(1724) Histoire générale de la danse sacrée et profane [graphies originales] « Paralele. DE. LA PEINTURE. ET DE. LA POESIE. » pp. 213-269
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(1724) Histoire générale de la danse sacrée et profane [graphies originales] « Paralele. DE. LA PEINTURE. ET DE. LA POESIE. » pp. 213-269

Paralele
DE
LA PEINTURE
ET DE
LA POESIE.

Mon dessein n’est pas de soutenir que la Peinture l’emporte absolument sur la Poésie.

Je n’ai jamais douté que ces deux Arts ne soient d’une égale considération, ni que l’un & l’autre ne méritassent les mêmes honneurs : j’en parle dans ce sens-là ; & je ne fais que suivre le sentiment des Auteurs les plus célébres qui ont traité cette matiere, & par rapport à la convenance que ces deux Arts ont avec la Musique.

Mais comme les hommes ne s’accordent pas toujours sur les choses mêmes les mieux établies, je trouve aujourd’hui des personnes d’érudition qui témoignent de la répugnance à placer la Peinture à côté de la Poésie. Quelque inclination que j’aye à suivre leur avis, je suis bien-aise d’éxaminer cette matiere avec toute l’application dont je serai capable : car si je suis obligé de me rendre à leur opinion, ils ne désaprouveront pas que je ne le fasse qu’après m’être désabusé moi-même. Il est vrai que les Anciens ont regardé les Poëtes & les Peintres d’un même œil, puisqu’ils étoient dispensez de rendre compte aux Juges des effets de leurs imaginations, & que la Satyre leur étoit permise pour corriger les vices : c’est pourquoi nous voyons qu’Homere attaque hardiment les Dieux, de même que les Peintres les ont tournez en ridicule, en les représentant sous la figure de plusieurs animaux, que l’on prétendoit qu’ils avoient prise pour satisfaire leurs passions.

Mon but est seulement de ne rien dire que l’on ne trouve établi dans les Ecrivains anciens & modernes, qui ont parlé du sujet de cette Dissertation ; je crois cependant qu’il est bon d’avertir qu’en parlant comme je fais de la Poésie & de la Peinture, je les suppose toujours dans le plus haut dégré de perfection où elles puissent arriver.

Ce n’est donc pas la Poésie que j’entreprens d’attaquer ; c’est la Peinture que je veux défendre.

Quand à force d’éxercice & de réfléxions, la Peinture & la Poésie se furent enfin montrées dans leur plus grand lustre, des hommes d’un génie extraordinaire donnerent au Public des ouvrages & des régles en l’un & l’autre genre, pour servir de guides à la postérité, & donner une idée de leur perfection : cependant ces Arts ont été malheureusement négligez depuis la décadence de l’Empire Romain jusque à ces derniers siécles, que Corege, Michel-Ange, Léonard Vinci, Raphael, le Titien, Paul Veronese & Rubens ont paru pour la Peinture ; comme Pétrarque, Dante, le Tasse, Pindare, Marote, Corneille, Moliere, Racine, Boileau, l’Abbé Genest, la Fontaine, la Mothe & Rousseau ont excellé dans la Poésie ; que poussez d’un même esprit, ils ont fait tous leurs efforts pour ressusciter ces deux arts, & les porter à leur premiere perfection : & l’on peut même dire que la Piéce de Théâtre d’Inès de Castro de M. de la Mothe, a couronné ses œuvres, & peut l’emporter sur les plus beaux ouvrages de Raphael & du Titien.

Il y a néanmoins cette différence, que la Poésie n’a fait que disparoître en Italie, & qu’elle s’est conservée toute pure dans les ouvrages d’Homere, d’Eschille, Sophocle, d’Euripide, d’Aristophanes, & dans les régles qu’Aristote & Horace nous en ont laissées.

Ainsi il est constant que la route qu’ont suivi les Poëtes qui sont venus depuis ce tems-là, étoit toute marquée, & que la véritable idée de la Poésie ne s’est point perdue ; ou du-moins il étoit aisé de la retrouver, en recourant aux ouvrages & aux régles infaillibles dont je viens de parler : au lieu que la Peinture a été entierement anéantie pendant un fort long-tems, soit par la perte de quantité de volumes qui, au rapport de Pline, en avoient été composez par les Grecs, soit par la privation des ouvrages dont les Auteurs de ces tems-là nous ont dit tant de merveilles ; car je ne compte que pour très peu de choses quelques restes de peinture antique que l’on voit à Rome : comme en effet l’Histoire remarque qu’en 1240 l’Italie étoit si dénuée de Peintres, que quelques Princes en ayant besoin pour embellir leurs Palais, ils en firent venir de la Gréce, qui étoient même assez grossiers ; mais qu’un nommé Cimabué, natif de noble famille de Florence, se trouva un génie si porté à la Peinture, qu’il en fut le restaurateur, & que Giotto son disciple le surpassa de beaucoup par les conseils & les pensées que le Dante Poëte fameux de ce tems-là lui donnoit, lorsqu’il s’agissoit de peindre de grands sujets de fables de l’Antiquité ; de même qu’un Simon Memmy fut un excellent Peintre pour les portraits : il peignit Pétrarque & la belle Laure son amie.

Si donc il ne s’est rien conservé qui puisse nous donner une idée juste de la Peinture, comme elle se pratiquoit anciennement, c’est-à-dire dans le tems que les Arts étoient dans leur plus grande perfection ; il est certain que la Poësie se faisant voir encore aujourd’hui dans tout son lustre, peut jetter dans l’esprit de ceux qui y sont le plus attachez, une prévention qui les porte à lui donner la préférence sur la Peinture.

Car il faut avouer qu’il y a beaucoup de gens d’esprit, qui loin de regarder la Peinture du côté de la perfection & de l’estime où elle étoit chez les Grecs, n’ont pas même donné la moindre attention à cet Art, tel que nous le possedons aujourd’hui, & que les derniers siécles l’ont fait renaître ; & si ces mêmes personnes font tant que de regarder quelques ouvrages de peinture, elles jugent de l’art par le tableau, au lieu qu’elles devroient juger du tableau par l’idée de l’art.

Cependant quoique nous n’ayions pas encore recouvré l’idée de la Peinture dans toute son étendue, & que dans son rétablissement elle n’ait pû avoir pour guides des principes aussi certains, & des ouvrages aussi parfaits qu’étoient ceux de la Poésie, rien n’empêche que nous ne puissions en concevoir une idée assez juste sur les ouvrages des meilleurs Peintres qui l’ont renouvellée, & sur ce que nous en ont dit ceux mêmes qui nous ont donné les régles de la Poésie, comme Aristote & Horace : le premier assure dans sa Poétique que la Tragédie est plus parfaite que le Poëme épique, parce qu’elle fait mieux son effet & donne plus de plaisir.

Et dans un autre endroit il dit que la Peinture cause une extrême satisfaction : la raison qu’il en rend, c’est qu’elle arrive si parfaitement à sa fin, qui est l’imitation, qu’entre toutes les choses qu’elle imite, celles mêmes que nous ne pourrions voir dans la nature sans horreur, nous font en peinture un fort grand plaisir ; il ajoute à cette raison que la peinture instruit, & qu’elle donne matiere de raisonner non seulement aux Philosophes, mais à tout le monde.

