(1757) Articles pour l’Encyclopédie « Sur la danse et le ballet »
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(1757) Articles pour l’Encyclopédie « Sur la danse et le ballet »

Sur la danse et le ballet

Ballet

Ballet, s. m. danse figurée exécutée par plusieurs personnes qui représentent par leurs pas et leurs gestes une action naturelle ou merveilleuse, au son des instruments ou de la voix.

Tout ballet suppose la danse, et le concours de deux ou de plusieurs personnes pour l’exécuter. Une personne seule, qui en dansant représenterait une action, ne formerait pas proprement un ballet ; ce ne serait alors qu’une sorte de pantomime. Voyez Pantomime [Article de Jaucourt]. Et plusieurs personnes qui représenteraient quelque action sans danse, formeraient une comédie, et jamais un ballet.

La danse, le concours de plusieurs personnes, et la représentation d’une action par les gestes, les pas, et les mouvements du corps, sont donc ce qui constitue le ballet. Il est une espèce de poésie muette qui parle, selon l’expression de Plutarque ; parce que sans rien dire, elle s’exprime par les gestes, les mouvements et les pas. Clausis faucibus, dit Sidoine Apollinaire, et loquente gestu, nutu, crure, genu, manu, rotatu, toto in schemate, vel semel latebit. Sans danse il ne peut point exister de ballet : mais sans ballet il peut y avoir des danses. Voyez Danse.

Le ballet est un amusement très ancien. Son origine se perd dans l’antiquité la plus reculée. On dansa dans les commencements pour exprimer la joie ; et ces mouvements réglés du corps, firent imaginer bientôt après un divertissement plus compliqué. Les Egyptiens firent les premiers de leurs danses des hiéroglyphes d’action, comme ils en avaient de figurés en peinture, pour exprimer tous les mystères de leur culte. Sur une musique de caractère, ils composèrent des danses sublimes, qui exprimaient et qui peignaient le mouvement réglé des astres, l’ordre immuable, et l’harmonie constante de l’univers.

Les Grecs dans leurs tragédies introduisirent des danses, et suivirent les notions des Égyptiens. Les chœurs qui servaient d’intermèdes, dansaient d’abord on rond de droite à gauche, et exprimaient ainsi les mouvements du ciel qui se font du levant au couchant. Ils appelaient cette danse strophes ou tours.

Ils se tournaient ensuite de gauche à droite pour représenter le cours des planètes, et ils nommaient ces mouvements antistrophes ou retours ; après ces deux danses, ils s’arrêtaient pour chanter : ils nommaient ces chants épodes [voir « Apodes »] Par-là ils représentaient l’immobilité de la terre qu’ils croyaient fixe. Voyez Chœur.

Thésée changea ce premier objet de la danse des Grecs ; leurs chœurs ne furent plus que l’image des évolutions et des détours du fameux labyrinthe de Crète. Cette danse inventée et exécutée par le vainqueur du Minotaure et la jeunesse de Délos, était composée de strophes et d’antistrophes, comme la première, et on la nomma la danse de la grue, parce qu’on s’y suivait à la file, en faisant les diverses évolutions dont elle était composée, comme font les grues lorsqu’elles volent en troupe. Voyez [Danse de la] Grue.

Les ballets furent constamment attachés aux tragédies et aux comédies des Grecs ; Athénée les appelle danses philosophiques ; parce que tout y était réglé, et qu’elles étaient des allégories ingénieuses, et des représentations d’actions, ou des choses naturelles qui renfermaient un sens moral. [Voir Traité historique, IIe partie, livre III, chap. 5, « Établissement de l’Opéra Français »]

Le mot ballet vient de ce qu’originairement on dansait en jouant à la paume. Les anciens, attentifs à tout ce qui pouvait former le corps, le rendre agile ou robuste, et donner des grâces à ses mouvements, avaient uni ces deux exercices ; en sorte que le mot ballet est venu de celui de balle : on en a fait bal, ballet, ballade, et baladin ; le ballar et ballo des Italiens, et le bailar des Espagnols, comme les Latins en avaient fait ceux de ballare, et de ballator, etc.

Deux célèbres danseurs furent en Grèce les inventeurs véritables des ballets, et les unirent à la tragédie et à la comédie.

Batile [Bathylle] d’Alexandrie inventa ceux qui représentaient les actions gaies, et Pylade introduisit ceux qui représentaient les actions graves, touchantes, et pathétiques. [Voir Danse théâtrale]

Leurs danses étaient un tableau fidèle de tous les mouvements du corps, et une invention ingénieuse qui servait à les régler, comme la tragédie en représentant les passions, servait à rectifier les mouvements de l’âme.

