mourir, il sollicitait celle qui se portait bien à mal vivre ; et la prenant par la main et par le menton : — Quelle peine ! disait-il, pour moi ! etc. » Et il met dans la bouche du coupable un discours tout en contrastes et en concetti. Je le demande, ce récit n’est-il pas signé de Fléchier, à chaque ligne, par le bel esprit symétrique et par l’antithèse ? Oh ! que la plaisanterie irréligieuse de Voltaire procède différemment ! elle est vive, elle est alerte et hardie ; elle insulte ce qu’elle touche, elle met sans façon la main aux choses ; ou, si par adresse et par ruse, chez quelqu’un de ses disciples, cette plaisanterie en de tels sujets se déguise et se fait raffinée, riante, coquette et lascive (comme chez Parny), vous sentez le venin sous le miel :

Impia sub dulci melle venena latent.

Chez Fléchier, au contraire, nous avons, aux endroits où elle nous paraît moins convenable, la plaisanterie innocente et froide, non pas même d’un Voiture (celui-ci avait l’esprit trop libertin), mais d’un disciple compassé de Balzac, qui développe et déplisse lentement sa pensée, et ne fait grâce d’aucune des broderies qu’elle renferme.

Parmi les plaisanteries et les gaietés qui se mêlèrent aux Grands Jours, il en était une assurément plus leste et plus dégagée, plus ronde que la sienne : c’était celle de Marigny, le fameux frondeur, le gai chansonnier. Marigny était une des créatures de Retz, à qui il s’était comme donné durant la Fronde, et qui l’employa plus d’une fois à jeter du ridicule sur ses adversaires. Il avait le génie du vaudeville et de la parodie. Il faisait profession de divertir ses amis et patrons, et de les faire rire à tout sujet. M. de Caumarlin s’était accoutumé à ce joyeux sel que répandait Marigny, et ne s’en passait pas volontiers. Pendant les Grands Jours, et dans l’intervalle des pendaisons, il entretenait avec lui une correspondance récréative, et lui écrivait à Paris pour l’exciter et le provoquer. Fléchier a inséré dans son journal une de ces lettres burlesques de Marigny. « On lui répondait aussi avec beaucoup de gaieté », ajoute-t-il. Je serais étonné si cet on ne cachait pas Fléchier lui-même, qui dut quelquefois tenir la plume au nom de toute la société, et se mettre en frais de burlesque, ce qui ne lui allait pas.

Fléchier ne rit pas aux éclats ; il sourit, — il sourit en jetant un coup d’œil au miroir, et en regardant spirituellement son voisin ; il a la gaieté prolongée et discrète, un peu étudiée, comme sa grâce.

Je ne prétends pas analyser Les Grands Jours, qu’on va lire ; je n’ai voulu qu’indiquer l’esprit dans lequel cette lecture doit se faire, et quelques-unes des réflexions auxquelles elle prête. Il y a des portraits piquants, d’un demi-comique achevé, et qui, pour la finesse du trait, rappellent ceux d’Hamilton. M. Talon et sa digne mère, qui a la manie de tout présider et de tout régenter autour d’elle ; M. de Novion, le fastueux et le galant, avec sa nuance légère d’iniquité88 ; M. Nau le croquemitaine, qui fait donner la question avec la même fureur qu’il danse lui-même la bourrée, ce sont moins là encore des portraits que des personnages d’une comédie de société et d’un proverbe : on les voit agir et vivre. Fléchier n’a rien de Molière en lui, mais il a du Théodore Leclercq : qu’on me pardonne bien vite ce rapprochement.

Les honneurs des Grands Jours sont et devaient être dans le récit de Fléchier pour M. de Caumartin son Mécène. Par un tour délicat il a mis l’éloge de M. de Caumartin dans la bouche d’un homme de considération avec qui il est censé s’entretenir en route, et en se promenant le long du canal de Briare. Ce résumé des impressions reçues durant ces quatre mois de haute judicature, et du rôle que chacun y a tenu, est d’un écrivain qui ne laisse rien au hasard, et qui sait comment on termine un ouvrage même facile, et qu’il ne publiera pas.