Dans ce raisonnement Aristote qui mesure la beauté de ces deux arts par le plaisir qu’ils donnent, par la maniere dont ils instruisent, & par celle dont ils arrivent à leur fin, dit que la Peinture donne un plaisir infini, qu’elle instruit plus généralement, & qu’elle arrive très-parfaitement à sa fin.

Ce Philosophe est donc fort éloigné de préférer la Poésie à la Peinture.

Pour Horace, il déclare nettement que la Peinture & la Poésie ont toujours marché de pas égal, & qu’elles ont eu dans tous les tems le pouvoir de nous représenter tout ce qu’elles ont voulu.

Mais quand nous n’aurions pas ces autoritez, nos sens & la raison nous disent assez que la Poésie ne fait entendre aucun événement, que la Peinture ne puisse faire voir : il y a longtems qu’elles ont été reconnues pour deux sœurs qui se ressemblent si fort en toutes choses, qu’elles se prêtent alternativement leur office & leur nom ; on appelle communément la Peinture une Poésie muette, & la Poésie une Peinture parlante.

Elles demandent toutes deux un génie extraordinaire, qui les emporte plutôt qu’il ne les conduit : nous voyons que la nature par une douce violence a engagé les fameux Peintres & les grands Poëtes dans leurs professions, sans leur donner le tems de délibérer & d’en faire choix ; si nous voulons pénétrer dans leurs excellens ouvrages, nous y trouverons une sécrete influence, qui pourroit avoir quelque chose de plus qu’humain. Il y a un Dieu au-dedans de nous-mêmes, dit Ovide parlant des Poëtes, lequel nous échauffe en nous agitant ; & Suidas dit que le fameux Sculpteur Phidias, & Zeuxis le Peintre incomparable, tous deux transportez par un antousiasme, ont donné la vie à leurs ouvrages. On remarque aussi que les plus grands Peintres se faisoient honneur de cultiver l’amitié des Poëtes qui étoient en réputation, pour profiter de leurs avis.

La Peinture & la Poësie tendent à même fin, qui est l’imitation : il semble, dit un sçavant Auteur, que non contentes d’imiter ce qui est sur la terre, elles ayent été jusque dans le Ciel observer la majesté des Dieux, pour en faire part aux hommes, comme elles peignent les hommes pour en faire des demi-Dieux : c’est ce qu’on a dit des ouvrages du Guide & de Lalbane, sur l’idée de la Beauté.

C’est aussi dans ce sens-là que Charles-Quint faisoit gloire, non seulement de s’être rendu des Provinces tributaires, mais d’avoir obtenu trois fois l’immortalité par les mains du Titien.

Toutes les deux sont occupées du soin de nous imposer ; & pourvû que nous voulions leur donner notre attention, elles nous transportent, comme par un effet de magie, d’un pays dans un autre.

Leurs proprietez sont de nous instruire en nous divertissant, de former nos mœurs, & de nous exciter à la vertu, en représentant les Héros & les grandes actions : c’est ce qui fait dire à Aristote que les Sculpteurs & les Peintres nous enseignent à former nos mœurs par une méthode plus courte & plus efficace que celle des Philosophes ; & qu’il y a des tableaux & des sculptures aussi capables de corriger les vices, que tous les préceptes de la morale, comme il y en a de capables de les corrompre, témoin l’Eunuque de Térence.

Toutes deux conservent exactement l’unité du lieu, du tems, & de l’objet.

Toutes les deux sont fondées sur la force de l’imagination pour bien inventer leurs productions, & sur la solidité du jugement pour les bien conduire : elles ne sçavent choisir que des sujets qui soient dignes d’elles, & se servir des circonstances & des accidens qui les font valoir ; comme elles sçavent rejetter tout ce qui leur est contraire, ou qui ne mérite pas d’être représenté.

Enfin la Peinture & la Poésie partent du même lieu, tiennent la même route, arrivent à la même fin, & tirent leur plus grande estime des premiers tems, où la magnificence & la délicatesse ont le plus éclaté.

Les Poëtes de ces tems-là ont reçû des honneurs & des récompenses infinies ; ils ont été excitez par des prix que l’on donnoit à ceux dont les Piéces avoient un succès plus heureux que celles de leurs concurrens ; tous les genres de la Poésie ont eu leurs louanges & leurs protecteurs.

On a vû Virgile & Horace comblez de bienfaits par Auguste ; Térence en commerce d’amitié avec Lélius & Scipion le vainqueur de Carthage : l’on prétend même qu’ils ont eu part à sa composition ; Ennius chéri de Scipion l’Africain, & enterré dans le sépulcre des Scipions, sur lequel on lui éleva une Statue.

Euripide tant de fois applaudi de toute la Grece, élevé aux premiers honneurs par Archilaüs Roi de Macédoine, & regreté des Athéniens par un deuil public : Homere révéré de toute l’Antiquité, & souvent honoré par des autels & des sacrifices : Aléxandre visitant le tombeau d’Achille ; heureux, s’écria-t-il, d’avoir pû trouver une Homere qui chanta ses louanges.

Ce Prince ne marchoit jamais sans les œuvres d’Homere ; il les lisoit incessamment, & il les plaçoit même sous son chevet en se mettant au lit. Un jour qu’on présenta une cassette d’un prix inestimable (bijoux le plus précieux de la dépouille de Darius) ses Courtisans lui demanderent à quel usage il la destinoit ; à renfermer les ouvrages d’Homere, leur répondit-il.

Mais que n’a point fait ce même Aléxandre pour les Peintres ? quelles marques d’estime & d’amour ne leur a-t-il point données ? Il ordonna que la Peinture tiendroit le premier rang parmi les Arts libéraux ; qu’il ne seroit permis qu’aux nobles de l’exercer, & que dès leur plus tendre jeunesse ils commenceroient leurs exercices par apprendre à dessiner : il regardoit en cela le dessein comme la chose la plus capable de disposer l’esprit au bon goût, à la connoissance des autres arts, & à juger de la beauté de tous les objets du monde ; il visitoit souvent les Peintres, & prenoit plaisir à s’entretenir avec Appellès des choses qui regardoient la Peinture. Pline dit que touché de la beauté de l’une de ses Esclaves appelée Compespé, qu’il aimoit éperdument, il la fit peindre par Appellès ; & s’étant apperçu qu’elle avoit frapé le cœur du Peintre, du même trait dont il se trouvoit lui-même atteint, il lui en fit un présent, ne pouvant récompenser plus dignement cet ouvrage, qu’en se privant de ce qu’il aimoit avec passion.

Cicéron rapporte que si Aléxandre défendit à tout autre Peintre qu’à Appellès de le peindre, & à tout autre Sculpteur qu’à Lisippe de faire sa statue, ce ne fut point seulement par l’envie d’être bien représenté, mais pour ne rien laisser de lui qui ne fût digne de l’immortalité, & par l’estime singuliere qu’il avoit pour ces deux Arts.

Lucien, au chapitre d’Hérodote, dit que de son tems Actyon excellent Peintre fut admis aux jeux Olimpiques, pour disputer les premiers prix contre les Poëtes & les Musiciens, en exposant le tableau qu’il avoit fait des amours de Roxane & d’Aléxandre, qui lui acquit tant de gloire, que celui qui présidoit aux jeux Olimpiques, lui donna sa fille en mariage, comme un prix digne de son tableau, & dont Lucien fait la description. Il en est presque arrivé la même chose au garçon Maréchal d’Anvers, pour la récompense de son tableau que j’ai vû chez les Jésuites de cette Ville, qui en sçavent l’histoire par tradition.

