(1757) Articles pour l’Encyclopédie « Sur les fêtes modernes »
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(1757) Articles pour l’Encyclopédie « Sur les fêtes modernes »

Sur les fêtes modernes

Branle

Branle de Saint-Elme, (Hist. mod.) fête qui se célébrait autrefois à Marseille la veille de S. Lazare. On choisissait les plus beaux garçons et les filles les mieux faites ; on les habillait le plus magnifiquement qu’on pouvait : cette troupe représentait les dieux de la fable, les différentes nations, etc. et était promenée dans les rues au son des violons et des tambours. Cette mascarade s’appelait le branle de saint Elme.

Festins royaux

Festins Royaux. On n’a point dans cet article le vaste dessein de traiter des festins royaux que l’histoire ancienne nous a décrits, encore moins de ceux de tant de princes d’Europe qui, pendant les siècles obscurs qui ont suivi la chute de l’Empire, ne se sont montrés magnifiques dans les occasions éclatantes, que par une profusion déplacée, une pompe gigantesque, une morgue insultante. Ces assemblées tumultueuses, presque toujours la source des vaines disputes sur le rang, ne finissaient guère que par la grossièreté des injures, et par l’effusion du sang des convives. V. Hist. de France de Daniel, et Mezeray, etc.

Les festins, dégoûtants pour les siècles où la politesse et le goût nous ont enfin liés par les mœurs aimables d’une société douce, n’offrent rien qui mérite qu’on les rappelle au souvenir des hommes ; il suffit de leur faire apercevoir en passant que, c’est le charme et le progrès des arts qui seul en a successivement délivré l’humanité

Par le titre de cet article nous désignons ces banquets extraordinaires que nos Rois daignent quelquefois accepter dans le sein de leur capitale ou en d’autres lieux, à la suite des grandes cérémonies, telle que fut celle du sacre à Reims en 1722, le mariage de S. M. en 1725, etc.

C’est un doux spectacle pour un peuple aussi tendrement attaché à son Roi, de le voir au milieu de ses magistrats s’entretenir avec bonté dans le sein de la capitale, avec les personnages établis pour représenter le monarque et pour gouverner les sujets.

Ces occasions sont toujours l’objet d’une réjouissance générale, et l’Hôtel-de-ville de Paris y déploie, pour signaler son zèle, sa joie et sa reconnaissance, le goût le plus exquis, les soins les plus élégants, les dépenses les mieux ordonnées.

Tels furent les arrangements magnifiques qui se déployèrent le 15 Novembre 1744, jour solennel où le Roi, à son retour de Metz, vint jouir des transports d’amour et de joie d’un peuple qui venait de trembler pour ses jours.

Nous donnons le détail de ces festins, 1°. parce qu’ils ont été occasionnés par les événements les plus intéressants ; 2°. parce que les décorations qui les ont accompagnés appartiennent à l’histoire des Arts ; 3°. enfin parce qu’il est bon de conserver le cérémonial observé dans ces sortes d’occasions.

Décoration générale pour le festin royal du 15 Novembre 1744.

La décoration de la place devant l’Hôtel-de-ville, était

Un arc de triomphe placé entre la maison appelée le coin du roi, et la maison qui fait encoignure sur la place du côté du quai.

Cet arc de triomphe avait 70 pieds de face sur 87 pieds d’élévation, et d’un ordre d’architecture régulier, représentant un grand portique. Il était orné de quatre colonnes groupées, d’ordre ionique, sur la principale face : et de quatre colonnes isolées sur les deux retours ; un grand attique au-dessus de l’entablement, sur lequel était un groupe de relief de 48 pieds de face sur 28 pieds de haut, représentait le Roi couronné de laurier par une renommée placée debout dans un char tiré par quatre chevaux, dont le Roi tenait les rênes d’une main, et un bâton de commandant de l’autre. Plusieurs trophées de guerre et de victoire ornaient la face et le retour de cet attique.

Quatre figures allégoriques étaient placées sur les piédestaux, entre les colonnes.

Les deux sur la face principale, représentaient la paix et la victoire ayant ces mots écrits au-dessous, aut hœc, aut illa.

Le grand édifice était construit en relief, et peint de différents marbres.

Au-devant de l’attique et au-dessous du Roi, étaient écrits en lettres d’or sur un fond de marbre, en deux lignes, Ludovico redivivo, Ludovico triumphatori.

Le pourtour de la place de l’Hôtel-de-ville était décoré par une colonnade divisée en quinze groupes d’ordre ionique et de relief, montés sur des socles et piédestaux, et couronnés de leur entablement : au-dessus de ces groupes étaient dressés des trophées dorés, représentant différents attributs de guerre et de victoire.

Cette colonnade était peinte de différents marbres, dont les bases et chapiteaux étaient dorés. Les fûts des colonnes étaient ornés de guirlandes de lauriers. D’un groupe à l’autre de cette colonnade partaient des guirlandes pareilles, qui formaient un entablement à l’autre.

Les fonds des piédestaux étaient ornés de trophées peints en bronze doré, et représentaient différents attributs de victoire.

La face extérieure de l’Hôtel-de-ville avait été nettoyée et reblanchie en toute sa hauteur, y compris les pavillons et les cheminées ; le cadran peint à neuf et redoré, ainsi que les inscriptions ; la statue équestre d’Henri IV rebronzée, et la porte principale peinte et redorée.

Au-dessus et au-dehors de la croisée du milieu, était placée une grande couronne royale en verre transparent et de couleur, ornée de pentes de gaze d’or et de taffetas cramoisi, qui descendaient jusque sur l’appui de cette croisée.

Au milieu de la place ordinaire aux canons, au bas du quai Pelletier, était représenté par des décorations un corps de fontaine dont l’architecture était traitée en pierre, et d’une construction rustique.

La calotte et le dessus de l’entablement étaient ornés de trophées et attributs convenables à la fontaine et à l’objet de la fête.

Dans l’intérieur de cette fontaine était placée une grande cuve qui avait été remplie de douze muids de vin, qui fut distribué au peuple par trois faces de cette fontaine : elle commença à couler au moment de l’arrivée du Roi à l’Hôtel-de-ville, et ne cessa qu’après son départ.

A côté de cette fontaine, et adossé au mur du quai, était dressé un amphithéâtre par gradins, orné de décorations, sur lequel étaient placés des musiciens qui jouèrent de toutes espèces d’instruments toute la journée et bien avant dans la nuit.

Aux deux côtés de cet amphithéâtre étaient disposés deux espèces de balcons ornés de décorations ; et c’était par-là que se faisait la distribution au peuple, du pain et des viandes.

La place au centre de laquelle était cette fontaine, était entourée de plusieurs poteaux qui formaient un parc de toute l’étendue de la place, sur lesquels étaient des girandoles dorées, garnies de forts lampions.

Ces poteaux étaient ornés et entourés de laurier, dont l’effet formait un coup d’œil agréable, pour représenter des arbres lumineux.

D’une tête de poteau à une autre étaient suspendus en festons à double rang, une quantité considérable de lampes de Suresnes1, qui se continuaient au pourtour de la place.

Le pourtour de la barrière de l’Hôtel-de-ville était fermé de cloisons de planches peintes en pierres, pour empêcher le peuple d’entrer dans l’intérieur du perron.

Les murs de face de la cour, les inscriptions et armoiries ont été blanchis, ainsi que le pourtour du péristyle, les murs, voûtes, escaliers, corridors et passages de dégagement.

Sur le palier du milieu du grand escalier étaient deux lustres de cristal, et plusieurs girandoles en cire le long des murs des deux rampes.

La grande salle n’avait point de pièce qui la précédât : on construisit une antichambre ou salle des gardes, de plain-pied à la grande salle ; on la prit sur la cour, et le dessous forma par cet ordre un péristyle au rez-de-chaussée de la cour.

Cette salle des gardes était construite d’une solide charpente et maçonnerie, elle procurait une entrée à la grande salle par son milieu ; et loin de gâter la symétrie et l’ordonnance de la cour, elle la rendait plus régulière.

Les sept fenêtres de la grande salle furent garnies de grandes croisées neuves à grands carreaux et à deux battants, avec des espagnolettes bronzées.

Le pourtour de la salle était décoré d’un lambris d’appui : les cadres et les panneaux en étaient dorés.

Les murs, trumeaux, embrasements et plafonds des croisées de cette salle, ainsi que le pourtour des tableaux, étaient recouverts de damas cramoisi en toute la hauteur, bordé d’un double galon d’or.

Le dessus de la nouvelle porte d’entrée était orné d’un grand panneau d’étoffe cramoisi, enrichi d’un grand cartouche qui renfermait le chiffre du Roi.

Toutes les croisées étaient garnies de rideaux de taffetas cramoisi, bordé d’un galon d’or, avec frange au pourtour.

Les portières ouvertes et feintes étaient de damas cramoisi, et garnies d’un double galon d’or.

La peinture et dorure de ces portes avaient été renouvelées, et toutes les ferrures des portes et des croisées étaient bronzées.

La salle était garnie de banquettes cramoisi : sur la cheminée, du côté de la chambre qui était destinée au Roi, était placé un riche dais, sur la queue duquel était le portrait de S. M.

Ce dais était de damas cramoisi, chargé de galons d’or, et des aigrettes de plumes blanches au-dessus.

Le buste du Roi, en marbre blanc, était placé au-dessous de ce tableau, sur une console dorée.

Les trumeaux des fenêtres étaient garnis chacun de trois girandoles de cristal, posées sur des consoles richement sculptées et dorées.

Le mur opposé aux trumeaux était pareillement garni de girandoles disposées avec symétrie.

Dans la longueur de la grande salle pendaient quatorze beaux lustres de forts cristaux disposés en rangs en des dispositions variées, mais relatives entre eux, et d’une symétrie fort élégante.

Dans cette grande salle était dressé, dans l’angle à côté de la cheminée, un amphithéâtre en gradins, sur lequel étaient placés-soixante musiciens qui devaient exécuter des morceaux de musique pendant le festin du Roi.

Cet amphithéâtre était couvert tout-autour de damas cramoisi galonné d’or.

Le grand buffet de vermeil de la ville était dressé dans l’angle de l’autre cheminée, vis-à-vis de l’amphithéâtre où était la symphonie.

Les deux cheminées étaient garnies de grandes grilles neuves, ornées de belles et grandes figures de bronze doré.

Le plancher de la salle était couvert de tapis de Turquie, et d’un double tapis de Perse à l’endroit où le Roi devait se mettre à table.

La table pour le festin du Roi, que S. M. avait permis que l’on dressât avant son arrivée, était placée dans cette grande salle. Elle avait trente pieds de longueur sur huit pieds de large ; elle était composée de neuf parties, sur quatre pieds brisés en forme de pieds de biche : elle avait été faite pour trente-deux couverts.

Les appartements destinés pour le Roi, pour la Reine, pour Monseigneur le Dauphin, pour Mesdames, étaient décorés avec la plus grande magnificence ; mais la Reine et Mesdames ne vinrent point à l’Hôtel-de-ville.

Décoration de la cour de l’Hôtel-de-ville.

Aux deux côtés de la statue de Louis XIV étaient deux grands lis de fer-blanc, garnis d’un grand nombre de forts lampions.

Au-devant de chaque colonne du premier ordre étaient des torches dorées, portant chacune des girandoles dorées à neuf branches, garnies de bougies.

Le surplus de ces colonnes, jusqu’à leurs chapiteaux, était garni de deux panneaux de lampions, dont le supérieur formait un cœur.

Au centre de chaque arcade était suspendu un lustre de cristal, au-dessus duquel était une agrafe dorée, d’où sortaient des festons et chutes de fleurs d’Italie.

Les embrasements de chaque arcade étaient garnis de girandoles dorées à cinq branches. L’architecture de ce premier ordre était garnie d’un fil de lampions au pourtour.

Le dessus de l’entablement était garni de falots. Les colonnes du second ordre étaient décorées et garnies chacune d’un génie de ronde bosse d’or, portant d’une main une girandole dorée à sept branches, et de l’autre main tenant une branche de laurier qui montait en tournant autour du fût de la colonne jusqu’au chapiteau : cette branche de laurier était dorée.

Dans la frise de l’entablement, au-dessus des colonnes, étaient des médaillons d’or à fond d’azur, avec fleurs-de-lis et chiffres alternativement rehaussés d’or.

Au centre de chacune des croisées cintrées était placé un lustre de cristal, suspendu par un nœud doré.

Au-dessus de chaque lustre était une grande agrafe dorée, d’où sortaient des festons aussi dorés.

Au-dessus de l’entablement du second ordre étaient placées des lanternes de verre, formant pavillons au-dessus des colonnes, et festons au-dessus des croisées cintrées.

Au-devant de la lucarne, au-dessus de la statue du roi, était un tableau transparent, avec une inscription portant ces mots : Recepto Cæsare felix. Le nouveau péristyle était orné de lustres de cristal, et de girandoles dorées sur les colonnes et les embrasements des arcades.

L’ancien péristyle était orné de cinq lustres de cristal, dont celui du milieu en face du premier escalier, était à vingt-quatre-branches, avec festons et chutes de fleurs d’Italie qui formaient un pavillon.

Sur le palier du milieu du grand escalier était un lustre, aussi bien que dans le vestibule et dans tous les corridors.

Marche du Roi.

Sur les deux heures le Roi partit du château des Tuileries, ayant devant et derrière ses carrosses les gendarmes, chevau-légers, les deux compagnies des mousquetaires, et ses gardes-du-corps.

Comme la route de sa Majesté était par la rue Saint-Honoré, celle du Roule, et celle de la Monnaie, la ville avait fait élever pour son passage une fontaine de vin à la croix du Trahoir, et on y distribuait au peuple du vin et de la viande. Sa Majesté étant au commencement du quai de Gesvres, les boîtes et les canons de la ville firent une décharge, et le conduisirent à ce bruit jusque dans l’Hôtel-de-ville.

Sa Majesté étant arrivée dans la place, y trouva les gardes françaises et suisses ; les gendarmes et les chevau-légers filèrent du côté de la rue du Mouton, et les mousquetaires allèrent par-dessus le port pour se poster à la place aux Veaux.

Lorsque le Roi fut arrivé près la barrière de l’Hôtel-de-ville avec ses gardes-du-corps, il fut reçu à la descente de son carrosse par le prévôt des marchands et les échevins, qui mirent un genou à terre : ils furent présentés par M. le duc de Gesvres comme gouverneur, et conduit par M. Desgranges maître des cérémonies.

M. le prévôt des marchands complimenta sa Majesté, laquelle répondit avec sa bonté naturelle ; et sa Majesté s’étant mise en marche pour monter l’escalier, les prévôts des marchands et échevins passèrent avant sa Majesté, laquelle trouva sur le haut de l’escalier les gardes-du-corps en haie et sous les armes.

Elle fut conduite dans la grande salle en passant par la salle des gardes, et de-là dans son appartement, dont la porte était gardée par les huissiers de la chambre, et qui avaient sous leurs ordres des garçons, que la ville avait fait habiller de drap bleu galonné en argent, pour servir de garçons de la chambre, tant chez le Roi que dans l’appartement de Monseigneur le Dauphin.

Monseigneur le Dauphin qui était arrivé avec le Roi, de même que les princes et autres seigneurs, le suivirent dans son appartement.

Les prévôts des marchands et échevins s’étaient tenus dans la grande salle ; le Roi ordonna de les faire entrer, et M. le gouverneur les présenta à sa Majesté tous ensemble, et chacun en particulier.

Quelque temps après M. le prévôt des marchands eut l’honneur de présenter un livre relié en maroquin bleu sur vélin et en lettres d’or, à sa Majesté, à Monseigneur le Dauphin, et aux princes. Il contenait une ode faite pour la circonstance, et qui fut exécutée en musique pendant le festin de sa Majesté.

Sur les trois heures M. le prévôt des marchands, qui était sorti un instant de l’appartement du Roi, y rentra, et eut l’honneur de dire à sa Majesté qu’elle était servie. Le Roi sortit de son appartement, passa dans la grande salle, et se mit à table.

Pendant le festin, l’ode qui avait été présentée au Roi fut exécutée ; et il y eut d’autres morceaux de musique exécutés par la symphonie. Pendant le festin, M. le prévôt des marchands eut l’honneur de servir le Roi.

Outre la table de sa Majesté, il y avait plusieurs tables pour les seigneurs et les personnes de considération, qui n’avaient pas été nommées pour la table du Roi. Il y avait aussi des tables pour les personnes de la suite du Roi, pour les gardes-du-corps, les pages, etc.

Après le festin, le Roi et Monseigneur le Dauphin passèrent dans leur appartement. Le Roi regarda par ses croisées l’illumination de la place.

Toutes les parties principales de l’architecture de l’arc de triomphe étaient dessinées et représentées en illumination et en relief, suivant leurs saillies et contours ; ce qui composait environ quatorze mille lumières, tant en falots qu’en lampes à plaque.

Les entablements de la colonnade autour de la place, étaient garnis de falots ; les fûts des colonnes étaient couverts de tringles, portant un grand nombre de lampes à plaque ; les couronnements des piédestaux étaient pareillement garnis de falots.

Le corps de la fontaine qui était dans le milieu de la place ordinaire des canons, était décoré d’un grand nombre de lumières en falots ou lampes à plaque, qui traçaient la principale partie de la décoration et ses saillies.

Tout le pourtour de cette fontaine qui formait une salle de lumières, et les poteaux, étaient illuminés par des lustres de fil-de-fer, avec lampes de Suresnes ; et les doubles guirlandes de lampes qui joignaient chaque poteau ou pied d’arbre, faisaient un effet admirable.

Au-dehors et sur les retours de la barrière de l’Hôtel-de-ville, étaient quatre grands ifs de fer en consoles bronzées, portant chacun cent cinquante fortes lampes.

La face extérieure de l’Hôtel-de-ville était illuminée de cette manière.

Les deux lanternes du clocher étaient garnies de lampes à plaque, qui figuraient les cintres des arcades, avec festons de lumières au-devant des appuis.

Le pourtour du piédestal et du grand socle était orné de forts lustres de fil-de-fer, garnis de lampes de Suresnes, et leurs corniches avec des falots.

Le grand comble du milieu était orné à ses extrémités, de deux grandes pyramides circulaires, garnies de lampes de Suresnes.

Le faîte et les arêtiers étaient bordés de falots. La face principale de ce comble et celle des deux pavillons, était garnie en plein de lampes à plaque.

Les entablements de deux pavillons, l’acrotère du milieu, et le grand entablement, étaient bordés de falots.

L’illumination de la cour était telle qu’elle est décrite ci-devant.

Après avoir considéré quelque temps l’illumination de la place, le Roi sortit de son appartement avec Monseigneur le Dauphin, descendit dans la cour ; il regarda quelque temps l’illumination, et monta dans son carrosse.

On croit devoir ajouter à ces premiers détails, la description du souper du Roi à l’Hôtel-de-ville, le 8 Septembre 1745, après les mémorables victoires de la France.

Le cérémonial de tous ces festins est toujours le même ; mais les préparatifs changent, et forment des tableaux nouveaux qui peuvent ranimer l’industrie des Arts : les articles de ce genre ne peuvent donc être faits dans l’Encyclopédie avec trop de zèle et de soin. Puissent-ils y devenir des archives durables de la magnificence et du goût d’une ville illustre, dont le bon ordre et l’opulence attirent dans son sein tous les Arts, et qui par le concours immense des plus excellents artistes de l’Europe, est unanimement regardée comme l’école de l’Univers !

Souper du Roi en banquet royal dans l’Hôtel-de-ville, le 8 Septembre 1745.

Sur les sept heures du soir, leurs Majestés, avec toute la famille royale, entrèrent dans la place de l’Hôtel-de-ville, précédées des détachements des deux compagnies des mousquetaires, des chevau-légers, des gardes-du-corps, et des gendarmes. Les gardes françaises et suisses bordaient la place des deux côtés.

Le carrosse de sa Majesté étant devant la barrière de l’Hôtel-de-ville, MM. de la ville s’avancèrent de dix pas au-dehors de la barrière de l’Hôtel-de-ville. M. le duc de Gesvres les ayant présentés aussi-têt que sa Majesté fut descendue de carrosse, ils mirent un genou à terre, et M. le prévôt des marchands fit un discours au Roi.

Ces messieurs qui étaient vêtus de leurs robes de velours, prirent aussitôt le devant, et conduisirent le Roi, la Reine, Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, et Mesdames, dans la grande salle, et de-là à l’appartement du Roi, où ils eurent l’honneur d’être encore présentés au Roi par M. le duc de Gesvres.

Sur les huit heures et demie du soir, M. le prévôt des marchands demanda l’ordre du Roi pour faire tirer le feu d’artifice. On commença par faire une décharge des boîtes et des canons ; ensuite on tira les fusées volantes, et différentes pièces d’artifice qui parurent d’une forme très nouvelle. Le feu d’abord forma une brillante illumination, et au haut de l’artifice était un Vive le Roi, dont le brillant et la nouveauté frappa d’admiration tous les spectateurs. L’artifice était disposé de façon qu’il s’embrasa tout à coup, et que les desseins ne perdirent rien à sa rapidité. Le Roi qui parut fort satisfait, vit tirer ce feu à la croisée du milieu de la grande salle ; les deux croisées à côté étaient distinguées et renfermées dans une estrade de la hauteur d’une marche, entourée d’une balustrade dorée : elle était couverte, ainsi que toute l’étendue de la salle, d’un tapis. Il y avait un dais au-dessus de ladite croisée du milieu, sans queue ni aigrette ; et au-dehors de cette croisée sur la place, était un autre dais très riche avec aigrette et queue.

La Reine y était aussi. Il y avait deux fauteuils pour leurs Majestés ; et la famille royale et toute la cour, étaient sur cette estrade sur des banquettes.

Après le feu, leurs Majestés passèrent dans la salle des gouverneurs, qui avait été décorée en salle de concert. On y exécuta une ode sur le retour de sa Majesté. Les vers étaient de M. Roy ; MM. Rebel et Francœur en avaient fait la musique.

Pendant le concert, on avait ôté l’estrade de la grande salle et les tapis, pour dresser la table.

Le Roi, après le concert, rentra dans son appartement ; la Reine et la famille royale l’y suivirent, et M. le prévôt des marchands eut l’honneur de dire au Roi que sa Majesté était servie : alors le Roi, la Reine et toute la famille royale, allèrent se mettre à table.

La table contenait quarante-deux couverts. Le Roi et la Reine se mirent à table au bout du côté de l’appartement du Roi, dans deux fauteuils ; et sur le retour à droite, était sur un pliant Monseigneur le Dauphin ; à gauche sur le retour, Madame la Dauphine ; à droite, après Monseigneur le Dauphin, était madame première ; à gauche, après Madame la Dauphine, était madame seconde ; à droite, après madame première, était madame la duchesse de Modène, et tout de suite après elle était mademoiselle de la Roche-sur-Yon ; et de l’autre côté, après madame seconde, était madame la princesse de Conti, et ensuite toutes les dames de la cour.

Le Roi et la Reine et la famille royale furent servis en vaisselle d’or, et les princesses en vaisselle de vermeil. M. le prévôt des marchands eut l’honneur de servir le Roi.

La salle était remplie de personnes de la première considération qui étaient entrées par des billets, des officiers des gardes-du-corps, du premier gentilhomme de la chambre de M. le duc de Gesvres.

La décoration de la grand salle était telle.

Etant d’usage d’appuyer les planchers lorsque le Roi honore de sa présence l’Hôtel-de-ville, il avait été mis quatorze forts poteaux sous la portée des poutres, au-devant des trumeaux des croisées sur la place, et à l’opposé, et deux autres près des angles. Ces seize poteaux étaient recouverts et ornés de thermes ou cariatides, sur des piédestaux ; ils représentaient les dieux et déesses de la Victoire, avec leurs attributs. Le corps des figures était en blanc, pour imiter le marbre, et les gaines étaient en marbre de couleur rehaussé d’or, ainsi que les piédestaux. Le plafond était tendu d’une toile blanche au-dessous des poutres, encadrée d’une bordure dorée, faisant ressaut au-dessus des cariatides. Les embrasements des croisées sur la place étaient ornés de chambranles dorés, et les traverses cintrées embellies de guirlandes sur les montants et au-dessous des traverses.

