(1757) Articles pour l’Encyclopédie « Sur la danse moderne »
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(1757) Articles pour l’Encyclopédie « Sur la danse moderne »

Sur la danse moderne

Baladin

Baladin, s. m. danseur farceur, bouffon, qui en dansant, en parlant ou en agissant, fait des postures de bas comique. Le bon goût semblait avoir banni des spectacles de France ces sortes de caractères, qui y étaient autrefois en usage, L’Opéra Comique les y avait fait revivre. La sagesse du gouvernement en abolissant ce spectacle, aussi dangereux pour les mœurs que préjudiciable au progrès et à la perfection du goût, les a sans doute bannis pour jamais. Voyez Opéra Comique [Article non signé] (B)

Baladoire

Baladoire, adj. danse baladoire, il se décline : ce sont les danses contre lesquelles les saints canons, les Peres de l’Eglise et la discipline ecclésiastique se sont élevés avec tant de force : les Païens mêmes réprouvaient ces danses licencieuses. Les danseurs et les danseuses les exécutaient avec les pas et les gestes les plus indécents. Elles étaient en usage les premiers jours de l’an et le premier jour de Mai. Voyez Danse.

Le pape Zacharie en 744 fit un décret pour les abolir, ainsi que toutes les danses qui se faisaient sous prétexte de la danse sacrée.

Il y a plusieurs ordonnances de nos Rois qui les défendent, comme tendantes à la corruption totale des mœurs. Recueil d’édits, ordonnances et déclarations des Rois de France. (B)

Bocane

Bocane, s. f. danse grave, ainsi nommée de Bocan, maître à danser de la reine Anne d’Autriche, qui en fut l’inventeur. On commença à la danser en 1645 : elle n’est plus d’usage. (B)

Brandons

Brandons, danse des brandons ; on exécutait cette danse dans plusieurs villes de France, le premier dimanche de carême, autour des feux qu’on allumait dans les places publiques ; et c’est de là qu’on leur avait donné le nom de brandons. Voyez Danse sacrée. Les ordonnances de nos rois ont sagement aboli ces danses, ainsi que les baladoires [voir Baladoire] les nocturnes, et celles qui se faisaient dans nos églises : cet usage était si fort enraciné, que malgré les sages précautions des évêques et des magistrats, il subsistait opiniâtrement dans quelques villes du royaume. A la fête de saint Martial, apôtre du Limousin, le peuple dansait encore vers le milieu du dernier siècle dans le chœur de l’église, dont ce saint est le patron. A la fin de chaque psaume, au lieu de chanter le Gloria Patri, tout le peuple chantait en langage du pays : san Marceau pregats per nous, è nous epingaren per bous ; c’est-à-dire, saint Martial priez pour nous, et nous danserons pour voue. Cette coutume est abolie. Bonnet, Histoire de la danse. (B)

Bourrée — avec l’auteur des termes d’orchestique

Bourrée, s. f. terme d’Orchestique. Il y a des pas qu’on nomme pas de bourrée. Voyez plus bas.

Il y a une danse qu’on nomme la bourrée : elle est gaie, et on croit qu’elle nous vient d’Auvergne : elle est en effet toujours en usage dans cette province. Elle est composée de trois pas joints ensemble, avec deux mouvements. On la commence par une noire en levant.

Mouret a fait de jolies bourrées ; il a porté ce genre d’airs et de danse dans ses ballets.

On l’a peu suivi, cette danse ne paraissant pas assez noble pour le théâtre de l’opéra. (B)

La bourrée est à deux temps, et composée de deux parties, dont il faut que chacune ait quatre mesures, ou un nombre de mesures multiple de quatre. Elle diffère peu du rigaudon. Voyez Rigaudon [Article non signé].

Bourrée, (Pas de) ce pas est composé de deux mouvements ; savoir d’un demi-coupé avec un pas marché sur la pointe du pied, et d’un demi-jeté : je dis un demi-jeté, parce qu’il n’est sauté qu’à demi ; et comme ce pas est coulant, son dernier pas ne doit pas être marqué si fort : on en a adouci l’usage, parce qu’il demande beaucoup de force dans le coup-de-pied ; on y a donc ajouté le fleuret [voir Fleuret]. Voyez la définition de ce pas.

Pas de Bourrée avec fleuret dessus et dessous. Ces pas se font en revenant du côté gauche, le pied droit étant à la première position. On plie sur le pied gauche en ouvrant les genoux, et étant plié on croise le pied devant soi jusqu’à la cinquième position, et l’on s’élève dessus. On porte ensuite le pied gauche à côté à la seconde position, et le droit se croise derrière à la cinquième, ce qui sait l’étendue du pas.