Les Grecs avaient d’abord quatre espèces de danseurs qu’on nommait hylarodes, simodes [Articles non rédigés], magodes [Article de Jaucourt], et lysiodes [Article non rédigé]. ; ils s’en servaient pour composer les danses de leurs intermèdes. Voyez ces mots aux différents articles.

Ces danseurs n’étaient proprement que des bouffons ; et ce fut pour purger la scène de cette indécence, que les Grecs inventèrent les ballets réglés, et les chœurs graves que la tragédie reçut à sa place.

Les anciens avaient une grande quantité de ballets, dont les sujets sont rapportés dans Athénée ; mais on ne trouve point qu’ils s’en soient servis autrement que comme de simples intermèdes. Voyez Intermède [Article non signé]. Aristote, Platon, etc. en parlent avec éloge, et le premier est entré, dans sa Poétique, dans un très grand détail au sujet de cette brillante partie des spectacles des Grecs.

Quelques auteurs ont prétendu que c’était à la cruauté d’Hiéron tyran de Syracuse, que les ballets devaient leur origine. Ils disent que ce prince soupçonneux ayant défendu aux Siciliens de se parler, de peur qu’ils ne conspirassent contre lui ; la haine et la nécessité, deux sources fertiles d’invention, leur suggérèrent les gestes, les mouvements du corps et les figures, pour se faire entendre les uns aux autres : mais nous trouvons des ballets, et en grand nombre, antérieurs à cette époque ; et l’opinion la plus certaine de l’origine des danses figurées, est celle que nous avons rapportée ci-dessus.

Le ballet passa des Grecs chez les Romains, et il y servit aux mêmes usages ; les Italiens et tous les peuples de l’Europe en embellirent successivement leurs théâtres, et on l’employa enfin pour célébrer dans les cours les plus galantes et les plus magnifiques, les mariages des rois, les naissances des princes, et tous les événements heureux qui intéressaient la gloire et le repos des nations. Il forma seul alors un très grand spectacle, et d’une dépense immense, que dans les deux derniers siècles on a porté au plus haut point de perfection et de grandeur.

Lucien qui a fait un traité de la danse, entre dans un détail fort grand des sujets qui sont propres à ce genre de spectacle : il semble que cet auteur ait prévu l’usage qu’on en ferait un jour dans les cours les plus polies de l’Europe. [Voir Traité historique, Ire partie, livre III, chap. 4, « Fragment de Lucien »]

On va donner une notion exacte de ces grands ballets, aujourd’hui tout à fait hors de mode ; on a vu quelle a été leur origine, et leur succès ; on verra dans la suite leurs changements, leur décadence, et le genre nouveau qu’elle a produit : des yeux philosophes trouvent partout ces commencements, ces progrès, ces diminutions, ces modifications différentes, en un mot, qui sont dans la nature : mais elles se manifestent d’une manière encore plus sensible dans l’histoire des Arts.

Comme dans son principe, le ballet est la représentation d’une chose naturelle ou merveilleuse, il n’est rien dans la nature, et l’imagination brillante des Poètes n’a pu rien inventer, qui ne fût de son ressort.

On peut diviser ces grands ballets en historiques, fabuleux, et poétiques.

Les sujets historiques sont les actions connues dans l’histoire, comme le siège de Troie, les victoires d’Alexandre, etc.

Les sujets fabuleux sont pris de la fable, comme le jugement de Paris, les noces de Thétis et Pelée, la naissance de Vénus, etc.

Les poétiques, qui sont les plus ingénieux, sont de plusieurs espèces, et tiennent pour la plupart de l’histoire et de la fable.

On exprime par les uns les choses naturelles, comme les ballets de la nuit, des saisons, des temps, des âges, etc. d’autres sont des allégories qui renferment un sens moral, comme le ballet des proverbes, celui des plaisirs troublés, celui de la mode, des aveugles, de la curiosité, etc.

Il y en a eu quelques-uns de pur caprice, comme le ballet des postures, et celui de Bicêtre ; quelques autres n’ont été que des expressions naïves de certains événements communs, ou de certaines choses ordinaires. De ce nombre étaient les ballets des cris de Paris, de la foire Saint-Germain, des passe-temps, du carnaval, etc. Enfin l’histoire, la fable, l’allégorie, les romans, le caprice, l’imagination, sont les sources dans lesquelles on a puisé les sujets des grands ballets. On en a vu de tous ces genres différents réussir, et faire honneur à leurs différents inventeurs.

