(1757) Articles pour l’Encyclopédie « Sur la poétique du ballet et de l’opéra »
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(1757) Articles pour l’Encyclopédie « Sur la poétique du ballet et de l’opéra »

Sur la poétique du ballet et de l’opéra

Comédie-ballet

Comédie-ballet : on donne ce nom au théâtre Français, aux comédies qui ont des intermèdes, comme Psyché, La Princesse d’Elide, etc. Voyez Intermède [Article non signé]. Autrefois, et dans sa nouveauté, George Dandin et le Malade imaginaire étaient appelés de ce nom, parce qu’ils avaient des intermèdes.

Au théâtre lyrique, la comédie-ballet est une espèce de comédie en trois ou quatre actes, précédés d’un prologue.

Le Carnaval de Venise de Regnard, mis en musique par Campra, est la première comédie-ballet qu’on ait représentée sur le théâtre de l’opéra : elle le fut en 1699. Nous n’avons dans ce genre que le Carnaval et la Folie, ouvrage de La Motte, fort ingénieux et très bien écrit, donné en 1704, qui soit resté au théâtre. La musique est de Destouches.

Cet ouvrage n’est point copie d’un genre trouvé. La Motte a manié son sujet d’une manière originale. L’allégorie est le fond de sa pièce, et c’est presque un genre neuf qu’il a créé. C’est dans ces sortes d’ouvrages qu’il a imaginés, où il a été excellent. Il était faible quand il marchait sur les pas d’autrui, et presque toujours parfait, quelquefois même sublime, lorsqu’il suivait le feu de ses propres idées. Voyez Pastorale [Article non rédigé] et Ballet. (B)

Coupe

Coupe, (Belles-lettres.) on donne ce nom à l’arrangement des diverses parties qui composent un poème lyrique. C’est proprement le secret de l’art, et l’écueil ordinaire de presque tous les auteurs qui ont tenté de se montrer sur le théâtre de l’opéra.

Un poème lyrique paraît fort peu de chose à la première inspection : une tragédie de ce genre n’est composée que de 600 ou 700 vers ; un ballet n’en a pour l’ordinaire que 500. Dans le meilleur de ces sortes d’ouvrages on voit tant de choses qui semblent communes ; la passion est si peu poussée dans les premiers, les détails sont si courts dans les autres ; quelques madrigaux dans les divertissements, un char qui porte une divinité, une baguette qui fait changer un désert en un palais magnifique, des danses amenées bien ou mal, des dénouements sans vraisemblance, une contexture en apparence sèche, certains mots plus sonores que les autres, et qui reviennent toujours ; voilà à quoi l’on croit que se bornent la charpente et l’ensemble d’un opéra. On s’embarque, plein de cette erreur, sur cette mer, qu’on juge aussi tranquille que celles qu’on voit peintes à ce théâtre : on y vogue avec une réputation déjà commencée ou établie par d’autres ouvrages décidés d’un genre plus difficile : mais à peine a-t-on quitté la rive, que les vents grondent, la mer s’agite, le vaisseau se brise ou échoue, et le pilote lui-même perd la tête et se noie. Voyez Couper.

Le poète dans ces compositions ne tient que le second rang dans l’opinion commune. Lully a joui pendant la vie de Quinault, de toute la gloire des opéras qu’ils avaient faits en société. Il n’y a pas vingt ans qu’on s’est aperçu que ce poète était un génie rare ; et malgré cette découverte tardive, on dit encore plus communément : Armide est le chef-d’œuvre de Lully, que Armide est un des chefs-d’œuvre de Quinault. Comment se persuader qu’un genre pour lequel en général on ne s’est pas accoutumé encore à avoir de l’estime, est pourtant un genre difficile ? Boileau affectait de dédaigner cette espèce d’ouvrages ; la comparaison qu’il faisait à la lecture d’une pièce de Racine avec un opéra de Quinault, l’amitié qu’il avait pour le premier, son antipathie contre le second, une sorte de sévérité de mœurs dont il faisait profession, tout cela nourrissait dans son esprit des préventions qui sont passées dans ses écrits, et dont tous les jeunes gens héritent au sortir du collège.