On trouve encore dans Lucien, qu’Appellès ayant été accusé par un Peintre jaloux de sa gloire, d’avoir conjuré contre le Roi Ptolomé, ce Prince après l’avoir comble de bien-faits, prit tellement feu là-dessus, que sans considérer la jalousie qui est ordinaire entre les personnes de même Profession, il lui eût fait soufrir le dernier suplice, si un des complices ne l’eût déchargé à la question. Mais lorsque le Roi eut appris son innocence, il fut touché d’un tel repentir de ce qu’il lui avoit fait souffrir, qu’il lui donna cent talens, & lui mit entre les mains son accusateur, pour en faire ce qu’il lui plairoit. Appellès lui pardonna ; mais pour se vanger de la calomnie qui lui avoit fait un si mauvais tour, il fit le tableau dont voici la description.

Il peignit un Prince avec de grandes oreilles d’âne, comme on peint Midas, assis sur un trône, environné du soupçon & de l’ignorance : en cet état il tend de loin la main à la calomnie, qui s’avance vers lui, le visage tout en feu, avec des attraits & des charmes extraordinaires ; elle tient de la main gauche un flambeau, & traîne de l’autre par les cheveux un jeune innocent, qui éléve les mains au Ciel pour implorer son assistance ; devant lui marche l’envie, au visage havre & aux yeux louches, accompagnée de la fraude & de l’artifice, qui parent & ajustent la calomnie pour la rendre plus agréable ; après vient le repentir sous la figure d’une Dame vêtue de deuil, avec ses habits tout déchirez, qui tourne la tête vers la vérité, & pleure de regret & de honte d’avoir servi la calomnie pour opprimer l’innocent. Appellès est dans un coin du tableau, qui attend le jugement de Ptolomée. Je ne crois pas qu’un Poëte puisse mieux exprimer un pareil sujet.

Aussi ne ferai-je point ici de différence entre la Peinture & la Sculpture ; car celle-ci n’a rien que la Peinture ne doive bien entendre pour être parfaite : ce que la Sculpture a de plus beau, lui est commun avec la Peinture.

Ces deux Arts se sont maintenus de tous les tems dans un même dégré de perfection.

Les Peintres & les Sculpteurs ont toujours vêcu dans une louable jalousie sur la beauté & sur l’estime de leurs ouvrages, comme ils font encore aujourd’hui. Si les Sculptures antiques ont été l’admiration des Anciens, comme elles font l’étonnement des Modernes, que peut-on concevoir de la Peinture de ces mêmes tems-là ? puisqu’avec le goût & la régularité de son dessein, elle a dû s’attirer toutes les louanges que méritent les effets de son coloris.

Mais si nous voulons remonter au-delà du tems d’Aléxandre, nous trouverons que Dieu même rendit cet art honorable, en faisant part de son intelligence, de son esprit & de sa sagesse à Beseleel & Ooliab, qui devoient embellir le Temple de Salomon, & le rendre respectable par leurs ouvrages.

Si nous regardons la maniere dont la Peinture a été récompensée, nous verrons que les tableaux des excellens Peintres étoient achetez à pleines mesures de piéces d’or, sans compte & sans nombre ; d’où Quintilien infere que rien n’est plus noble que la Peinture, puisque la plûpart des autres choses se marchandent & ont un prix fixe, au lieu que la Peinture n’en a point. L’Histoire remarque entre autres que Mirsillus-Roi de Lidie, acheta au poids de l’or un grand tableau de la façon de Bularchus, où étoit représenté la bataille des Magnésiens. Ce Peintre mourut l’an du monde 3260.

Une seule statue de la main d’Aristide, fut vendue 375 talens ; une autre de Policlete, 120000 sesterces : & le Roi de Nicomédie voulant affranchir la ville de Guide de plusieurs tributs, pourvû qu’elle lui donnât cette Vénus de la main de Praxitelle, qui y attiroit toutes les années un concours infini de gens ; les Guidiens aimerent mieux demeurer toujours tributaires, que de lui donner une statue qui faisoit le plus grand ornement de leur Ville. Il s’est même trouvé d’excellens Peintres & de très-habiles Sculpteurs, qui pénétrez du mérite de leur art, consacrerent aux Dieux leurs ouvrages, croyant que les hommes en étoient indignes. La Gréce touchée de reconnoissance envers le célébre Polignote, qui lui avoit donné des tableaux que tout le monde admiroit, lui fit des Entrées magnifiques dans les Villes où il avoit fait quelque ouvrage. Un décret du Sénat d’Athenes ordonna qu’il seroit défrayé aux dépens du Public, dans tous les lieux où il passeroit.

Aussi la Peinture étoit alors si honorée, que les habiles Peintres de ces tems-là ne peignoient sur aucune chose qui ne pût être transportée d’un lieu à un autre, & qu’on ne put garantir d’un embrasement.

Ils se seroient bien gardez, dit Pline, de peindre contre un mur qui n’auroit pû appartenir qu’à un maître, qui seroit toujours demeuré dans un même lieu, & qu’on n’auroit pû dérober à la rigueur des flammes : il n’étoit pas permis de retenir comme en prison la peinture sur les murailles, elle demeuroit indifféremment dans toutes les Villes ; un Peintre étoit un bien commun à toute la terre.

L’on portoit même jusqu’au respect l’honneur qu’on rendoit à cet Art : le Roi Démétrius en donna des marques mémorables au siége de Rhodes, où il ne put s’empêcher d’employer une partie du tems qu’il devoit aux soins de son armée, à visiter Protogenes qui faisoit alors le tableau de Jalisus. Cet ouvrage, dit Pline, empêcha le Roi Démétrius de prendre Rhodes, dans l’appréhension qu’il avoit de brûler les tableaux de ce grand Peintre ; & ne pouvant mettre le feu dans la Ville par un autre côté que celui où étoit le Cabinet de cet homme illustre, il aima mieux épargner la Peinture, que de recevoir la victoire qui lui étoit offerte.

Protogene, poursuit le même Pline, travailloit dans un jardin hors de la Ville, près du camp des ennemis, & il achevoit assidument les ouvrages qu’il avoit commencez, sans que le bruit des armes fût capable de l’interrompre ; mais Démétrius l’ayant fait venir, & lui ayant demandé avec quelle confiance il osoit travailler au milieu des ennemis, le Peintre répondit qu’il sçavoit fort bien que la guerre qu’il avoit entreprise étoit contre les Rhodiens, & non pas contre les Arts ; ce qui obligea le Roi de lui donner des Gardes pour sa sureté, étant ravi de pouvoir conserver la main qu’il avoit sauvé de l’insolence des soldats.