Ceux qui se font dessous et dessus ne diffèrent du premier, qu’en ce que le demi-coupé se croise derrière, et le troisième se croise devant.

Quant à ceux qui se font de côté en effaçant l’épaule, le corps étant posé sur le pied gauche, on plie dessus, ayant le pied droit en l’air près du gauche, et on le porte à côté en s’élevant sur la pointe, et en retirant l’épaule droite en arrière : mais la jambe gauche suit la droite, et se pose derrière à la troisième position, les genoux étendus sur la pointe, et pour le troisième on laisse glisser le pied droit devant à la quatrième position, en laissant poser le talon à terre, ce qui finit ce pas. Le corps étant posé sur le droit, on peut plier dessus, et en faire un autre du gauche.

Pas de Bourrée ouvert ; si on prend ce pas du pied droit, l’ayant en l’air à la première position, on plie sur le gauche, et l’on porte le droit à la seconde position, ou l’on s’élève sur ce pied, en faisant ce pas de la sorte : la jambe gauche suit la droite, en s’approchant à la première position, et dans le même temps le droit se pose entièrement, et de suite le gauche se pose à côté à la seconde position, en laissant tomber le talon le premier : lorsque le corps se pose sur ce pied, on s’élève sur la pointe ; par cette opération on attire la jambe droite, dont le pied se glisse derrière le gauche jusqu’à la troisième position, et le pas est terminé. Si l’on en veut faire un autre du pied gauche, il faut porter le talon droit à terre, plier dessus, et porter le pied gauche à côté, en observant les mêmes règles.

Pas de Bourrée emboîté ; ce pas s’appelle ainsi, parce qu’il s’arrête au second pas à l’emboîture. Il faut faire le demi-coupé en arrière, en portant le pied à la quatrième position. Le second pas se porte vite à la troisième, et l’on reste un peu dans cette position sur la pointe des pieds, les jambes étendues ; puis on laisse glisser le pied qui est devant jusqu’à la quatrième position. Ce mouvement se fait en laissant plier le genou de la jambe de derrière, qui renvoie par son plié le corps sur le pied de devant, ce qui fait l’étendue de ce pas. [Cette analyse des pas est d’un auteur inconnu.]

Branle

Branle, s. m. terme d’Orchestique ou de danse ; c’est un pas composé de plusieurs personnes qui dansent en rond en se tenant par la main, et en se donnant un branle continuel.

On commençait autrefois tous les bals par un grand branle : on les commence aujourd’hui ordinairement par les menuets.

Il y a le branle simple, et le branle double : le premier consiste en trois pas et un pied joint, qui se font en quatre mesures. On les répète pour faire le branle double. [Ce paragraphe n’est sans doute pas de Cahusac.]

Il n’y a guère de nom de province qu’on n’ait donné à quelqu’un des branles Français ; il y a des branles de Bourgogne, du Barrois, et de Bretagne.

Il y avait autrefois le branle des Lavandières, des sabots ; des chevaux, des pois, des ermites, de la torche, etc. les branles morgués, gesticulés, de la moutarde, etc. tous ces branles se réduisent à présent à un seul genre qu’on nomme branle à mener. Dans cette espèce de branle, chacun mène la danse à son tour, et se met après à la queue. C’est pour l’ordinaire aux chansons que l’on danse les branles. Orchésographie de Thoinot Arbeau. (B)

Chaconne

Chaconne, s. f. (Danse.) elle tient de la danse haute, et de la danse terre à terre, et s’exécute sur une chaconne, ou sur un air de ce mouvement. Voyez Chaconne en Musique [Article de Rousseau et d’Alembert].

On a porté fort loin de nos jours ce genre de danse. Le fameux M. Dupré n’en a guère exécuté d’autre.

Comme les chaconnes sont composées de divers couplets ; que dans ceux du majeur on met ordinairement des traits de symphonie forts et fiers, et dans ceux du mineur, des traits doux, tendres, et voluptueux, ce danseur trouvait dans cette variété les moyens de développer sa précision et ses grâces.