Si l’on doit juger cependant du mérite d’un genre par sa difficulté, et par les succès peu fréquents des plus beaux génies qui l’ont tenté, il en est peu dans la poésie qui doive avoir la préférence sur le lyrique. Aussi la bonne coupe théâtrale d’un poème de cette espèce suppose seule dans son auteur plusieurs talents, et un nombre infini de connaissances acquises, une étude profonde du goût du public, une adresse extrême à placer les contrastes, l’art moins commun encore d’amener les divertissements, de les varier, de les mettre en action ; de la justesse dans le dessein, une grande fécondité d’idées, des notions sur la peinture, sur la mécanique, la danse, et la perspective, et surtout un pressentiment très rare des divers effets, talent qu’on ne trouve jamais que dans les hommes d’une imagination vive et d’un sentiment exquis ; toutes ces choses sont nécessaires pour bien couper un opéra ; peut-être un jour s’en apercevra-t-on, et que cette découverte détruira enfin un préjugé injuste, qui a nui plus qu’on ne pense au progrès de l’art. Voyez Opéra [Article de Jaucourt] (B) [Voir Traité historique, IIe partie, livre III, chap. 5, « Établissement de l’Opéra Français », et chap. 6, « Défauts de l’exécution du Plan primitif de l’Opéra Français »]

Couper

Couper un opéra. Il faut couper un opéra bien différemment de tous les autres ouvrages dramatiques. Quinault a coupé tous ses poèmes pour la grande déclamation : il ne pouvait pas alors avoir une autre méthode, parce qu’il n’avait que des sujets propres à la déclamation ; que d’ailleurs on connaissait à peine la danse de son temps, et qu’elle n’occupait qu’une très petite partie de la représentation.

Ce ne fut qu’au ballet du Triomphe de l’Amour qu’on introduisit en France des danseuses dans les représentations en musique ; il n’y avait auparavant que quatre ou six danseurs qui formaient tous les divertissements de l’opéra, et qui n’y portaient par conséquent que fort peu de variété et un agrément très médiocre ; en sorte que pendant plus de dix ans on s’était passé à ce théâtre d’un plaisir qui est devenu très piquant de nos jours. Tous les ouvrages antérieurs à 1681 furent donc coupés de manière à pouvoir se passer de danseuses ; et le pli était pris, si on peut s’exprimer ainsi, lorsque le corps de danse fut renforcé : ainsi Persée, Phaéton, Amadis de Gaule, Roland et Armide, poèmes postérieurs à cette époque, furent coupés, comme l’avaient été Cadmus, Thésée, Atys, Isis, Alceste et Proserpine qui l’avaient précédée.

Quinault, en coupant ainsi tous ses opéras, avait eu une raison décisive ; mais ceux qui l’ont suivi, avaient un motif aussi fort que lui pour prendre une coupe contraire. La danse naissait à peine de son temps, et il avait pressenti qu’elle serait un des principaux agréments du genre qu’il avait créé : mais comme elle était encore à son enfance, et que le chant avait fait de plus grands progrès ; que Lully se contentait de former ses divertissements de deux airs de violons, de trois tout au plus, quelquefois même d’un seul ; qu’il fallait cependant remplir le temps ordinaire de la représentation, Quinault coupait ses poèmes de façon que la déclamation suffît presque seule à la durée de son spectacle : trois quarts d’heure à peu près étaient occupés par les divertissements, le reste devait être rempli par la scène.