De grands Personnages ont aimé la Peinture avec passion, & s’y sont exercez avec plaisir, entre autres Fabius, l’un de ces anciens Romains, qui au rapport de Cicéron, lorsqu’il eut goûté la Peinture & qu’il s’y fut exercé, voulut être appelé Fabius Pictor : par-là il vouloit donner un nouveau lustre à sa naissance, selon l’idée que l’on avoit alors de la Peinture ; car ce qui est admirable en cet art, dit Pline, c’est qu’il rend les nobles encore plus nobles, & les illustres encore plus illustres. Turpilius Chevalier Romain, Labeon Préteur & Consul, les Poëtes Ennius, Pacuvius, Socrate, Platon, Métrodore, Pirron, Néron, Commode, Adrien, Aléxandre, Severe, Antonin, Gordien, & plusieurs autres Empereurs & Rois, n’ont pas tenu au-dessous d’eux d’y employer une partie de leur tems. L’Histoire de René d’Anjou Roi de Naples, marque encore la passion qu’il avoit pour la Peinture : il peignoit une perdrix dans le tems qu’on lui vint annoncer la perte de son Royaume de Naples, cependant il continua son ouvrage avec la même tranquilité qu’il l’avoit commencé.

On sçait avec quel soin les grands Princes ont ramassé dans tous les tems quantité de tableaux des grands Maîtres, & qu’ils en ont fait un des plus précieux ornemens de leurs Palais ; on voit encore tous les jours combien ce plaisir est sensible aux grands Seigneurs, & aux gens d’esprit qui ont du goût pour les bonnes choses.

Témoin l’attention que S.A.R. a eu de faire revenir en France les sept Sacremens du Poussin, qui étoient sortis du Royaume en 1714, sous un Passeport du Prince Eugene, qu’un Négotiant de Roterdam avoit acheté secretement 25 mille écus, des heritiers de M. de Chanteloup Maître d’Hôtel du Roi. Ce Négociant en refusa 150 mille livres du Milord Malbouroug, sitôt qu’il fut arrivé à Roterdam, voulant les vendre 200 mille livres. Cependant S.A.R. les a fait revenir, pour cadrer aux sept tableaux des sept pechez mortels, peints par M. le Brun. Ces deux chefs-d’œuvres de Peinture peuvent bien être mis en paralele avec l’excellent Poëme des principes de la Philosophie de l’Abbé Genest.

On n’ignore pas aussi avec quelle distinction les habiles Peintres de ces derniers tems ont été traitez des Têtes couronnées, & à quel point le Titien & Léonard Vinci furent estimez des Princes qu’ils servoient : celui-ci mourut entre les bras de François I. & le Titien donna tant de jalousie aux Courtisans de Charles-Quint qui se plaisoit dans la conversation de ce Peintre, que cet Empereur fut contraint de leur dire qu’il ne manqueroit jamais de Courtisans, mais qu’il n’auroit pas toujours un Titien.

On sçait encore que ce Peintre ayant un jour laissé tomber un pinceau en faisant le portrait de Charles-Quint, cet Empereur le ramassa ; & que sur le remerciment & l’excuse que Titien lui en faisoit, il dit ces paroles : Titien mérite d’être servi par César.

Mais supposé que l’idée de la Peinture, à la considérer dans sa perfection, ne soit pas encore bien établie, si celle que l’on conçoit aujourd’hui n’avoit pas un fond de mérite, par toutes les connoissances qu’elle renferme, & pour tout ce qu’elle est capable de produire sur les esprits, d’où viendroit la passion qu’ont pour elle les grands Seigneurs & tant de gens d’esprit, & que ceux mêmes qui ont de l’indifférence pour cet art, n’oseroient l’avouer sans rougir.

C’est un mal, dit un Auteur grave, de n’aimer pas la Peinture, & de lui refuser l’estime qui lui est due : car celui qui le fait par ignorance, est bien malheureux de ne pouvoir discerner toutes les beautez qu’il y a dans le monde ; & celui qui le fait par mépris, est bien méchant de se déclarer ennemi d’un art qui travaille à honorer les Dieux, à instruire les hommes, & à leur donner l’immortalité.

Pour les effets que la Peinture & la Poësie font sur les esprits, il est certain que l’une & l’autre sont capables de remuer puissament les passions ; & si les bonnes Piéces de Théâtre ont tiré & tirent encore tous les jours des larmes des yeux de leurs spectateurs, la Peinture peut faire la même chose, quand le sujet le demande, & qu’il est comme nous le supposons, bien exprimé.

Saint Grégoire de Nice, après avoir fait une longue description du Sacrifice d’Abraham, dit ces paroles : « J’ai souvent jetté les yeux sur un tableau qui représente ce spectacle digne de pitié, & je ne les ai jamais retiré sans larmes ; tant la Peinture a sçu représenter la chose comme si elle se passoit effectivement. »

La fin de la Peinture comme de la Poésie, est de surprendre de telle sorte, que leurs imitations paroissent des véritez. Le tableau de Zeuxis où il avoit peint un garçon qui portoit des raisins, & qui ne fit point de peur aux oiseaux, puisqu’ils vinrent becqueter ses fruits, est une marque que la Peinture de ces tems-là avoit accoutumé de tromper les yeux en tous les objets qu’elle représentoit : cette figure ne fut en effet censurée par Zeuxis même, que parce qu’elle n’avoit pas assez trompé,

Voilà à peu près les rapports naturels que la Peinture & la Poésie ont ensemble, & qui ont de tout tems, comme dit Horace, permis également aux Peintres & aux Poëtes de tout oser.

Mais il ajoûte que cette liberté ne doit pas les porter à produire rien qui soit hors de la vrai-semblance, comme à joindre les choses douces avec les ameres, ni les tigres avec les agneaux.

Cette idée générale l’oblige ensuite à nous donner des moyens communs qui puissent conduire les Peintres & les Poëtes par les voies du bon sens & de la raison ; car l’on voit dans l’une de ses Satyres, qu’il aimoit extrémement la Peinture, & qu’il passoit pour un fin connoisseur.

Cependant les préceptes qu’il nous a laissez, ne regardent que la théorie de ces deux Arts, lesquels different seulement dans la pratique & dans l’exécution : cette pratique de la Poésie se remarque dans la diction & dans la versification, supposé que la versification soit de l’essence de la Poésie.

On pourroit y ajouter la déclamation, à cause qu’elle est le nerf de la parole, & que sans elle on ne sçauroit bien représenter les mœurs & les actions des hommes, ce qui est cependant la fin de la Poésie ; l’exécution de la Peinture consiste dans le dessein, le coloris, & l’imagination.

Ces differentes manieres d’exécuter la Peinture & la Poésie, ont leurs prix & leurs difficultez : mais l’exécution de la Peinture demande beaucoup plus d’étude & de tems que celle de la Poésie ; car la diction s’acquiert par l’étude de la Grammaire & par le bon usage ; & cela est commun à tous les honnêtes gens, par l’obligation où ils sont de bien parler leur langue, quoique la facilité de s’exprimer purement, nettement & élégamment soit encore le fruit d’une étude très-sérieuse.

La déclamation, dont Quintilien traite fort exactement, sans laquelle, dit-il, l’imitation est imparfaite, & qui est l’ame de l’éloquence, dépend du peu de principes, & presque entierement des talens naturels ; la versification consiste dans la mesure harmonieuse, dans le tours du vers, & dans la rime : quoique ces choses demandent de la réfléxion, de la lecture, & de la pratique, elles s’apprennent néanmoins assez facilement par gens qui y ont de l’inclination.

Il n’en est pas de même du dessein & du coloris ; l’un & l’autre exigent une infinité de connoissances & une étude opiniâtrée.