La face opposée aux croisées était répétée de symétrie, et figurait des croisées feintes. Les portes ouvrantes et feintes étaient pareillement ornées de chambranles. Les fonds et les embrasements étaient garnis de taffetas cramoisi, enrichi de galons d’or, et ils formaient des panneaux et des compartiments dessinés avec goût. Les deux cheminées avaient été repeintes, les ornements redorés, ainsi que les draperies des figures.

Cette salle, à laquelle la décoration donnait la forme d’une galerie, était ornée et éclairée par quatorze beaux lustres qui pendaient du plafond, disposés à quatre rangs, d’une position variée, pour l’alignement et la hauteur. Les retours de chacun des seize piédestaux étaient ornés de deux girandoles à cinq branches, formant des bouquets de lis. Au-devant de chacune des gaines des cariatides était une guirlande à sept branches, composée de branches de fleurs. Au-devant de la cheminée, du côté de la chambre du Roi, était dressé un riche dais avec une queue, sur laquelle était le portrait du Roi. Le buste de marbre du Roi était au-dessous, sur une console dorée, posée sur le chambranle de la cheminée. La cheminée opposée du côté de la chambre de la Reine, avait été de même repeinte et redorée ; et pour l’éclairer, il avait été fait deux consoles dorées, qui paraissaient être tenues par les deux figures couchées sur le chambranle pour porter deux girandoles de cristal.

L’orchestre où s’exécutait le concert pendant le souper, était à un des côtés de cette cheminée ; il était composé de cinquante instruments, et recouvert de taffetas cramoisi galonné d’or.

Le buffet de la ville était dressé dès le matin dans la partie de cette salle, auprès de la cheminée du côté de la chambre du Roi.

Au bas, pour le souper, il y avait un petit buffet particulier pour le Roi et la Reine, et la famille royale.

Après le souper, qui dura deux heures, le Roi passa avec la Reine et la famille royale dans son appartement. Ils virent par les fenêtres l’illumination de la place.

Illumination de la Place.

Le pourtour de la place était décoré par quinze piédestaux carrés, qui portaient des drapeaux entrelacés de lauriers, et entouraient le pied d’un groupe de lumières ; treize autres pieds triangulaires portaient des pyramides ou ifs de lumières, et chacune de ces vingt-huit pièces portait quatre-vingt et cent grosses bougies, ce qui faisait environ trois mille lumières. Le contour du feu d’artifice était illuminé, en sorte que cela faisait tableau pour les quatre faces.

Après avoir examiné l’illumination de la place, leurs Majestés et la famille royale quittèrent les appartements, et descendirent dans la cour.

L’enceinte de la cour était ornée d’une chaîne de guirlandes de fleurs, qui formaient des festons d’une colonne à l’autre, avec de belles chutes au-devant des colonnes, et sur les lustres des croisées du second ordre. Au-dessus de ces lustres étaient des couronnes de feuilles de laurier. Au-devant du bas de chaque colonne du second ordre, était une girandole formant des branches de roseau. Au-devant des pieds droits des croisées cintrées, étaient d’autres girandoles qui figuraient des bouquets de roses. Au rez-de-chaussée les arcades étaient ornées de lustres, couronnées d’un trèfle de fleurs, avec des cordons soie et or, chutes ; d’où les lustres pendaient. Au-devant du bas de chaque colonne était une girandole dorée à fleurs-de-lis. Les embrasements étaient garnis de filets de terrines. Aux côtés de la statue de Louis XIV étaient deux grands lis de fer-blanc, garnis de forts lampions. La grande couronne royale transparente était placée sur l’entablement supérieur, au-dessus de la croisée du milieu de la nouvelle salle des gardes : au-dessous de cette couronne étaient des pentes de rideaux de taffetas bleu, avec galons et franges d’or, retroussés en forme de pavillon, sous lequel était le chiffre du Roi en fleurs : au-dessous et sur l’entablement du premier ordre, étaient les armes de France et de Navarre, soutenues par des génies aux deux côtés de la couronne. Sur l’entablement étaient posés des groupes d’enfants, badinant avec des guirlandes qui se joignaient à la couronne et aux guirlandes du pourtour de la cour.

Le grand escalier, le vestibule du premier et du rez-de-chaussée étaient ornés de lustres et de girandoles de fer-blanc : le tout garni de grosses bougies.

Le clocher de l’Hôtel-de-ville était entièrement illuminé, ainsi que le comble de la grande salle.

Leurs Majestés regardèrent quelque temps cette illumination, et ensuite descendirent le grand escalier pour monter dans leurs carrosses, avec Monseigneur le Dauphin, Madame la Dauphine, et Mesdames. MM. de la ville les avaient reconduits jusqu’à leurs carrosses.

Il a été donné par la ville de Paris plusieurs autres festins au Roi, à la Reine, à la famille royale.

Jamais monarque n’a gouverné ses peuples avec autant de douceur ; jamais peuples aussi n’ont été si tendrement attachés à leur roi. (B)

Fête (Beaux-Arts)

Fête, (Beaux-Arts) solennité ou réjouissance, et quelquefois l’une et l’autre, établie ou par la religion, ou par l’usage, ou occasionnée par quelque événement extraordinaire, qui intéresse un état, une province, une ville, un peuple, etc.

Ce mot a été nécessaire à toutes les nations : elles ont toutes eu des fêtes. On lit dans tous les historiens, que les Juifs, les Païens, les Turcs, les Chinois ont eu leurs solennités et leurs réjouissances publiques. Les uns dérivent ce mot de l’hébreu אשרח, qui signifie feu de Dieu : les autres pensent qu’il vient du mot latin feriari : quelques savants ont écrit qu’il tirait son origine du grec ἑστία, qui veut dire foyer, etc.

Toutes ces étymologies paraissent inutiles : elles indiquent seulement l’antiquité de la chose que notre mot fête nous désigne.

Nous passerons rapidement sur les fêtes de solennité et de réjouissance des Juifs, des Païens, et de l’Eglise. Il y en a qui furent établies par les lois politiques, telles que celles qu’on célébrait en Grèce. Celles des Juifs émanaient toutes de la loi de Moïse ; et les réjouissances ou solennités des Romains, tenaient également à la religion et à la politique.

On les connaîtra successivement dans l’Encyclopédie, si on veut bien les chercher à leurs articles. Voyez Bacchanales [Article de Mallet], Saturnales [Article de Jaucourt], Tabernacles [Article de Jaucourt], etc. et les articles précédents : Fête-Dieu [Article de Mallet], Fête des Anes [Article de Mallet], Fête des Fous [Article de Jaucourt], Fête des Innocents [Article de Mallet], et Fêtes des Hébreux [Article de Mallet], Fêtes des Païens [Article de Mallet], Fêtes des Mahométans [non signé], Fêtes des Chinois [Article de Mallet], Fêtes des Chrétiens [Article de Faiguet].

Il ne sera point question non plus des fêtes de notre sainte religion, dont les plus considérables sont ou seront aussi détaillées sous les mots qui les désignent. On se borne ici à faire connaître quelques-unes de ces magnifiques réjouissances qui ont honoré en différents temps les états, les princes, les particuliers même, à qui les Arts ont servi à manifester leur goût, leur richesse, et leur génie.

Les bornes qui me sont prescrites m’empêcheront aussi de parler des fêtes des siècles trop reculés : les triomphes d’Alexandre, les entrées des conquérants, les superbes retours des vainqueurs romains dans la capitale du monde, sont répandus dans toutes nos anciennes histoires. Je ne m’attache ici qu’à rassembler quelques détails, qui forment un tableau historique des ressources ingénieuses de nos Arts dans les occasions éclatantes. Les exemples frappent l’imagination et l’échauffent. On peint les actions des grands hommes aux jeunes héros, pour les animer à les égaler ; il faut de même retracer aux jeunes esprits, qu’un penchant vif entraîne vers les Arts, les effets surprenants dont ils ont avant nous été capables : à cette vue, on les verra prendre peut-être un noble essor pour suivre ces glorieux modèles, et s’échauffer même de l’espoir tout puissant de les surpasser quelque jour.

Je prends pour époque en ce genre des premiers jets du génie, la fête de Bergonce de Botta, gentilhomme de Lombardie ; il la donna dans Tortone vers l’année 1480, à Galéas duc de Milan, et à la princesse Isabelle d’Aragon sa nouvelle épouse.

Dans un magnifique salon entouré d’une galerie, où étaient distribués plusieurs joueurs de divers instruments, on avait dressé une table tout à fait vide. Au moment que le duc et la duchesse parurent, on vit Jason et les argonautes s’avancer fièrement sur une symphonie guerrière ; ils portaient la fameuse Toison d’or, dont ils couvrirent la table après avoir dansé une entrée noble, qui exprimait leur admiration à la vue d’une princesse si belle, et d’un prince si digne de la posséder.

Cette troupe céda la place à Mercure. Il chanta un récit, dans lequel il racontait l’adresse dont il venait de se servir pour ravir à Apollon qui gardait les troupeaux d’Admette, un veau gras dont il faisait hommage aux nouveaux mariés. Pendant qu’il le mit sur la table, trois quadrilles qui le suivaient exécutèrent une entrée.

Diane et ses nymphes succédèrent à Mercure. La déesse faisait suivre une espèce de brancard doré, sur lequel on voyait un cerf : c’était, disait-elle, un Actéon qui était trop heureux d’avoir cessé de vivre, puisqu’il allait être offert à une nymphe aussi aimable et aussi sage qu’Isabelle.

Dans ce moment une symphonie mélodieuse attira l’attention des convives ; elle annonçait le chantre de la Thrace ; on le vit jouant de sa lyre et chantant les louanges de la jeune duchesse.

« Je pleurais, dit-il, sur le mont Apennin la mort de la tendre Eurydice ; j’ai appris l’union de deux amans dignes de vivre l’un pour l’autre, et j’ai senti pour la première fois, depuis mon malheur, quelque mouvement de joie ; mes chants ont changé avec les sentiments de mon cœur ; une foule d’oiseaux a volé pour m’entendre, je les offre à la plus belle princesse de la terre, puisque la charmante Eurydice n’est plus ».

Des sons éclatants interrompirent cette mélodie ; Atalante et Thésée conduisant avec eux une troupe leste et brillante, représentèrent par des danses vives une chasse à grand bruit : elle fut terminée par la mort du sanglier de Calydon, qu’ils offrirent au jeune duc en exécutant des ballets de triomphe.

Un spectacle magnifique succéda à cette entrée pittoresque. On vit d’un côté Iris sur un char traîné par des paons, et suivie de plusieurs nymphes vêtues d’une gaze légère, qui portaient des plats couverts de ces superbes oiseaux.

La jeune Hébé parut de l’autre, portant le nectar qu’elle verse aux dieux ; elle était accompagnée des bergers d’Arcadie chargés de toutes les espèces de laitages, de Vertumne et de Pomone qui servirent toutes les sortes de fruits.

Dans le même temps l’ombre du délicat Apicius sortit de terre ; il venait prêter à ce superbe festin les finesses qu’il avait inventées, et qui lui avaient acquis la réputation du plus voluptueux des Romains.

Ce spectacle disparut, et il se forma un grand ballet composé des dieux de la mer et de tous les fleuves de Lombardie. Ils portaient les poissons les plus exquis, et ils les servirent en exécutant des danses de différents caractères.

Ce repas extraordinaire fut suivi d’un spectacle encore plus singulier. Orphée en fit l’ouverture ; il conduisait l’Hymen et une troupe d’amours : les grâces qui les suivaient entouraient la foi conjugale, qu’ils présentèrent à la princesse, et qui s’offrit à elle pour la servir.

Dans ce moment Sémiramis, Hélène, Médée, et Cléopâtre interrompirent le récit de la foi conjugale, en chantant les égarements de leurs passions. Celle-ci indignée qu’on osât souiller, par des récits aussi coupables, l’union pure des nouveaux époux, ordonna à ces reines criminelles de disparaître. A sa voix, les amours dont elle était accompagnée fondirent, par une danse vive et rapide, sur elles, les poursuivirent avec leurs flambeaux allumés, et mirent le feu aux voiles de gaze dont elles étaient coiffées.

Lucrèce, Pénélope, Thomiris, Judith, Porcie et Sulpicie, les remplacèrent en présentant à la jeune princesse les palmes de la pudeur, qu’elles avaient méritées pendant leur vie. Leur danse noble et modeste fut adroitement coupée par Bacchus, Silène et les Egipans, qui venaient célébrer une noce si illustre ; et la fête fut ainsi terminée d’une manière aussi gaie qu’ingénieuse.

Cet assemblage de tableaux en action, assez peu relatifs peut-être l’un à l’autre, mais remplis cependant de galanterie, d’imagination, et de variété, fit le plus grand bruit en Italie, et donna dans la suite l’idée des carrousels réguliers, des opéras, des grands ballets à machines, et des fêtes ingénieuses avec lesquelles on a célébré en Europe les grands événements. Voyez le Traité de la danse [II], liv. I. ch. II. [« Origine des ballets »,] pag. 2 , et les articles Ballet, Opéra [Article de Jaucourt], Spectacles [Article de Jaucourt].

On aperçut dès-lors que dans les grandes circonstances, la joie des princes, des peuples, des particuliers même, pouvait être exprimée d’une façon plus noble, que par quelques cavalcades monotones, par de tristes fagots embrasés en cérémonie dans les places publiques et devant les maisons des particuliers ; par l’invention grossière de tous ces amphithéâtres de viandes entassées dans les lieux les plus apparents, et de ces dégoûtantes fontaines de vin dans les coins des rues ; ou enfin par ces mascarades déplaisantes qui, au bruit des fifres et des tambours, n’apprêtent à rire qu’à l’ivresse seule de la canaille, et infectent les rues d’une grande ville, dont l’extrême propreté dans ces moments heureux, devrait être une des plus agréables démonstrations de l’allégresse publique.

Dans les cours des rois on sentit par cet exemple, que les mariages, les victoires, tous les événements heureux ou glorieux, pouvaient donner lieu à des spectacles nouveaux, à des divertissements inconnus, à des festins magnifiques, que les plus aimables allégories animeraient ainsi de tous les charmes des fables anciennes ; enfin que la descente des dieux parmi nous embellirait la terre, et donnerait une espèce de vie à tous les amusements que le génie pouvait inventer ; que l’art saurait mettre en mouvement les objets qu’on avait regardés jusqu’alors comme des masses immobiles, et qu’à force de combinaisons et d’efforts, il arriverait au point de perfection dont il est capable.

C’est sur ce développement que les cours d’Italie imitèrent tour-à-tour la fête de Bergonce de Botta ; et Catherine de Médicis en portant en France le germe des beaux-arts qu’elle avait vu renaître à Florence, y porta aussi le goût de ces fêtes brillantes, qui depuis y fut poussé jusqu’à la plus superbe magnificence et la plus glorieuse perfection.

On ne parlera ici que d’une seule des fêtes de cette reine, qui avait toujours des desseins, n’eut jamais de scrupules, et qui sut si cruellement se servir du talent dangereux de ramener tout ce qui échappait de ses mains, à l’accomplissement de ses vues.

Pendant sa régence, elle mena le roi à Bayonne, où sa fille reine d’Espagne, vint la joindre avec le duc d’Albe, que la régente voulait entretenir : c’est là qu’elle déploya tous les petits ressorts de sa politique vis-à-vis d’un ministre qui en connaissait de plus grands, et les ressources d’une fine galanterie vis-à-vis d’une foule de courtisans divisés, qu’elle avait intérêt de distraire de l’objet principal qui l’avait amenée.

Les ducs de Savoie et de Lorraine ; plusieurs autres princes étrangers, étaient accourus à la cour de France, qui était aussi magnifique que nombreuse. La reine qui voulait donner une haute idée de son administration, donna le bal deux fois le jour, festins sur festins, fête sur fête. Voici celle où je trouve le plus de variété, de goût, et d’invention. Voyez les Mémoires de la reine de Navarre. [voir Traité historique, IIe partie, livre II, chap. 4, « Des Bals »]

Dans une petite île située dans la rivière de Bayonne, couverte d’un bois de haute-futaie, la reine fit faire douze grands berceaux qui aboutissaient à un salon de forme ronde, qu’on avait pratiqué dans le milieu. Une quantité immense de lustres de fleurs furent suspendus aux arbres, et on plaça une table de douze couverts dans chacun des berceaux.

La table du roi, des reines, des princes et des princesses du sang, était dressée dans le milieu du salon ; en sorte que rien ne leur cachait la vue des douze berceaux où étaient les tables destinées au reste de la cour.

Plusieurs symphonistes distribués derrière les berceaux et cachés par les arbres, se firent entendre dès que le roi parut. Les filles d’honneur des deux reines, vêtues élégamment partie en nymphes, partie en naïades, servirent la table du roi. Des satyres qui sortaient du bois, leur apportaient tout ce qui était nécessaire pour le service.

On avait à peine joui quelques moments de cet agréable coup d’œil, qu’on vit successivement paraître pendant la durée de ce festin, différentes troupes de danseurs et de danseuses, représentant les habitants des provinces voisines, qui dansèrent les uns après les autres les danses qui leur étaient propres, avec les instruments et les habits de leur pays.

Le festin fini, les tables disparurent : des amphithéâtres de verdure et un parquet de gazon furent mis en place comme par magie : le bal de cérémonie commença, et la cour s’y distingua par la noble gravité des danses sérieuses, qui étaient alors le fond unique de ces pompeuses assemblées.

C’est ainsi que le goût pour les divers ornements que les fables anciennes peuvent fournir dans toutes les occasions d’éclat à la galanterie, à l’imagination, à la variété, à la pompe, à la magnificence, gagnait les esprits de l’Europe depuis la fête ingénieuse de Bergonce de Botta.

Les tableaux merveilleux qu’on peut tirer de la Fable, l’immensité de personnages qu’elle procure, la foule de caractères qu’elle offre à peindre et à faire agir, sont en effet les ressources les plus abondantes. On ne doit pas s’étonner si elles furent saisies avec ardeur et adoptées sans scrupule, par les personnages les plus graves, les esprits les plus éclairés, et les âmes les plus pures.

J’en trouve un exemple qui fera connaître l’état des mœurs du temps, dans une fête publique préparée avec toute la dépense possible, et exécutée avec la pompe la plus solennelle. Je n’en parle que d’après un religieux aussi connu de son temps par sa piété, que par l’abondance de ses recherches et de ses ouvrages sur cette matière. C’est à Lisbonne que fut célébrée la fête qu’il va décrire.

« Le 31 Janvier (1610)2, après l’office solennel du matin et du soir, sur les quatre heures après midi, deux cents arquebusiers se rendirent à la porte de Notre-Dame de Lorette, où ils trouvèrent une machine de bois d’une grandeur énorme, qui représentait le cheval de Troie.

Ce cheval commença dès lors à se mouvoir par de secrets ressorts, tandis qu’au tour de ce cheval se représentaient en ballets les principaux événements de la guerre de Troie.

Ces représentations durèrent deux bonnes heures, après quoi on arriva à la place Saint-Roch, où est la maison professe des Jésuites.

Une partie de cette place représentait la ville de Troie avec ses tours et ses murailles. Aux approches du cheval, une partie des murailles tomba ; les soldats grecs sortirent de cette machine, et les Troyens de leur ville, armés et couverts de feux d’artifice, avec lesquels ils firent un combat merveilleux.

Le cheval jetait des feux contre la ville, la ville contre le cheval ; et l’un des plus beaux spectacles fut la décharge de dix-huit arbres tous chargés de semblables feux.

Le lendemain, d’abord après le dîner, parurent sur mer au quartier de Pampuglia, quatre brigantins richement parés, peints et dorés, avec quantité de banderoles et de grands chœurs de musique. Quatre ambassadeurs, au nom des quatre parties du monde, ayant appris la béatification d’Ignace de Loyola, pour reconnaître les bienfaits que toutes les parties du monde avaient reçus de lui, venaient lui faire hommage, et lui offrir des présents, avec les respects des royaumes et des provinces de chacune de ces parties.

Toutes les galères et les vaisseaux du port saluèrent ces brigantins : étant arrivés à la place de la marine, les ambassadeurs descendirent, et montèrent en même temps sur des chars superbement ornés, et accompagnés de trois cents cavaliers, s’avancèrent vers le collège, précédés de plusieurs trompettes.

Après quoi des peuples de diverses nations, vêtus à la manière de leur pays, faisaient un ballet très agréable, composant quatre troupes ou quadrilles pour les quatre parties du monde.

Les royaumes et les provinces, représentés par autant de génies, marchaient avec ces nations et les peuples différents devant les chars des ambassadeurs de l’Europe, de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, dont chacun était escorté de soixante-dix cavaliers.

La troupe de l’Amérique était la première, et entre ses danses elle en avait une plaisante de jeunes enfants déguisés en singes, en guenons, et en perroquets. Devant le char étaient douze nains montés sur des haquenées ; le char était tiré par un dragon.

La diversité et la richesse des habits ne faisaient pas le moindre ornement de cette fête, quelques-uns ayant pour plus de deux cents mille écus de pierreries ». [voir Traité historique, IIe partie, livre II, chap. 1, « Des ballets ambulatoires »]

Les trois fêtes qu’on a mis sous les yeux des lecteurs, doivent leur faire pressentir que ce genre très peu connu, et sur lequel on a trop négligé d’écrire, embrasse cependant une vaste étendue, offre à l’imagination une grande variété, et au génie une carrière brillante.

Ainsi pour donner une idée suffisante sur cette matière, on croit qu’une relation succincte d’une fête plus générale, qui fit dans son temps l’admiration de l’Angleterre, et qui peut-être pourrait servir de modèle dans des cas semblables, ne sera pas tout à fait inutile à l’art.

Entre plusieurs personnages médiocres qui entouraient le cardinal de Richelieu, il s’était pris de quelque amitié pour Durand, homme maintenant tout à fait inconnu, et qu’on n’arrache aujourd’hui à son obscurité, que pour faire connaître combien les préférences ou les dédains des gens en place, qui donnent toujours le ton de leur temps, influent peu cependant sur le nom des artistes dans la postérité. [voir Traité historique, IIe partie, livre III, chap. 2, « Des Fêtes du même genre dans les autres Cours de l’Europe »]

Ce Durand, courtisan sans talents d’un très grand ministre, en qui le défaut de goût n’était peut-être que celui de son siècle, avait imaginé et conduit le plus grand nombre des fêtes de la cour de Louis XIII. Quelques Français qui avaient du génie trouvèrent les accès difficiles et la place prise : ils se répandirent dans les pays étrangers, et ils y firent éclater l’imagination, la galanterie et le goût, qu’on ne leur avait pas permis de déployer dans le sein de leur patrie.

La gloire qu’ils y acquirent rejaillit cependant sur elle ; et il est flatteur encore pour nous aujourd’hui, que les fêtes les plus magnifiques et les plus galantes qu’on ait jamais données à la cour d’Angleterre, aient été l’ouvrage des Français.

Le mariage de Frédéric cinquième comte Palatin du Rhin, avec la princesse d’Angleterre, en fut l’occasion et l’objet. Elles commencèrent le premier jour par des feux d’artifice en action sur la Tamise ; idée noble, ingénieuse, et nouvelle, qu’on a trop négligée après l’avoir trouvée, et qu’on aurait dû employer toujours à la place de ces desseins sans imagination et sans art, qui ne produisent que quelques étincelles, de la fumée, et du bruit.

Ces feux furent suivis d’un festin superbe, dont tous les dieux de la fable apportèrent les services, en dansant des ballets formés de leurs divers caractères3. Un bal éclairé avec beaucoup de goût, dans des salles préparées avec grande magnificence, termina cette première nuit.