Cependant, après avoir vaqué au charme et à l’amusement de ce qui l’entourait, Fléchier devait songer à ce qu’on pourrait montrer au public : il fit donc une pièce de vers latins, In conventus juridicos Arvernis habitos carmen, où il célébrait tout le monde, et, par-dessus tout, le roi, qui faisait revivre pour l’Auvergne, en proie jusqu’alors aux violences et aux crimes, un âge meilleur et le règne d’Astrée, Cette pièce officielle, qui fut imprimée à Clermont (1665), ressemble aussi peu à la relations des Grands Jours qu’une oraison funèbre ressemble à la vie réelle de l’homme. Un peu avant son retour il envoyait un exemplaire de ce petit poème à l’éternel et inévitable Chapelain, qui lui répondait (11 février 1666) :

J’ai eu un fort grand sujet de contentement dans la lecture de votre poème latin sur la justice des Grands Jours, qui est sans doute l’un de vos meilleurs, bien qu’il ne sorte rien que d’excellent de vous. Il n’eut été que bon, au reste, de m’en envoyer plus d’une copie89 pour faire souvenir de vous où vous savez, et tenir toujours votre nom et vos talents en considération sur des fondements aussi solides que ceux-là. À quoi, monsieur, ne servirait pas peu encore quelque autre ouvrage latin ou français sur la nouvelle largesse du roi dans la liberté qu’il a procurée par la terreur de ses armes et par l’effusion de ses trésors aux chrétiens captifs en Barbarie, qu’on n’attend que l’heure de voir revenir délivrés…

L’estimable Chapelain suggérait là à son jeune ami un nouveau sujet de poème officiel et ennuyeux, pour trouver occasion de le faire valoir en Cour et auprès de Colbert. Je n’ai pas à suivre la vie et la carrière de Fléchier. Ses protecteurs, et bientôt M. de Montausier tout particulièrement, se chargèrent de sa fortune. Je vois qu’en 1669, M. de Montausier avait songé à appliquer Fléchier à une interprétation et à un commentaire d’Horace, sans doute pour l’édition à l’usage du dauphin. Mais Fléchier allait trouver le principal et le plus brillant emploi de son talent dans la chaire. Il eut à prononcer, en 1672, la première de ses oraisons funèbres, celle de la duchesse de Montausier ; la reconnaissance de l’orateur y donna cours à l’éloquence. Quelques mois après, l’Académie française lui ouvrait ses portes, en remplacement de l’évêque de Vence Godeau. Ce fut à la séance de sa réception qu’on vit l’Académie pour la première fois convier le public et le beau monde et se parer comme pour une fête ; il séyait bien à la parole de Fléchier d’inaugurer ce genre de solennités. Il avait alors quarante ans. Tous les honneurs et les succès lui venaient à la fois.

C’est ainsi qu’il s’acheminait vers l’épiscopat, qu’il devait honorer par ses vertus. Nommé par le roi en 1685 évêque de Lavaur, et en 1687 évêque de Nîmes, il n’en eut les bulles que plus tard par suite des démêlés de la France avec le Saint-Siège. Dès le premier jour il en exerça les fonctions, sous un moindre titre, avec dévouement et avec zèle. Il revint à Paris en L’année 1690, pour prononcer l’oraison funèbre de la dauphine, et celle de son grand ami, le duc de Montausier. Il assista celui-ci à ses derniers moments, et l’exhorta à la mort, de même qu’il l’avait consolé et soutenu de ses entretiens affectueux, il y avait dix-huit ans, dans la première solitude de son veuvage : c’était dans les deux cas la même religieuse amitié, mais empreinte à la fin d’un caractère de plus et de l’imposante gravité du ministère. Fléchier était l’homme en tout des convenances et des devoirs. Parmi les lettres de la dernière époque de sa vie, j’en trouve une de janvier 1705 adressée à Mme de Caumartin la douairière, c’est-à-dire à celle même qui, quarante ans auparavant, dans la fleur de sa jeunesse, présidait si agréablement aux plaisirs et à la société des Grands Jours. Fléchier lui écrit :

Je vous souhaite, madame, à ce renouvellement d’année, tout ce qui peut contribuer à votre sanctification et à votre repos. Notre vie s’écoule insensiblement, et il ne nous reste, de ce temps qui passe, que les moments qui nous seront comptés pour l’éternité. Nous ne devons désirer de vivre que pour accomplir ce que Dieu demande de nous, et la tranquillité de la vie doit être regardée comme une grâce et une bénédiction de douceur qu’il répand sur nous, et qui nous engage à le servir avec plus de fidélité. Vous avez raison, madame, de nous féliciter de l’état paisible où nous sommes présentement dans nos diocèses. Il est difficile de s’assurer pour l’avenir de gens aussi corrompus et aussi furieux que l’étaient ceux-ci ; cependant ils paraissent apaisés ; ils ne tuent plus, ils ne brûlent plus, ils se remettent au travail… Ne cessez pas de prier le Seigneur pour nous…

Ce n’est pas là tout à fait le ton de la relation des Grands Jours ; mais pour avoir le droit de parler ainsi, de même que pour exhorter dignement M. de Montausier à la mort, Fléchier n’avait eu qu’à laisser venir les années et à mûrir : il n’avait rien à rétracter du passé.