Le dessein demande un exercice qui produise une si grande justesse de la vûe, pour connoître les differentes dimensions des objets visibles ; & une si grande habitude pour en former les contours, que le compas, comme disoit Michel Ange, doit être plutôt dans les yeux que dans les mains.

Le Dessein suppose la science du corps humain, non seulement comme il doit être pour être parfait, & selon la premiere intention de la nature ; il est fondé sur la connoissance de l’Anatomie, & sur des proportions tantôt sortes & robustes, & tantôt délicates & élégantes, selon qu’elles conviennent aux âges, aux séxes, & aux conditions différentes : cela seul demande des études & des réfléxions de beaucoup d’années.

Ce même Dessein oblige encore le Peintre à posséder parfaitement la Géométrie, pour pratiquer exactement la Perspective, dont il a un besoin indispensable dans toutes les opérations ; il éxige une habitude des racourcis & des contours, dont la variété est aussi grande que le nombre des attitudes est infini. Enfin le Dessein renferme encore la connoissance de la phisionomie & l’expression des passions de l’ame, partie si nécessaire & si estimable dans la Peinture ; tel que M. le Brun l’a fait voir dans les vingt-quatre portraits qu’il nous a donnez, où toutes les passions humaines sont admirablement exprimées.

Aristide fut aussi le premier Peintre qui se servit de la Morale dans sa Profession, & qui sçut peindre l’ame avec ses pensées, aussi-bien que le corps, par l’expression visible de tous les mouvemens interieurs ; & Pline nous aprend que Paulus, après avoir subjugué le dernier Roi de Macédoine, envoya demander aux Athéniens un Philosophe excellent pour l’instruction de ses enfans, & le meilleur Peintre : le Sénat lui envoya seulement le Peintre Métrodore, comme capable lui seul de satisfaire à tout ce que le Roi désiroit.

Le coloris regarde l’incidence des lumieres, l’artifice du clair obscur, les couleurs locales, la simpatie & l’antipatie des couleurs en particulier, l’accord & l’union qu’elles doivent avoir entre elles, leur perspective aërienne, & l’effet du tout ensemble dans les grandes décorations des spectacles ; toutes ces conoissances dépendent de la Phisique la plus fine & la plus abstraite.

Je n’aurois jamais fini, si je voulois parcourir tous les moyens qu’a la Peinture d’exprimer tout ce qu’elle médite : l’on voit assez par tout ce que je viens de dire, qu’elle ne manque pas de ressorts non plus que la Poésie, pour plaire aux hommes, pour leur imposer, & pour ébranler leurs esprits.

Mais quoique la Peinture & la Poésie soient deux sœurs qui se ressemblent en ce qu’elles ont de plus spirituel, on pourroit néanmoins attribuer à la Peinture plusieurs avantages sur la Poésie ; je me contenterai d’en toucher ici quelques-uns. En effet, si les Poëtes ont le choix des Langues, dès qu’ils se sont déterminez à quelqu’une de ces Langues, il n’y a qu’une nation qui les puisse entendre ; & les Peintres ont un langage, lequel, s’il m’est permis de dire, à l’imitation de celui que Dieu donna aux Apôtres, se fait entendre de tous les peuples de la terre.

D’ailleurs la Peinture se dévelope, & nous éclaire en se faisant voir tout d’un coup ; la Poésie ne va à son but & ne produit son effet qu’en faisant succeder une chose à une autre : or ce qui est serré est bien plus agréable, dit Aristote, & touche bien plus vivement que tout ce qui est diffus. Si la Poésie augmente le plaisir par la variété des épisodes & par le détail des circonstances, la Peinture peut en représenter tant qu’on voudra, & entrer dans tous les événemens d’une action, en multipliant ses tableaux ; & de quelque maniere qu’elle expose ses ouvrages, elle ne fait point languir son spectateur : le plaisir qu’elle donne est donc plus vif que celui de la Poésie.

On peut encore accorder cet avantage à la Peinture, qu’elle vient à nous par le sens le plus subtil, le plus capable de nous ébranler & d’émouvoir nos passions, je veux dire par la vûe ; car les choses, dit Horace, qui entrent dans l’esprit par les oreilles, prennent un chemin bien plus long que celles qui entrent par les yeux, qui sont des témoins plus fidéles & plus surs que les oreilles.

Si après ce premier mouvement on regarde les effets qu’elle produit sur l’esprit, il faut tomber d’accord que la Poésie, comme la Peinture, a la propriété d’instruire ; mais celle-ci le fait plus généralement ; elle instruit les ignorans aussi-bien que les doctes ; nous voyons même dans l’Histoire de la Conquête du Méxique, que ces peuples n’ayant pas l’usage de l’écriture, envoyoient des relations en peinture de ce qui se passoit dans le Royaume d’une Province à l’autre, par l’expression de la Peinture dont ils avoient l’usage au défaut de l’écriture ; desorte que sans ce secours il est difficile de bien pénétrer dans le reste des Arts, parce qu’ils ont besoin de figures démonstratives pour être bien entendus. Ce n’est que par la perte de ces mêmes figures, que les Livres de Vitruve & d’Héron l’ancien, qui a traité des machines, nous paroissent si obscurs. De quelle utilité n’est-elle pas dans les Livres de Voyages, & y a-t-il quelque science à laquelle son secours ne soit pas nécessaire pour sa parfaite intelligence ? La Topographie, les Médailles, les Devises, les Emblêmes, les Livres de Plantes & ceux des animaux, peuvent-ils se passer de l’utilité que la Peinture est toujours prête à leur donner ?

Fernand Cortez dans la Conquête du Méxique, ne connut l’Histoire ancienne de leurs Rois & de leurs Coutumes que par des tableaux faits avec des plumes ajustées si au naturel, qu’ils surpassoient la beauté de la peinture ordinaire : ils ont tant de patience pour ces sortes d’ouvrages, qu’un homme passera tout un jour à tourner une plume pour la mettre dans son jour. Il y a dans le Tresor de Lorette six tableaux de ces sortes d’ouvrages, que l’on ne montre que rarement, & qui enchantent pour la beauté.

Pour commencer par l’Histoire-Sainte, quelle joie pleine de vénération n’aurions-nous pas, si la Peinture avoit pû nous conserver jusqu’à présent le Temple que Salomon avoit bâti dans sa magnificence ? Quel plaisir n’aurions-nous pas à lire l’Histoire de Pausanias, lequel nous décrit toute la Grece, & nous y conduit comme par la main, si son discours étoit accompagné de figures démonstratives ?

La principale fin du Poëte est d’imiter les mœurs & les actions des hommes. La Peinture a le même objet, mais elle y va d’une maniere bien plus étendue ; car on ne peut nier qu’elle n’imite Dieu dans sa toute-puissance, c’est-à-dire dans la création des choses visibles : le Poëte peut bien en faire la description par la force de ses paroles, mais les paroles ne seront jamais prises pour la chose même, & n’imiteront point cette toute-puissance qui d’abord s’est manifestée par des créatures visibles ; au lieu que la Peinture avec un peu de couleurs & comme de rien, forme & représente si bien toutes les choses qui sont sur la terre, sur les eaux, & dans les airs, que nous les croyons véritables ; car l’essence de la Peinture est de séduire nos yeux, & de nous surprendre par cent objets différens. C’est dans cet esprit-là qu’un Peinture habile m’a dit que quand il tenoit à la main sa palete chargée de couleurs, qu’il la regardoit comme le simbole du cahos, puisqu’ayant devant lui une toile préparée & son pinceau pour exprimer les effets de son imagination, il pouvoit donner une connoissance parfaite de la création du monde aux peuples les plus sauvages : c’est M. de Largiliere.

