(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre premier — Chapitre VIII. De la Danse sacrée des Égyptiens »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre premier — Chapitre VIII. De la Danse sacrée des Égyptiens »

Chapitre VIII. De la Danse sacrée des Égyptiens

Tout était mystère dans la Religion des Égyptiens. Leurs Prêtres qui l’avaient formée des notions primitives et de celles que le voisinage des Hébreux leur avait données, enveloppèrent d’un voile sombre une croyance et des superstitions qui n’étaient pas moins obscures à leurs propres yeux, qu’aux regards mêmes des Peuples qu’ils feignaient d’instruire. Le mystère leur donnait un air respectable qui s’accordait avec leur ignorance et qui favorisait leur ambition. Comme les cérémonies des Juifs étaient, d’ailleurs, plus aisées à copier, que le fond de leur Religion était facile à pénétrer, les Prêtres d’Égypte assortirent aisément à leur plan, les premières, et ils laissèrent autour de la seconde, d’épaisses ténèbres. Ils en faisaient sortir, à leur gré, quelques faibles traits de lumière qui servirent à établir leur puissance, et à égarer les peuples qu’ils avaient intérêt de séduire.

C’est dans cet esprit que la Danse fut un des points fondamentaux de leur culte. Celle qu’ils imaginèrent, pour exprimer les divers mouvements des Astres, fut la plus ingénieuse ; et celles qu’ils instituèrent dans les suites, pour la fête d’Apis, furent les plus solennelles.

Les Prêtres revêtus d’habits éclatants, et sur des airs harmonieux d’un caractère noble, exécutaient la première en tournant autour de l’Autel. Ils le considéraient comme le Soleil placé dans le milieu du ciel, et ils figuraient par leur Danse le cercle des signes célestes sous lequel l’Astre de la lumière fait son cours journalier et annuel18. [Voir Danse astronomique]

Ils exécutaient les autres dans la consécration du bœuf Apis. Il fallait que ce bœuf eût tout le poil du corps noir, sur le dos la figure d’un aigle, celle d’un escargot sous la langue, les poils de la queue doubles, et une marque blanche sur le côté droit ressemblante au croissant de la lune. Une génisse devait l’avoir conçu d’un coup de tonnerre.

Ces marques extérieures étaient évidemment l’ouvrage de la fourberie des Prêtres ; aussi ne déclaraient-ils, qu’ils avaient découvert le Taureau qu’ils voulaient consacrer, que lorsqu’ils croyaient avoir donné le temps à la crédulité et à la superstition de se persuader que ce miracle était opéré en faveur de leurs prières et de leurs sacrifices.

Le Taureau, tel qu’on vient de le peindre, trouvé par les prêtres, nourri pendant quarante jours dans la ville du Nil, et servi par des femmes nues, était enfin conduit à Memphis dans une barque dorée.

À son arrivée, les Prêtres, les Grands de l’État et le Peuple, allaient le recevoir avec la plus grande pompe et le conduisaient dans le temple au son de mille instruments

C’est alors que les Prêtres figuraient dans leur marche et dans le temple, les exploits, les conquêtes et les bienfaits d’Osiris. Leurs Danses en étaient la représentation animée : d’abord, était sa naissance mystérieuse19, les amusements de son enfance, ses amours avec la Déesse Isis.

Ils le peignaient ensuite entouré d’une troupe de Guerriers, des Satyres, et des Muses, allant conquérir les Indes, pour leur faire connaître la vertu, et pour y répandre l’abondance et le bonheur.

Ils passaient de cette action à son triomphe sur ses barbares frères. L’Égypte le couronnait, le reconnaissait pour son père, pour son bienfaiteur, pour son Roi.

On réservait son Apothéose et celle d’Isis pour le Temple ; et ce spectacle aussi imposant que magnifique était terminé par des Danses vives et gaies qui faisaient passer la joie et l’amour dans le cœur d’un peuple innombrable qui en avait été le spectateur.

Selon les Livres sacrés des Égyptiens, le Bœuf Apis ne devait vivre qu’un temps limité. Lorsqu’il touchait au terme fatal, les Prêtres d’Osiris le conduisaient sur le bord du Nil, et ils l’y noyaient, après lui en avoir demandé la permission, avec les démonstrations du respect le plus profond. On l’embaumait ensuite, et on lui faisait des obsèques magnifiques. Les Prêtres exécutaient alors sur le rivage, dans les rues et dans le temple, des Danses funèbres, qui exprimaient le malheur que les Peuples pleuraient, et tout restait plongé en Égypte dans la tristesse et le deuil, jusqu’à l’apparition du nouvel Apis.

Dans ce moment, les fêtes, les festins, les danses recommençaient, comme si Osiris eût paru lui-même. Les réjouissances publiques duraient ainsi pendant sept jours.

C’est en se rappelant cette fête, que le Peuple de Dieu imagina dans le désert, la danse sacrilège autour du veau d’or. Saint Grégoire dit, que, plus cette danse fut nombreuse et solennelle, plus elle parut abominable aux yeux de Dieu, parce qu’elle était une imitation des danses impies des idolâtres.

Comme les Prêtres d’Osiris avaient pris originairement des Prêtres du vrai Dieu, une partie de leurs cérémonies ; le Peuple juif, à son tour, entraîné par le penchant à l’imitation si puissant dans l’homme, se rappela, dans le désert, le culte du Peuple qu’il venait de quitter, et il l’imita. Ainsi les hommes qui se sont toujours regardés comme des Êtres fort supérieurs, n’ont cependant été depuis la création, que les singes les uns des autres.