Ce spectacle avait des règles particulières, et des parties essentielles et intégrantes, comme le poème épique et dramatique.

La première règle est l’unité de dessein. En faveur de la difficulté infinie qu’il y avait à s’assujettir à une contrainte pareille, dans un ouvrage de ce genre, il fut toujours dispensé de l’unité de temps et de l’unité de lieu. L’invention ou la forme du ballet est la première de ses parties essentielles : les figures sont la seconde : les mouvements la troisième : la Musique qui comprend les chants, les ritournelles, et les symphonies, est la quatrième : la décoration et les machines sont la cinquième : la Poésie est la dernière ; elle n’était chargée que de donner par quelques récits les premières notions de l’action qu’on représentait.

Leur division ordinaire était en cinq actes, et chaque acte était divisé en 3, 6, 9, et quelquefois 12 entrées.

On appelle entrée une ou plusieurs quadrilles de danseurs, qui par leur danse représentent la partie de l’action dont ils sont chargés. Voyez Entrée.

On entend par quadrille, 4, 6, 8, et jusqu’à 12 danseurs vêtus uniformément, ou de caractères différents, suivant l’exigence des cas. Voyez Quadrille [Article de Jaucourt] Chaque entrée était composée d’une ou plusieurs quadrilles, selon que l’exigeait le sujet.

Il n’est point de genre de danse, de sorte d’instruments, ni de caractère de symphonie, qu’on n’ait fait entrer dans les ballets. Les anciens avaient une singulière attention à employer des instruments différents à mesure qu’ils introduisaient sur la scène de nouveaux caractères ; ils prenaient un soin extrême à peindre les âges, les mœurs, les passions des personnages qu’ils mettaient devant les yeux.

A leur exemple dans les grands ballets exécutés dans les différentes cours de l’Europe, on a eu l’attention de mêler dans les orchestres, les instruments convenables aux divers caractères qu’on a voulu peindre ; et on s’est attaché plus ou moins à cette partie, selon le plus ou le moins de goût de ceux qui en ont été les inventeurs, ou des souverains pour lesquels on les a exécutés.

On croit devoir rapporter ici en abrégé deux de ces grands ballets, l’un pour faire connaître les fonds, l’autre pour faire apercevoir la marche théâtrale de ces sortes de spectacles. C’est du savant traité du P. Ménestrier Jésuite, qu’on a extrait le peu de mots qu’on va lire.

Le gris de lin était le sujet du premier ; c’était la couleur de Madame Chrétienne de France, duchesse de Savoie, à laquelle la fête était donnée.

Au lever de la toile l’Amour déchire son bandeau ; il appelle la lumière, et l’engage par ses chants à se répandre sur les astres, le ciel, l’air, la terre, et l’eau, afin qu’en leur donnant par la variété des couleurs mille beautés différentes, il puisse choisir la plus agréable.

Junon entend les vœux de l’Amour, et les remplit ; Iris vole par ses ordres dans les airs, elle y étale l’éclat des plus vives couleurs. L’Amour frappé de ce brillant spectacle, après l’avoir considéré, se décide pour le gris de lin, comme la couleur la plus douce et la plus parfaite ; il veut qu’à l’avenir il soit le symbole de l’amour sans fin. Il ordonne que les campagnes en ornent les fleurs, qu’elle brille dans les pierres les plus précieuses, que les oiseaux les plus beaux en parent leur plumage, et qu’elle serve d’ornement aux habits les plus galants des mortels.

Toutes ces choses différentes animées par la danse, embellies par les plus éclatantes décorations, soutenues d’un nombre fort considérable de machines surprenantes, formèrent le fonds de ce ballet, un des plus ingénieux et des plus galants qui aient été représentés en Europe.

On donna le second à la même cour en 1634, pour la naissance du cardinal de Savoie. Le sujet de ce ballet était la Verita nemica della apparenza sollevata dal tempo.

Au lever de la toile on voyait un chœur de Faux Bruits et de Soupçons, qui précédaient l’Apparence et le Mensonge.

Le fond du théâtre s’ouvrit. Sur un grand nuage porté par les vents, on vit l’Apparence vêtue d’un habit de couleurs changeantes, et parsemé de glaces de miroir, avec des ailes, et une queue de paon ; elle paraissait comme dans une espèce de nid d’où sortirent en foule les Mensonges pernicieux, les Fraudes, les Tromperies, les Mensonges agréables, les Flatteries, les Intrigues, les Mensonges bouffons, les Plaisanteries, les jolis petits Contes.