Je ne veux point ici obmettre une chose qui est en faveur de la Poésie : c’est que les épisodes font d’autant plus de plaisir dans la suite d’un Poëme, qu’elles y sont incréées & liées imperceptiblement ; au lieu que la Peinture peut bien représenter tous les faits d’une histoire par ordre, en multipliant ses tableaux ; mais elle n’en peut faire voir ni la cause ni la liaison.

Après avoir exposé le paralele de ces deux arts, il me reste encore à détruire quelques objections que l’on m’a faites.

On m’objecte donc que la Peinture emprunte de la Poésie ; qu’Aristote dit que les Arts qui se servent du secours de la main, sont les moins nobles : enfin que la Poésie est toute spirituelle ; au lieu que la Peinture est en partie spirituelle & en partie matérielle.

A quoi je répons que le secours naturel des Arts justifie qu’ils ne peuvent se passer l’un de l’autre : la Peinture n’emprunte pas plus de la Poésie, que la Poésie emprunte de la Peinture.

Cela est si vrai, que les fausses Divinitez qui ont donné lieux aux fables, n’ont été employées par les Poëtes dans leurs fictions, que parce que les Peintres & les Sculpteurs les avoient déja exposées aux yeux des Egiptiens pour les adorer.

Ovide, tout Poëte qu’il est, dit que Vénus, cette Déesse que la plume des Auteurs a rendue si célébre, seroit encore dans le fond des eaux, si le pinceau d’Appellès ne l’avoit fait connoître ; desorte qu’à cet égard si la Poésie a publié les beautez de Vénus, la Peinture en avoit tracé la figure & le caractere.

Horace qui avoit véritablement beaucoup de goût pour la Peinture, mais qui devoit sa fortune & sa réputation à la Poésie, dit que les Peintres & les Poëtes se sont toujours donné la permission de tout entreprendre ; ainsi il avoue qu’en matiere de fiction leur empire est de même étendue, parce qu’il est sans bornes & sans contrainte ; outre celles de la vrai-semblance, qu’ils sont également obligez de garder.

Si des Fables nous voulons passer à l’Histoire, qui est une autre source où les Peintres & les Poëtes puisent également, nous trouverons qu’à la réserve des Ecrivains sacrez, la plûpart des Auteurs ont écrit selon leur passion, ou selon les mémoires qu’on leur a donnez ; qu’ainsi ils nous ont laissé des doutes sur beaucoup de faits qu’ils ont souvent rapportez diversement.

Mais les faits historiques les plus constans au sentiment des habiles, sont ceux que nous voyons établis ou confirmez par les médailles & les bas-reliefs antiques, ou par les peintures dont les Chrétiens ont décoré les lieux souterrains où ils faisoient l’exercice de leur Religion, & ces lieux se trouvent à Rome & en d’autres lieux de l’Italie. Baronius dit que le peuple Romain ayant découvert une autre ville sous terre, fut ravi d’y voir représenté en peinture les choses qu’il avoit lues dans ses histoires.

En effet Bosius & Severan qui ont écrit de gros volumes de Rome souterraine, nous découvrent dans les peintures qui s’y sont conservées jusqu’aujourd’hui, l’antiquité de nos Sacremens, la maniere dont les Chrétiens faisoient leurs prieres, & dont ils enterroient les Martyrs, & plusieurs autres connoissances qui regardoient les misteres de notre Religion.

Que n’apprenons-nous pas des médailles & des sculptures antiques ? La diversité des Temples, des Autels, des victimes, des ornemens, du Pontificat, & de tout ce qui servoit aux sacrifices ; toutes les sortes d’armes, de chariots, de navires, les instrumens servans à la guerre pour attaquer & défendre les villes, toutes les couronnes différentes pour marquer les diverses sortes de dignitez & de victoires ; tant d’ornemens de tête pour les femmes, tant d’habits différens, selon les tems & les lieux, dans la paix & la guerre. Y a-t-il des lieux qui puissent nous donner des connoissances aussi certaines sur les coutumes & sur les autres choses qui étoient en usage chez les Romains, que celles que nous tirons des sculptures qui ont été faites de leurs tems ? Les bas-reliefs des colonnes Trajane & Antonine sont des Livres muets, où l’on ne trouve pas à la vérité les noms des choses, mais les choses mêmes qui servoient dans le commerce de la vie, du tems au moins des Empereurs dont les colonnes portent le nom.

Ceux qui ont écrit de la Religion des anciens Romains, de leur maniere de camper, des simboles allégoriques, de l’yconologie, & des images des Dieux, n’ont point eu de meilleures raisons, pour prouver ce qu’ils ont enseigné, que les monumens antiques des bas-reliefs & des médailles. Enfin ces ouvrages & les peintures anciennes dont on vient de parler, sont les sources de l’érudition la plus assurée ; & c’est de-là que nous voyons dans un grand nombre de sçavans cette vive curiosité des médailles, des pierres gravées, & de tout ce qui, dans les beaux Arts, porte le caractere de l’antiquité. Il s’ensuit donc de tout ce que je viens de dire touchant la Fable & l’Histoire, que la Poésie emprunte du moins autant de la Peinture, que la Peinture emprunte de la Poésie.

A l’égard de ce que dit Aristote, que les Arts qui se servent du secours de la main sont les moins nobles, & de ce que l’on a ajoûté que la Poésie est toute spirituelle, au lieu que la Peinture est en partie spirituelle & en partie matérielle ; on répond que la main n’est à la Peinture que ce que la parole est à la Poésie ; elles sont les ministres de l’esprit, & le canal par où les pensées se communiquent.

Pour ce qui est de l’esprit, il est égal dans ces deux arts : le même Horace qui nous a donné des régles si excellentes de la Poésie, dit qu’un tableau tient également en suspens les yeux du corps & ceux de l’esprit.

Ce qu’on veut appeller partie matérielle dans la Peinture, n’est autre chose que l’exécution de la partie spirituelle qu’on lui accorde, & qui est proprement l’effet de la pensée du Peintre, comme la déclamation est l’effet de la pensée du Poëte, dont la plume, l’encre & le papier sont les effets matériels de la Poésie.

Mais il faut bien un autre art pour exécuter la pensée d’un tableau, que pour déclamer une Tragédie : pour celle-ci, il y a peu de préceptes à ajouter aux talens extérieurs de la nature ; mais l’exécution de la Peinture demande beaucoup de réfléxion & d’intelligence : il suffit presque uniquement au déclamateur de s’abandonner à son talent, & d’entrer vivement dans son sujet : le Comédien Roscius s’en acquitoit avec tant de force, que pour cela seul il méritoit, dit Cicéron, d’être fort regreté des honnêtes gens, ou plutôt de vivre toujours.