La seconde commença par une mascarade aux flambeaux, composée de plusieurs troupes de masques à cheval. Elles précédaient deux grands chariots éclairés par un nombre immense de lumières, cachées avec art aux yeux du peuple, et qui portaient toutes sur plusieurs groupes de personnages qui y étaient placés en différentes positions. Dans des coins dérobés à la vue par des toiles peintes en nuages, on avait rangé une foule de joueurs d’instruments ; on jouissait ainsi de l’effet, sans en apercevoir la cause, et l’harmonie alors a les charmes de l’enchantement.

Les personnages qu’on voyait sur ces chariots étaient ceux qui allaient représenter un ballet devant le roi, et qui formaient par cet arrangement un premier spectacle pour le peuple, dont la foule ne saurait à la vérité être admise dans le palais, mais qui dans ces occasions doit toujours être comptée pour beaucoup plus qu’on ne pense.

Toute cette pompe, après avoir traversé la ville de Londres, arriva en bon ordre, et le ballet commença. Le sujet était le temple de l’honneur, dont la justice était établie solennellement la prêtresse.

Le superbe conquérant de l’Inde, le dieu des richesses, l’ambition, le caprice, cherchèrent en vain à s’introduire dans ce temple ; l’honneur n’y laissa pénétrer que l’amour et la beauté, pour chanter l’hymne nuptial des deux nouveaux époux

Rien n’est plus ingénieux que cette composition, qui respirait partout la simplicité et la galanterie.

Deux jours après, trois cents gentilshommes représentant toutes les nations du monde, et divisés par troupes, parurent sur la Tamise dans des bateaux ornés avec autant de richesse que d’art. Ils étaient précédés et suivis d’un nombre infini d’instruments, qui jouaient sans cesse des fanfares, en se répondant les uns les autres. Après s’être montrés ainsi à une multitude innombrable, ils arrivèrent au palais du roi où ils dansèrent un grand ballet allégorique.

La religion réunissant la Grande-Bretagne au reste de la terre4 était le sujet de ce spectacle.

Le théâtre représentait le globe du monde : la vérité, sous le nom d’Alithie, était tranquillement couchée à un des côtés du théâtre. Après l’ouverture, les Muses exposèrent le sujet.

Atlas parut avec elles ; il dit qu’ayant appris d’Archimède que si on trouvait un point fixe, il serait aisé d’enlever toute la masse du monde, il était venu en Angleterre, qui était ce point si difficile à trouver, et qu’il se déchargerait désormais du poids qui l’avait accablé, sur Alithie, compagne inséparable du plus sage et du plus éclairé des rois.

Après ce récit, le vieillard accompagné de trois muses, Uranie, Terpsichore, et Clio, s’approcha du globe, et il s’ouvrit.

L’Europe vêtue en reine en sortit la première suivie de ses filles, la France, l’Espagne, l’Italie, l’Allemagne, et la Grèce : l’Océan et la Méditerranée l’accompagnaient, et ils avaient à leur suite la Loire, le Guadalquivir, le Rhin, le Tibre, et l’Acheloüs.

Chacune des filles de l’Europe avait trois pages caractérisés par les habits de leurs provinces. La France menait avec elle un Basque, un Bas-Breton ; l’Espagne, un Aragonais et un Catalan : l’Allemagne, un Hongrois, un Bohémien, et un Danois ; l’Italie, un Napolitain, un Vénitien, et un Bergamasque ; la Grèce, un Turc, un Albanais, et un Bulgare.

Cette suite nombreuse dansa un avant-ballet ; et des princes de toutes les nations qui sortirent du globe avec un cortège brillant, vinrent danser successivement des entrées de plusieurs caractères avec les personnages qui étaient déjà sur la scène.

Atlas fit ensuite sortir dans le même ordre les autres parties de la terre, ce qui forma une division simple et naturelle du ballet, dont chacun des actes fut terminé par les hommages que toutes ces nations rendirent à la jeune princesse d’Angleterre, et par des présents magnifiques qu’elles lui firent.

L’objet philosophique de tous les articles de cet Ouvrage, est de répandre, autant qu’il est possible, des lumières nouvelles sur les différentes opérations des Arts ; mais on est bien loin de vouloir s’arroger le droit de leur prescrire des règles, dans les cas mêmes où ils opèrent à l’aventure, et où nulle loi écrite, nulle réflexion, nul écrit, ne leur a tracé les routes qu’ils doivent suivre. L’honneur de la législation ne tente point des hommes qui ne savent qu’aimer leurs semblables ; ils écrivent moins dans le dessein de les instruire, que dans l’espérance de les rendre un jour plus heureux.

C’est l’unique but et la gloire véritable des Arts. Comme on doit à leur industrie les commodités, les plaisirs, les charmes de la vie, plus ils seront éclairés, plus leurs opérations, répandront d’agréables délassements sur la terre ; plus les nations où ils seront favorisés auront des connaissances, et plus le goût fera naître dans leur âme des sentiments délicieux de plaisir.

C’est dans cette vue qu’on s’est étendu sur cet article. On a déjà dû apercevoir, par le détail où on est entré, que le point capital dans ces grands spectacles, est d’y répandre la joie, la magnificence, l’imagination, et surtout la décence : mais une qualité essentielle qu’il faut leur procurer avec adresse, est la participation sage, juste, et utile, qu’on doit y ménager au peuple dans tous les cas de réjouissance générale. On a démêlé sans peine dans les fêtes de Londres, que les préparatifs des spectacles qu’on donna à la cour, furent presque tous offerts à la curiosité des Anglais. Outre les feux d’artifice donnés sur la Tamise, on eut l’habileté de faire partir des quartiers les plus éloignés de Londres, et d’une manière aussi élégante qu’ingénieuse, les acteurs qui devaient amuser la cour. On donnait ainsi à tous les citoyens la part raisonnable qui leur était due des plaisirs qu’allaient prendre leurs maîtres.

Le peuple, qu’on croit faussement ne servir que de nombre, nos numerus sumus, etc. n’est pas moins cependant le vrai trésor des rois : il est, par son industrie et sa fidélité, cette mine féconde qui fournit sans cesse à leur magnificence ; la nécessité le ranime, l’habitude le soutient, et l’opiniâtreté de ses travaux devient la source intarissable de leurs forces, de leur pouvoir, de leur grandeur. Ils doivent donc lui donner une grande part aux réjouissances solennelles, puisqu’il a été l’instrument secret des avantages glorieux qui les causent. Voyez Fêtes de la Cour, de la Ville, des Princes de France, etc. Festins royaux, Illuminations [Article non rédigé], etc. Feu d’Artifice.(B)

Fêtes de la Cour de France

Fêtes de la Cour de France. Les tournois et les carrousels, ces fêtes guerrières et magnifiques, avaient produit à la cour de France en l’année 1559 un événement trop tragique pour qu’on pût songer à les y faire servir souvent dans les réjouissances solennelles. Ainsi les bals, les mascarades, et surtout les ballets qui n’entraînaient après eux aucun danger, et que la reine Catherine de Médicis avait connus à Florence, furent pendant plus de 50 ans la ressource de la galanterie et de la magnificence française.

L’aîné des enfants de Henri II ne régna que dix-sept mois ; il en coûta peu de soins à sa mère pour le distraire du gouvernement, que son imbécillité le mettait hors d’état de lui disputer ; mais le caractère de Charles IX, prince fougueux, qui joignait à quelque esprit un penchant naturel pour les Beaux-Arts, tint dans un mouvement continuel l’adresse, les ressources, la politique de la reine : elle imagina fêtes sur fêtes pour lui faire perdre de vue sans cesse le seul objet dont elle aurait dû toujours l’occuper. Henri III devait tout à sa mère ; il n’était point naturellement ingrat ; il avait la pente la plus forte au libertinage, un goût excessif pour le plaisir, l’esprit léger, le cœur gâté, l’âme faible. Catherine profita de cette vertu et de ces vices pour arriver à ses fins : elle mit en jeu les festins, les bals, les mascarades, les ballets, les femmes les plus belles, les courtisans les plus libertins. Elle endormit ainsi ce prince malheureux sur un trône entouré de précipices : sa vie ne fut qu’un long sommeil embelli quelquefois par des images riantes, et troublé plus souvent par des songes funestes.

Pour remplir l’objet que je me propose ici, je crois devoir choisir parmi le grand nombre de fêtes qui furent imaginées durant ce règne, celles qu’on donna en 1581 pour le mariage du duc de Joyeuse et de Marguerite de Lorraine, belle-sœur du roi. Je ne fais au reste que copier d’un historien contemporain les détails que je vais écrire.

« Le lundi 18 Septembre 1581, le duc de Joyeuse et Marguerite de Lorraine, fille de Nicolas de Vaudémont, sœur de la reine, furent fiancés en la chambre de la reine, et le dimanche suivant furent mariés à trois heures après midi en la paroisse de Saint-Germain de l’Auxerrois.

Le roi mena la mariée au moutier, suivie de la reine, princesses, et dames tant richement vêtues, qu’il n’est mémoire en France d’avoir vu chose si somptueuse. Les habillements du roi et du marié étaient semblables, tant couverts de broderie, de perles, pierreries, qu’il n’était possible de les estimer ; car tel accoutrement y avait qui coûtait dix mille écus de façon : et toutefois, aux dix-sept festins qui de rang et de jour à autre, par ordonnance du roi, furent faits depuis les noces, par les princes, seigneurs, parents de la mariée, et autres des plus grands de la cour, tous les seigneurs et dames changèrent d’accoutrements, dont la plupart étaient de toile et drap d’or et d’argent, enrichi, de broderies et de pierreries en grand nombre et de grand prix.

La dépense y fut si grande, y compris les tournois, mascarades, présents, devises, musique, livrées, que le bruit était que le roi n’en serait pas quitte pour cent mille écus.

Le mardi 18 Octobre, le cardinal de Bourbon fit son festin de noces en l’hôtel de son abbaye Saint-Germain-des-Prés, et fit faire à grands frais sur la rivière de Seine, un grand et superbe appareil d’un grand bac accommodé en forme de char triomphant, dans lequel le roi, princes, princesses, et les mariés devaient passer du Louvre au pré-aux-clercs, en pompe moult solennelle ; car ce beau char triomphant devait être tiré par-dessus l’eau par d’autres bateaux déguisés en chevaux marins, tritons, dauphins, baleines, et autres monstres marins, en nombre de vingt-quatre, en aucun desquels étaient portés à couvert au ventre desdits monstres, trompettes, clairons, cornets, violons, hautbois, et plusieurs musiciens d’excellence, même quelques tireurs de feux artificiels, qui pendant le trajet devaient donner maints passe-temps, tant au roi qu’à 50000 personnes qui étaient sur le rivage ; mais le mystère ne fut pas bien joué, et ne put-on faire marcher les animaux, ainsi qu’on l’avait projeté ; de façon que le roi ayant attendu depuis quatre heures du soir jusqu’à sept, aux Tuileries, le mouvement et acheminement de ces animaux, sans en apercevoir aucun effet, dépité, dit, qu’il voyait bien que c’étaient des bêtes qui commandaient à d’autres bêtes ; et étant monté en coche, s’en alla avec la reine et toute la suite, au festin qui fut le plus magnifique de tous, nommément en ce que ledit cardinal fit représenter un jardin artificiel garni de fleurs et de fruits, comme si c’eût été en Mai ou en Juillet et Août.

Le dimanche 15 Octobre, festin de la reine dans le Louvre ; et après le festin, le ballet de Circé et de ses nymphes ». [voir Traité historique, IIe partie, livre II, chap. 2, « Des Fêtes de la Cour de France, depuis 1560 jusqu’en l’année 1610 »]

Le triomphe de Jupiter et de Minerve était le sujet de ce ballet, qui fut donné sous le titre de Ballet comique de la reine ; il fut représenté dans la grande salle de Bourbon par la reine, les princesses, les princes, et les plus grands seigneurs de la cour.

Balthazar de Boisjoyeux [Beaujoyeux], qui était dans ce temps un des meilleurs joueurs de violon de l’Europe, fut l’inventeur du sujet, et en disposa toute l’ordonnance. L’ouvrage est imprimé, et il est plein d’inventions d’esprit ; il en communiqua le plan à la reine, qui l’approuva : enfin tout ce qui peut démontrer la propriété d’une composition se trouve pour lui dans l’histoire. D’Aubigné cependant, dans sa vie qui est à la tête du Baron de Fœneste, se prétend hardiment auteur de ce ballet. Nous datons de loin pour les vols littéraires.

« Le lundi 16, en la belle et grande lice dressée et bâtie au jardin du Louvre, se fit un combat de quatorze blancs contre quatorze jaunes, à huit heures du soir, aux flambeaux.

Le mardi 17, autre combat à la pique, à l’estoc, au tronçon de la lance, à pied et à cheval ; et le jeudi 19, fut fait le ballet des chevaux, auquel les chevaux d’Espagne, coursiers, et autres en combattant s’avançaient, se retournaient, contournaient au son et à la cadence des trompettes et clairons, y ayant été dressés cinq mois auparavant.

Tout cela fut beau et plaisant : mais la grande excellence qui se vit les jours de mardi et jeudi, fut la musique de voix et d’instruments la plus harmonieuse et la plus déliée qu’on ait jamais ouïe (on la devait au goût et aux soins de Baïf) ; furent aussi les feux artificiels qui brillèrent avec effroyable épouvantement et contentement de toutes personnes, sans qu’aucun en fût offensé ».

La partie éclatante de cette fête, qui a été saisie par l’historien que j’ai copié, n’est pas celle qui méritait le plus d’éloges : il y en eut une qui lui fut très supérieure, et qui ne l’a pas frappé.

La reine et les princesses qui représentaient dans le ballet les naïades et les néréides, terminèrent ce spectacle par des présents ingénieux qu’elles offrirent aux princes et seigneurs, qui, sous la figure de tritons, avaient dansé avec elles. C’étaient des médailles d’or gravées avec assez de finesse pour le temps : peut-être ne sera-t-on pas fâché d’en trouver ici quelques-unes. Celle que la reine offrit au roi représentait un dauphin qui nageait sur les flots ; ces mots étaient gravés sur les revers : delphinum, ut delphinum rependat, ce qui veut dire : Je vous donne un dauphin, et j’en attends un autre.

Madame de Nevers en donna une au duc de Guise, sur laquelle était gravé un cheval marin avec ces mots : adversus semper in hostem, prêt à fondre sur l’ennemi. Il y avait sur celle que M. de Genevois reçut de madame de Guise un Arion avec ces paroles : populi superat prudentia fluctus ; Le peuple en vain s’émeut, la prudence l’apaise.

Madame d’Aumale en donna une à M. de Chaussin, sur laquelle était gravée une baleine avec cette belle maxime : cui sat, nil ultrà ; Avoir assez, c’est avoir tout.

Un physite, qui est une espèce d’orque ou de baleine, était représenté sur la médaille que madame de Joyeuse offrit au marquis de Pons ; ces mots lui servaient de devise : sic famam jungere famæ ; Si vous voulez pour vous fixer la renommée, Occupez toujours ses cent voix.

Le duc d’Aumale reçut un triton tenant un trident, et voguant sur les flots irrités ; ces trois mots étaient gravés sur les revers : commovet et sedat ; Il les trouble et les calme.

Une branche de corail sortant de l’eau, était gravée sur la médaille que madame de l’Archant présenta au duc de Joyeuse ; elle avait ces mots pour devise : eadein natura remansit ; Il change en vain, il est le même.

Ainsi la cour de France, troublée par la mauvaise politique de la reine, divisée par l’intrigue, déchirée par le fanatisme, ne cessait point cependant d’être enjouée, polie et galante. Trait singulier et de caractère, qui serait sans doute une sorte de mérite, si le goût des plaisirs, sous un roi efféminé, n’y avait été poussé jusqu’à la licence la plus effrénée ; ce qui est toujours une tache pour le souverain, une flétrissure pour les courtisans, et une contagion funeste pour le peuple.

On ne s’est point refusé à ce récit, peut-être trop long, parce qu’on a cru qu’il serait suffisant pour faire connaître le goût de ce temps, et que moyennant cet avantage il dispenserait de bien d’autres détails. Les règnes suivants prirent le ton de celui-ci. Henri IV aimait les plaisirs, la danse, et les fêtes. Malgré l’agitation de son administration pénible, il se livra à cet aimable penchant ; mais par une impulsion de ce bon esprit, qui réglait presque toutes les opérations de son règne, ce fut Sully, le grave, le sévère, l’exact Sully, qui eut l’intendance des ballets, des bals, des mascarades, de toutes les fêtes, en un mot, d’un roi aussi aimable que grand, et qui méritait à tant de titres de pareils ministres. [voir Traité historique, IIe partie, livre III, chap. 1, « Des Fêtes dont la Danse a été le fond à la Cour de France, depuis l’année 1610 jusqu’en l’année 1643 »]

Il est singulier que le règne de Louis XIII et le ministère du plus grand génie qui ait jamais gouverné la France, n’offrent rien sur cet article, qui mérite d’être rapporté. La cour pendant tout ce temps ne cessa d’être triste, que pour descendre jusqu’à une sorte de joie basse, pire cent fois que la tristesse. Presque tous les grands spectacles de ce temps, qui étaient les seuls amusements du roi et des courtisans français, ne furent que des froides allusions, des compositions triviales, des fonds misérables. La plaisanterie la moins noble, et du plus mauvais goût, s’empara pour lors sans contradiction du palais de nos rois. On croyait s’y être bien réjoui, lorsqu’on y avait exécuté le ballet de maître Galimathias, pour le grand bal de la douairière de Billebahaut, et de son Fanfan de Sotteville.

On applaudissait au duc de Nemours, qui imaginait de pareils sujets ; et les courtisans toujours persuadés que le lieu qu’ils habitent, est le seul lieu de la terre ou le bon goût réside, regardaient en pitié toutes les nations qui ne partageaient point avec eux des divertissements aussi délicats.

La reine avait proposé au cardinal de Savoie, qui était pour lors chargé en France des négociations de sa cour, de donner au roi une fête de ce genre. La nouvelle s’en répandit, et les courtisans en rirent. Ils trouvaient du dernier ridicule, qu’on s’adressât à de plats montagnards, pour divertir une cour aussi polie que l’était la cour de France.

On dit au cardinal de Savoie les propos courants. Il était magnifique, et il avait auprès de lui le comte Philippe d’Aglié. Voyez Ballet. Il accepta avec respect la proposition de la reine, et il donna à Monceaux un grand ballet, sous le titre de Gli habitatori di monti, ou Les Montagnards. [voir Traité historique, IIe partie, livre III, chap. 1, « Des Fêtes dont la Danse a été le fond à la Cour de France, depuis l’année 1610 jusqu’en l’année 1643 »]

Ce spectacle eut toutes les grâces de la nouveauté ; l’exécution en fut vive et rapide, et la variété, les contrastes, la galanterie dont il était rempli, arrachèrent les applaudissements et les suffrages de toute la cour.

C’est par cette galanterie ingénieuse, que le cardinal de Savoie se vengea de la fausse opinion que les courtisans de Louis XIII avaient pris d’une nation spirituelle et polie, qui excellait depuis longtemps dans un genre que les Français avaient gâté.

Telle fut la nuit profonde, dont le goût fut enveloppé à la cour de Louis XIII. Les rayons éclatants de lumière, que le génie de Corneille répandait dans Paris, n’allèrent point jusqu’à elle : ils se perdirent dans des nuages épais, qui semblaient sur ce point séparer la cour de la ville.

Mais cette nuit et ses sombres nuages ne faisaient que préparer à la France ses plus beaux jours, et la minorité de Louis XIV y fut l’aurore du goût et des Beaux-Arts.

Soit que l’esprit se fût développé par la continuité des spectacles publics, qui furent, et qui seront toujours un amusement instructif ; soit qu’à force de donner des fêtes à la cour, l’imagination s’y fût peu-à-peu échauffée ; soit enfin que le cardinal Mazarin ; malgré les tracasseries qu’il eut à soutenir et à détruire, y eût porté ce sentiment vif des choses aimables, qui est si naturel à sa nation, il est certain que les spectacles, les plaisirs, pendant son ministère, n’eurent plus ni la grossièreté, ni l’enflure, qui furent le caractère de toutes les fêtes d’éclat du règne précédent.

Le cardinal Mazarin avait de la gaieté dans l’esprit, du goût pour le plaisir dans le cœur, et dans l’imagination moins de faste que de galanterie. On trouve les traces de ce qu’on vient de dire dans toutes les fêtes qui furent données sous ses yeux. Benserade fut chargé, par son choix, de l’invention, de la conduite, et de l’exécution de presque tous ces aimables amusements. Un ministre a tout fait dans ces occasions qui paraissent, pour l’honneur des états, trop frivoles, et peut-être même dans celles qu’on regarde comme les plus importantes, lorsque son discernement a su lui suggérer le choix qu’il fallait faire.

La fête brillante que ce ministre donna dans son palais au jeune roi, le 26 Février 1651, justifia le choix qu’il avait fait de Benserade. On y représenta le magnifique Ballet de Cassandre. C’est le premier spectacle où Louis XIV parut sur le théâtre : il n’avait alors que treize ans : il continua depuis à y étaler toutes ses grâces, les proportions marquées, les attitudes nobles, dont la nature l’avait embelli, et qu’un art facile et toujours caché, rendait admirables, jusqu’au 13 Février 1669, où il dansa pour la dernière fois dans le Ballet de Flore. [voir Traité historique, IIe partie, livre III, chap. 3, « Fêtes de Louis XIV relatives à la Danse, depuis l’année 1643 jusqu’en l’année 1672 »]

Sa grande âme fut frappée de ces quatre vers du Britannicus de Racine :

Pour toute ambition, pour vertu singulière,
Il excelle à conduire un char dans la carrière,
A disputer des prix indignes de ses mains,
A se donner lui-même en spectacle aux Romains.

On ne s’attachera point à rapporter les fêtes si connues de ce règne éclatant ; on sait dans les royaumes voisins, comme en France, qu’elles furent l’époque de la grandeur de cet état, de la gloire des Arts, et de la splendeur de l’Europe : elles sont d’ailleurs imprimées dans tant de recueils différents ; nos pères nous les ont tant de fois retracées, et avec des transports d’amour et d’admiration si expressifs, que le souvenir en est resté gravé pour jamais dans les cœurs de tous les Français. On se contente donc de présenter aux lecteurs une réflexion qu’ils ont peut-être déjà faite ; mais au moins n’est-elle, si l’on ne se trompe, écrite encore nulle part.

Louis XIV qui porta jusqu’au plus haut degré le rare et noble talent de la représentation, eut la bonté constante dans toutes les fêtes superbes, qui charmèrent sa cour et qui étonnèrent l’Europe, de faire inviter les femmes de la ville les plus distinguées, et de les y faire placer sans les séparer des femmes de la cour. Il honorait ainsi, dans la plus belle moitié d’eux-mêmes, ces hommes sages, qui gouvernaient sous ses yeux une nation heureuse. Que ces magnifiques spectacles doivent charmer un bon citoyen, quand ils lui offrent ainsi entremêlés dans le même tableau, ces noms illustres qui lui rappellent à la fois et nos jours de victoire, et les sources heureuses du doux calme dont nous jouissons! Voyez les mémoires du temps, et les diverses relations des fêtes de Louis XIV, surtout de celle de 1668.

La minorité de Louis XV fournit peu d’occasions de fêtes : mais la cérémonie auguste de son sacre à Reims, fit renaître la magnificence qu’on avait vue dans tout son éclat, sous le règne florissant de Louis XIV. Voyez Fêtes des Princes de la Cour de France, etc.