Ces personnages formèrent les différentes entrées, après lesquelles le temps parut. Il chassa l’Apparence, il fit ouvrir le nuage sur lequel elle s’était montrée. On vit alors une grande horloge à sable, de laquelle sortirent la Vérité, et les Heures. Ces derniers personnages, après différents récits analogues au sujet, formèrent les dernières entrées, qu’on nomme le grand ballet.

Par ce court détail, on voit que ce genre de spectacle réunissait toutes les parties qui peuvent faire éclater la magnificence et le goût d’un souverain ; il exigeait beaucoup de richesse dans les habits, et un grand soin pour qu’ils fussent toujours du caractère convenable. Il fallait des décorations en grand nombre, et des machines surprenantes. Voyez Décoration et Machine [Article de Mallet]

Les personnages d’ailleurs du chant et de la danse en étaient presque toujours remplis par les souverains eux-mêmes, les seigneurs et les dames les plus aimables de leur cour ; et souvent à tout ce qu’on vient d’expliquer, les princes qui donnaient ces sortes de fêtes ajoutaient des présents magnifiques pour toutes les personnes qui y représentaient des rôles ; ces présents étaient donnés d’une manière d’autant plus galante, qu’ils paraissaient faire partie de l’action du ballet. Voyez Sapate [Article non rédigé : voir Traité historique de la danse, IIe partie, livre I, chap. VI : « Des Ballets Moraux »].

En France, en Italie, en Angleterre, on a représenté une très grande quantité de ballets de ce genre : mais la cour de Savoie semble l’avoir emporté dans ces grands spectacles sur toutes les cours de l’Europe. Elle avait le fameux comte d’Aglié, le génie du monde le plus fécond en inventions théâtrales et galantes. Le grand art des souverains en toutes choses est de savoir choisir ; la gloire d’un règne dépend presque toujours d’un homme mis à sa place, ou d’un homme oublié.

Les ballets représentés en France jusqu’en l’année 1671, furent tous de ce grand genre. Louis XIV en fit exécuter plusieurs pendant sa jeunesse, dans lesquels il dansa lui-même avec toute sa cour. Les plus célèbres sont le Ballet des Prospérités des armes de la France, dansé peu de temps après la majorité de Louis XIV [voir Traité historique, IIe partie, livre III, chap. 1, « Des Fêtes dont la Danse a été le fond à la Cour de France, depuis l’année 1610 jusqu’en l’année 1643 »]. Ceux d’Hercule amoureux, exécuté pour son mariage ; d’Alcidiane, dansé le 14 Février 1658 ; des Saisons, exécuté à Fontainebleau le 23 Juillet 1661 ; des Amours déguisés, en 1664, etc.

Les ballets de l’ancienne cour furent pour la plupart imaginés par Benserade. Il faisait des rondeaux pour les récits ; et il avait un art singulier pour les rendre analogues au sujet général, à la personne qui en était chargée, au rôle qu’elle représentait, et à ceux à qui les récits étaient adressés. Ce poète avait un talent particulier pour les petites parties de ces sortes d’ouvrages ; il s’en faut bien qu’il eût autant d’art pour leur invention et pour leur conduite. [voir Traité historique, IIe partie, livre III, chap. 3, « Fêtes de Louis XIV relatives à la Danse, depuis l’année 1643 jusqu’en l’année 1672 »]

Lors de l’établissement de l’opéra en France, on conserva le fond du grand ballet : mais on en changea la forme. Quinault imagina un genre mixte, dans lequel les récits firent la plus grande partie de l’action. La danse n’y fut plus qu’en sous-ordre. Ce fut en 1671, qu’on représenta à Paris les Fêtes de Bacchus et de l’Amour, cette nouveauté plût ; et en 1681, le Roi et toute sa cour exécutèrent à Saint-Germain le Triomphe de l’Amour, fait par Quinault, et mis en musique par Lully : de ce moment il ne fut plus question du grand ballet, dont on vient de parler. La danse figurée, ou la danse simple reprirent en France la place qu’elles avaient occupée sur les théâtres des Grecs et des Romains ; on ne les y fit plus servir que pour les intermèdes ; comme dans Psyché, le Mariage forcé, les Fâcheux, les Pygmées, le Bourgeois Gentilhomme, etc. Le grand ballet fut pour toujours relégué dans les collèges. Voyez Ballets de Collège. A l’Opéra même le chant prit le dessus. Il y avait plus de chanteurs que de danseurs passables ; ce ne fut qu’en 1681, lors qu’on représenta à Paris le Triomphe de l’Amour, qu’on introduisit pour la première fois des danseuses sur ce théâtre.