Quinault était donc astreint à couper ses poèmes de façon que le chant de déclamation (alors on n’en connaissait point d’autre, voyez Coupe, Exécution, Déclamation, Opéra [Article de Jaucourt]) remplît l’espace d’environ deux heures et demie ; mais à mesure qu’on a trouvé des chants nouveaux, que l’exécution a fait des progrès, qu’on a imaginé des danses brillantes, que cette partie du spectacle s’est accrue ; depuis enfin que le ballet (genre tout entier à la France, le plus piquant, le plus vif, le plus varié de tous) a été imaginé et goûté, toutes les fois qu’on a vu un grand opéra nouveau coupé comme ceux de Quinault (et tous les auteurs qui sont venus après lui, auraient cru faire un crime de prendre une autre coupe que la sienne), quelque bonne qu’ait été la musique, et quelque élégance qu’on ait répandu dans le poème, le public a trouvé du froid, de la langueur, de l’ennui. Les opéras même de Quinault, malgré leur réputation, le préjugé de la nation, et le juste tribut de reconnaissance et d’estime qu’elle doit à Lully, ont fait peu à peu la même impression ; et il a fallu en venir à des expédients, pour rendre agréable la représentation de ces ouvrages immortels. Tout cela est arrivé par degrés, et d’une façon presqu’insensible, parce que la danse et l’exécution ont fait leurs progrès de cette manière.

Les auteurs qui sont venus après Quinault, n’ont point senti ces différents progrès, mais ils ne sont point excusables de ne les avoir pas aperçus ; ils auraient atteint à la perfection de l’art, en coupant leurs ouvrages sur cette découverte. Voyez Coupe.

La Motte qui a créé le ballet, est le seul qui ait vu ce changement dans le temps même qu’il était le moins sensible ; il en a profité, en homme d’esprit, dans son Europe galante, dans Issé, et dans le Carnaval et la Folie, trois genres qu’il a créés en homme de génie. Voyez Ballet, Comédie-ballet et Pastorale [Article non rédigé]. On ne conçoit pas comment après un vol pareil vers la perfection, il a pu retomber après dans l’imitation servile. Tous ses autres ouvrages lyriques sont coupés sur l’ancien patron, et on sait la différence qu’on doit faire de ses meilleurs opéras de cette dernière espèce, avec les trois dont on vient de parler.

En réduisant donc les choses à un point fixe qui puisse être utile à l’art, il est démontré, 1°. Que la durée d’un opéra doit être la même aujourd’hui qu’elle l’était du temps de Quinault : 2°. Les trois heures et un quart de cette durée qui étaient remplies par deux heures et demie de récitatif, doivent l’être aujourd’hui par les divertissements, les chœurs, les mouvements du théâtre, les chants brillants, etc. sans cela l’ennui est sûr, et la chute de l’opéra infaillible. Il ne faut donc que trois quarts d’heure à peu près de récitatif, par conséquent un Opéra doit être coupé aujourd’hui d’une manière toute différente de celle dont s’est servi Quinault. Heureux les auteurs qui, bien convaincus de cette vérité, auront l’art de couper les leurs comme Quinault, s’il vivait aujourd’hui, les couperait lui-même. Voyez Ballet, Coupe, Déclamation, Débit, Divertissement, Opéra [Article de Jaucourt], Récitatif [Article de Rousseau], etc. (B)

Divertissement

Divertissement, (Belles-Lettres.) c’est un terme générique, dont on se sert également pour désigner tous les petits poèmes mis en musique, qu’on exécute sur le théâtre ou en concert ; et les danses mêlées de chant, qu’on place quelquefois à la fin des comédies de deux actes ou d’un acte.

La Grotte de Versailles. L’Idylle de Sceaux, sont des divertissements de la première espèce.

On donne ce nom plus particulièrement aux danses et aux chants, qu’on introduit épisodiquement dans les actes d’opéra. Le triomphe de Thésée est un divertissement fort noble. L’enchantement d’Amadis est un divertissement très agréable ; mais le plus ingénieux divertissement des opéras anciens, est celui du quatrième acte de Roland.