Elle s’est ainsi soutenue dans toutes les circonstances pareilles ; mais celles où elle offrit ce que la connaissance et l’amour des Arts peuvent faire imaginer de plus utile et de plus agréable, semblent avoir été réservées au successeur du nom et des qualités brillantes du cardinal de Richelieu. En lui mille traits annonçaient à la cour l’homme aimable du siècle, aux Arts un protecteur, à la France un général. En attendant ces temps de trouble, où l’ordre et la paix le suivirent dans Gênes, et ces jours de vengeance, où une forteresse qu’on croyait imprenable devait céder à ses efforts, son génie s’embellissait sans s’amollir, par les jeux riants des Muses et des Grâces.

Il éleva dans le grand manège la plus belle, la plus élégante, la plus commode salle de spectacle, dont la France eût encore joui. Le théâtre était vaste ; le cadre qui le bordait, de la plus élégante richesse, et la découpure de la salle, d’une adresse assez singulière, pour que le Roi et toute la cour pussent voir d’un coup d’œil le nombre incroyable de spectateurs qui s’empressèrent d’accourir aux divers spectacles qu’on y donna pendant tout l’hiver.

C’est là qu’on pouvait faire voir successivement et avec dignité les chefs-d’œuvre immortels qui ont illustré la France, autant que l’étendue de son pouvoir, et plus, peut-être, que ses victoires. C’était sans doute le projet honorable de M. le maréchal de Richelieu. Une salle de théâtre une fois élevée le suppose. La fête du moment n’était qu’un prétexte respectable, pour procurer à jamais aux Beaux-Arts un asile digne d’eux, dans une cour qui les connaît et qui les aime.

Une impulsion de goût et de génie détermina d’abord l’illustre ordonnateur de cette fête, à rassembler, par un enchaînement théâtral, tous les genres dramatiques.

Il est beau d’avoir imaginé un ensemble composé de différentes parties, qui, séparées les unes des autres, forment pour l’ordinaire toutes les espèces connues. L’idée vaste d’un pareil spectacle, ne pouvait naître que dans l’esprit d’un homme capable des plus grandes choses : et si, à quelques égards, l’exécution ne fut pas aussi admirable qu’on pouvait l’attendre, si les efforts redoublés des deux plus beaux génies de notre siècle, qui furent employés à cet ouvrage, ont épuisé leurs ressources sans pouvoir porter ce grand projet jusqu’à la dernière perfection, cet événement a du moins cet avantage pour les Arts, qu’il leur annonce l’impossibilité d’une pareille entreprise pour l’avenir.

La nouvelle salle de spectacle, construite avec la rapidité la plus surprenante, par un essor inattendu de mécanique, se métamorphosait à la volonté en une salle étendue et magnifique de bal. Peu de moments après y avoir vu la représentation pompeuse et touchante d’Amide, on y trouvait un bal le plus nombreux et le mieux ordonné. Les amusements variés et choisis se succédaient ainsi tous les jours ; et la lumière éclatante des illuminations, imaginées avec goût, embellies par mille nouveaux desseins, relatifs à la circonstance, et dont la riche et prompte exécution paraissait être un enchantement, prêtait aux nuits les plus sombres tous les charmes des plus beaux jours. Voyez Salle de spectacle [Article non rédigé], Illumination [Article non rédigé], Feu d’Artifice, etc.

Le ton de magnificence était pris, et les successeurs de M. le maréchal de Richelieu avaient dans leur cœur le même désir de plaire, dans leur esprit un fonds de connaissances capables de le bien soutenir, et cette portion rare de goût, qui dans ces occasions devient toujours comme une espèce de mine abondante de moyens et de ressources.

M. le duc d’Aumont, premier gentilhomme de la chambre, qui succéda à M. le maréchal de Richelieu, tenta une grande partie de ce que celui-ci avait courageusement imaginé ; mais il eut l’adresse de recourir au seul moyen qui pouvait lui procurer le succès, et il sut éviter l’obstacle qui devait le faire échouer. Dans un grand théâtre, avec d’excellents artistes, des acteurs pleins de zèle et de talents, que ne peut-on pas espérer du secours du merveilleux, pourvu qu’on sache s’abstenir de le gâter par le mélange burlesque du comique? Sur ce principe, M. le duc d’Aumont fit travailler à un ouvrage, dont il n’y avait point de modèle. Un combat continuel de l’art et de la nature en était le fond, l’amour en était l’âme, et le triomphe de la nature en fut le dénouement.

On n’a point vu à la fois sur les théâtres de l’Europe un pareil assemblage de mouvements et de machines, si capables de répandre une aimable illusion, ni des décorations d’un dessein plus brillant, plus agréable et plus susceptible d’expression. Les meilleurs chanteurs de l’opéra ; les acteurs de notre théâtre les plus sûrs de plaire ; tous ceux qui brillaient dans la danse française, la seule que le génie ait inventée, et que le goût puisse adopter, furent entremêlés avec choix dans le cours de ce superbe spectacle. Aussi vit-on Zulisca amuser le roi, plaire à la cour, mériter les suffrages de tous les amateurs des Arts, et captiver ceux de nos meilleurs artistes.

Le zèle de M. le duc de Gesvres fut éclairé, ardent, et soutenu, comme l’avait été celui de ses prédécesseurs ; il semblait que le Roi ne se servit que de la même main pour faire éclater aux yeux de l’Europe son amour pour les Arts, et sa magnificence.

Le 2nd mariage de M. le Dauphin en 1747 ouvrit une carrière nouvelle à M. le duc de Gesvres, et il la remplit de la manière la plus glorieuse. Les bals parés et masqués donnés avec l’ordre le plus désirable, de brillantes illuminations, voyez Illumination [Article non rédigé] ; les feux d’artifice embellis par des desseins nouveaux, voyez Feu d’Artifice ; tout cela préparé sans embarras, sans confusion, conservant dans l’exécution cet air enchanteur d’aisance, qui fait toujours le charme de ces pompeux amusements, ne furent pas les seuls plaisirs qui animèrent le cours de ces fêtes. Le théâtre du manège fournit encore à M. le duc de Gesvres des ressources dignes de son goût et de celui d’une cour éclairée.

Outre les chefs-d’œuvre du théâtre français, qu’on vit se succéder sur un autre théâtre moins vaste d’une manière capable de rendre leurs beautés encore plus séduisantes, les opéras de la plus grande réputation firent revivre sur le théâtre du manège l’ancienne gloire de Quinault, créateur de ce beau genre, et de Lully, qui lui prêta tous ces embellissements nobles et simples qui annoncent le génie et la supériorité qu’il avait acquise sur tous les musiciens de son temps.

M. le duc de Gesvres fit plus ; il voulut montrer combien il désirait d’encourager les beaux-arts modernes, et il fit représenter deux grands ballets nouveaux, relatifs à la fête auguste qu’on célébrait, avec toute la dépense, l’habileté, et le goût dont ces deux ouvrages étaient susceptibles. L’Année galante fit l’ouverture des fêtes et du théâtre ; les Fêtes de l’hymen et de l’amour furent choisies pour en faire la clôture.

Ainsi ce théâtre, superbe édifice du goût de M. le maréchal de Richelieu, était devenu l’objet des efforts et du zèle de nos divers talents ; on y jouit tour-à-tour des charmes variés du beau chant français, de la pompe de son opéra, de toutes les grâces de la danse, du feu, de l’harmonieux accord de ses symphonies, des prodiges des machines, de l’imitation habile de la nature dans toutes les décorations.

On ne s’en tint point aux ouvrages choisis pour annoncer par de nobles allégories les fêtes qu’on voulait célébrer ; on prit tous ceux qu’on crut capables de varier les plaisirs. M. le maréchal de Richelieu avait fait succéder à La Princesse de Navarre, Le Temple de la Gloire, et Jupiter vainqueur des Titans, spectacle magnifique, digne en tout de l’auteur ingénieux et modeste (M. de Bonneval, pour lors intendant des menus-plaisirs du Roi), qui avait eu la plus grande part à l’exécution des belles idées de M. le maréchal de Richelieu. Il est honorable pour les gens du monde, qu’il se trouve quelquefois parmi eux, des hommes aussi éclairés sur les Arts.

On vit avec la satisfaction la plus vive Zélindor, petit opéra dont les paroles et la musique ont été inspirées par les grâces, et dont toutes les parties forment une foule de jolis tableaux de la plus douce volupté.

C’est là que parut pour la première fois Platée, ce composé extraordinaire de la plus noble et de la plus puissante musique, assemblage nouveau en France de grandes images et de tableaux ridicules, ouvrage produit par la gaieté, enfant de la saillie, et notre chef-d’œuvre de génie musical qui n’eut pas alors tout le succès qu’il méritait.

Le ballet de La Félicité, allégorie ingénieuse de celle dont jouissait la France, parut ensuite sous l’administration de M. le duc d’Aumont, et Zulisca, dont nous avons parlé, couronna la beauté des spectacles de l’hiver 1746. On a détaillé l’année 1747.

Les machines nouvelles qui, pendant le long cours de ces fêtes magnifiques, parurent les plus dignes de louange, furent, 1°. celle qui d’un coup d’œil changeait une belle salle de spectacle en une magnifique salle de bal : 2°. celle qui servit aux travaux et à la chute des Titans, dans l’opéra de M. de Bonneval, mis en musique par M. de Blamont surintendant de celle du Roi, auteur célèbre des Fêtes grecques et romaines : 3°. les cataractes du Nil et le débordement [voir Débordement] de ce fleuve. Le vol rapide et surprenant du dieu qui partait du haut des cataractes, et se précipitait au milieu des flots irrités en maître suprême de tous ces torrents réunis pour servir sa colère, excita la surprise, et mérita le suffrage de l’assemblée la plus nombreuse et la plus auguste de l’univers. Cette machine formait le nœud du second acte des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, opéra de MM. de Cahusac et Rameau, qui fit la clôture des fêtes de cette année.

Elles furent suspendues dans l’attente d’un bonheur qui intéressait tous les Français. La grossesse enfin de Madame la Dauphine ranima leur joie ; et M. le duc d’Aumont, pour lors premier gentilhomme de la chambre de service, eut ordre de faire les préparatifs des plaisirs éclatants, où la cour espérait de pouvoir se livrer.

Je vais tracer ici une sorte d’esquisse de tous ces préparatifs, parce qu’ils peuvent donner une idée juste des ressources du génie français, et du bon caractère d’esprit de nos grands seigneurs dans les occasions éclatantes.

On a vu une partie de ce qu’exécuta le goût ingénieux de M. le duc d’Aumont dans son année précédente. Voyons en peu de mots ce qu’il avait déterminé d’offrir au roi, dans l’espérance où l’on était de la naissance d’un duc de Bourgogne. L’histoire, les relations, les mémoires, nous apprennent ce que les hommes célèbres ont fait. La Philosophie va plus loin ; elle les examine, les peint, et les juge sur ce qu’ils ont voulu faire.

M. le duc d’Aumont avait choisi pour servir de théâtre aux différents spectacles qu’il avait projetés, le terrain le plus vaste du parc de Versailles, et le plus propre à la fois à fournir les agréables points de vue qu’il voulait y ménager pour la cour, et pour la curiosité des Français que l’amour national et la curiosité naturelle font, courir à ces beaux spectacles.

La pièce immense des Suisses était le premier local où les yeux devaient être amusés pendant plusieurs heures par mille objets différents.

Sur les bords de la pièce des Suisses, en face de l’orangerie, on avait placé une ville édifiée avec art, et fortifiée suivant les règles antiques.

Plusieurs fermes joignant les bords du bassin, élevées de distance en distance sur les deux côtés, formaient des amphithéâtres surmontés par des terrasses ; elles portaient et soutenaient les décorations qu’on avait imaginées en beaux paysages coupés de palais, de maisons, de cabanes même. Les parties isolées de ces décorations étaient des percées immenses que la disposition des clairs, des obscurs, et des positions ingénieuses des lumières devaient faire paraître à perte de vue.

Tous ces beaux préparatifs avaient pour objet l’amusement du Roi, de la famille royale, et de la cour, qui devaient être placés dans l’orangerie, et de la multitude qui aurait occupé les terrasses supérieures, tous les bas-côtés de la pièce des Suisses, etc.

Voici l’ingénieux, l’élégant, et magnifique arrangement qui avait été fait dans l’orangerie.

En perspective de la pièce des Suisses et de toute l’étendue de l’orangerie, on avait élevé une grande galerie terminée par deux beaux salons de chaque côté, et suivie dans ses derrières de toutes les pièces nécessaires pour le service. Un grand salon de forme ronde était au milieu de cette superbe galerie : l’intérieur des salons, de la galerie, et de toutes les parties accessoires, était décoré d’architecture d’ordres composés. Les pilastres étaient peints en lapis ; les chapiteaux, les bases, les corniches étaient rehaussées d’or ; et la frise peinte en lapis était ornée de guirlandes de fleurs.

Dans les parties accessoires, les panneaux étaient peints en brèche violette, et les bords d’architecture en blanc veiné. Les moulures étaient dorées, ainsi que les ornements et les accessoires.

On avait rassemblé dans les plafonds les sujets les plus riants de l’Histoire et de la Fable : ils étaient comme encadrés par des chaînes de fleurs peintes en coloris, portées par des groupes d’amours et de génies jouants, avec leurs divers attributs.

Les trumeaux et les panneaux étaient couverts des glaces les plus belles ; et on y avait multiplié les girandoles et les lustres, autant que la symétrie et les places l’avaient permis.

C’est dans le salon du milieu de cette galerie que devait être dressée la table du banquet royal.

L’extérieur de ces édifices orné d’une noble architecture, était décoré de riches pentes à la turque, avec portiques, pilastres, bandeaux, architraves, corniches, et plusieurs groupes de figures allégoriques à la fête. Tous les ornements en fleurs étaient peints en coloris ; tous les autres étaient rehaussés d’or : au tour intérieur de l’orangerie, en face de la galerie, on avait construit un portique élégant dont les colonnes séparées étaient fermées par des cloisons peintes des attributs des diverses nations de l’Europe. Les voûtes représentaient l’air, et des génies en groupes variés et galants, qui portaient les fleurs et les fruits que ces divers climats produisent. Dans les côtés étaient une immense quantité de girandoles cachées par la bâtisse ingénieuse, à différents étages, sur lesquels étaient étalés des marchandises, bijoux, tableaux, étoffes, etc. des pays auxquels elles étaient censées appartenir.

Dans le fond était élevé un théâtre ; il y en avait encore un dans le milieu et à chacun des côtés : aux quatre coins étaient des amphithéâtres remplis de musiciens habillés richement, avec des habits des quatre parties de l’Europe. Tout le reste était destiné aux différents objets de modes, d’industrie, de magnificence, et de luxe, qui caractérisent les mœurs et les usages des divers habitants de cette belle partie de l’univers.

Au moment que le roi serait arrivé, cinquante vaisseaux équipés richement à l’antique, de grandeurs et de formes différentes ; vingt frégates et autant de galères portant des troupes innombrables de guerriers répandus sur les ponts et armés à la grecque, auraient paru courir à pleines voiles contre la ville bâtie : le feu de ces vaisseaux et celui de la ville était composé par un artifice singulier, que la fumée ne devait point obscurcir, et qui aurait laissé voir sans confusion tous ses desseins et tous ses effets. Les assaillants après les plus grands efforts, et malgré la défense opiniâtre de la ville, étaient cependant vainqueurs ; la ville était prise, saccagée, détruite ; et sur ses débris s’élevait tout-à-coup un riche palais à jour. Voyez Feu d’Artifice.

Le festin alors devait être servi ; et comme un changement rapide de théâtre, toutes les différentes parties de l’orangerie, telles qu’on les a dépeintes, se trouvaient frappées de lumière ; le palais magique du fond de la pièce des Suisses, les fermes qui représentaient à ses côtés les divers paysages, la suite de maisons, les coupures de campagne, etc. qu’on a expliquées plus haut, se trouvaient éclairés sur les divers desseins de cette construction, ou suivant les différentes formes des arbres dont la campagne était couverte.

Les deux côtés du château, toute la partie des jardins qui aboutissait en angle sur l’orangerie et sur la pièce des Suisses, étaient remplis de lumières qui dessinaient les attributs de l’amour et ceux de l’hymen. Des ruches couvertes d’abeilles figurées par des lampions du plus petit calibre et multipliées à l’infini, offraient une allégorie ingénieuse et saillante de la fête qu’on célébrait, et de l’abondance des biens qui devaient la suivre. Les trompettes, les timbales, et les corps de musique des quatre coins de l’orangerie, devaient faire retentir les airs pendant que le Roi, la Reine, et la famille royale, dans le salon du milieu, et toute la cour, à vingt autres tables différentes, jouiraient du service le plus exquis. Après le souper, le premier coup d’œil aurait fait voir cette immensité de desseins formés au loin par la lumière, et cette foule de personnages répandus dans l’enceinte de l’orangerie représentant les différentes nations de l’Europe, et placés avec ordre dans les cases brillantes où ils avaient été distribués.

On devait trouver, au sortir de la galerie, en jouissant de la vue de toutes les richesses étrangères, qui avaient été rassemblées sous les beaux portiques, un magnifique opéra, qui, au moment de l’arrivée du roi, aurait commencé son spectacle.

Au sortir du grand théâtre, la cour aurait suivi le Roi sous tous les portiques : les étoffes, le goût, les meubles élégants, les bijoux de prix, auraient été distribués par une loterie amusante et pleine de galanterie, à toutes les dames et à tous les seigneurs de la cour.

Le magnifique spectacle de ce séjour, après qu’on aurait remonté le grand escalier, et qu’on aurait aperçu l’illumination du bassin, de l’orangerie, des deux faces du château, et des deux parties des jardins qui y répondent, aurait servi de clôture aux fêtes surprenantes de ce jour tant désiré.

L’attente de la nation fut retardée d’une année ; et alors des circonstances qui nous sont inconnues lièrent sans doute les mains zélées des ordonnateurs. Sans autre fête qu’un grand feu d’artifice, ils laissèrent la cour et la ville se livrer aux vifs transports de joie que la naissance d’un prince avait fait passer dans les cœurs de tous les Français. Voyez Fêtes de la Ville de Paris.

Les douceurs de la paix et un accroissement de bonheur, par la naissance de Monseigneur le duc de Berry, firent renaître le goût pour les plaisirs. M. le duc d’Aumont fut chargé en 1754 des préparatifs des spectacles. Le théâtre de Fontainebleau fut repris sous œuvre, et exerça l’adresse féconde du sieur Arnoult, machiniste du roi, aidée des soins actifs de l’ordonnateur et du zèle infatigable des exécutants. On vit représenter avec la plus grande magnificence, six différents opéras français qui étaient entremêlés les jours qu’ils laissaient libres des plus excellentes tragédies et comédies de notre théâtre.

L’ouverture de ce théâtre fut faite par La Naissance d’Osiris, prologue allégorique à la naissance de monseigneur le duc de Berry ; on en avait chargé les auteurs du ballet des Fêtes de l’hymen et de l’amour, qui avaient fait la clôture des fêtes du mariage : ainsi les talents modernes furent appelés dans les lieux même où les anciens étaient si glorieusement applaudis. Le petit opéra d’Anacréon, ouvrage de ces deux auteurs ; Alcimadure, opéra en trois actes précédé d’un prologue, et en langue languedocienne, de M. Mondonville, eurent l’honneur de se trouver à la suite de Thésée, cet ouvrage si fort d’action ; d’Alceste, le chef-d’œuvre du merveilleux et du pathétique ; enfin de Thétis, opéra renommé du célèbre M. de Fontenelle. On a vu ce poète philosophe emprunter la main des grâces pour offrir la lumière au dernier siècle. Il jouit à la fois de l’honneur de l’avoir éclairé, et des progrès rapides que doivent à ses efforts les Lettres, les Arts, et les Sciences dans le nôtre.

M. Blondel de Gagny, Intendant pour lors des menus-plaisirs du Roi, seconda tout le zèle de l’ordonnateur. Par malheur pour les Arts et les talents, qu’il sait discerner et qu’il aime, il a préféré le repos aux agréments dont il était sûr de jouir dans l’exercice d’une charge à laquelle il était propre. Tous les sujets différents qui pendant cinquante jours avaient déployé leurs talents et leurs efforts pour contribuer au grand succès de tant d’ouvrages, se retirèrent comblés d’éloges, encouragés par mille attentions, récompensés avec libéralité. (B)

Fêtes de la Ville de Paris

Fêtes de la Ville de Paris. On a vu dans tous les temps le zèle et la magnificence fournir à la capitale de ce royaume des moyens éclatants de signaler son zèle et son amour pour nos rois. L’histoire de tous les règnes rappelle aux Parisiens quelque heureuse circonstance que leurs magistrats ont célébrée par des fêtes. Notre objet nous borne à ne parler que de celles qui peuvent honorer ou éclairer les Arts.

Le mariage de Madame, infante, offrit à feu M. Turgot une occasion d’en donner une de ce genre ; on croit devoir la décrire avec quelque détail. L’administration de ce magistrat sera toujours trop chère aux vrais citoyens, pour qu’on puisse craindre à son égard d’en trop dire.

Le Roi, toute la famille royale lui firent espérer d’honorer ses fêtes de leur présence ; il crut devoir ne leur offrir que des objets dignes d’eux.

On était en usage de prendre l’Hôtel-de-ville pour le centre des réjouissances publiques. Les anciennes rubriques, que les esprits médiocres révèrent comme des lois sacrées, ne sont pour les têtes fortes que des abus ; leur destruction est le premier degré par lequel ils montent bientôt aux plus grandes choses. Telle fut la manière constante dont M. Turgot se peignit aux Français, pendant le cours de ses brillantes prévôtés. Il pensa qu’une belle fête ne pouvait être placée sur un terrain trop beau, et il choisit l’éperon du Pont-Neuf sur lequel la statue d’Henri IV est élevée, pour former le point de vue principal de son plan.

Ce lieu, par son étendue, par la riche décoration de divers édifices qu’il domine et qui l’environnent, surtout par le bassin régulier sur lequel il est élevé, pouvait faire naître à un ordonnateur de la trempe de celui-ci, les riantes idées des plus singuliers spectacles. Voici celles qu’il déploya aux yeux les plus dignes de les admirer.

On vit d’abord s’élever rapidement sur cette espèce d’esplanade un temple consacré à l’Hymen ; il était dans le ton antique ; ses portiques étaient de cent-vingt pieds de face, et de quatre-vingt pieds de haut, sans y comprendre la hauteur de l’appui et de la terrasse de l’éperon, qui servait de base à tout l’édifice, et qui avait quarante pieds de hauteur.

Le premier ordre du temple était composé de trente-deux colonnes d’ordre dorique, de quatre pieds de diamètre et trente-trois pieds de fût, formant un carré long de huit colonnes de face, sur quatre de retour.

Elles servaient d’appui à une galerie en terrasse de cent cinq pieds de long, ornée de distance en distance de belles statues sur leurs piédestaux. Au dessus de la terrasse, et à l’aplomb des colonnes du milieu, s’élevait un socle antique formé de divers compartiments ornés de bas-reliefs, et couronné de douze vases.

Deux massifs étaient bâtis dans l’intérieur, afin d’y pratiquer des escaliers commodes. Le socle au reste formait une seconde terrasse de retour avec les bases, chapiteaux, entablements, et balustrades, servant d’appui à une galerie en terrasse de cent cinq pieds de long, divisée par des piédestaux. Au-dessus de cette terrasse, et à l’aplomb des colonnes du milieu, s’élevait un socle en attique, formé de compartiments ornés de bas-reliefs, et couronné de douze vases ; deux corps solides étaient construits dans l’intérieur, dans lesquels on avait pratiqué des escaliers.