Quinault qui avait créé en France l’opéra, qui en avait aperçu les principales beautés, et qui par un trait de génie singulier avait d’abord senti le vrai genre de ce spectacle (Voyez Opéra [Article de Jaucourt]) n’avait pas eu des vues aussi justes sur le ballet. Il fut imité depuis par tous ceux qui travaillèrent pour le théâtre lyrique. Le propre des talents médiocres est de suivre servilement à la piste la marche des grands talents.

Après sa mort on fit des opéras coupés [voir Coupe] comme les siens, mais qui n’étaient animés, ni du charme de son style, ni des grâces du sentiment qui était sa partie sublime. On pouvait l’atteindre plus aisément dans le ballet, où il avait été fort au-dessous de lui-même ; ainsi on le copia dans sa partie la plus défectueuse jusqu’en 1697, que La Motte, en créant un genre tout neuf, acquit l’avantagé de se faire copier à son tour. [voir Traité historique, IIe partie, livre III, chap. 9, « Du Ballet moderne »]

L’Europe Galante est le premier ballet dans la forme adoptée aujourd’hui sur le théâtre lyrique. Ce genre appartient tout à fait à la France, et l’Italie n’a rien qui lui ressemble. On ne verra sans doute jamais notre opéra passer chez les autres nations : mais il est vraisemblable qu’un jour, sans changer de musique (ce qui est impossible) on changera toute la constitution de l’opéra Italien, et qu’il prendra la forme nouvelle et piquante du ballet Français.

Il consiste en 3 ou 4 entrées précédées d’un prologue.

Le prologue et chacune des entrées forment des actions séparées avec un ou deux divertissements mêlés de chants, et de danses.

La tragédie lyrique doit avoir des divertissements de danse et de chant, que le fonds de l’action amène. Le ballet doit être un divertissement de chant et de danse, qui amène une action, et qui lui sert de fondement, et cette action doit être galante, intéressante, badine, ou noble suivant la nature des sujets.

Tous les ballets qui sont restés au théâtre sont en cette forme, et vraisemblablement il n’y en aura point qui s’y soutiennent, s’ils en ont une différente. Le Roi Louis XV a dansé lui-même avec sa cour, dans les ballets de ce nouveau genre, qui furent représentés aux Tuileries pendant son éducation.

Danchet, en suivant le plan donné par La Motte, imagina des entrées comiques ; c’est à lui qu’on doit ce genre, si c’en est un. Les Fêtes Vénitiennes ont ouvert une carrière nouvelle aux Poètes et aux Musiciens, qui auront le courage de croire, que le théâtre du merveilleux est propre à rendre le comique.

Les Italiens paraissent penser que la musique n’est faite que pour peindre tout ce qui est de plus noble ou de plus bas dans la nature. Ils n’admettent point de milieu.

Ils répandent avec profusion le sublime dans leurs tragédies, et la plus basse plaisanterie dans leurs opéras bouffons, et ceux-ci n’ont réussi que dans les mains de leurs musiciens les plus célèbres. Peut-être dans dix ans pensera-t-on comme eux. Platée, opéra bouffon de M. Rameau, qui est celui de tous ses ouvrages le plus original et le plus fort de génie, décidera sans doute la question au préjudice des Fêtes Vénitiennes et des Fêtes de Thalie, peu goûtées dans leurs dernières reprises.

Peut-être La Motte a-t-il fait une faute en créant le ballet. Quinault avait senti que le merveilleux était le fond dominant de l’opéra. Voyez Opéra [Article de Jaucourt]. Pourquoi ne serait-il pas aussi le fond du ballet ? La Motte ne l’a point exclu : mais il ne s’en est point servi. Il est d’ailleurs fort singulier qu’il n’ait pas donné un plus grand nombre d’ouvrages d’un genre si aimable. On n’a de lui que l’Europe galante qui soit restée au théâtre ; il a cru modestement sans doute que ce qu’on appelle grand opéra, était seul digne de quelque considération. Son esprit original l’eût mieux servi cependant dans un genre tout à lui. Il n’est excellent à ce théâtre que dans ceux qu’il a créés. Voyez Pastorale [Article non rédigé] et Comédie-Ballet.

Il y a peut-être encore un défaut dans la forme du ballet créé par La Motte. Les danses n’y sont que des danses simples ; nulle action relative au sujet ne les anime ; on danse dans L’Europe galante pour danser. Ce sont à la vérité des peuples différents qu’on y voit paraître : mais leurs habits plutôt que leurs pas annoncent leurs divers caractères ; aucune action particulière ne lie la danse avec le reste de l’acte.