L’art d’amener les divertissements est une partie fort rare au théâtre lyrique ; ceux mêmes, pour la plupart, qui paraissent les mieux amenés, ont quelquefois des défauts dans la forme qu’on leur donne. La grande règle est qu’ils naissent du sujet, qu’ils fassent partie de l’action, en un mot qu’on n’y danse pas seulement pour danser. Tout divertissement est plus ou moins estimable, selon qu’il est plus ou moins nécessaire à la marche théâtrale du sujet : quelque agréable qu’il paraisse, il est vicieux et pèche contre la première règle, lorsque l’action peut marcher sans lui, et que la suppression de cette partie ne laisserait point de vide dans l’ensemble de l’ouvrage. Le dernier divertissement, qui pour l’ordinaire termine l’opéra, paraît ne pas devoir être assujetti à cette règle aussi scrupuleusement que tous les autres ; ce n’est qu’une fête, un mariage, un couronnement, etc. qui ne doit avoir que la joie publique pour objet.

Si les divertissements des grands opéra sont soumis à cette loi établie par le bon sens, qui exige que toutes les parties d’un ouvrage y soient nécessaires pour former les proportions de l’ensemble ; à combien plus forte raison doit-elle être invariable dans les ballets?

Des divertissements en action sont le vrai fond des différentes entrées du ballet : telle est son origine. Le chant, dans ces compositions modernes, occupe une partie de la place qu’occupait la danse dans les anciennes : pour être parfaites, il faut que la danse et le chant y soient liés ensemble, et partagent toute l’action. Rien n’y doit être oisif ; tout ce qu’on y fait paraître d’inutile, et qui ne concourt pas à la marche, au progrès, au développement, n’est qu’un agrément froid et insipide. On peut dire d’une entrée de ballet, ce qu’on a dit souvent du sonnet : la plus légère tache défigure cette espèce d’ouvrage, bien plus difficile encore que le sonnet même, qui n’est qu’un simple récit ; le ballet doit être tout entier en action.

La grande erreur sur cette partie dramatique est que quelques madrigaux suffisent pour la rendre agréable. L’action est la dernière chose dont on parle, et celle à laquelle on pense le moins : c’est pourtant l’action intéressante, vive, pressée, qui fait le grand mérite de ce genre.

Il faut donc pour former une bonne entrée de ballet, 1°. Une action : 2°. Que le chant et la danse concourent également à la former, à la développer, à la dénouer : 3°. Que tous les agréments naissent du sujet même. Tous ces objets ne sont rien moins qu’aisés à remplir : mais que de beautés résultent aussi dans ces sortes d’ouvrages de la difficulté vaincue! Voyez Ballet, Coupe, Danse, Opéra [Article de Jaucourt]. (B) [voir Traité historique, IIe partie, livre IV, chap. 11, « Des actions épisodiques en danse »]

Enchantement

Enchantement, (Belles-Lettres) terme d’opéra. Le merveilleux est le fonds de l’opéra français. Cette première idée que Quinault a eue en créant ce genre, est le germe des plus grandes beautés de ce spectacle. (Voyez Opéra [Article de Jaucourt]). C’est le théâtre des enchantements ; toute sorte de merveilleux est de son ressort, et on ne peut le produire que par l’intervention des dieux de la fable et par le secours de la féerie ou de la magie.

Les dieux de la fable développent sur ce théâtre la puissance surnaturelle que l’antiquité leur attribuait. La féerie y fait voir un pouvoir surprenant sur les créatures sans mouvement, ou sur les êtres animés : la magie par ses enchantements y amène des changements qui étonnent, et tous ces différents ressorts y produisent des beautés qui peuvent faire illusion, lorsqu’ils sont conduits par une main habile.

Il y a un enchantement dans l’opéra d’Amadis, qui est le fonds d’un divertissement très bien amené, et fort agréable ; il a été copié dans Tancrède, et la copie est bien au-dessous de l’original. Amadis, dans le premier, croit voir dans une magicienne Oriane qu’il adore ; il met à ses pieds ses armes, et l’enchantement produit un effet raisonnable et fondé sur la passion de ce héros. [voir Traité historique, IIe partie, livre IV, chap. 2, « Division de la danse théâtrale »]

Des nymphes paraissent dans Tancrède ; elles dansent autour de lui, et les armes lui tombent des mains, sans autre motif apparent aux yeux du spectateur. Suffit-il de danser pour enchaîner la valeur d’un héros, bien sûr d’ailleurs dans cette occasion que tout ce qu’il voit n’est qu’un enchantement ? Car il est dans la forêt enchantée, et les flammes qui l’ont retenu sont un enchantement, à ce qu’il dit lui-même, etc.