Toute la construction de cet édifice était en relief, ainsi que les plafonds, enrichis de compartiments en mosaïque, guillochés, rosettes, festons, etc. à l’imitation des anciens temples, et tels qu’on le voit au panthéon, dont on avait imité les ornements ; à la réserve cependant des bases que l’on jugea à propos de donner aux colonnes, pour s’accommoder à l’usage du siècle : elles y furent élevées sur des socles d’environ quatre pieds de haut, servant comme de repos aux balustrades de même hauteur qui étaient entre les entre-colonnements. C’est la seule différence que le nouvel édifice eût avec ceux de l’antiquité, où les colonnes d’ordre dorique étaient presque toujours posées sur le rez-de-chaussée, quoique sans base. A cela près, toutes les proportions y furent très bien gardées. Ces colonnes avaient huit diamètres un quart de longueur, qui est la véritable proportion que l’espace des entre-colonnements exige de cette ordonnance : il devait y avoir un second ordre ionique ; mais le temps trop court pour l’exécution, força de s’en tenir au premier ordre dorique, qui se groupant avec le massif, pour monter au haut de l’édifice, formait un très beau carré long.

Vingt-huit statues isolées, de ronde bosse, de dix pieds de proportion, représentant diverses divinités avec leurs symboles et attributs, étaient posées sur les piédestaux de la balustrade, à l’aplomb des colonnes.

On préféra pour tout cet édifice et pour ses ornements, la couleur de pierre blanche à celle des différents marbres qu’on aurait pu imiter ; outre que la couleur blanche a toujours plus de relief, surtout aux lumières et dans les ténèbres, la vraisemblance est aussi plus naturelle et l’illusion plus certaine : aussi ce temple faisait-il l’effet d’un édifice réel, construit depuis longtemps dans la plus noble simplicité de l’antique sans ornement postiche, et sans mélange d’aucun faux brillant. Telle renaîtra de nos jours la belle et noble Architecture ; nous la reverrons sortir des mains d’un moderne qui manquait à la gloire de la nation : le choix éclairé de M. le marquis de Marigny a su le mettre à sa place. C’est là le vrai coup de maître dans l’ordonnateur. Le talent une fois placé, les beautés de l’art pour éclore en foule n’ont besoin que du temps.

La terrasse en saillie qui portait le temple, était décorée en face d’une architecture qui formait trois arcades et deux pilastres en avant-corps dans les angles : on voyait aussi dans chacun des deux côtés, une arcade accompagnée de ses pilastres. Toute cette décoration était formée par des refends et bossages rustiques, et elle était parfaitement d’accord avec le temple. Tous les membres de l’architecture étaient dessinés par des lampions ; et l’intérieur des arcades, à la hauteur de l’imposte, étaient préparées pour donner dans le temps une libre issue à des cascades, des nappes, des torrents de feu, qui firent un effet aussi agréable que surprenant.

Sur la terrasse du temple s’élevait un attique porté par des colonnes intérieures, et orné de panneaux chargés de bas-reliefs : des vases ornés de sculpture étaient posés au haut de l’attique, à l’aplomb des colonnes.

Les corps solides des escaliers étaient ornés d’architecture et de bas-reliefs, de niches, de statues, etc.

Aux deux côtés de cet édifice s’élevaient, le long des parapets du Pont-Neuf, trente-six pyramides, dont dix-huit de quarante pieds de haut, et dix-huit de vingt-six, qui se joignaient par de grandes consoles, et qui portaient des vases sur leur sommet. Cette décoration, préparée particulièrement pour l’illumination, accompagnait le bâtiment du milieu ; elle était du dessein de feu M. Gabriel, premier architecte du Roi : la première était du chevalier Servandoni.

Décoration de la Rivière, illumination, etc.

Dans le milieu du canal que forme la Seine, et vis-à-vis le balcon préparé pour leurs Majestés, s’élevait un temple transparent, composé de huit portiques en arcades et pilastres, avec des figures relatives au sujet de la fête. Il formait un salon à huit pans, du milieu desquels s’élevait une colonne transparente qui avait le double de la hauteur du portique, et qui était terminée par un globe aussi transparent, semé de fleurs-de-lis et de tours. Tous les châssis de ce temple, qui semblait consacré à Apollon, étaient peints, et présentaient aux yeux mille divers ornements : il paraissait construit sur des rochers, entre lesquels on avait pratiqué des escaliers qui y conduisaient.

Ce salon disposé en gradins, et destiné pour la musique, était rempli d’un très grand nombre des plus habiles symphonistes. Le concert commença d’une manière vive et bruyante, au moment que le Roi parut sur son balcon ; il se fit entendre tant que dura la fête, et ne fut interrompu que par les acclamations réitérées du peuple.

Entre le temple et le Pont-Neuf étaient quatre grands bateaux en monstres marins ; il. y en avait quatre autres dans la même position entre le temple et le Pont-Royal, et tout-à-coup on jouit du spectacle de divers combats des uns contre les autres. Ces monstres vomissaient de leurs gueules et de leurs narines, des feux étincelants d’un volume prodigieux et de diverses couleurs : les uns traçaient en l’air des figures singulières ; les autres tombant comme épuisés dans les eaux, y reprenaient une nouvelle force, et y formaient des pyramides et des gerbes de feu, des soleils, etc.

Une joute commença la fête. Il y avait deux troupes de jouteurs, l’une à la droite, et l’autre à la gauche du temple. Chacune était composée de vingt jouteurs et de trente-six rameurs. Les maîtres de la joute étaient dans des bateaux particuliers. Tous les jouteurs étaient habillés de blanc uniformément, et à la légère ; leurs vêtements, leurs bonnets et leurs jarretières étaient ornés de touffes de rubans de différentes couleurs, avec des écharpes de taffetas, etc. Ils joutèrent avec beaucoup d’adresse, de force et de résolution, et avec un zèle et une ardeur admirables. La ville récompensa les deux jouteurs victorieux par un prix de la valeur de vingt pistoles chacun, et d’une médaille.

A la première obscurité de la nuit on vit paraître l’illumination ; elle embellissait les mouvements de la multitude, en éclairant les flots de ce peuple innombrable répandu sur les quais. On jouissait à la fois des lumières qui éclairaient les échafauds, de celles qui brillaient aux fenêtres, aux balcons, et sur des terrasses richement et ingénieusement ornées ; ce qui se joignant à la variété des couleurs des habits, et à la parure recherchée et brillante des hommes et des femmes, dont la clarté des lumières relevait encore l’éclat, faisait un coup d’œil et divers points de perspective dont la vue était éblouie et séduite.

L’illumination commença par le temple de l’Hymen, dont tout l’entablement était profilé de lumières, ainsi que les balustrades, sur lesquelles s’élevaient de grands lustres ou girandoles en ifs dans les entrecolonnes, formés par plus de cent lumières chacun. Toute la suite des pyramides et pilastres chantournés, avec leurs piédestaux réunis par des consoles, dont on a parlé, élevés sur les parapets du pont à droite et à gauche, était couverte d’illuminations, ainsi que toute la décoration de la terrasse en saillie, dont les refends et les cintres étaient profilés, et chargés de gros lampions et de terrines.

Ce qui répondait parfaitement à la magnificence de cette illumination, c’était de voir le long des deux quais, sur le Pont-Neuf et le Pont-Royal, des lustres composés chacun d’environ quatre-vingt grosses lumières, suspendus aux mêmes endroits où l’on met ordinairement les lanternes de nuit.

Mais voici une illumination toute nouvelle. Quatre-vingts petits bâtiments de différentes formes, dont la mâture, les vergues, les agrès et les cordages étaient dessinés par de petites lanternes de verre, et mouvantes, au nombre de plus de dix mille, entrèrent dans le grand canal du côté du Pont-Neuf ; et après diverses marches figurées, elles se divisèrent en quatre quadrilles, et bordèrent les rivages de la Seine entre le Pont-Neuf et le Pont-Royal.

Un même nombre de bateaux de formes singulières, et chargés de divers artifices, se mêlèrent avec symétrie aux premiers ; le salon octogone, transparent, paraissait comme au centre de cette brillante et galante fête, et semblait sortir du sein des feux et des eaux.

On ne s’aperçut point de la fuite du jour ; la nuit qui lui succéda, était environnée de la plus brillante lumière.

Le signal fut donné, et dans le même instant le temple de l’Hymen, tous les édifices qui bordent des deux côtés les quais superbes qui servaient de cadre à ce spectacle éclatant, le Pont-Royal et le Pont-Neuf, les échafauds qui étaient élevés pour porter cette foule de spectateurs, les amphithéâtres qui remplissaient les terrains depuis les bords de la Seine jusqu’à fleur des parapets, tout fut illuminé presqu’au même moment : on ne vit plus que des torrents de lumière soumis à l’art du dessein, et formant mille figures nouvelles, embellies par des contrastes, détachées avec adresse les unes des autres, ou par les formes de l’architecture sur lesquelles elles étaient placées, ou par l’ingénieuse variété des couleurs dont on avait eu l’habileté d’embellir les feux divers de la lumière.

Feu d’artifice.

Le bruit de l’artillerie, le son éclatant des trompettes, annoncèrent tout-à-coup un spectacle nouveau. On vit s’élancer dans les airs de chaque côté du temple de l’hymen, un nombre immense de fusées qui partirent douze à douze des huit tourelles du Pont-Neuf ; cent quatre-vingts pots à aigrette et plusieurs gerbes de feu leur succédèrent. Dans le même temps on vit briller une suite de gerbes sur la tablette de la corniche du pont ; et le grand soleil fixe, de soixante pieds de diamètre, parut dans toute sa splendeur au milieu de l’entablement. Directement au-dessous on avait placé un grand chiffre d’illumination de couleurs différentes, imitant l’éclat des pierreries, lequel, avec la couronne dont il était surmonté, avait trente pieds de haut ; et aux côtés, vis-à-vis les entrecolonnes du temple, on voyait deux autres chiffres d’artifice de dix pieds de haut, formant les noms des illustres époux, en feu bleu, qui contrastait avec les feux différents dont ils étaient entourés.

On avait placé sur les deux trottoirs du Pont-Neuf, à la droite et à la gauche du temple, au-delà de l’illumination des pyramides, deux cents caisses de fusées de cinq à six douzaines chacune. Ces caisses tirées cinq à la fois, succédèrent à celles qu’on avait vu partir des tourelles, à commencer de chaque côté, depuis les premières, auprès du temple, et successivement jusqu’aux extrémités à droite et à gauche.

Alors les cascades ou nappes de feu rouge sortirent des cinq arcades de l’éperon du Pont-Neuf ; elles semblaient percer l’illumination dont les trois façades étaient revêtues, et dont les yeux pouvaient à peine soutenir l’éclat. Dans le même temps un combat de plusieurs dragons commença sur la Seine, et le feu d’eau couvrit presque toute la surface de la rivière.

Au combat des dragons succédèrent les artifices dont les huit bateaux de lumières étaient chargés. Au même endroit, dans un ordre différent, étaient trente-six cascades ou fontaines d’artifice d’environ trente pieds de haut, dans de petits bateaux, mais qui paraissaient sortir de la rivière.

Ce spectacle des cascades, dont le signal avait été donné par un soleil tournant, avait été précédé d’un berceau d’étoiles produit par cent soixante pots à aigrettes, placés au bas de la terrasse de l’éperon.

Quatre grands bateaux servant de magasin à l’artifice d’eau, étaient amarrés près des arches du Pont-Neuf, au courant de la rivière, et quatre autres pareils du côté du Pont-Royal. L’artifice qu’on tirait de ces bateaux, consistait dans un grand nombre de gros et petits barils chargés de gerbes et de pots, qui remplissaient l’air de serpenteaux, d’étoiles et de genouillières. Il y avait aussi un nombre considérable de gerbes à jeter à la main, et de soleils tournant sur l’eau.

La fin des cascades fut le signal de la grande girande sur l’attique du temple, qui était composée de près de six mille fusées. On y mit le feu par les deux extrémités au même instant ; et au moment qu’elle parut, les deux petites girandes d’accompagnement, placées sur le milieu des trottoirs du Pont-Neuf, de chaque coté, composées chacune d’environ cinq cents fusées, partirent, et une dernière salve de canon termina cette magnifique fête.

Tout l’artifice était de la composition de M. Elric, saxon, capitaine d’Artillerie dans les troupes du roi de Prusse.

Le lendemain, 30 Août, M. Turgot voulut encore donner un nouveau témoignage de zèle au Roi, à madame Infante, et à la famille royale. Il était un de ces hommes rares qui ont l’art de rajeunir les objets ; ils les mettent dans un jour dont on ne s’était pas avisé avant eux, ils ne sont plus reconnaissables. Telle sut la magie dont se servit alors feu M. Turgot. Il trouva le secret de donner un bal magnifique qui amusa la Cour et Paris toute la nuit, dans le local le moins disposé peut-être pour une pareille entreprise. M. le maréchal de Richelieu parut en 1745 avoir hérité du secret de ce magistrat célèbre. Voyez Fêtes de la Cour de France.

Bal de la ville de Paris, donné dans son hôtel la nuit du 30 Août 1739.

Trois grandes salles dans lesquelles on dansa, avaient été préparées avec le plus de soin, et décorées avec autant d’adresse que d’élégance. L’architecture noble de la première, qu’on avait placée dans la cour, était composée d’arcades et d’une double colonnade à deux étages, qui contribuaient à l’ingénieuse et riche décoration dont cette salle fut ornée. Pour la rendre plus magnifique et plus brillante par la variété des couleurs, toute l’architecture fut peinte en marbre de différentes espèces ; on y préféra ceux dont les couleurs étaient les plus vives, les mieux assorties, et les plus convenables à la clarté des lumières et aux divers ornements de relief rehaussés d’or, qui représentaient les sujets les plus agréables de la fable, embellis encore par des positions et des attributs relatifs à l’objet de la fête.

Au fond de cette cour changée en salle de bal, on avait construit un magnifique balcon en amphithéâtre, qui était rempli d’un grand nombre de symphonistes. L’intérieur de toutes ces arcades était en gradins, couvets de tapis en forme de loges, d’une très belle disposition, et d’une grande commodité pour les masques, auxquels on pouvait servir des rafraîchissements par les derrières. Elle était couverte d’un plafond de niveau, et éclairée d’un très grand nombre de lustres, de girandoles et de bras à plusieurs branches, dont l’ordonnance décelait le goût exquis qui ordonnait tous ces arrangements.

La grande salle de l’Hôtel-de-ville, qui s’étend sur toute la façade, servait de seconde salle ; elle était décorée de damas jaune, enrichi de fleurs en argent : on y avait élevé un grand amphithéâtre pour la symphonie. Les embrasures et les croisées étaient disposées en estrades et en gradins, et la salle était éclairée par un grand nombre de bougies.

La troisième salle était disposée dans celle qu’on nomme des gouverneurs ; on l’avait décorée d’étoffe bleue, ornée de galons et gaze d’or, ainsi que l’amphithéâtre pour la symphonie : elle était éclairée par une infinité de lumières placées avec art.

On voyait par les croisées de ces deux salles, tout ce qui se passait dans la première : c’était une perspective ingénieuse qu’on avait ménagée pour multiplier les plaisirs. On communiquait d’une salle à l’autre par un grand appartement éclairé avec un art extrême.

Auprès de ces trois salles on avait dressé des buffets décorés avec beaucoup d’art, et munis de toutes sortes de rafraîchissements, qui furent offerts et distribués avec autant d’ordre et d’abondance que de politesse.

On compte que le concours des masques a monté à plus de 12000 depuis les huit heures du soir, que le bal commença, jusqu’à huit heures du matin. Toute cette fête se passa avec tout l’amusement, l’ordre et la tranquillité qu’on pouvait désirer, et avec une satisfaction et un applaudissement général.

Les ordres avaient été si bien donnés, que rien de ce qu’on aurait pu désirer n’y avait été oublié. Les précautions avaient été portées jusqu’à l’extrême, et tous les accidents quelconques avaient dans des endroits secrets, les remèdes, les secours, les expédients qui peuvent les prévenir ou les réparer. La place de Grève et toutes les avenues furent toujours libres, en sorte qu’on abordait à l’Hôtel-de-ville commodément, sans accidents et sans tumulte. Des falots sur des poteaux, éclairaient la place et le port de la Grève, jusque vers le Pont-Marie, où l’on avait soin de faire défiler et ranger les carrosses ; il y avait des barrières sur le rivage, pour prévenir les accidents.

Toutes les dispositions de cette grande fête ont été conservées dans leur état parfait pendant huit jours, pour donner au peuple la liberté de les voir.

Les grands effets que produisit cette merveilleuse fête, sur plus de 600000 spectateurs, sont restés gravés pour jamais dans le souvenir de tous les Français. Aussi le nom des Turgots sera-t-il toujours cher à une nation sensible à la gloire, et qui mérite plus qu’une autre de voir éclore dans son sein les grandes idées des hommes. Voyez Illumination [Article non rédigé], Feu d’Artifice, etc.

Il y a eu depuis des occasions multipliées, où la ville de Paris a fait éclater son zèle et sa magnificence ; ainsi la convalescence du plus chéri de nos Rois, son retour de Metz (voyez Festins royaux), nos victoires, les deux mariages de Monseigneur le Dauphin, ont été célébrés par des fêtes, des illuminations, des bals, des feux d’artifice ; mais un trait éclatant, supérieur à tous ceux que peuvent produire les arts, un trait qui fait honneur à l’humanité, et digne en tout d’être éternisé dans les fastes de l’Europe, est l’action généreuse qui tint lieu de fête à la naissance de monseigneur le duc de Bourgogne.

Six cents mariages faits et célébrés aux dépens de la ville, furent le témoignage de son amour pour l’état, de son ardeur pour l’accroissement de ses forces, de l’humanité tendre qui guide ses opérations dans l’administration des biens publics.

Dans tous les temps cette action aurait mérité les louanges de tous les gens de bien, et les transports de reconnaissance de la nation entière. Une circonstance doit la rendre encore plus chère aux contemporains, et plus respectable à la postérité.

Au moment que le projet fut proposé à la ville, les préparatifs de la plus belle fête étaient au point de l’exécution. C’est à l’hôtel de Conti que devait être donné le spectacle le plus ingénieux, le plus noble, le moins ressemblant qu’on eût imaginé encore. Presque toutes les dépenses étaient faites. J’ai vu, j’ai admiré cent fois tous ces magnifiques préparatifs. On avait pris des précautions infaillibles contre les caprices du temps, l’événement aurait illustré pour jamais et l’ordonnateur, et nos meilleurs artistes occupés à ce superbe ouvrage. Le succès paraissait sûr. La gloire qui devait le suivre fut sacrifiée, sans balancer, au bien plus solide de donner à la patrie de nouveaux citoyens. Quel est le vrai Français qui ne sente la grandeur, l’utilité, la générosité noble de cette résolution glorieuse ? Quelle admirable leçon pour ces hommes superficiels, qui croient se faire honneur de leurs richesses en se livrant à mille goûts frivoles ! Quel exemple pour nos riches modernes, qui ne restituent au public les biens immenses qu’ils lui ont ravis, que par les dépenses superflues d’un luxe mal entendu, qui, en les déplaçant, les rend ridicules !

Toutes les villes considérables du royaume imitèrent un exemple aussi respectable ; et l’état doit ainsi à l’Hôtel-de-ville de sa capitale, une foule d’hommes nés pour l’aimer, le servir, et le défendre. (B)

Fêtes des grandes Villes du Royaume de France

Fêtes des grandes Villes du Royaume de France. C’est ici qu’on doit craindre les dangers d’une matière trop vaste. Rien ne serait plus agréable pour nous, que de nous livrer à décrire par des exemples aussi honorables que multipliés les ressources du zèle de nos compatriotes, dans les circonstances, où leur amour pour le sang de leurs rois a la liberté d’éclater. On verrait dans le même tableau la magnificence constante de la ville de Lyon embellie par le goût des hommes choisis qui la gouvernent, toujours marquée au coin de cet amour national, qui fait le caractère distinctif de ses citoyens. A côté des fêtes brillantes, qui ont illustré cette ville opulente, on serait frappé des ressources des habitants de nos beaux ports de mer, dans les circonstances où le bonheur de nos rois, ou la gloire de la patrie, leur ont fourni les occasions de montrer leur adresse et leur amour. On trouverait dans le cœur de la France, sous les yeux toujours ouverts de nos Parlements, des villes plus tranquilles, mais moins opulentes, suppléer dans ces moments de joie, à tous les moyens faciles qu’offre aux autres la fortune par l’activité, l’élégance, les nouveautés heureuses, les prodiges imprévus que fournit à l’industrie et au bon esprit la fécondité des talents et des arts. Telles seraient les fêtes de Toulouse, de Rennes, de Rouen, de Dijon, de Mets, etc. que nous pourrions décrire ; mais on s’attache ici au nécessaire. Les soins qu’on a pris à Bordeaux, lors du passage de notre première Dauphine dans cette ville, sont un précis de tout ce qui s’est jamais pratiqué de plus riche, de plus élégant dans les différentes villes du royaume ; et les arts différents, qui se sont unis pour embellir ces jours de gloire, ont laissé dans cette occasion aux artistes plusieurs modèles à méditer et à suivre.

On commence cette relation du jour que Madame la Dauphine arriva à Bayonne ; parce que les moyens qu’on prit pour lui rendre son voyage agréable et facile, méritent d’être connus des lecteurs qui savent apprécier les efforts et les inventions des arts.

Madame la Dauphine arriva le 15 Janvier 1745 à Bayonne. Elle passa sous un arc de triomphe de quarante pieds de hauteur, au-dessus duquel étaient accolées les armes de France et celles d’Espagne, soutenues par deux dauphins, avec cette inscription : Quam bene perpetuis sociantur nexibus ambo! De chaque côté de l’arc de triomphe régnaient deux galeries, dont la supérieure était remplie par les dames les plus distinguées de la ville, et l’autre l’était par cinquante-deux jeunes demoiselles habillées à l’espagnole. Toutes les rues par lesquelles Madame la Dauphine passa, étaient jonchées de verdure, tendues de tapisseries de haute-lisse, et bordées de troupes sous les armes.

Une compagnie de basques qui était allée au-devant de cette princesse à une lieue de la ville, l’accompagna en dansant au son des flûtes et des tambours jusqu’au palais épiscopal, où elle logea pendant son séjour à Bayonne.

Dès que le jour fut baissé, les places publiques, l’Hôtel-de-ville et toutes les rues furent illuminées ; le 17 Madame la Dauphine partit de Bayonne, et continua sa route.

En venant de Bayonne, on entre dans la généralité de Bordeaux par les landes de captioux, qui contiennent une grande étendue de pays plat, où on n’aperçoit que trois ou quatre habitations dispersées au loin, avec quelques arbres aux environs.

L’année précédente, l’intendant de Guyenne prévoyant le passage de l’auguste princesse que la France attendait, fit au travers de ces landes aligner et mettre en état un chemin large de quarante-deux pieds, bordé de fossés de six pieds.

Vers le commencement du chemin, dans une partie tout à fait unie et horizontale, les pâtres du pays, huit jours avant l’arrivée de Madame la Dauphine, avaient fait planter de chaque côté, à six pieds des bords extérieurs des fossés, 300 pins espacés de 24 pieds entre eux ; ils formaient une allée de 1200 toises de longueur, d’autant plus agréable à la vue, que tous ces pins étaient entièrement semblables les uns aux autres, de 8 à 9 pieds de tige, de 4 pieds de tête, et d’une grosseur proportionnée. On sait la propriété qu’ont ces arbres, d’être naturellement droits et toujours verts.

Au milieu de l’allée on avait élevé un arc de triomphe de verdure, présentant au chemin trois portiques. Celui du milieu avait 24 pieds de haut sur 16 de large, et ceux des côtés en avaient 17 de haut sur quatre de large. Ces trois portiques étaient répétés sur les flancs, mais tous trois de hauteur seulement de 17 pieds, et de 9 de largeur : le tout formant un carré long sur la largeur du chemin, par l’arrangement de 16 gros pins, dont les têtes s’élevaient dans une juste proportion au-dessus des portiques. Les cintres de ces portiques étaient formés avec des branchages d’autres pins, de chênes verts, de lierres, de lauriers et de myrtes, et il en pendait des guirlandes de même espèce faites avec soin, soit pour leurs formes, soit pour les nuances des différents verts. Les tiges des pins, par le moyen de pareils branchages, étaient proprement ajustées en colonnes torses : de la voûte centrale de cet arc de triomphe champêtre, descendait une couronne de verdure, et au-dessus du portique du côté que venait Madame la Dauphine, était un grand cartouche vert, où on lisait en gros caractères : A la bonne arribado de noste dauphino.