De nos jours on a hasardé le merveilleux dans le ballet, et on y a mis la danse en action : elle y est une partie nécessaire du sujet principal. Ce genre, qui a plu dans sa nouveauté, présente un plus grand nombre de ressources pour l’amusement du spectateur, des moyens plus fréquents à la poésie, à la peinture, à la musique, d’étaler leurs richesses ; et au théâtre lyrique, des occasions de faire briller la grande machine, qui en est une des premières beautés : mais il faut attendre la reprise des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, pour décider si ce genre est le véritable.

De tous les ouvrages du théâtre lyrique, le ballet est celui qui paraît le plus agréable aux Français. La variété qui y règne, le mélange aimable du chant et de la danse, des actions courtes qui ne sauraient fatiguer l’attention, des fêtes galantes qui se succèdent avec rapidité, une foule d’objets piquants qui paraissent dans ces spectacles, forment un ensemble charmant, qui plaît également à la France et aux étrangers.

Cependant parmi le grand nombre d’auteurs célèbres qui se sont exercés dans ce genre, il y en a fort peu qui l’aient fait avec succès : on a encore moins de bons ballets que de bons opéras, si on en excepte les ouvrages de M. Rameau, du sort desquels on n’ose décider, et qui conserveront, ou perdront leur supériorité, selon que le goût de la nation pour la musique se fortifiera, ou s’affaiblira par la suite. Le théâtre lyrique qui peut compter à peu-près sur huit ou dix tragédies dont la réussite est toujours sûre, n’a pas plus de trois ou quatre ballets d’une ressource certaine ; l’Europe galante, les Eléments, les Amours des Dieux, et peut-être les Fêtes Grecques et Romaines. D’où vient donc la rareté des talents dans un pareil genre ? Est-ce le génie ou l’encouragement qui manquent ? Plutarq. Sid. Appoll. Athén. Arist. Poétique. Platon. Hist. de la danse par Bonnet. Lucien. L. P. Ménestrier, Jés. Traité des Ballets, etc. (B)

Ballets de chevaux

Dans presque tous les carrousels, il y avait autrefois des ballets de chevaux qui faisaient partie de ces magnifiques spectacles. Pluvinel, un des écuyers du roi, en fit exécuter un fort beau dans le fameux carrousel de Louis XIII. Les deux qui passent pour avoir été les plus superbes, sont ceux qui furent donnés à Florence, le premier en 1608, le dernier en 1615.

On lit dans Pline, que c’est aux Sybarites que l’on doit l’invention de la danse des chevaux : le plaisir était le seul objet de ce peuple voluptueux ; il était l’âme de tous ses mouvements, et de tous ses exercices. Athénée, d’après Aristote, rapporte que les Crotoniates, qui faisaient la guerre à ce peuple, s’étant aperçu du soin avec lequel on y élevait les chevaux, firent secrètement apprendre à leurs trompettes les airs de ballet que les Sybarites faisaient danser à ces animaux dociles. Au moment de la charge, lorsque leur cavalerie s’ébranla, les Crotoniates firent sonner tous ces airs différents, et dès-lors les chevaux Sybarites, au lieu de suivre les mouvements que voulaient leur donner les cavaliers qui les montaient, se mirent à danser leurs entrées de ballet ordinaires, et les Crotoniates les taillèrent en pièces.

Les Bisaltes, peuples de Macédoine, se servirent du même artifice contre les Cardiens, au rapport de Charon de Lampsaque.

Les ballets de chevaux sont composés de quatre sortes de danse ; la danse de terre à terre, celle des courbettes, celle des cabrioles, et celle d’un pas et un saut.

La danse de terre à terre est formée de pas, et de mouvements égaux, en avant, en arrière, à volte sur la droite ou sur la gauche, et à demi-volte ; on la nomme terre à terre, parce que le cheval ne s’y élève point.

La danse des courbettes est composée de mouvements à demi élevés, mais doucement, en avant, en arrière, par voltes et demi-voltes sur les côtés, faisant son mouvement courbé, ce qui donne le nom à cette espèce de danse.

La danse des cabrioles n’est autre chose que le saut que fait le cheval en cadence à temps dans la main, et dans les talons, se laissant soutenir de l’un, et aider de l’autre, soit en avant en une place, sur les voltes et de côté : on n’appelle point cabrioles tous les sauts ; on nomme ainsi seulement ceux qui sont hauts et élevés tout d’un temps.