Il y a une chaconne en action dans le premier acte de Naïs. Sur ce grand air de violons, on dispute les prix de la lutte, du ceste, et de la course. M. Dupré jouait dans ce ballet le rôle principal : il recevait des mains de Naïs le prix du vainqueur, et de celles du parterre les applaudissements que mérite le plus grand talent en ce genre qu’on ait encore vu en Europe. (B)

Contredanse

Contredanse, s. f. danse qui s’exécute à quatre, à six et à huit personnes. L’invention en est moderne : elle est composée de pas différents, selon la nature des airs sur lesquels on danse. Au bal de l’Opéra on danse dans les deux bouts de la salle des contredanses différentes. On n’exécute guère dans les bals ni dans les assemblées, la Bretagne, l’Allemande, la Mariée, etc. qui étaient autrefois à la mode. La contredanse est plus gaie ; elle occupe plus de monde, et l’exécution en est aisée : il n’est pas étonnant qu’elle ait prévalu sur toutes les autres. On fait des contredanses sur tous les airs nouveaux qui ont de la gaieté. Celle des Fêtes de Polymnie, ballet de M. Rameau, représenté en 1745, fut si goûtée, qu’on n’a guère fait depuis de ballet sans contredanse ; c’est par-là qu’on termine pour l’ordinaire le dernier divertissement, afin de renvoyer le spectateur sur un morceau de gaieté. (B)

Courante — avec Jean-Jacques Rousseau et l’auteur des termes d’orchestique

Courante, s. f. (Musique et Danse.) ancienne espèce de danse dont l’air est lent, et se note ordinairement en triple de blanches avec deux reprises. (S)

La courante est composée d’un temps, d’un pas, d’un balancement, et d’un coupé. On la danse à deux. [Auteur inconnu.]

C’est par cette danse qu’on commençait les bals anciennement. Elle est purement française. Les menuets ont pris la place de cette danse, qu’on n’exécute presque plus.

Il y a le pas de courante qu’on fait entrer dans la composition de plusieurs danses.

Dans les premiers temps qu’on trouva la courante, on en sautait le pas ; dans la suite on ne la dansa que terre à terre. (B)

Pas de courante. Ses mouvements, quoique la courante ne soit plus en usage, sont si essentiels, qu’ils donnent une grande facilité pour bien exécuter les autres danses.

On nomme ce pas temps, parce qu’il est renfermé dans un seul pas et un seul mouvement, et qu’il tient la même valeur que l’on emploie à faire un autre pas composé de plusieurs mouvements. Voici comment ce pas s’exécute.

On place le pied gauche devant, et le corps est posé dessus. Le pied droit est derrière à la quatrième position, le talon levé prêt à partir. De là on plie en ouvrant le pied droit à côté ; et lorsque l’on est élevé et les genoux étendus, on glisse le pied droit devant jusqu’à la quatrième position, et le corps se porte dessus entièrement. Mais à mesure que le pied droit se glisse devant, le genou gauche se détend, et le talon se lève, ce qui renvoie avec facilité le corps sur le pied droit, et du même temps l’on s’élève sur la pointe. On baisse ensuite le talon en appuyant tout le pied à terre, ce qui termine le pas, le corps étant dans son repos par le pied qui pose entièrement.

On en peut faire un autre du pied gauche, en observant les mêmes précautions. [Auteur inconnu.]

Entrechat — avec l’auteur des termes d’orchestique

Entrechat, s. m. (Danse.) c’est un saut léger et brillant, pendant lequel les deux pieds du danseur se croisent rapidement, pour retomber à la troisième position. Voyez Position [Article non signé].

L’entrechat se prend en marchant, ou avec un coupé. Le corps s’élance en l’air, et les jambes passent également à la troisième position.

Il n’est jamais entrechat qu’il ne soit formé à quatre ; on le passe à six, à huit, à dix, et on a vu des danseurs assez vigoureux pour le passer à douze.

Ce dernier n’est point, et ne saurait jamais être théâtral ; on n’use pas même au théâtre de celui à dix. Quelque vigueur qu’on puisse supposer au danseur, les passages alors sont trop rapides pour qu’ils pussent être aperçus par les spectateurs.

Les excellents danseurs se bornent pour l’ordinaire à six, et le passent rarement à huit. Dupré se bornait à six.

L’entrechat emploie deux mesures ; la première sert au coupé ; la seconde à l’élancement du corps, au battement et au tomber.

Il se fait de face, en tournant, et de côté ; et on lui donne alors ces noms différents.

Deruel danseur de l’opéra du dernier siècle, faisait la cabriole en montant, et l’entrechat en tombant.

Peu de danseurs, même fameux alors, faisaient l’entrechat, pas même celui à quatre, qu’on appelle improprement demi-entrechat.