On voyait sur la même façade cette autre inscription latine ; les six mots dont elle était composée furent rangés ainsi :

Jubet amor, Fortuna negat, Natura juvat.

Les pâtres, au nombre de trois cents, étaient rangés en haie entre les arbres, à commencer de l’arc de triomphe du côté que venait Madame la Dauphine ; ils avaient tous un bâton, dont le gros bout se perdait dans une touffe de verdure. Ils étaient habillés uniformément comme ils ont coutume d’être en hiver, avec une espèce de surtout de peau de mouton, fournie de sa laine, des guêtres de même, et sur la tête, une toque appelée vulgairement barret, qui était garnie d’une cocarde de rubans de soie blanche et rouge.

Outre ces trois cents pâtres à pied, il y en avait à leur tête cinquante habillés de même, montés sur des échasses d’environ 4 pieds. Ils étaient commandés par un d’entre eux, qui eut l’honneur de présenter par écrit à Madame la Dauphine, leur compliment en vers dans leur langage.

Le compliment fut terminé par mille et mille cris de vive le Roi, vive la Reine, vive Monseigneur le Dauphin, vive Madame la Dauphine.

Les députés du corps de ville de Bordeaux vinrent à Castres le 26. Ils furent présentés à Madame la Dauphine, et le lendemain elle arriva à Bordeaux sur les trois heures et demie du soir, au bruit du canon de la ville et de celui des trois forts. La princesse trouva à la porte Saint-Julien un arc de triomphe très beau, que la ville avait fait élever.

Le plan que formait la base de cet édifice, était un rectangle de 60 pieds de longueur et de 18 pieds de largeur, élevé de soixante pieds de hauteur, non compris le couronnement. Ses deux grandes faces étaient retournées d’équerre sur le grand chemin, ornées d’architecture d’ordre dorique, enrichies de sculpture et d’inscriptions. Il était ouvert dans son milieu par une arcade de plein cintre, en chacune de ses deux faces, qui étaient réunies entre elles par une voûte en berceau, dont les naissances portaient sur quatre colonnes isolées, avec leurs arrière-pilastres, ce qui formait un portique de 14 pieds de largeur sur 30 pieds de hauteur.

Les deux côtés de cet édifice en avant-corps formaient deux carrés, dont les angles étaient ornés par des pilastres corniers et en retour, avec leurs bases et chapiteaux portant un entablement qui régnait sur les quatre faces de l’arc de triomphe. La frise était ornée de ses triglyphes et métopes, enrichis alternativement de fleurs-de-lis et de tours en bas-relief. La corniche l’était de ses mutules, et de toutes les moulures que cet ordre prescrit.

Au-dessus de cet entablement s’élevait un attique, où étaient les compartiments qui renfermaient des inscriptions que nous rapporterons plus bas.

A l’aplomb de huit pilastres, et au-dessus de l’attique, étaient posés huit vases, quatre sur chaque face, au milieu desquelles étaient deux grandes volutes en adoucissement, qui servaient de support aux armes de l’alliance, dont l’ensemble formait un fronton, au sommet duquel était un étendard de 27 pieds de hauteur sur 36 de largeur, avec les armes de France et d’Espagne.

Les entre-pilastres au pourtour étaient enrichis de médaillons, avec leurs festons en sculpture : au bas desquels et à leur aplomb étaient des tables refouillées, entourées de moulures ; l’imposte qui régnait entre deux, servait d’architrave aux quatre colonnes et aux quatre pilastres, portant le cintre avec son archivolte.

Cet édifice, qui était de relief en toutes ses parties, était feint de marbre blanc. Il était exécuté avec toute la sévérité des règles attachées à l’ordre dorique.

Sur le compartiment de l’attique, tant du côté de la campagne que de celui de la ville, était l’inscription suivante : Anagramma numericum. Unigenire regis silio Ludovico, et augustæ principi Hispaniæ, connubio junctis, civitas Burdigalensis et sex viri erexerunt 5.

Au-dessous de cette inscription et dans la frise de l’entablement, était ce vers tiré de Virgile.

Ingredere, et votis jam nunc assuesce vocari 6.

Les médaillons en bas-relief des entre-pilastres, placés au-dessus des tables refouillées et impostes ci-dessus décrits, renfermaient les emblèmes suivants.

Dans l’un, vers la campagne, on voyait la France tenant d’une main une fleur-de-lis, et de l’autre une corne d’abondance.

Elle était habillée à l’antique, avec un diadème sur la tête et un écusson des armes de France à ses pieds. L’Espagne était à la gauche, en habit militaire, comme on la voit dans les médailles antiques, avec ces mots pour âme, concordia œterna, union éternelle ; dans l’exergue était écrit, Hispania, Gallia ; l’Espagne, la France.

Dans l’autre, aussi vers la campagne, la ville de Bordeaux était représentée par une figure, tenant une corne d’abondance d’une main, et faisant remarquer de l’autre son port. Derrière elle on voyait son ancien amphithéâtre, vis-à-vis la Garonne, qui était reconnaissable par un vaisseau qui paraissait arriver : l’inscription, Burdigalensium gaudium, et dans l’exergue ces mots, adventus Delphinæ 1745 ; l’arrivée de Madame la Dauphine remplit de joie la ville de Bordeaux.

Du côté de la ville, l’emblème de la droite représentait un miroir ardent qui reçoit les rayons du soleil, et qui les réfléchit sur un flambeau qu’il allume ; et pour légende, cœlesti accenditur igne, le feu qui l’a allumé vient du ciel.

Dans l’autre, on voyait la déesse Cybèle assise entre deux lions, couronnée de tours, tenant dans sa main droite les armes de France, et dans sa gauche une tige de lis. Pour légende, ditabit olympum nova Cybeles, cette nouvelle Cybèle enrichira l’olympe de nouveaux dieux.

Sur les côtés de cet arc de triomphe, étaient deux médaillons sans emblème. Au premier, felici adventui, à l’heureuse arrivée. Au second, venit expectata dies, le jour si attendu est arrivé.

Madame la Dauphine trouva auprès de cet arc de triomphe le corps de ville qui l’attendait. Le comte de Ségur était à la tête. Le corps de ville eut l’honneur d’être présenté à Madame la Dauphine par M. Desgranges, et de la complimenter : le comte de Ségur porta la parole.

Le compliment fini, le carrosse de Madame la Dauphine passa lentement sous l’arc de triomphe, et entra dans la rue Bouhaut. Toutes les maisons de cette rue, qui a plus de deux cents toises de long en ligne presque droite, et que l’Intendant avait eu soin de faire paver de neuf, pour que la marche y fût plus douce, étaient couvertes des plus belles tapisseries.

Au bout de la rue Madame la Dauphine vit la perspective du palais que l’on y avait peint. De la porte de Saint-Julien on découvre du fond de la rue Bouhaut, à la distance d’environ deux cents toises, les faces des deux premières maisons qui forment l’embouchure de la rue du Cahernan, qui est à la suite et sur la même direction que la précédente. Celle de la droite, qui est d’un goût moderne et fort enrichie d’architecture, présentait un point de vue agréable, bien différent de celle de la gauche, qui n’était qu’une masure informe.

Pour éviter cette difformité et corriger le défaut de symétrie, on y éleva en peinture le pendant de la maison de la droite ; et entre les deux on forma une grande arcade, au-dessus de laquelle les derniers étages de ces deux maisons étaient prolongés, de façon qu’ils s’y réunissaient, et que par leur ensemble elles présentaient un palais de marbre lapis et bronze, richement orné de peintures et dorures, avec les armes de France et d’Espagne accompagnées de plusieurs trophées et attributs relatifs à la fête.

Ce bâtiment, dont le portique ou arcade faisait l’entrée de la rue du Cahernan, produisait un heureux effet ; le carrosse de Madame la Dauphine tourna à droite pour entrer sur les fossés où était le corps des six régiments des troupes bourgeoises. Elle passa sous un nouvel arc de triomphe, placé vis-à-vis les fenêtres de son appartement.

La rue des Fossés est très considérable, tant par sa longueur, qui est de plus de 400 toises, que par sa largeur, d’environ 80 pieds : on s’y replie sur la droite dans une allée d’ormeaux, qui règne au milieu et sur toute la longueur de la rue.

On avait élevé dans cette allée un superbe corps de bâtiment isolé, de 32 pieds en carré, sur 48 pieds de hauteur, qui répondait exactement aux fenêtres de l’appartement préparé pour Madame la Dauphine.

L’avantage de cette situation avait animé l’architecte à rendre ce morceau d’architecture digne des regards de l’auguste princesse pour laquelle il était destiné.

Cet ouvrage, qui formait un arc de triomphe, était ouvert en quatre faces par quatre arcades, chacune de 32 pieds de hauteur sur 16 pieds de largeur, dont les opposées étaient réunies par deux berceaux qui perçaient totalement l’édifice, et formaient par leur rencontre une voûte d’arête dans le milieu.

Ce bâtiment, quoique sans colonnes et sans pilastres, était aussi riche qu’élégant. Les ornements y étaient en abondance, et sans confusion ; le tout en sculpture de relief et en dorure, sur un fond de marbre de différentes couleurs.

Ces ornements consistaient en seize tables saillantes, couronnées de leurs corniches, et accompagnées de leurs chutes de festons.

Seize médailles entourées de palmes, avec les chiffres en bas-relief de Monseigneur le Dauphin et de Madame la Dauphine.

Quatre impostes avec leurs frises couronnaient les quatre corps solides sur lesquels reposait l’édifice, et entres lesquels étaient les arcades ou portiques, dont les voûtes étaient enrichies de compartiments de mosaïque, parsemés de fleurs-de-lis, et de tours de Castille dorées.

On avait suspendu sous la clé de la voûte d’arête une couronne de six pieds de diamètre, et de hauteur proportionnée, garnie de lauriers et de fleurs, avec des guirlandes dans le même goût : ouvrage que Madame la Dauphine pouvait apercevoir sans cesse de ses fenêtres.

Au-dessus des impostes et à côté de chaque archivolte, étaient deux panneaux refouillés et enrichis de moulures.

L’entablement qui couronnait cet édifice, était d’ordre composite, avec architrave, frise et corniche, enrichie de ses médaillons et rosettes, dont les profils et saillies étaient d’une élégante proportion.

Quatre écussons aux armes de France et d’Espagne étaient posés aux quatre clés des cintres, et s’élevaient jusqu’au haut de l’entablement. Ces armes étaient accompagnées de festons et chutes de fleurs.

L’édifice était terminé par des acrotères ou piédestaux couronnés de leurs vases, posés à l’aplomb des quatre angles, dont les intervalles étaient remplis de balustrades qui renfermaient une terrasse de 30 pieds en carré, sur quoi était élevée une pyramide de 40 pieds de hauteur, pour recevoir l’appareil d’un feu d’artifice qui devait être exécuté le soir de l’arrivée de Madame la Dauphine.

Cet édifice avait environ 86 pieds d’élévation, y compris la pyramide.

Madame la Dauphine entra enfin dans la cour de l’Hôtel-de-ville destiné pour son palais, pendant le séjour qu’elle ferait à Bordeaux.

A l’entrée de la cour, était l’élite d’un régiment des troupes bourgeoises, dont les jurats avaient composé la garde de jour et de nuit.

Les gardes de la porte et ceux de la prévôté occupaient la première salle de l’Hôtel-de-ville ; la porte de cette salle était gardée au-dehors par les troupes bourgeoises.

Les cent-suisses occupaient la seconde salle ; les gardes-du-corps la troisième.

Dans la quatrième, il y avait un dais garni de velours cramoisi, avec des galons et des franges d’or ; le ciel et le dossier étaient ornés dans leurs milieux des écussons des armes de France et d’Espagne, d’une magnifique broderie en or et argent ; sous ce dais, un fauteuil doré sur un tapis de pied, avec un carreau, le tout de même velours, garni de galons, glands, et crépines d’or.

La chambre de Madame la Dauphine était meublée d’une belle tapisserie, avec plusieurs trumeaux de glace, tables en consoles, lustres et girandoles ; on n’y avait pas oublié, non plus que dans la pièce précédente, le portrait de Monseigneur le Dauphin.

Les jurats revêtus de leurs robes de cérémonie, vinrent recevoir les ordres de Madame la Dauphine, et lui offrir les présents de la ville.

A l’entrée de la nuit il fut fait une illumination générale, tant dans la ville que dans les faubourgs ; et sur les huit heures on tira un feu d’artifice. On servit ensuite le souper de Madame la Dauphine, pendant lequel plusieurs musiciens placés dans une chambre voisine, exécutèrent des symphonies italiennes.

Le 28 la ville offrit des présents aux dames et aux seigneurs de la cour de Madame la Dauphine, et aux principaux officiers de sa maison.

A midi Madame la Dauphine se rendit à l’église métropolitaine, accompagnée des dames et seigneurs de sa cour, et des principaux officiers de sa maison.

Elle entra dans cette église par la porte royale, dont le parvis était jonché de fleurs naturelles.

On avait aussi fait orner cette porte de guirlandes de fleurs semblables, et on y avait mis les armes de France et d’Espagne, et de Monseigneur le Dauphin, celles du chapitre au-dessous.

Cette princesse fut haranguée par le doyen du chapitre, et conduite processionnellement jusqu’au milieu du chœur ; et quand la messe fut finie, le chapitre qui s’était placé dans les stalles, en sortit pour aller au milieu du chœur prendre Madame la Dauphine, et la précéder processionnellement jusqu’à la porte royale.

Ce jour elle reçut les compliments de toutes les cours : elle alla ensuite à l’opéra ; l’amphithéâtre était réservé pour cette princesse et sa cour.

On avait fait au milieu de la balustrade, sur la longueur de huit pieds, un avancement en portion de cercle de trois pieds de saillie ; Madame la Dauphine se plaça dans un fauteuil de velours cramoisi, sur un tapis de pied vis-à-vis cette saillie circulaire, qui était aussi couverte d’un tapis de pareil velours bordé d’un galon d’or.

Il y eut d’abord un prologue à l’honneur de Monseigneur le Dauphin et de Madame la Dauphine7 : ensuite on joua deux actes des Indes galantes, celui des Incas, et celui des Fleurs, et on y joignit deux ballets pantomimes ; et cette princesse sortant de l’opéra et rentrant par la principale porte de l’Hôtel-de-ville, trouva un nouveau spectacle : c’était un palais de l’Hymen illuminé.

Dans le fond de l’Hôtel-de-ville, en face de la principale entrée qui est sur la rue des Fossés, on avait construit un temple d’ordre ionique. Ce temple qui désignait le palais de l’Hymen, avait 90 pieds de largeur sur 45 pieds de hauteur, non compris le sommet du fronton.

Le porche était ouvert par six colonnes isolées, qui formaient un hexastyle.

Aux deux extrémités se trouvaient deux corps solides, flanqués par deux pilastres de chaque côté.

Les six colonnes et les quatre pilastres avec leurs entablements, étaient couronnés par un fronton de 71 pieds de long.

On montait dans ce porche de 61 pieds 6 pouces de long, sur 9 pieds de large, par sept marches de 59 pieds de long.

Les colonnes avaient 27 pieds de hauteur, 3 pieds de diamètre, et 6 pieds d’entrecolonne, appelé systyle.

La porte et les croisées à deux étages étaient en face des autres colonnes.

Le plafond du porche que portaient les colonnes, était un compartiment régulier de caisses carrées, coupées par des plates-bandes, ornées de moulures dans le goût antique.

Cet ouvrage était exécuté avec toute la sévérité et l’exactitude des règles de l’ordre ionique. Les colonnes, leurs bases, leurs chapiteaux, l’entablement, le fronton et le tympan enrichi de sculpture, représentaient les armes de France et d’Espagne ornées de festons : le tout en général était de relief, avec une simple couleur de pierre sur tous les bois et autres matières employées à la construction de ce palais. Les chambranles des croisées et de la porte, leurs plates-bandes et appuis ornés de leurs moulures, imitaient parfaitement la réalité ; les châssis des mêmes croisées étaient à petit bois, garnies de leurs carreaux de verre effectif, avec des rideaux couleur de feu qui paraissaient au derrière. Les deux vantaux de la porte étaient d’assemblage, avec panneaux en saillie sur leurs bâtis, les cadres avec leurs moulures de relief, pour recevoir des emblèmes qui furent peints en camaïeu. Tout était si bien concerté, que cet ouvrage pouvait passer pour un chef d’œuvre.

Au milieu de l’entablement de ce palais était une table avec un cadre doré, qui occupait en hauteur celle de l’architrave et de la frise, et en largeur celle de quatre colonnes. Elle renfermait en lettres dorées, l’inscription suivante : Ad honorem connubii augustissimi et felicissimi Ludovici Delphini Franciæ, et Mariæ Theresia Hispaniæ, hoc ædificium erexit et dedicavit civitas Burdigalensis 8.

En face de l’édifice sur chacun des deux corps solides, était un médaillon renfermant un emblème. Celui de la droite représentait deux lis, qui fleurissent d’eux-mêmes et sans culture étrangère ; ce qui faisait allusion au prince et à la princesse, en qui le sang a réuni toutes les grâces et toutes les vertus. Cela était exprimé par l’inscription, nativo cultu florescunt.

L’emblème de la gauche représentait deux amours qui soutenaient les armes de France et d’Espagne, avec ces mots, propagini imperii gallicani, à la gloire de l’empire français.

Un troisième médaillon qui couronnait la porte d’entrée du palais, renfermait un emblème qui représentait deux mains jointes tenant un flambeau allumé, avec l’inscription, fides et ardor mutuus, l’union et la tendresse mutuelle de deux époux.

Sur les retours des corps solides, dans l’intérieur du porche, étaient deux autres médaillons sans emblème : au premier, amor aquitanicus : au second, fidelitas aquitanica : l’amour et la fidélité inviolables de la Guyenne.

La façade sous le porche était éclairée d’un grand nombre de pots-à-feu non apparents, et attachés près-à-près au derrière des colonnes, depuis leur base jusqu’à leur chapiteau ; ce qui lui donnait un éclat très brillant. Les corniches du fronton et celles de tout l’entablement, étaient aussi illuminées de quantité de terrines, dont les lumières produisaient un fort bel effet.

Lorsque la princesse fut dans son appartement, elle vit l’illumination de l’arc de triomphe, placé vis-à-vis ses fenêtres. On fit les mêmes illuminations les vendredi, samedi, et dimanche suivants, et chaque fois dans un goût différent.

Après le souper de Madame la Dauphine, il y eut un bal dans la salle de spectacle ; et comme cette salle fait partie de l’Hôtel-de-ville, elle s’y rendit par la porte de l’intérieur.

Le 29 Madame la Dauphine, suivie de toute sa cour, sortit de l’Hôtel-de-ville en carrosse à huit chevaux, pour se rendre sur le port de Bordeaux, et y voir mettre à l’eau un vaisseau percé pour 22 canons, du port d’environ 350 tonneaux.

Sur le chemin que cette princesse devait faire pour aller au port, à l’extrémité de la rue des Fossés, à quelque distance de la porte de la ville, on avait élevé une colonne d’ordre dorique de 6 pieds de diamètre, de 50 pieds de hauteur compris sa base et son chapiteau.

Le piédestal qui avait 18 pieds de hauteur, était orné, sur les quatre angles de sa corniche, de quatre dauphins et autres attributs ; ses quatre faces étaient décorées de tables avec moulures, qui renfermaient quatre inscriptions ; la première en français, la seconde en espagnol, la troisième en italien, et la quatrième en latin.

Au haut du chapiteau, un amortissement de 8 pieds de haut, sur lequel était posé un globe de 6 pieds de diamètre : ce globe était d’azur, parsemé de fleurs de lis et de tours de Castille.

On avait placé au-dessus de ce globe un étendard de 20 pieds de hauteur, sur 30 pieds de largeur, où étaient les armes de France et d’Espagne.

Cette colonne était feinte de marbre blanc veiné, ainsi que le piédestal ; les moulures, ornements, vases, et chapiteaux, étaient en dorure, et toutes ces hauteurs réunies formaient une élévation de 102 pieds.

Madame la Dauphine s’arrêta auprès de cette colonne, tant pour la considérer que pour lire les quatre inscriptions composées en quatre différentes langues.

Elle alla ensuite sur le port, et fut placée dans un fauteuil sous une espèce de pavillon tapissé, couvert d’un voile, dont les bords étaient garnis d’une guirlande de laurier.

Le vaisseau ayant été béni, Madame la Dauphine lui donna son nom, et sur le champ il fut lancé à l’eau.

Madame la Dauphine, après avoir admiré quelque temps ce point de vue, fut conduite dans une salle où les officiers de la bouche avaient préparé sa collation.

La princesse se retira ensuite aux flambeaux, et se rendit à l’Hôtel des Fermes du roi.

Cet hôtel compose une des façades latérales de la place royale, construite sur le bord de la Garonne ; il avait été fait pour en illuminer les façades extérieures et intérieures ; de grands préparatifs ne purent réussir ce jour-là, quant à la façade extérieure, parce qu’un vent de nord violent qui y donnait directement, éteignait une partie des lampions et des pots-à-feu à mesure qu’on les allumait. La même raison empêcha que l’illumination des vaisseaux que les jurats avaient ordonnée, et que Madame la Dauphine devait voir de cet hôtel, ne pût être exécutée.

Quant à la façade intérieure, comme elle se trouvait à l’abri du vent, l’illumination y eut un succès entier.

Les préparatifs n’avaient pas été moindres pour le dedans de la maison ; on avait garni les piliers des voûtes, les escaliers, les plafonds, et les corridors d’une infinité de placards à double rang, portant chacun deux bougies.

Les appartements du premier étage destinés pour recevoir Madame la Dauphine et toute sa cour, étaient richement meublés et éclairés par quantité de lustres qui se répétaient dans les glaces.

Dans une chambre à côté de celle de la princesse, étaient les plus habiles musiciens de la ville, qui exécutèrent un concert dont Madame la Dauphine parut satisfaite.

On avait servi une collation avec des rafraîchissements, dans une autre chambre de l’appartement.

La princesse qui était arrivée vers les six heures à l’Hôtel des Fermes, y resta jusqu’à huit heures.

Le soir Madame la Dauphine alla au bal, habillée en domino bleu ; elle se plaça dans la même loge et en même compagnie que le jour précédent, et honora l’assemblée de sa présence pendant plus de deux heures.

Le même jour la princesse honora pour la seconde fois de sa présence l’opéra ; elle était placée comme la première fois, et les mêmes personnes eurent l’honneur d’être admises à l’amphithéâtre : on joua l’opéra d’Issé sans prologue, et à cette représentation parut une décoration qui venait d’être achevée sur les desseins et par les soins du chevalier Servandoni.

Le 31 Janvier elle y alla pour la troisième fois, et l’on représenta l’opéra d’Hippolyte et Aricie.

Le soir il fut déclaré qu’elle partirait sûrement le lendemain à 6 heures et demie précises du matin.

Le lendemain, au moment que Madame la Dauphine sortait de son appartement, les jurats revêtus de leurs robes de cérémonie, eurent l’honneur de lui rendre leurs respects, et de la supplier d’accepter la maison navale, que la ville avait fait préparer pour son voyage, et que cette princesse eut la bonté d’accepter.

Cette maison navale était en forme de char de triomphe ; le corps de la barque, du port de quarante tonneaux, était enrichi de bas-reliefs en dorure sur tout son pourtour ; la proue l’était d’un magnifique éperon, représentant une renommée d’une attitude élégante ; les porte-vergues étaient ornées de fleurs-de-lis et de tours ; le haut de l’étrave terminé par un dauphin ; la poupe décorée sur toute la hauteur et la largeur, des armes de France et d’Espagne, avec une grande couronne en relief ; les bouteilles étaient en forme de grands écussons aux armes de France, dont les trois fleurs-de-lis étaient d’or sur un fond d’azur, le tout de relief ; les préceintes formaient comme de gros cordons de feuilles de laurier, aussi en bas-relief en dorure ; le restant de la barque jusqu’à la flottaison, était doré en plein et chargé de fleurs-de-lis et de tours en relief.