La danse d’un pas et d’un saut est composée d’une cabriole et d’une courbette fort basse ; on commence par une courbette, et ensuite, raffermissant l’aide des deux talons, et soutenant ferme de la main, on fait faire une cabriole, et lâchant la main et chassant en avant, on fait faire un pas : on recommence après si l’on veut, retenant la main et aidant des deux talons, pour faire faire une autre cabriole.

On a donné le nom d’airs à ces différentes danses, ainsi on dit air de terre à terre, etc.

Dans ces ballets, on doit observer, comme dans tous les autres, l’air, le temps de l’air, et la figure.

L’air est le mouvement de la symphonie qu’on exécute, et qui doit être dansée. Le temps des airs sont les divers passages que l’on fait faire aux chevaux en avant, en arrière, à droite, à gauche : de tous ces mouvements se forment les figures, et quand d’un seul temps sans s’arrêter, on fait aller le cheval de ces quatre manières, on appelle cette figure faire la croix.

Ces passages, en termes de l’art, s’appellent passades.

Les trompettes sont les instruments les plus propres pour faire danser les chevaux, parce qu’ils ont le loisir de prendre haleine lorsque les trompettes la reprennent, et que le cheval, qui est naturellement fier et généreux, en aime le son ; ce bruit martial l’excite et l’anime. On dresse les chevaux encore à danser au son des cors de chasse, et quelquefois aux violons : mais il faut de ces derniers instruments un fort grand nombre, que les symphonies soient des airs de trompettes, et que les basses marquent fortement les cadences.

Selon la nature des airs on manie les chevaux terre à terre, par courbettes, ou par sauts.

Il n’est pas étonnant qu’on dresse des chevaux à la danse, puisque ce sont les animaux les plus maniables, et les plus capables de discipline ; on a fait des ballets de chiens, d’ours, de singes, d’éléphants, ce qui est bien plus extraordinaire. Voyez Danse. Elien, Martial, Athénée, Pline, Aristote, Charon de Lampsaque, etc.

Ballets aux chansons

Ballets aux chansons ce sont les premiers ballets qui aient été faits par les anciens. Eriphanis, jeune Grecque, qui aimait passionnément un chasseur nommé Ménalque, composa des chansons par lesquelles elle se plaignait tendrement de la dureté de son amant. Elle le suivit, en les chantant, sur les montagnes et dans les bois : mais cette amante malheureuse mourut à la peine. On était peu galant, quoi qu’en disent les Poètes, dans ces temps reculés. L’aventure d’Eriphanis fit du bruit dans la Grèce, parce qu’on y avait appris ses chansons ; on les chantait, et on représentait sur ces chants les aventures, les douleurs d’Eriphanis, par des mouvements et des gestes qui ressemblaient beaucoup à la danse.

Nos branles sont des espèces de ballets aux chansons. Voyez Branle. A l’opéra on peut introduire des ballets de ce genre. Il y a une sorte de pantomime noble de cette espèce dans la troisième entrée des Talents Lyriques, qui a beaucoup réussi, et qui est d’une fort agréable invention. La danse de Terpsichore, du prologue des Fêtes Grecques et Romaines, doit être rangée aussi dans cette classe. Le P. Ménestrier, Traité des Ballets.

Ballets de collège

Ballets de collège, ce sont ces spectacles qu’on voit dans les collèges lors de la distribution des prix. Dans celui de Louis le Grand, il y a tous les ans la tragédie et le grand ballet, qui tient beaucoup de l’ancien, tel qu’on le représentait autrefois dans les différentes cours de l’Europe, mais il est plus chargé de récits, et moins rempli de danses figurées.

Il sert pour l’ordinaire d’intermèdes aux actes de la tragédie ; en cela il rend assez l’idée des intermèdes des Anciens.

Il y a plusieurs beaux ballets imprimés dans le second volume du P. Le Jay Jésuite. On trouve le détail de beaucoup de ces ouvrages dans le Père Ménestrier, qui en a fait un savant traité, et qui était l’homme de l’Europe le plus profond sur cette matière. (B)

Boutade

Boutade, s. f. on donnait ce nom autrefois à des petits ballets, qu’on exécutait, ou qu’on paraissait exécuter impromptu. Ils étaient composés pour l’ordinaire de quatre entrées, d’un récit, et d’une entrée générale ; c’était le grand ballet en raccourci : Idée des spectacles anciens et nouveaux de l’abbé de Pure, imprimé à Paris en 1667. Voyez Ballet. (B)

Danse

Danse, s. f. (Art et Hist.) mouvements réglés du corps, sauts, et pas mesurés, faits au son des instruments ou de la voix. Les sensations ont été d’abord exprimées par les différents mouvements du corps et du visage. Le plaisir et la douleur en se faisant sentir à l’âme, ont donné au corps des mouvements qui peignaient au-dehors ces différentes impressions : c’est ce qu’on a nommé geste. Voyez Geste.