Cette critique sur un ouvrage très estimable d’ailleurs, et dont l’auteur n’est plus, a pour seul motif le progrès de l’art. Quelque peu fondés en raison que soient les enchantements, quoiqu’ils soient contradictoires avec le bon sens, et qu’enfin, sans être trop philosophe, on puisse avec confiance en nier la possibilité, l’opinion commune suffit pour donner la liberté aux poètes de les introduire dans un genre consacré à la fiction ; mais ils ne doivent s’en servir qu’en leur conservant les motifs capables de les occasionner, et les effets qu’ils produiraient réellement s’ils étaient possibles.

Tout enchantement qui ne naît pas du sujet qu’on traite, qui ne sert point au développement de la passion, et qui n’en est pas l’effet, est donc vicieux, et ne saurait produire qu’une beauté hors de place ; cette espèce de merveilleux ne doit être employé à l’opéra qu’à propos. Il n’est qu’un ressort de plus dans la main du poète pour faire agir la passion, et pour lui faire créer des moyens plus forts d’étonner, d’ébranler, de séduire, de troubler le spectateur. Voyez Féerie, Magie [Article de Polier de Bottens], Opéra [Article de Jaucourt]. (B)

Enchanteur

Enchanteur, s. m. terme d’opéra. Il y a des rôles d’enchanteur. Tous ceux qui font des enchantements, ne sont pas appelés de ce nom ; on leur donne plus communément celui de magiciens, et on les fait basse-tailles. Voyez Magicien [Article de Polier de Bottens].

Dans Tancrède il y a un enchanteur au prologue, qui est haute-contre. Danchet a donné le nom d’enchanteur à son Isménor. « De l’enchanteur le trépas est certain. » [Tancrède, I, 2]. M. de Montcrif appelle ainsi Zélindor, roi des Sylphes. Voyez Féerie.

En général, le nom d’enchanteur ne convient qu’aux rôles de magiciens bienfaisants. On appelle magiciens tous les autres. Voyez Enchantement, Magicien [Article de Polier de Bottens], Féerie, Opéra [Article du Chevalier de Jaucourt]. (B)

Entracte

Entracte, s. m. (Belles-Lett.) est en général l’espace de temps qui sépare deux actes d’une pièce de théâtre, soit qu’on remplisse cet espace de temps par un spectacle différent de la pièce, soit qu’on laisse cet espace absolument vide.

Entracte, dans un sens plus limité, est un divertissement en dialogue ou en monologue, en chant ou en danse, ou enfin mêlé de l’un et de l’autre, que l’on place entre les actes d’une comédie ou d’une tragédie. L’objet de ce divertissement isolé et de mauvais goût, est de varier l’amusement des spectateurs, souvent de donner le temps aux acteurs de changer d’habits, et quelquefois d’allonger le spectacle ; mais il n’en peut être jamais une partie nécessaire : par conséquent il n’est qu’une mauvaise ressource qui décèle le manque de génie dans celui qui y a recours, et le défaut de goût dans les spectateurs qui s’en amusent.

Les Grecs avaient des entractes de chant et de danse dans tous leurs spectacles : il ne faut pas les en blâmer. L’art du théâtre, quoique traité alors avec les plus belles ressources du génie, ne faisait cependant que de naître ; ils ne l’ont connu que dans son enfance, mais c’était l’enfance d’Hercule qui jouait avec les lions. [Voir Ballet]

Les Romains, en adoptant le théâtre des Grecs, prirent tous les défauts de leur genre, et n’atteignirent à presqu’aucune de leurs beautés. En France, lorsque Corneille et Molière créèrent la tragédie et la comédie, ils profitèrent des fautes des Romains pour les éviter ; et ils eurent assez de génie et de goût pour se rendre propres les grandes beautés des Grecs, et pour en produire de nouvelles, que les Sophocles et les Aristophanes n’auraient pas laissé échapper, s’ils avaient vécu deux mille ans plus tard.