Mais le Peintre ne doit pas seulement entrer dans son sujet quand il l’exécute ; il faut encore qu’il ait, comme nous l’avons déja dit, une grande connoissance du Dessein & du coloris, & qu’il exprime finement les différentes phisionomies & les différens mouvemens des passions, Un Poëte peut-il mieux exprimer par un Poëme épique ou dramatique en cinq actes, les Conquêtes d’Aléxandre sur Darius, que l’a fait M. le Brun par la représentation des cinq tableaux qu’il nous a donnez, où l’on voit d’un coup d’œil toute l’étendue de l’action exprimée par la force de l’imagination de cet excellent Peintre.

La main n’a aucune part à toutes ces choses, qu’autant qu’elle est conduite par la tête : ainsi à proprement parler, il n’y a rien dans la Peinture qui ne soit l’effet d’une profonde spéculation : il n’y a pas jusqu’au maniment du pinceau, dont le mouvement ne contribue à donner aux objets l’esprit & le caractere.

On m’oppose de plus la faculté de raisonner ; & l’on dit que ce précieux appanage de l’homme, qui se rencontre dans la Poésie avec tous ses ornemens, ne se trouve pas dans la Peinture.

Tout ce que je viens de dire seroit plus que suffisant pour satisfaire à cette objection ; mais il est bon de l’éclaircir pour y bien répondre.

Il est à remarquer que les arts n’étant que des imitations, le raisonnement qui est dans un ouvrage ne se passe que dans l’esprit de celui qui en juge : il est donc question de faire voir que le spectateur trouve du raisonnement dans la Peinture, comme l’Auditeur dans la Poésie.

On entend par le mot de raisonnement, ou la cause & la raison par laquelle l’ouvrage fait un bon effet, ou l’action de l’entendement qui connoît une chose par une autre, & qui en tire des consequences.

Si par le mot de raisonnement on entend la cause & la raison par laquelle l’ouvrage fait un bon effet, il y a autant de raisonnement dans la Peinture que dans la Poésie, parce qu’elles agissent l’une & l’autre en vertu de leurs principes.

Si par le mot de raisonnement on entend l’action de l’entendement qui infere une chose par la connoissance d’une autre, il se trouve également dans la Poésie & dans la Peinture, quand l’occasion s’en présente ; le plus sûr moyen de rendre cette vérité sensible, est de la démontrer dans des ouvrages qui soient sous nos yeux, & ausquels il soit aisé d’avoir recours : les tableaux de la Gallerie du Luxembourg, qui représentent la vie de Marie de Médicis, en seront autant de preuves ; je me servirai de celui où est peinte la naissance de Louis XIII. parce qu’il est le plus connu.

En voyant ce tableau on infere par éxemple que l’accouchement arriva le matin parce qu’on y remarque le Soleil qui s’éleve avec son char, & qui fait sa route en montant.

On infere aussi que cet accouchement fut heureux, par la constellation de Castor que le Peintre a mis au haut du tableau, & qui est le simbole des événemens favorables ; à côté du tableau est la fécondité, qui tournée vers la Reine, lui montre dans une corne d’abondance cinq petits enfans, pour donner à entendre que ceux qui naîtront de cette Princesse iront jusqu’à ce nombre : dans la figure de la Reine on juge facilement par la rougeur de ses yeux, qu’elle vient de soufrir dans son accouchement ; & par ces mêmes yeux amoureusement tournez du côté de ce nouveau Prince, joint aux traits du visage que le Peintre a divinement ménagez, il n’y a personne qui ne remarque une double passion, je veux dire un reste de douleur avec un commencement de joie, & qui n’en tire cette consequence, que l’amour maternel & la joie d’avoir mis un Daufin au monde, ont fait oublier à cette Princesse les douleurs de l’enfantement. Les autres tableaux de cette Gallerie, qui sont tous allégoriques, donnent lieu de tirer des conséquences par les simboles qui conviennent aux sujets & aux circonstances que le Peintre a voulu traiter.

La Gallerie du Palais Royal, peinte de nos jours par M. Coypel, dont le sujet est tiré de l’Enéïde de Virgile, est encore un ouvrage qui peut non seulement être mis en paralele contre tous les ouvrages des plus excellens Poëtes du tems, mais qui peut l’emporter sur eux comme un chef-d’œuvre de l’art de Peinture.

Il n’y a point d’habile Peintre qui ne nous ait fait voir de semblables raisonnemens, quand l’ouvrage s’est trouvé d’une nature à l’éxiger de la sorte ; car encore que les raisonnemens entrent dans la Poésie & dans la Peinture ; les ouvrages de ces deux arts n’en sont pas toujours mêlez ni toujours susceptibles ; les Métamorphoses d’Ovide qui sont des ouvrages de Poésie, ne sont la plupart que des descriptions.

Il est vrai que le raisonnement qui se trouve dans la Peinture, n’est pas pour toutes sortes d’esprits ; mais ceux qui ont un peu d’élévation, se font un plaisir de pénétrer dans la pensée du Peintre, & de trouver le véritable sens du tableau, par les simboles qu’on y voit représentez, en un mot d’entendre un langage d’esprit qui n’est fait que pour les yeux. Y a-t-il un Poëte qui vous représente plus agréablement les amours de Jupiter pour, Danaé & pour Léda, que les deux tableaux que le Corege a fait à Rome, & dont M. Alvarès m’a dit en avoir voulu donner vingt-cinq mille écus à la Reine de Suéde ?

La trop grande facilité que l’on trouve à découvrir les choses, affoiblit ordinairement les désirs ; les premiers Philosophes ont cru qu’ils devoient enveloper la vérité sous des fables & des allégories ingénieuses, afin que leur science fût recherchée avec plus de curiosité, ou qu’en tenant les esprits appliquez, elle y jettât des racines plus profondes ; car les choses font d’autant plus d’impression dans notre esprit & dans notre mémoire, qu’elles exercent plus agréablement notre attention : Jesus-Christ même s’est servi de cette façon d’instruire, afin que les comparaisons & les paraboles tinssent ses auditeurs plus attentifs aux véritez qu’elles signifioient.

On tire encore de la Peinture des inductions par les attitudes, par les expressions, & par les mouvemens des passions de l’ame. Il y a des tableaux qui nous représentent des conversations & des dialogues, où nous connoissons jusqu’au sentiment des figures qui paroissent s’entretenir. Dans l’Annonciation, par exemple, où l’Ange vient trouver Marie, le spectateur démêle facilement par l’expression & par l’attitude de la Sainte-Vierge, le moment que le Peintre a voulu choisir ; & l’on connoît si c’est lorsqu’elle fut troublée par une apparition imprévûe, ou si elle est étonnée, de la proposition de l’Ange, ou enfin si elle y consent, avec cette humilité, qui lui fit prononcer ces mots : Voilà la servante du Seigneur, &c.

Il paroît qu’Aristote même ne fait aucune difficulté d’accorder le raisonnement à la Peinture, quand il dit que cet art instruit, & qu’il donne matiere à raisonner, non seulement aux Philosophes, mais à tous les hommes. Quintilien avoue que la Peinture pénétre si avant dans notre esprit, & qu’elle remue si vivement nos passions, qu’il paroît qu’elle a plus de force que tous les discours du monde.

Mais la raison ne se trouve pas seulement dans les ouvrages de Peinture, elle s’y fait encore voir ornée d’une élégance & d’un tour agréable ; le sublime s’y découvre aussi sensiblement que dans la Poésie ; l’harmonie même qui les introduit toutes deux & qui leur produit un acceuil favorable, s’y rencontre indispensablement.