La chambre de 20 pieds de longueur sur 10 pieds de largeur, était percée de huit croisées garnies de leurs châssis à verre, à deux rangs de montants ; il y avait trois portes aussi avec leurs châssis, pareils à ceux des croisées ; tout l’intérieur, ainsi que le dessous de l’impériale, était garni de velours cramoisi enrichi de galons et de crépines d’or, avec un dais placé sur l’arrière, sur une estrade de 8 pieds de profondeur et de la largeur de la chambre, du surplus de laquelle elle était séparée par une balustrade dorée en plein, ouverte dans son milieu pour le passage.

Le ciel et le dossier du dais étaient enrichis dans leur milieu de broderie ; il y avait sous ce dais un fauteuil et un carreau aussi de velours cramoisi, avec des glands et galons d’or.

Le dessus de l’impériale était d’un fond rouge parsemé de fleurs-de-lis et de tours de relief, toutes dorées ; ce qui formait une mosaïque d’une beauté singulière.

Les deux épis étaient ornés d’amortissements en sculpture, et les quatre arêtiers l’étaient de quatre dauphins, dont les têtes paraissaient sur l’aplomb des quatre angles de l’entablement, et leurs queues se réunissaient aux deux épis : le tout de relief et dorure.

Les trumeaux d’entre les croisées et portes étaient ornés extérieurement de chutes de festons ; le dessus des linteaux, tant des croisées que des portes, ornés aussi d’autres festons, le tout de relief et dorés en plein ; une galerie de 2 pieds 6 pouces de largeur, bordée d’une balustrade, dont les balustrades, le socle, et l’appui étaient également dorés en plein, entourait la chambre qui était isolée ; ce qui ajoutait une nouvelle grâce à ce bâtiment naval, dont la décoration avait été ménagée avec prudence et sans confusion.

Il était remorqué par quatre chaloupes peintes ; le fond bleu, les préceintes, et les carreaux dorés.

Dans chaque chaloupe étaient vingt matelots, un maître de chaloupe, et un pilote, habillés d’un uniforme bleu, garni d’un galon d’argent, ainsi que les bonnets qui étaient de même couleur.

Les rames étaient peintes, le fond bleu, avec des fleurs-de-lis en or et des croissants en argent, qui font partie des armes de la ville.

Il y avait aussi une chaloupe pour la symphonie, qui était armée comme celles de remorque.

Enfin dans la maison navale il y avait deux premiers pilotes, quatre autres pour faire passer la voix, et six matelots pour la manœuvre.

Avant sept heures Madame la Dauphine se rendit sur le port dans sa chaise ; elle fut portée jusque sur un pont préparé pour faciliter l’embarquement. Les jurats y étaient en robes de cérémonie, avec un corps de troupes bourgeoises.

Cette princesse étant sortie de sa chaise, le comte de Rubempré, alors malade, prit sa main gauche, et elle donna sa main droite à M. de Ségur sous maire de Bordeaux. Elle entra ainsi suivie de toute sa cour dans la maison navale, dans laquelle étaient l’intendant de la province et sa suite, le corps de ville, l’ordonnateur de la marine, etc.

Au départ de la princesse, l’air retentit des vœux que faisait pour elle une multitude prodigieuse de peuple, répandu sur le rivage, dans les vaisseaux et dans les bateaux du port.

Une batterie de canon, que les jurats avaient fait placer environ cent pas au-dessous du lieu de l’embarquement, fit une salve qui servit de signal pour celle du premier vaisseau ; celle-ci pour celle du second, et successivement jusqu’au dernier : ces vaisseaux, tant français qu’étrangers, tous pavoisés, pavillons et flammes dehors, étaient rangés sur deux lignes : ces salves différentes furent réitérées, aussi bien que celles des trois châteaux, qui furent faites chacune en son temps.

Une chaloupe remplie de symphonistes, tournait sans cesse autour de la maison navale ; mais ce n’était pas le seul bateau qui voltigeait ; il y en avait autour d’elle quantité d’autres de toute espèce, et différemment ornés, qui faisaient de temps en temps des salves de petits canons.

Dans la distance qu’il y a du Bout des Chartreux à la Traverse de Lormont, le temps était si calme et la marée si belle, qu’on se détermina à continuer la route de la même manière jusqu’à Blaye.

La navigation continua ainsi par le plus beau temps du monde : on arriva insensiblement au lieu appelé le Bec d’Ambés, où les deux rivières, de Garonne et Dordogne, se réunissent, et où commence la Gironde ; l’eau était très calme, Madame la Dauphine alla sur la galerie, et y demeura près d’un quart d’heure à considérer les différents tableaux dont la nature a embelli cet admirable point de vue.

Lorsque Madame la Dauphine fut rentrée, les députés du corps de ville de Bordeaux lui demandèrent la permission de lui présenter un dîner que la ville avait fait préparer, et d’avoir l’honneur de l’y servir ; ce que Madame la Dauphine ayant eu la bonté d’agréer, suivant ce qui s’était pratiqué lors du passage de sa Majesté catholique, père de cette princesse, la cuisine de la ville aborda la maison navale, et celle de la bouche qui avait suivi depuis Bordeaux, se retira.

Au signal qui fut donné, les chaloupes de remorque levèrent les rames, soutenant seulement de la chaloupe de devant, pour tenir les autres en ligne.

M. Cazalet eut l’honneur d’entrer dans l’intérieur de la chambre de Madame la Dauphine, séparée du reste par une balustrade, de mettre le couvert, et de présenter le pain ; les deux autres députés se joignirent à lui, et ils eurent l’honneur de servir ensemble Madame la Dauphine, et de lui verser à boire.

On se trouva au port à la fin du dîner, après l’abordage la princesse sortit sur un pont que les jurats de Bordeaux avaient fait construire ; le comte de Rubempré tenant sa main gauche, M. Cazalet ayant l’honneur de tenir la droite, elle se mit dans sa chaise pour se rendre à l’hôtel qui lui était préparé.

On voit par ces détails ce que le génie et le zèle peuvent unis ensemble. On ne vit à Bordeaux, pendant le séjour de Madame la Dauphine, que des réjouissances et des acclamations de joie ; ce n’était que fêtes continuelles dans la plupart des maisons. Le premier président du parlement et l’intendant donnèrent l’exemple ; ils tinrent soir et matin des tables aussi délicatement que magnifiquement servies.

Le corps de ville de Bordeaux tint aussi matin et soir des tables très délicates, et tout s’y passa avec cette élégance aimable, dont le goût sait embellir les efforts de la richesse. (B)

Fêtes des Princes de France

Fêtes des Princes de France. Nos princes, dans les circonstances du bonheur de la nation, signalent souvent par leur magnificence leur amour pour la maison auguste dont ils ont la gloire de descendre, et se plaisent à faire éclater leur zèle aux yeux du peuple heureux qu’elle gouverne.

C’est cet esprit dont tous les Bourbons sont animés, qui produisit lors du sacre du Roi en 1725, ces fêtes éclatantes à Villers-Cotterêts, et à Chantilly, dont l’idée, l’exécution et le succès furent le chef-d’œuvre du zèle et du génie. On croit devoir en rapporter quelques détails qu’on a rassemblés d’après les mémoires du temps.

Le Roi après son sacre partit de Soissons le 2 de Novembre 1722 à dix heures du matin, et il arriva à Villers-Cotterêts sur les trois heures et demie, par la grande avenue de Soissons. On l’avait ornée dans tous les intervalles des arbres, de torchères de feuillée portant des pots à feu. L’avenue de Paris, qui se joint à celle-ci dans le même alignement, faisant ensemble une étendue de près d’une lieue, était décorée de la même manière.

Première journée. Après que Sa Majesté se fut reposée un peu de temps, elle parut sur le balcon qui donne sur l’avant-cour du château.

Cette avant-cour est très vaste, tous les appartements bas étaient autant de cuisines, offices et salles à manger ; ainsi pour la dérober à la vue, et à trois toises de distance, on avait élevé deux amphithéâtres longs de seize toises sur vingt pieds de hauteur, distribués par arcades, sur un plan à pan coupé et isolé. Les gradins couverts de tapis, étaient placés dans l’intervalle des avant-corps ; les parois des amphithéâtres étaient revêtues de feuillées, qui contournaient toutes les architectures des arcades, ornées de festons et de guirlandes, et éclairées de lustres, chargés de longs flambeaux de cire blanche. Des lumières arrangées ingénieusement sous différentes formes, terminaient ces amphithéâtres.

Au milieu de l’avant-cour on avait élevé entre les deux amphithéâtres une espèce de terrasse fort vaste, qui devait servir à plusieurs exercices, et on avait ménagé tout autour des espaces très larges pour le passage des carrosses, qui pouvaient y tourner partout avec une grande facilité. A six toises des quatre encoignures, on avait établi quatre tourniquets à courir la bague, peints et décorés d’une manière uniforme.

Pour former une liaison agréable entre toutes ces parties, on avait posé des guéridons de feuillées chargées de lumières, qui conduisaient la vue d’un objet à l’autre par des lignes droites et circulaires. Ces guéridons lumineux étaient placés dans un tel ordre, qu’ils laissaient toute la liberté du passage.

Quand le Roi fut sur son balcon, ayant auprès de sa personne une partie de sa cour, le reste alla occuper les fenêtres du corps du château, qui, aussi bien que les ailes, était illuminé avec une grande quantité de lampions et de flambeaux de cire blanche : ces lumières rangées avec art sur les différentes parties de l’architecture, produisaient diverses formes agréables et une variété infinie.

L’arrivée de Sa Majesté sur son balcon, fut célébrée par l’harmonie bruyante de toute la symphonie, placée sur les amphithéâtres, et composée des instruments les plus champêtres et les plus éclatants : car dans cet orchestre, qui réunissait un très grand nombre de violons, de hautbois et de trompettes marines, on comptait plus de quarante cors de chasse. Les tourniquets à courir la bague, occupés par des dames supposées des campagnes et des châteaux voisins, et par des cavaliers du même ordre, divertirent d’abord le Roi. Les danseurs de corde commencèrent ensuite leurs exercices, au son des violons et des hautbois : dans les vides de ce spectacle, les trompettes-marines et les cors de chasse se joignaient aux violons et aux hautbois, et jouaient les airs de la plus noble gaieté. La joie régnait souverainement dans toute l’assemblée, et les sauteurs pendant ce temps l’entretenaient par leur souplesse et par les mouvements variés de la plus surprenante agilité.

Après ce divertissement, le Roi voulut voir courir la bague de plus près ; alors les tourniquets furent remplis de jeunes princes et seigneurs, qui briguèrent l’emploi d’amuser Sa Majesté, parmi lesquels le duc de Chartres, le comte de Clermont, le grand-Prieur et le prince de Valdeik, le duc de Retz, le marquis d’Alincourt, le chevalier de Pesé, se distinguèrent.

Après avoir été témoin de leur adresse, le Roi remonta et se mit au jeu. Des que la partie du Roi fut finie, les Comédiens-Italiens donnèrent un impromptu comique, composé des plus plaisantes scènes de leur théâtre, que Lélio avait rassemblées, et qui réjouirent fort Sa Majesté.

Tous les gens de goût sont d’accord sur la beauté de l’ordonnance du parc et des jardins de Villers-Cotterêts : le parterre, la grande allée du parc, et les deux qui sont à droite et à gauche du château, furent illuminées par une quantité prodigieuse de pots-à-feu. Tous les compartiments, dessinés par les lumières, ne laissaient rien échapper de leurs agréments particuliers.

Sa Majesté descendit pour voir de plus près l’effet de cette magnifique illumination. Tout d’un coup l’attention générale fut interrompue par le son des hautbois et des musettes ; les yeux se portèrent aussitôt où les oreilles avertissaient qu’il se présentait un plaisir nouveau. On aperçut au fond du parterre, à la clarté de cent flambeaux, portés par des faunes et des satyres, une noce de village, qui avançait en dansant vers la terrasse, sur laquelle le Roi était ; Thévenard marchait à la tête de la troupe, portant un drapeau. La noce rustique était composée de danseurs et de danseuses de l’Opéra. Dumoulin et la Prévost représentaient le marié et la mariée. Ce petit ballet fut suivi du souper du Roi et de son coucher.

M. le régent, M. le duc de Chartres, et les grands officiers de leurs maisons, tinrent les différentes tables nécessaires à la foule de grands seigneurs et d’officiers qui formaient la cour de Sa Majesté ; il y eut pendant tout son séjour quatre tables de trente couverts, vingt-une de vingt-cinq, douze de douze, toutes servies en même temps et avec la plus exquise délicatesse.

On calcula dans le temps, que l’on servait à chaque repas, 5916 plats.

Seconde journée ; chasse du sanglier. Le mardi 3 Novembre, une triple salve de l’artillerie et des boîtes annonça le lever de Sa Majesté ; après la messe, elle descendit pour se rendre à l’amphithéâtre qui avait été dressé dans le parc, où S. M. devait prendre le plaisir d’une chasse de sanglier dans les toiles. Les princes du sang et les principaux officiers de S. M. le suivirent : l’équipage du Roi pour le sanglier, commandé par le marquis d’Ecquevilly, qui en est capitaine, devait faire entrer plusieurs sangliers dans l’enceinte qu’on avait formée près du jardin de l’orangerie.

Pour placer le Roi et toute sa cour, on avait construit trois galeries découvertes dans la partie intérieure de l’avenue, et sur son alignement, à commencer depuis la grille jusqu’à la contre-allée du parterre. La galerie du milieu préparée pour le Roi avait douze toises de longueur et trois de largeur ; on y montait sept marches par un escalier à double rampe qui conduisait à un repos, d’où l’on montait sept autres marches de front, qui conduisaient sur le plancher. Cette galerie était ornée de colonnes de verdure, dont les entablements s’unissaient aux branches des arbres de l’avenue, et formaient une architecture rustique plus convenable à la fête, que le marbre et les lambris dorés. Cette union des entablements et des arbres ressemblait assez à un dais qui servait de couronnement à la place du Roi. Le plancher était couvert de tapis de Turquie, ainsi que les balustrades ; un tapis de velours cramoisi, brodé de grandes crépines d’or, distinguait la place de S. M. Tout le pourtour de cet édifice, et les rampes des escaliers, étaient revêtus de feuillées.

Aux deux côtés, et à neuf pieds de distance de cette grande galerie, on en avait construit deux autres plus étroites et moins élevées pour le reste des spectateurs, qui ne pouvaient pas tous avoir place sur la galerie du Roi. Ces deux galeries étaient décorées de feuillages comme la grande, et toutes les trois étaient d’une charpente très solide, et dont l’assemblage avait été fait avec des précautions infinies, pour prévenir les moindres dangers.

Dès que le Roi fut placé, on lâcha l’un après l’autre cinq sangliers dans les toiles. Cette chasse fut parfaitement belle. Le comte de Saxe, le prince de Valdeik, et quelques autres seigneurs français y firent éclater leur adresse et leur intrépidité ; ils entrèrent dans les toiles armés seulement d’un couteau de chasse et d’un épieu.

Le comte de Saxe se distingua beaucoup dans cette chasse. Le Roi ayant blessé un sanglier d’un dard qu’il lui lança, le comte de Saxe l’arracha d’une main du corps de l’animal, que sa blessure rendait plus redoutable, tandis que de l’autre main il en arrêta la fureur et les efforts. Il en poursuivit ensuite un autre qu’il irrita de cent façons différentes : lorsqu’il crut avoir poussé sa rage jusqu’au dernier excès, il feignit de fuir ; le sanglier courut sur lui, il se retourna et l’attendit ; appuyé d’une main sur son épieu, il tenait de l’autre son couteau de chasse. Le sanglier furieux s’élance sur lui ; dans le moment l’intrépide chasseur lui enfonce son couteau de chasse au milieu du front, l’arrête ainsi et le renverse.

Cette chasse, qui divertit beaucoup S. M. et toute la cour, dura jusqu’à une heure après midi, que le Roi rentra pour dîner.

Chasse du cerf. Après le dîner, S. M. monta en calèche au bas de la terrasse ; les princes, toute la cour, le suivirent à cheval.

Le cerf fut chassé pendant plus de deux heures par la meute du Roi ; le comte de Toulouse, grand veneur de France, en habit uniforme, piquant à la tête. S. M. parcourut toutes les routes du parc : la chasse passa plusieurs fois devant sa calèche ; et le cerf, après avoir tenu très longtemps devant les chiens, alla donner de la tête contre une grille, et se tua.

Le Roi revint sur les cinq heures dans son appartement, et changea d’habit pour aller à la foire.

Salle de la foire. La foire que M. le duc d’Orléans avait fait préparer avec magnificence, était établie dans la cour intérieure du château ; elle est carrée et bâtie sur un dessein semblable à l’avant-cour.

Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de trouver ici quelque détail de cette foire galante : l’idée en est riante et magnifique, et peut lui poindre quelques-uns de ces traits saillants du génie aussi vaste qu’aimable du grand prince qui l’avait imaginée.

On avait laissé de grands espaces qui avaient la forme de rues, tout autour de la cour, entre les boutiques et le milieu du terrain, qu’on avait parqueté et élevé seulement d’une marche : ce milieu était destiné à une salle de bal ; et on n’avait rien oublié de ce qui pouvait la rendre aussi magnifique que commode.

La salle n’était séparée de ces espèces de rue que par une banquette continue, couverte de velours cramoisi. Toute la cour qui renfermait cette foire était couverte de fortes bannes soutenues par des travées solides, qui servaient encore à suspendre vingt-quatre lustres. Toutes les différentes parties de cette foire étaient ornées d’une très grande quantité de lustres ; et ces lumières réfléchies sur de grands miroirs et trumeaux de glaces, étaient multipliées à l’infini.

On entrait dans cette foire par quatre passages qui répondaient aux escaliers du château ; ce lieu n’étant point carré, et se trouvant plus long que large, les deux faces plus étroites étaient remplies par deux édifices élégants, et les deux autres faces étaient subdivisées en boutiques, séparées au milieu par deux petits théâtres.

En entrant de l’avant-cour dans la foire, on rencontrait à droite le théâtre de la comédie italienne, qui remplissait seul une des faces moins larges de la cour. Il était ouvert par quatre pilastres peints en marbre blanc, cantonnés de demi-colonnes d’arabesque et de cariatides de bronze doré, qui portaient une corniche dorée, d’où pendait une pente de velours à crépines d’or, chargée de festons de fleurs : au-dessus régnait un piédestal en balustrade de marbre blanc à moulure d’or, orné de compartiments, de rinceaux de feuilles entrelacées et liées avec des girandoles chargées de bougies.

On voyait au haut de ce théâtre les armes du Roi groupées avec des guirlandes de fleurs ; le chiffre de S. M. figuré par deux L L entrelacées, paraissait dans deux cartouches qui couronnaient les deux ouvertures faites aux deux côtés du théâtre pour le passage des acteurs ; ces deux passages étaient doublés d’une double portière de damas cramoisi à crépines d’or, festonnant sur le haut. Ce théâtre élevé seulement de trois pieds du rez-de-chaussée représentait un temple de Bacchus dans un jardin à treillages d’or, couvert de vignes et de raisins. On voyait la statue du dieu en marbre blanc, qu’environnaient les satyres en lui présentant leurs hommages.

Le théâtre italien était occupé par deux acteurs et une actrice, Arlequin, Pantalon, et Silvia, qui, par des saillies italiennes et des scènes réjouissantes, commençaient les plaisirs qu’on avait répandus à chaque pas dans ce séjour.

Toutes les boutiques de cette foire brillante étaient séparées par deux pilastres de marbre blanc, de l’entre-deux desquels sortaient trois bras en hauteur, à plusieurs branches, garnis de bougies jusqu’au bas de la balustrade. Ces pilastres étaient cantonnés de colonnes arabesques, portants des vases de bronze doré, d’où paraissaient sortir des orangers chargés d’une quantité prodigieuse de fruits et de fleurs ; ils étaient alignés sur les galeries qui régnaient sur tout l’édifice autour de la foire.

Immédiatement au-dessus des boutiques, qui avaient environ huit pieds de profondeur et quinze à seize de hauteur, régnait tout autour la balustrade dont il a été parlé : à chaque côté des orangers, qui étaient deux à deux, il y avait une girandole garnie de bougies en pyramide ; et entre chaque groupe d’orangers et de girandoles, il y avait un ou plusieurs acteurs et actrices de l’Opéra, appuyés sur la balustrade, masqués en domino ou autre habit de bal, dont les couleurs étaient très éclatantes ; ce qui formait le tableau en même temps le plus surprenant et le plus agréable.

Chaque boutique était éclairée par quantité de bras à plusieurs branches et par deux lustres à huit bougies, qui se répétaient dans les glaces. A celles qui étaient destinées pour la bouche, il y avait de plus des buffets rangés avec art et garnis de girandoles. Toutes les boutiques avaient pour couronnement un cartouche qui contenait en lettres d’or le nom du marchand le plus connu de la cour, par rapport à la marchandise de la boutique. Les supports des cartouches étaient ornés des attributs qui pouvaient caractériser chaque négoce dans un goût noble. Les musiciens et musiciennes, danseurs et danseuses de l’Opéra, vêtus d’habits galants faits d’étoffes brillantes, et cependant convenables aux marchands qu’ils représentaient, y distribuaient généreusement et à tous venant leur marchandise. La première boutique était celle du pâtissier, sous le nom de Godart ; elle était meublée d’un cuir argenté : le fond séparé au milieu par un trumeau de glace, laissait voir dans ses côtés le lieu destiné au travail du métier, avec tous les ustensiles nécessaires ; la Thierry, danseuse, représentait la pâtissière ; elle avait pour garçons Malterre et Javilliers, qui habillés de toile d’argent, et portant des clayons chargés de ratons tout chauds, couraient vite les débiter dans la foire. Cette boutique était garnie de toute sorte de pâtisserie fine.

La boutique suivante avait pour inscription Perdrigeon ; elle était meublée d’une tenture de brocatelle de Venise, et de glaces, et garnie de dragonnes brodées en or et en argent, nœuds d’épée et de cannes, ceinturons et bonnets brodés richement ; les rubans de toutes sortes de couleurs et d’or et d’argent, les plus à la mode et du meilleur goût, y pendaient en festons de tous côtés : le maître et la maîtresse de la boutique étaient représentés par Dumoulin danseur, et par la Rey, danseuse.

La troisième boutique était un café ; on lisait dans le cartouche le nom de Benachi. Elle était tendue d’un beau cuir doré avec des buffets chargés de tasses, soucoupes, et cabarets du Japon et des Indes, et de girandoles de lumières qui se répétaient dans les trumeaux. Corbie et Julie, chanteur et chanteuse, déguisés en turc et turquesse, ainsi que Deshayes, chanteur, qui leur servait de garçon, distribuaient le café, le thé, et le chocolat.

La quatrième boutique élevée en théâtre d’opérateur, était inscrite, le docteur Barry. La forme de ce théâtre représentait une place publique et les rues adjacentes. Scapin en opérateur, Trivelin son garçon, Paqueti en aveugle, et Flaminia femme de l’opérateur, remplissaient ce théâtre, et contrefaisaient parfaitement le manège et l’éloquence des arracheurs de dents.

La cinquième boutique représentait un ridotto de Venise. Le meuble était de velours ; les trumeaux et les bougies y étaient répandus avec profusion. On voyait plusieurs tables de bassette et de pharaon, tenues par des banquiers bien en fonds, et tous masqués à la vénitienne : c’étaient des courtisans, qui se démasquèrent d’abord que le Roi parut.

La sixième, intitulée Ducreux et Baraillon, avait pour marchande la Duval, danseuse ; et pour marchandise, des masques, des habits de bal, et des dominos de toutes les couleurs et de toutes les tailles.