Le chant si naturel à l’homme, en se développant, a inspiré aux autres hommes qui en ont été frappés, des gestes relatifs aux différents sons dont ce chant était composé : le corps alors s’est agité, les bras se sont ouverts ou fermés, les pieds ont formé des pas lents ou rapides, les traits du visage ont participé à ces mouvements divers, tout le corps a répondu par des positions, des ébranlements, des attitudes aux sons dont l’oreille était affectée : ainsi le chant qui était l’expression d’un sentiment (Voyez Chant) a fait développer une seconde expression qui était dans l’homme qu’on a nommée danse. Et voilà ses deux principes primitifs.

On voit par ce peu de mots que la voix et le geste ne sont pas plus naturels à l’espèce humaine, que le chant et la danse ; et que l’un et l’autre sont, pour ainsi dire, les instruments de deux arts auxquels ils ont donné lieu. Dès qu’il y a eu des hommes, il y a eu sans doute des chants et des danses ; on a chanté et dansé depuis la création jusqu’à nous, et il est vraisemblable que les hommes chanteront et danseront jusqu’à la destruction totale de l’espèce.

Le chant et la danse une fois connus, il était naturel qu’on les fît d’abord servir à la démonstration d’un sentiment qui semble gravé profondément dans le cœur de tous les hommes. Dans les premiers temps où ils sortaient à peine des mains du Créateur tous les êtres vivants et inanimés étaient pour leurs yeux des signes éclatants de la toute-puissance de l’Être suprême, et des motifs touchants de reconnaissance pour leurs cœurs. Les hommes chantèrent donc d’abord les louanges et les bienfaits de Dieu, et ils dansèrent en les chantant, pour exprimer leur respect et leur gratitude. Ainsi la danse sacrée est de toutes les danses la plus ancienne, et la source dans laquelle on a puisé dans la suite toutes les autres. (B)

Danse théâtrale

Danse théâtrale. On croit devoir donner cette dénomination aux danses différentes que les anciens et les modernes ont portées sur leurs théâtres. Les Grecs unirent la danse à la Tragédie et à la Comédie, mais sans lui donner une relation intime avec l’action principale ; elle ne fut chez eux qu’un agrément presqu’étranger. Voyez Intermède [Article non signé].

Les Romains suivirent d’abord l’exemple des Grecs jusqu’au règne d’Auguste ; il parut alors deux hommes extraordinaires qui créèrent un nouveau genre, et qui le portèrent au plus haut degré de perfection. Il ne fut plus question à Rome que des spectacles de Pylade et de Batyle. Le premier, qui était né en Cilicie, imagina de représenter par le seul secours de la danse, des actions fortes et pathétiques. Le second, né à Alexandrie, se chargea de la représentation des actions gaies, vives et badines. La nature avait donné à ces deux hommes le génie et les qualités extérieures ; l’application, l’étude, l’amour de la gloire, leur avaient développé toutes les ressources de l’art. Malgré ces avantages nous ignorerions peut-être qu’ils eussent existé, et leurs contemporains auraient été privés d’un genre qui fit leurs délices, sans la protection signalée qu’Auguste accorda à leurs théâtres et à leurs compositions.

Ces deux hommes rares ne furent point remplacés ; leur art ne fut plus encouragé par le gouvernement, et il tomba dans une dégradation sensible depuis le règne d’Auguste jusqu’à celui de Trajan, où il se perdit tout à fait.

La danse ensevelie dans la barbarie avec les autres arts, reparut avec eux en Italie dans le quinzième siècle ; l’on vit renaître les ballets dans une fête magnifique qu’un gentilhomme de Lombardie nommé Bergonce de Botta, donna à Tortone pour le mariage de Galéas duc de Milan avec Isabelle d’Aragon. Tout ce que la poésie, la musique, la danse, les machines peuvent fournir de plus brillant, fut épuisé dans ce spectacle superbe ; la description qui en parut étonna l’Europe, et piqua l’émulation de quelques hommes à talents, qui profitèrent de ces nouvelles lumières pour donner de nouveaux plaisirs à leur nation. C’est l’époque de la naissance des grands ballets, voyez Ballet, et de l’opéra, voyez Opéra [Article de Jaucourt]. (B) [voir Traité historique, IIe partie, livre I, chap. 2, « Origine des ballets »]