Car on tire des couleurs une harmonie par les yeux, comme on tire des sons par les oreilles.

Mais, me dira-t-on, quelque esprit que l’on puisse donner à la Peinture, elle n’exprimera jamais aussi nettement ni aussi fortement que la parole.

Je sçai bien que l’on peut attribuer à la parole des expressions que la Peinture ne peut suppléer qu’imparfaitement ; mais je sçai bien aussi que la Poésie est fort éloignée d’exprimer avec autant de vérité & d’éxactitude que la Peinture : tout ce qui tombe sous le sens de l’ouie, quelque soin qu’elle prenne de nous représenter la phisionomie, les traits, & la couleur d’un visage, ses portraits laissent toujours de l’obscurité & de l’incertitude dans l’esprit ; ils n’approcheront jamais de ceux que la Peinture nous expose. L’on a vu plusieurs Peintres qui ne pouvant donner par le moyen de la parole l’idée de certaines choses qu’il importoit de connoître, se sont servis de simples traits pour les dessiner, sans qu’on pût s’y méprendre.

Ceux mêmes dont la profession étoit de persuader, ont souvent appelé la Peinture à leur secours pour toucher les cœurs, parce que l’esprit, comme nous l’avons fait voir, est plutôt & plus vivement ébranlé par les choses qui frappent les yeux, que par celles qui entrent par les oreilles ; les paroles passent & s’envolent, comme on dit, & les éxemples touchent : c’est pour cela qu’au rapport de Quintilien qui nous a donné les régles de l’Eloquence, les Avocats dans les causes criminelles exposoient quelquefois un tableau qui représentoit l’événement dont il s’agissoit, afin d’émouvoir le cœur des Juges par l’énormité du fait. Les pauvres se servoient anciennement du même moyen pour se défendre contre l’oppression des riches, selon le témoignage du même Quintilien, parce que l’argent des riches pouvoit bien gagner les suffrages en particulier ; mais sitôt que la peinture du tort qui avoit été fait paroissoit devant toute l’assemblée, elle arrachoit la vérité du cœur des Juges en faveur des pauvres : la raison en est que la parole n’est que le signe de la chose, & que la Peinture qui représente plus vivement la réalité, ébranle & pénétre le cœur beaucoup plus fortement que le discours.

Enfin il est de l’essence de la Peinture de parler par les choses, comme il est de l’essence de la Poésie de peindre par les paroles.

Il n’est pas véritable, poursuivra-t-on, que la Peinture parle & se fasse entendre par les choses mêmes, mais seulement par l’imitation des choses.

On répond que c’est justement ce qui fait le prix de la Peinture, puisque par cette imitation, comme nous l’avons fait remarquer, la Peinture plaît davantage que les choses mêmes.

J’aurois pû me prévaloir ici d’une infinité d’autoritez des Auteurs les plus célébres pour soutenir le mérite de la Peinture, si je n’avois appréhendé de rendre cette Dissertation trop longue.

Je me suis donc contenté de faire observer dans ce petit discours, combien l’idée qu’on avoit de la Peinture étoit imparfaite dans la plupart des esprits, & que de-là venoit la préférence que quelques-uns ont voulu donner à la Poésie ; j’ai taché de faire voir la conformité qui se rencontre naturellement dans ces deux arts, lesquels peuvent se raporter aussi à la Musique comme trois sœurs inséparables, par rapport aux arts qui sont communs pour la perfection des spectacles.

Les Hébreux ont prétendu que l’origine de la Poésie venoit d’une inspiration divine, comme nous le voyons dans Moïse, David, & Salomon ; c’est pourquoy les Grecs ont aussi regardé Orphée, Lin, Musée, Homere, & Hésiode comme des hommes divins ; ils donnoient aussi la qualité de saints aux Poëtes qui excelloient dans cet art.

Pour la Peinture, elle doit son origine au hazard, suivant l’opinion commune, par l’effet de l’ombre de l’homme & la clarté du Soleil, ou de l’ombre de la lumiere, & dont l’invention en est attribuée à une fille qui traça contre la muraille avec un charbon, les traits du visage de son amant qui étoit venu chez elle pour lui dire adieu ; desorte que par cet esquice elle en fit le portrait pour adoucir son absence : Philostrate, dans ses Tableaux, dit que Débutades Potier de terre à Corinthe, étoit pere de cette fille, & qu’il fit un modele de la figure que sa fille avoit tracée.

Quintilien, Livre X. dit que les premiers Peintres prirent les proportions de l’homme à l’ombre du Soleil, en tirant des lignes pour en marquer les dimensions, surtout pour la régularité du visage, & que Philade Peintre Egiptien, ou Cléante Peintre de Corinte, en furent les inventeurs.

Pline, Livre V. dit aussi que Giges Lidion fut le premier Peintre en Egipte, & que Perche cousin de Dédale, fut le premier Peintre en Grece ; que Polignote Athénien fut l’inventeur de la draperie transparente, & qu’il enseigna l’art d’ouvrir la bouche & de faire montrer les dents à ses portraits, quand le sujet le requéroit, & qui les affranchit de l’ancienne rudesse de la Peinture par l’adoucissement des traits.

Diodore, dans ses Antiquitez, attribue l’invention du pinceau à Apollodore Athénien, & dit que les premiers Peintres qui ont enseigné l’art de la Peinture, sont Adrien natif de Corinthe, & Téléphane Sicyonien, sans néanmoins qu’il eussent encore l’usage des couleurs, dont l’invention en est dûe à Cléophante de Corinthe. Polidore dit après bien d’autres, que les plus excellens Peintres de l’Antiquité sont Timagore, de Calcidé, Pichis, Polignote & Aglarphon, & à qui on est redevable des principes de ce bel art.

Mais malgré cette opinion, Polidore avoue après bien d’autres, que les Egyptiens se vantoient d’avoir inventé la Peinture plus de 6000 ans avant que les Grecs en eussent la connoissance, & que les Grecs même n’ont pû leur contester cet avantage sur eux ; ce qui fait voir que la profonde Antiquité nous laisse toujours quelques incertitudes sur l’origine des Sciences & des Arts.

C’est aussi par où je finis le Traité de la Peinture & de la Poésie, que je regarde comme deux sœurs, que la jalousie entretient dans la discorde depuis leur naissance, pour les prérogatives de leur art.

J’ajoûterai encore que si les Poëtes se vantent d’avoir Apollon pour l’inventeur de la Poésie, les Peintres peuvent s’attribuer aussi le Dieu Vulcain pour l’inventeur du dessein, si l’on en juge par les bas reliefs qu’il a faits sur les boucliers de Mars, de Pallas, d’Achille & d’Enée, & par les figures qui sont au-dessus de leurs casques, sans parler des deux Automates d’or qu’il forgea pour lui servir de servantes, au dire d’Homere ; ce qui prouve que Vulcain étoit aussi bon Statuaire que habile Dessinateur, & peuvent servir d’autorité pour lui faire mériter la qualité de l’inventeur du Dessein, aussi bien que celui de la Forge ; joint que tout ce qu’on en peut dire touchant son origine, paroît toujours fabuleux, faute de preuves plus certaines à cause de son antiquité.