J’ai vu naître les entrechats des danseuses ; mademoiselle Sallé ne l’a jamais fait sur le théâtre ; mademoiselle Camargo le faisait d’une manière fort brillante à quatre ; mademoiselle Lany est la première danseuse en France qui l’ait passé au théâtre à six.

J’ai entendu dans les commencements de grands murmures sur l’agilité de la danse moderne : Ce n’est pas ainsi, disait-on, que les femmes devraient danser. Que devient la décence ? O temps ! ô mœurs ! Ah, la Prévost ! la Prévost… ! Elle avait les pieds en dedans et des jupes longues, que nous trouverions encore aujourd’hui trop courtes. (B)

Gargouillade — avec l’auteur des termes d’orchestique

Gargouillade, s. f. (Danse). Ce pas est consacré aux entrées de vents, de démons, et des esprits de feu ; il se forme en faisant du côté que l’on veut, une demi-pirouette sur les deux pieds. Une des jambes, en s’élevant, forme un tour de jambe en-dehors, et l’autre un tour de jambe en-dedans, presque dans le même temps. Le danseur retombe sur celle des deux jambes qui est partie la première, et forme cette demi-pirouette avec l’autre jambe qui reste en l’air. Voyez Tour de jambe [Article non rédigé].

Ce pas est compose de deux tours. Il est rare qu’on puisse faire ce tour également bien des deux côtés. [Ces deux paragraphes ne sont sans doute pas de Cahusac.]

Le célèbre Dupré faisait la gargouillade très bien lorsqu’il dansait les démons ; mais il lui donnait une moindre élévation que celle qu’on lui donne à présent : on l’a vue plus haute et de la plus parfaite prestesse dans le quatrième acte de Zoroastre.

Mlle Lyonnois qui y dansait le rôle de la Haine, et qui y figurait avec le Désespoir, est la première danseuse qui ait fait ce pas brillant et difficile.

Dans les autres genres nobles la gargouillade est toujours déplacée ; et fût-elle extrêmement bien faite, elle dépare un pas, quelque bien composé qu’il puisse être d’ailleurs.

Dans la danse comique on s’en sert avec succès, comme un pas qu’on tourne alors en gaieté ; au lieu qu’il ne sert qu’à peindre la terreur dans les entrées des démons, etc. (B)

Geste

Geste, s. m. mouvement extérieur du corps et du visage ; une des premières expressions du sentiment données à l’homme par la nature. Voyez Chant, Voix [Article de Rousseau], Danse, Déclamation. L’homme a senti, dès qu’il a respiré ; et les sons de la voix, les mouvements divers du visage et du corps, ont été les expressions de ce qu’il a senti ; ils furent la langue primitive de l’univers au berceau ; ils le sont encore de tous les hommes dans leur enfance ; le geste est et sera toujours le langage de toutes les nations : on l’entend dans tous les climats ; la nature, à quelques modifications près, fut et sera toujours la même.

Les sons ont fait naître le chant, et sont par conséquent la cause première de toutes les espèces de Musique possibles. Voyez Chant, Musique [Article de Rousseau]. Les gestes ont été de la même manière la source primitive de ce que les anciens et nous avons appelé danse. Voyez l’article suivant [Geste (Danse)]. Pour parler du geste d’une manière utile aux Arts, il est nécessaire de le considérer dans ses points de vue différents. Mais de quelque manière qu’on l’envisage, il est indispensable de le voir toujours comme expression : c’est là sa fonction primitive ; et c’est par cette attribution, établie par les lois de la nature, qu’il embellit l’art dont il est le tout, et celui auquel il s’unit, pour en devenir une principale partie. (B)

Geste (Danse)

Geste, (Danse.) la Danse est l’art des gestes ; on a expliqué à cet article dans les volumes précédents l’objet et l’origine de cet art. Voyez Danse. Il ne reste ici qu’une observation à faire pour aider ses progrès, et pour employer utilement les moyens qu’elle a sous sa main, et que cependant elle laisse oisifs depuis qu’elle existe.

Cette observation sera peu du goût de nos artistes ; ils sont dans une routine contraire ; et la routine est en général la boussole des artistes modernes qui ont acquis quelque réputation dans la danse du théâtre.

Observer, réfléchir, lire, leur paraissent des distractions nuisibles aux mouvements du corps, où ils se livrent par préférence ; leurs bras, leurs positions croissent en agrément, et l’art reste sans progrès. C’est donc à l’amour de l’art à ne se point rebuter contre une ancienne obstination qui lui est très nuisible. Le moment viendra peut-être où l’esprit de réflexion entrera en quelque société avec la facture mécanique des sauts et des pas. En attendant, la vérité se trouvera écrite.