Ainsi le théâtre français, dans les mains de ces deux hommes uniques, ne pouvait pas manquer d’être à jamais débarrassé d’entractes et d’intermèdes. Voyez Intermède [Article non signé].

L’entracte à la comédie française, est composé de quelques airs de violons qu’on n’écoute point.

A l’opéra le spectacle va de suite ; l’entracte est une symphonie que l’orchestre continue sans interruption, et pendant laquelle la décoration change. Cette continuité de spectacle est favorable à l’illusion, et sans l’illusion il n’y a plus de charme dans un spectacle en musique. Voyez Illusion [Article de Diderot].

Le grand ballet sert d’entracte dans les drames de collège. Voyez Ballet de Collège.

L’opéra italien a besoin d’entractes ; on les nomme en Italie intermezzi, intermèdes. Oserait-on le dire ? aurait-on besoin de ce malheureux secours dans un opéra qu’un intérêt suivi ou qu’une variété agréable soutiendraient réellement? On parle beaucoup en France de l’opéra italien : croit-on le connaître ? Voyez Opéra [Article du Chevalier de Jaucourt]. Les Italiens eux-mêmes, toujours amoureux et jaloux de ce spectacle, l’ont-ils jamais examiné? On avance ici une proposition que l’expérience seule ne nous a pas suggérée ; elle nous a été confirmée par des personnes sages et instruites, dont aucune nation ne peut récuser le suffrage. Il n’y a pas un homme en Italie qui ait écouté de suite une seule fois en sa vie tout l’opéra italien. On a eu recours aux intermèdes de bouffons ou à des danses pantomimes, pour combattre l’ennui presque continuel de plus de quatre heures de spectacle ; et cette ressource est un défaut très grand du génie, comme il sera démontré à l’article Intermède [Article non signé].(B)

Entrée

Entrée, (Danse.) air de violon sur lequel les divertissements d’un acte d’opéra entrent sur le théâtre. On donne aussi ce nom à la danse même qu’on exécute. Ce sont ordinairement les chœurs de danse qui paraissent sur cet air ; c’est pour cette raison qu’on les nomme corps d’entrée. Ils en dansent un commencement ; un danseur ou une danseuse danse un commencement et une fin, et les chœurs reprennent la dernière fin. Chaque danse qu’un danseur ou une danseuse exécute, s’appelle aussi entrée. On lui donne encore le nom de pas. Voyez Pas [Article non signé] Un maître fort supérieur avec qui j’ai conféré souvent sur cette matière, m’a confié un résultat de ses observations, qui peut être fort utile à l’art. Le voici.

Dans toute entrée de danse, le danseur, à qui on suppose de la vigueur et de l’habileté, a trois objets principaux et indispensables à remplir. Le premier, les contrastes perpétuels de la force et de la grâce, en observant que la grâce suive toujours les coups de vigueur. Le second, l’esprit de l’air que ses pas doivent rendre ; car il n’est point d’air de danse, quelque plat que le musicien puisse le faire, qui ne présente une sorte d’esprit particulier au danseur qui a de l’oreille et du goût. Le troisième, de former toujours sa danse de pas, et de ne les sacrifier jamais aux sauts : ceux-ci sont plus aisés à faire que les autres. Le mélange sage de tous les deux, forme la danse agréable et brillante.

Chaque partie séparée des ballets anciens était nommée entrée. Dans les modernes, on a conservé ce nom à chacune des actions séparées de ces poèmes. Ainsi on dit : l’entrée de Tibulle dans les Fêtes grecques et romaines est fort ingénieuse, c’est une des meilleures entrées de ballet que nous ayons à l’opéra. Voyez Ballet.

