(1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Préface »
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(1888) Petit glossaire pour servir à l’intelligence des auteurs décadents et symbolistes « Préface »

Préface

Les très nombreuses et incessantes polémiques que suscitèrent depuis trois ans les manifestations du groupe symboliste rappellent les grandes luttes qui, en ce siècle, signalèrent l’essor du romantisme et du naturalisme.

Sans vouloir préjuger de l’avenir probablement heureux qu’atteindront les efforts de cette littérature neuve il demeure aujourd’hui indéniable que l’attention du dilettante se doit astreindre à connaître des œuvres si bruyamment discutées.

Or, le plus considérable reproche vise l’étrangeté des termes mis en usage par ces œuvres. On en conclut à une pernicieuse difficulté de lecture pour quiconque n’est point initié au prestige hermétique des vocables.

Aussi semble-t-elle opportune la publication d’un glossaire capable d’aplanir le malentendu et de simplifier l’initiation.

Bien qu’il se garde de prétendre à une nomenclature rigoureusement complète et amplement savante, cet opuscule pourra du moins servir à guider l’esprit hésitant du lecteur novice. Il mentionnera la signification précise de tous les termes rares qu’on ne rencontre point dans les lexiques ordinaires et même celle des mots que délaissent d’habitude les pauvres vocabulaires de nos écrivains en renom.

Sont omis tous les substantifs, adjectifs ou verbes nettement dérivés de radicaux fréquents, par l’addition d’une désinence usitée.

Au reste, nous avouerons que les véritables néologismes apparaissent peu, que beaucoup de termes cités ici s’alignent dans les colonnes de l’abrégé du dictionnaire Larousse spécialement édité pour les écoles primaires, à la honte des folliculaires qui s’ébahirent à leur aspect.

Ainsi MM. Verlaine et Mallarmé n’employèrent jamais un mot exclu des dictionnaires officiels et leurs noms se trouveront rarement au bas des exemples.

Quant aux formes absolument originales, beaucoup dérivent directement du latin ou du grec, et sont instaurées suivant les règles admises. D’autres s’effectuent par l’apport des désinences ance, ure, appliquées à des vocables connus.

Ance marque particulièrement une atténuation du sens primitif qui devient alors moins déterminé, plus vague, et se nuance d’un recul. Ex. lueur, luisance. Lueur, c’est l’effet direct d’une flamme, Luisance sera un reflet de flamme dans un panneau verni, dans la nacre humide de l’œil, dans le froncis d’une sombre et soyeuse étoffe, etc., la syllabe ance produisant l’illusion sonore des dernières vibrations d’une corde harmonique au moment où elle va cesser de bruire. Le mot officiel Assonance donne la marque-étalon qui justifie la tentative.

La désinence ure indique une sensation très nette, brève ; elle diminue en renforçant ; elle circonscrit. Luisure sera un effet de lueur sur la vitre d’un lampadaire, sur la plaque d’un métal poli, sur l’orbe d’un bouton métallique ; elle sera l’éclat brusque du diamant dont une facette concentre subitement les feux du lustre ; la syllabe ure produisant une sensation d’arête vive, le brusque coup d’archet sur les notes aiguës du violon. Les mots officiels Égratignure, damassure, striure, brisure, etc., justifient.

Enfin, la plupart de ces néologismes consistent simplement à doter de formes actives ou passives les épithètes dépourvues de l’une ou de l’autre ; ils créent aussi le verbe qui nantira d’un pouvoir actif l’état marqué par un substantif ou par un adjectif. En un mot, ils font passer les radicaux par toutes les transformations légitimes et adéquates.

Tels sont brièvement les principes généraux suivant lesquels s’effectuent ces mutations.