Il est certain que les mouvements extérieurs du visage sont les gestes les plus expressifs de l’homme : pourquoi donc tous les danseurs se privent-ils sur nos théâtres de l’avantage que leur procurerait cette expression supérieure à toutes les autres ?

Les Grecs et les Romains avaient une raison très puissante pour s’aider du secours du masque, non-seulement dans la Danse, mais encore dans la déclamation chantée de leurs représentations tragiques et comiques. Les places immenses où s’assemblaient les spectateurs, formaient de si grands éloignements, qu’on n’aurait entendu la voix ni distingué aucun des traits du visage, si on n’avait eu recours à l’invention des masques qu’on changeait dans la même représentation, selon les divers besoins de l’action théâtrale.

Le masque ne leur fit rien perdre, et il leur procura les deux avantages dont l’éloignement les aurait privés. Nous sommes dans la situation contraire : le masque nous nuit toujours, et n’est utile presque jamais.

1°. Malgré l’habitude qu’on a prise de s’en servir, il est impossible qu’il ne gêne pas la respiration ; 2°. Il diminue par conséquent les forces ; et c’est un inconvénient considérable dans un pareil exercice, que la gêne et l’affaiblissement.

En considérant que le masque, quelque bien dessiné et peint qu’on puisse le faire, est toujours inférieur à la teinte de la nature, ne peut avoir aucun mouvement, et ne peut être jamais que ce qu’il a paru d’abord ; peut-on se refuser à l’abolition d’un abus si nuisible à la Danse ? L’habitude dans les Arts doit-elle toujours prévaloir sur les moyens sûrs d’un embellissement qu’on perd par indolence ? quel honneur peut-on trouver à imiter servilement la conduite et la manière des danseurs qui ont précédé ? ne se convaincra-t-on jamais que tout leur savoir ne consistait qu’en quelques traditions tyranniques que le talent véritable dédaigne, et que la médiocrité seule regarde comme des lois ?

Les danseurs qui méritent qu’on leur réponde, m’ont opposé 1°. Que la danse vive demande quelquefois des efforts qui influent d’une manière désagréable sur le visage du danseur ; 2°. Que n’étant pas dans l’usage de danser à visage découvert, on n’a point pris d’enfance, comme les femmes, le soin d’en ajuster les traits avec les grâces qu’elles ont naturellement, et que leur adresse sait proportionner aux différentes entrées de danse qu’elles exécutent.

Ces deux raisons ne sont que des prétextes ; les grâces du visage sont en proportion du sentiment ; et l’expression marquée par les mouvements de ses traits, sont les grâces les plus désirables pour un homme de théâtre. On convient qu’il y a quelques caractères qui exigent le masque ; mais ils sont en petit nombre ; et ce n’est pas à cause des efforts prétendus qu’il faut faire pour les bien danser, que le masque devient nécessaire, mais seulement parce qu’un visage humain y serait un contre-sens ridicule. Tels sont les vents, les satyres, les démons : tous les autres sont ou nobles ou tendres ou gais ; ils gagneraient tous à l’expression que leur prêteraient les traits du visage.

Au surplus, l’art des Laval et des Marcel, qui ont senti l’un et l’autre ce que la Danse devait être, est un aide sûr pour la belle nature ; le geste qu’elle anime trouve dans leurs pratiques mille moyens de s’embellir ; ils ont étudié les ressorts secrets de la nature humaine ; ils en connaissent les forces, les possibilités, la liaison. Les routes que peut leur indiquer une pareille connaissance, sont plus que suffisantes pour rendre les différents mouvements du corps, flexibles, rapides, brillants et moelleux. C’est sous de tels maîtres que la danse française peut acquérir cette expression enchanteresse qui lui donne, sans parler, autant de charmes qu’en étalent la bonne poésie et l’excellente musique. Les pas de deux, sur tout de galanterie ou de passion ; les pas seuls de grâce, les beaux développements des bras et des autres parties du corps qui se font sous un masque insensible, recevront enfin quelque jour, par les soins de nos excellents maîtres, la vie qui leur manque, qui peut seule ranimer la Danse et satisfaire pleinement les vrais amateurs. (B) [voir Traité historique, IIe partie, livre IV, chap. 6, « Preuves de la possibilité de la Danse en action »]