Ce nom qu’on donne encore aux diverses parties de ces sortes d’ouvrages, doit faire connaître aux commençants et quelle est l’origine de ce genre difficile, et quelle doit être leur coupe pour qu’ils soient agréables au public ; c’est surtout cette mécanique très peu connue qui paraît fort aisée, et qui fourmille de difficultés qu’il faut qu’ils étudient. Voyez Coupe.

Il serait ridicule que l’on y fît commencer l’action dans un lieu, et qu’on la dénouât dans un autre. Le temps d’une entrée de ballet doit être celui de l’action même. On ne suppose point des intervalles ; il faut que l’action qu’on veut représenter se passe aux yeux du spectateur, comme si elle était véritable. Quant à sa durée, on juge bien que puisque le ballet exige ces deux unités, il exige à plus forte raison l’unité d’action : c’est la seule qu’on regarde comme indispensable dans le grand opéra ; on le dispense des deux autres. L’entrée de ballet, au contraire, est astreinte à toutes les trois. Voyez Ballet, Opéra [Article de Jaucourt], Poème lyrique [Article de Grimm] (B)

Féerie

Féerie, s. f. On a introduit la féerie à l’opéra, comme un nouveau moyen de produire le merveilleux, seul vrai fond de ce spectacle. Voyez Merveilleux [Article non signé], Opéra [Article de Jaucourt]

On s’est servi d’abord de la magie. Voyez Magie [Article de Polier de Bottens]. Quinault traça d’un pinceau mâle et vigoureux les grands tableaux des Médée, des Arcabonne, des Armide, etc. les Argines, les Zoraïdes, les Phéano, ne sont que des copies de ces brillants originaux.

Mais ce grand poète n’introduisit la féerie dans ses opéras, qu’en sous-ordre. Urgande dans Amadis, et Logistille dans Roland, ne sont que des personnages sans intérêt, et tels qu’on les aperçoit à peine.

De nos jours le fond de la féerie, dont nous nous sommes formés une idée vive, légère et riante, a paru propre à produire une illusion agréable, et des actions aussi intéressantes que merveilleuses.

On avait tenté ce genre autrefois ; mais le peu de succès de Manto la fée, et de la Reine des Péris, semblait l’avoir décrédité. Un auteur moderne, en le maniant d’une manière ingénieuse, a montré que le malheur de cette première tentative ne devait être imputé ni à l’art ni au genre.

En 1733, M. de Montcrif mit une entrée de féerie dans son ballet de l’Empire de l’Amour ; et il acheva de faire goûter ce genre, en donnant Zélindor roi des Sylphes.

Cet ouvrage qui fut représenté à la cour, fit partie des fêtes qui y furent données après la victoire de Fontenoy. Voyez Fêtes de la Cour.

MM. Rebel et Francœur qui en ont fait la musique, ont répandu dans le chant une expression aimable, et dans la plupart des symphonies un ton d’enchantement qui fait illusion : c’est presque partout une musique qui peint, et il n’y a que celle-là qui prouve le talent, et qui mérite des éloges. (B)

Fête

Fête, est le nom à l’opéra de presque tous les divertissements. La fête que Neptune donne à Thétis ; dans le premier acte, est infiniment plus agréable que celle que Jupiter lui donne dans le second. Un des grands défauts de l’opéra de Thétis, est d’avoir deux actes de suite sans fêtes ; il était peut-être moins sensible autrefois, mais il a paru très frappant de nos jours, parce que le goût du public est décidé pour les fêtes.

L’art d’amener les fêtes, de les animer, de les faire servir à l’action principale, est fort rare : cependant, sans cet art, les plus belles fêtes ne sont qu’un ornement postiche. Voyez Ballet, Coupe, Couper, Divertissement.

Il semble qu’on se serve plus communément du terme de fête pour les divertissements des tragédies en musique, que pour ceux des ballets. C’est un plus grand mot consacré au genre, que l’opinion, l’habitude et le préjugé paraissent avoir décidé le plus grand. Voyez Opéra [Article de Jaucourt] (B)