Dans la septième, où étaient Saint-Martin et la Souris la cadette, habillés à l’allemande, on montrait un tableau changeant, d’une invention et d’une variété très ingénieuse ; et un veau vivant ayant huit jambes. Cette loge était meublée de damas, et s’appelait cadet.

On se trouvait, en tournant, en face de la cour opposée à celle que remplissait le théâtre de la comédie italienne. Elle était décorée de la même ordonnance dans les dehors ; le dedans figurait une superbe boutique de faïencier, meublée de damas cramoisi, et remplie de tablettes chargées de cristaux rares et singuliers, et de porcelaines fines, des plus belles formes, de la Chine, du Japon et des Indes, qui faisaient partie des lots que le Roi devait tirer. Javilliers père, et la Mangot, en hollandais et hollandaise, occupaient cette riche boutique, qui avait pour inscription, Messager.

La première boutique après le magasin de porcelaine, en tournant toujours à droite, était la loge des joueurs de gobelets, habitée par eux-mêmes, et meublée de drap d’or, avec des glaces. Dans le cartouche étaient les noms de Baptiste et de Dimanche, fameux alors par leurs tours d’adresse.

La seconde, intitulée Lesgu et la Frenaye, et dont les officiers de M. le duc d’Orléans faisaient les honneurs, était la bijouterie ; elle était meublée de moire d’or, avec une pente autour, relevée en broderie d’or et ornée de glaces. Cette boutique était remplie de tout ce que l’on peut imaginer en bijoux précieux, exposés sur des tablettes ; d’autres étaient renfermés dans des coffres de vernis de la Chine, mêlés de curiosités indiennes.

La troisième, portant le nom de Fredoc, était l’académie des jeux de dés, du biribi et du hoca, meublée d’un gros damas galonné d’or.

La quatrième, faisant face au théâtre de l’opérateur, était un jeu de marionnettes qui avait pour titre, Brioché.

La cinquième, nommée Procope, était meublée d’un cuir argenté, et ornée de buffets, de trumeaux, de glaces et de girandoles ; elle était destinée pour la distribution de toutes les liqueurs fraîches, et des glaces. Buzeau en arménien, et la Pérignon en arménienne, présidaient à cette distribution.

La sixième, tendue de brocatelle, s’appelait Bréard ; Dumirail, danseur, en était le maître, et y débitait les ratafia, rossoli, et liqueurs chaudes de toutes les sortes.

La dernière, qui se trouvait dans l’encoignure, près du théâtre italien, était enfin intitulée, M. Blanche, et occupée par la Souris l’aînée, et la du Coudray, marchandes de dragées et de toutes sortes de confitures fines.

Un grand amphithéâtre paré de tapis et bien illuminé, régnait tout le long et au-dessus du théâtre de la comédie italienne : il était rempli par une quantité prodigieuse d’excellents symphonistes.

Le dessus de la loge intitulée Messager, située en face, était aussi couronné par un semblable amphithéâtre, où étaient placés les musiciens et musiciennes, danseurs et danseuses qui n’avaient point d’emploi dans les boutiques de la foire, déguisés en différents caractères sérieux, galants et comiques.

La galerie ornée d’orangers et de girandoles, qui avait bien plus de profondeur aux faces qu’aux ailes, servait comme de base et d’accompagnement à ces deux amphithéâtres, et rendait le point de vue d’une beauté et d’une singularité inexprimables. Tel est toujours l’effet des beaux contrastes.

Le Roi suivi de sa cour, entrant dans ce lieu enchanté, s’arrêta d’abord au théâtre de la comédie italienne, où Arlequin, Pantalon et Silvia ne firent pas des efforts inutiles pour divertir Sa Majesté : elle se rendit de-là aux marionnettes, et ensuite aux jeux ; s’y amusa quelque temps, et joua au hoca et au biribi. Après le jeu, le Roi alla au théâtre du docteur Barry : Scapin commença sa harangue, que Trivelin expliquait en français, pendant que Flaminia présentait au Roi, dans un mouchoir de soie, les raretés que lui offrait l’opérateur. Des tablettes garnies d’or, et d’un travail fini, furent le premier bijou qui lui fut offert ; Scapin l’accompagna de ce discours qu’il adressa au Roi :

Voilà des tablettes qui renferment le trésor de tous les trésors, Sa Majesté y trouvera l’abrégé de tous mes secrets ; le papier qui les contient est incorruptible, et les secrets impayables.

Flaminia eut encore l’honneur de présenter deux autres bijoux au Roi ; un cachet précieux et d’une gravure parfaite, composé d’une grosse perle ; et d’une antique, avec un petit vase d’une pierre rare, et garni d’or. Scapin fit à chaque présent un commentaire, à la manière des vendeurs d’orviétan. On distribua ainsi aux princes et aux seigneurs de la cour, des bijoux d’or de toute espèce.

Sa Majesté continua sa promenade et fit plusieurs tours dans la foire, pour jouir des divers tours et propos dont les marchands et les marchandes se servent à Paris pour attirer les chalands dans leurs boutiques. Leurs cris, en effet, et leurs empressements à étaler et à faire accepter leurs marchandises, imitaient parfaitement, quoiqu’en beau, le tumulte, le bruit et l’espèce de confusion qu’on trouve dans les foires Saint-Germain et Saint-Laurent, dans les temps où elles sont belles. Enfin le Roi, après avoir été longtemps diverti par la variété des spectacles et des amusements de la foire, entra dans la boutique de Lesgu et la Frenaye, et tira lui-même une loterie qui, en terminant la fête, surpassa toute la magnificence qu’elle avait étalée jusqu’à ce moment, en faisant voir l’élégance, la quantité et la richesse des bijoux qui furent donnés par le sort à toute la cour, et à toute la suite qu’elle avait attirée à Villers-Cotterêts.

Cette loterie, la plus fidèle qu’on ait jamais tirée, occupa Sa Majesté jusqu’à près de neuf heures du soir. Alors le Roi passa sur le parquet de la salle du bal, située au milieu de la foire, et se plaça dans un fauteuil vers le théâtre de la comédie italienne : les princes se rangèrent auprès de Sa Majesté. Les banquettes couvertes de velours cramoisi, qui entouraient cette salle, servaient de barrière aux spectateurs. La symphonie placée sur l’amphithéâtre, commença le divertissement par une ritournelle. La Julie représentant Terpsichore, accompagnée de Pécourt, compositeur de toutes les danses gracieuses et variées exécutées à Villers-Cotterêts ; et de Mouret, qui avait composé tous les airs de ces danses, chanta un récit au Roi.

Après ce récit la suite de Terpsichore se montra digne d’être amenée par une muse. Deux tambourins basques se mirent à la tête de la danse ; un tambourin provençal se rangea au fond de la salle, et on commença un petit ballet, sans chant, très diversifié par les pas et les caractères, qui fut exécuté par les meilleurs danseurs de l’Opéra.

Dès que la danse cessa, on entendit tout d’un coup un magnifique chœur en acclamations, mêlé de fanfares, et chanté par tous les acteurs et actrices masqués, placés sur les deux amphithéâtres et les deux galeries qui les accompagnaient ; ce qui causa une surprise très agréable.

Après ce chœur le Roi alla souper, et les masques s’emparèrent de la salle du bal. Ensuite on distribua à ceux qui se trouvaient alors dans la foire, tout ce qui était resté dans les boutiques des marchands, qui étaient si abondamment fournies, qu’après que toute la cour fut satisfaite, il s’en trouva encore une assez grande quantité pour contenter tous les curieux.

Ce serait ici le lieu de parler de la fête de Chantilly, donnée dans le même temps ; et de celle donnée à Saint-Cloud par S.A.S. Mgr. le duc d’Orléans pour la Naissance de Monseigneur le duc de Bourgogne ; mais on en trouvera un précis assez détaillé dans quelques autres articles. Voyez Sacre des Rois de France [Article non rédigé], Illumination [Article non rédigé], Feux d’Artifice, etc.

On terminera donc celui-ci, déjà peut-être trop long, par le récit d’une fête d’un genre aussi neuf qu’élégant, dont on n’a parlé dans aucun des mémoires du temps, qui mérite à tous égards d’être mieux connue, et qui rappellera à la cour de France le souvenir d’une aimable princesse, qui en était adorée.

On doit pressentir à ce peu de mots, que l’on veut parler de S. A. S. mademoiselle de Clermont, surintendante de la maison de la Reine. Ce fut elle, en effet, qui donna à S. M. cette marque publique de l’attachement tendre et respectueux qu’elle inspire à tous ceux qui ont le bonheur de l’approcher. Cette princesse, douée des dons les plus rares, et les mieux faits pour être bientôt démêlés, malgré la douceur modeste qui, en s’efforçant de les cacher, semblait encore les embellir, fit préparer en secret le spectacle élégant dont elle voulait surprendre la Reine. Ainsi le soir du 12 Juillet 1729, en se promenant avec elle sur la terrasse du château de Versailles, elle l’engagea à descendre aux flambeaux jusqu’au Labyrinthe.

L’entrée de ce bois charmant se trouva tout-à-coup éclairée par une illumination ingénieuse, et dont les lumières qui la formaient, étaient cachées par des transparents de feuillées.

Esope et l’Amour sont les deux statues qu’on voit aux deux côtés de la grille. Dès que la Reine parut, une symphonie harmonieuse se fit entendre ; et l’on vit tout-à-coup la fée des plaisirs champêtres, qui en était suivie. Elle adressa les chants les plus doux à la Reine, en la pressant de goûter quelques moments les innocents plaisirs qu’elle allait lui offrir. Les vers qu’elle chantait, étaient des louanges délicates, mais sans flatterie ; ils avaient été dictés par le cœur de mademoiselle de Clermont : cette princesse ne flatta jamais, et mérita de n’être jamais flattée.

La fée, après son récit, toucha de sa baguette les deux statues dont on a parlé. Au son touchant d’une symphonie mélodieuse elles s’animèrent, et jouèrent avec la fée une jolie scène, dont les traits légers amusèrent la Reine et la cour.

Après ce début, les trois acteurs conduisirent la Reine dans les allées du labyrinthe ; l’illumination en était si brillante, qu’on y lisait les fables qui y sont répandues en inscriptions, aussi aisément qu’en plein jour.

Au premier carrefour, la Reine trouva une troupe de jardiniers qui formèrent un joli ballet mêlé de chants et de danses. Cette troupe précéda la Reine en dansant, et l’engagea à venir à la fontaine qu’on trouve avant le grand berceau des oiseaux.

Là plusieurs bergers et bergères divisés par quadrilles, coururent en dansant au-devant de S. M. et ils représentèrent un ballet très court et fort ingénieux, dont le charme des plaisirs champêtres était le sujet.

On peut juger que les eaux admirables de tous ces jolis bosquets jouèrent pendant tout le temps que la Reine voulut bien y rester ; et la réflexion des coups de lumière qui partaient du nombre immense des lumières qu’on y avait répandues, augmentait et variait à tous les instants les charmes de cet agréable séjour.

La Reine, après le ballet, passa dans le berceau couvert ; il était embelli par mille guirlandes de fleurs naturelles, qui entrelacées avec une quantité immense de lustres de cristal et de girandoles dorées, formaient des espèces de berceaux aussi riches que galants.

Douze jeunes bouquetières galamment ajustées, parurent en dansant. Une encore mieux parée, et qui se distinguait de sa troupe par les grâces de ses mouvements et l’élégance de ses pas, présenta un bouquet de fleurs les plus belles à la Reine : les autres en offrirent à toutes les dames de la cour. Il y avait autour du berceau un grand nombre de tables de gazon, sur lesquelles on voyait des corbeilles dorées, remplies de toutes les sortes de fleurs, et dont tout le monde avait la liberté de se parer.

On passa d’allée en allée jusqu’au carrefour ; on y trouva sur un banc élevé en forme de théâtre, deux femmes qui paraissaient en grande querelle. Une symphonie assez longue pour donner à la cour le temps de s’approcher, finit lorsqu’on eut fait un grand demi-cercle autour de ce banc où elles étaient placées : on connut bientôt à leurs discours que l’une était la flatterie, et l’autre la critique. Celle-ci, après quelques courtes discussions qui avaient pour objet le bien qu’on avait à dire d’une si brillante cour, fit convenir la flatterie qu’on n’avait que faire d’elle pour célébrer les vertus d’une Reine adorée, qui comptait tous ses moments par quelque nouvelle marque de bonté.

Cette scène fut interrompue par une espèce d’allemand, qui perça la foule pour dire, à demi ivre, que c’était bien la peine de tant dépenser en lumières, pour ne faire voir que de l’eau. Un gascon qui passa d’un autre côté, dit : hé ! sandis, je meurs de faim ; on vit donc de l’air à la cour des rois de France? A ces deux originaux, en succédèrent quelques autres. Ils s’unirent tous à la fin pour chanter leurs plaintes, et ce chœur comique, finit d’une manière plaisante cette partie de la fête.

La reine et la cour arrivèrent dans la grande allée qui sépare le labyrinthe de l’île d’amour : on y avait formé une salle de spectacle de toute la largeur de l’allée, et d’une longueur proportionnée. La salle et le théâtre étaient ornés avec autant de magnificence que de goût. Les Comédiens-Français y représentèrent une pièce en cinq actes : elle avait été composée par feu Coypel, qui est mort premier peintre du Roi, et qui a laissé après lui la réputation la plus désirable pour les hommes qui, comme lui, ont constamment aimé la vertu.

Cette pièce, dont je n’ai pu trouver ni le sujet ni le titre, fut ornée de cinq intermèdes de danse, qui furent exécutés par les meilleurs danseurs de l’Opéra.

La reine, après la comédie, rentra dans le Labyrinthe, et le parcourut par des routes nouvelles, qu’elle trouva coupées par de jolis amphithéâtres, occupés par des orchestres brillants.

Elle se rendit ensuite à l’orangerie, qu’on avait ornée pour un bal paré : il commença et dura jusqu’à l’heure du festin, qui fut donné chez mademoiselle de Clermont, avec toute l’élégance qui lui était naturelle. Toute la cour y assista. Les tables, cachées par de riches rideaux, parurent tout-à-coup dans toutes les salles ; elles semblaient se multiplier, comme la multitude des plaisirs dont on avait joui dans la fête.

Croirait-on que tous ces apprêts, l’idée, la conduite, l’enchaînement des diverses parties de cette fête, furent l’ouvrage de trois jours? C’est un fait certain qui, vérifié dans le temps, fit donner à tous ces amusements le nom d’impromptu du labyrinthe. La Reine ignorait tout ce qui devait l’amuser pendant cette agréable soirée ; la cour n’était pas mieux instruite : hors le festin chez mademoiselle de Clermont, qui avait été annoncé sans mystère, tout le reste demeura caché, et fut successivement embelli du charme de la surprise.

Les courtisans louèrent beaucoup l’invention, la conduite, l’exécution de cette fête ingénieuse, et toute la cour s’intrigua pour en découvrir l’inventeur. Après bien des propos, des contradictions, des conjectures, les soupçons et les vœux se réunirent sur M. le duc de Saint-Aignan.

Le caractère des hommes se peint presque toujours dans les traits saillants de leurs ouvrages. Ce secret profond, gardé par tant de monde ; la prévoyance, toujours si rare dans la distribution des différents emplois ; le choix et l’instruction des Artistes ; l’enchaînement ingénieux des plaisirs, décelaient, malgré sa modestie, l’esprit sage et délicat, qui avait fait tous ces beaux arrangements.

Ces jeux légers, qu’une imagination aussi réglée que riante répandait sur les pas de la Reine la plus respectable, n’étaient que les prémices de ce que M. le duc de Saint-Aignan devait faire un jour pour servir l’état et pour plaire à son Roi.

M. de Blamont, chevalier de l’ordre de Saint-Michel, et surintendant de la musique de S. M. composa toutes les symphonies et les chants de cette fête. Il était déjà depuis longtemps en possession de la bienveillance de la cour, que sa conduite et ses talents lui ont toujours conservée. (B)

Feux d’Artifice

Feux d’Artifice, composition de matières combustibles, faite dans les règles de l’art (Voyez Pyrotechnie [Article de Venel]), pour servir ou dans les grandes occasions de joie, ou dans la guerre, pour être employée comme arme offensive, ou comme moyen brillant de réjouissance.

Le mécanisme d’un feu d’artifice dans les deux genres ; la partie physique qui guide sa composition, la géométrique qui la distribue, sont des objets déjà traités dans l’article Artifice [Article non signé] ; dans les savants écrits de M. Frezier ; et, en 1750, dans un traité des feux d’artifice de M. Perrinet d’Orval, où la clarté, mille choses nouvelles, le désir d’en trouver encore beaucoup d’autres, l’indication des moyens pour y parvenir, montrent cette sagacité si utile aux progrès des Arts, cette étude assidue des causes et des effets, cette opiniâtreté dans les expériences, qui caractérisent à-la-fois une théorie profonde et une pratique sûre. Voyez l’article suivant [Article Feux d’Artifice (Artificier) non signé]

Je ne crois point devoir toucher à ces objets ; je n’ai cherché à les connaître qu’autant qu’ils m’ont paru liés aux grands spectacles que les rois, les villes, les provinces, etc. offrent aux peuples dans les occasions solennelles : ils m’ont paru dans ce cas tenir et devoir être soumis à des lois générales, qui furent toujours la règle de tous les Arts.

L’artificier doit donc, par exemple, avoir devant les yeux sans cesse, en formant le plan de différents feux qu’il fait entrer dans sa composition, non-seulement de les assortir les uns avec les autres, de faire ressortir leurs effets par des contrastes, d’animer les couleurs par les mouvements, et de donner à leur rapidité la plus grande ou la moindre vitesse, etc. mais encore de combiner toutes ces parties avec le plan général du spectacle que la décoration indique.

Cette loi primitive fait assez pressentir le point fixe où l’art a toujours voulu atteindre. Il est dans la nature de la chose même, que tout spectacle représente quelque chose : or on ne représente rien dans ces occasions, lorsqu’on ne peint que des objets sans action ; le mouvement de la fusée la plus brillante, si elle n’a point de but fixe, ne montre qu’une traînée de feu qui se perd dans les airs.

Ces feux d’artifice qui représentent seulement et comme en répétition, par les différents effets des couleurs, des mouvements, des brillants du feu, la décoration sur laquelle ils sont posés, fût-elle du plus ingénieux dessein, n’auront jamais que le frivole mérite des découpures. Il faut peindre dans tous les Arts ; et dans ce qu’on nomme spectacle, il faut peindre par les actions. Les exemples de ce genre de feux d’artifice sont répandus dans les différents articles de l’Encyclopédie qui y ont quelque rapport. Voyez Fêtes, Fêtes de la Ville de Paris, etc.

Les Chinois ont poussé l’art pour la variété des formes, des couleurs, des effets, jusqu’au dernier période. Les Moscovites sont supérieurs au reste de l’Europe, dans les combinaisons des figures, des mouvements, des contrastes du feu artificiel : pourquoi, dans le sein de la France, ne pourrions-nous pas, en adoptant tout ce que ces nations étrangères ont déjà trouvé, inventer des moyens, des secours nouveaux, pour étendre les bornes d’un art dont les effets sont déjà fort agréables, et qui pourraient devenir aussi honorables pour les inventeurs, qu’honorables pour la nation?

Y a-t-il eu encore rien d’aussi imposant en feu d’artifice, que le serait le combat des bons anges contre les méchants ? Les airs sont le lieu de la scène, indiqué par l’action même ? Les détails sont offerts par le sublime Milton. Dessinez à votre imagination, échauffée par cette grande image, l’attaque, le combat, la chute ; peignez-vous le spectacle magnifique de ce moment de triomphe des bons anges ; calculez les coups d’un effet sûr, qui naissent en foule de ce grand sujet.

Mais il faudrait donc employer à tous ces spectacles des machines? Et pourquoi non? A quoi destinera-t-on ces ingénieuses ressources de l’art, si on les laisse oisives dans les plus belles occasions? Sans doute qu’il faudrait donner à l’artifice du feu, dans ces représentations surprenantes, le secours des belles machines, qui en ranimant l’action, entretiendraient l’illusion qui est le charme le plus nécessaire. Les Arts ne sont-ils pas destinés à s’entre-aider et à s’unir ensemble ?

On vit à Paris, le 24 Janvier 1730, une fête aussi belle que toutes celles qu’on y avait données dans les occasions d’éclat. J’en vais donner l’esquisse, parce qu’elle servira de preuve à la proposition que j’ai avancée sur l’action que je souhaite dans les feux d’artifice, et aux principes que je propose plus haut sur leur composition. Voyez Fêtes de la Cour.

La naissance de Monseigneur le Dauphin fut le sujet de cette fête. MM. de Santa-Crux et de Barenechea, ambassadeurs du roi d’Espagne, en avaient été chargés par S. M. Catholique.

L’hôtel de Bouillon situé sur le quai des Théatins vis-à-vis le Louvre, servit d’emplacement à la scène principale ; il fut comme le centre de la fête et du spectacle.

Le 24 Janvier 1730, à 6 heures du soir, les illuminations préparées avec un art extrême, et dont on trouvera ailleurs la description (Voyez Illumination [Article non rédigé]), commencèrent avec la plus grande célérité, et la surface de la rivière offrit tout-à-coup un spectacle enchanteur ; c’était un vaste jardin de l’un à l’autre rivage du fleuve, qui à cet endroit a environ 90 toises de large, sur un espace de 70 dans sa longueur. La situation était des plus magnifiques et des plus avantageuses, étant naturellement bien décorée par le quai du collège des Quatre-Nations d’un côté, par celui des galeries du Louvre de l’autre, et aux deux bouts par le Pont-Neuf et par le Pont-Royal.

Deux rochers isolés ou montagnes escarpées, symbole des monts Pyrénées, qui séparent la France de l’Espagne, formaient le principal objet de cette pompeuse décoration au milieu de la rivière. Les deux monts étaient joints par leurs bases sur un plan d’environ 140 pieds de long, sur 60 de large, et séparés par leur cime de près de 40 pieds, ayant chacun 82 pieds d’élévation au-dessus de la surface de l’eau, et des deux grands bateaux sur lesquels tout l’édifice était construit.

On voyait une agréable variété sur ces montagnes, où la nature était imitée avec beaucoup d’art dans tout ce qu’elle a d’agreste et de sauvage. Dans un endroit c’étaient des crevasses, avec des quartiers de rochers en saillie : dans d’autres, des plantes et des arbustes, des cascades, des nappes et chutes d’eau imitées par des gazes d’argent, des antres, des cavernes, etc. Il y avait tout au pourtour, à fleur d’eau, des sirènes, des tritons, des néréides, et autres monstres marins

A une certaine distance, au-dessus et au-dessous des rochers, on voyait à fleur d’eau deux parterres de lumières qui occupaient chacun un espace de 18 toises sur 15, dont les bordures étaient ornées alternativement d’ifs et d’orangers, avec leurs fruits, de 12 pieds de haut, chargés de lumières. Le dessein des parterres était tracé et figuré d’une manière variée et agréable par des terrines, par du gazon et du sable de diverses couleurs.

Du milieu de chacun de ces parterres s’élevaient des espèces de rochers jusqu’à la hauteur de 15 pieds, sur un plan de 30 pieds sur 22. On avait placé au-dessus une figure colossale, bronzée en ronde bosse, de 16 pieds de proportion. A l’un c’était le fleuve du Guadalquivir, avec un lion au bas ; on lisait en lettres d’or, sur l’urne de ce fleuve ces deux vers d’Ovide : Non illo melior quisquam, nec amantior aqui Rex fuit, aut illa reverentior ulla dearum, et à l’autre parterre c’était la rivière de Seine avec un coq. On voyait sur l’urne, d’où l’eau du fleuve paraissait sortir en gaze d’argent, ces vers de Tibulle : Et longè ante alias omnes mitissima mater, Isque pater, quo non alter amabilior.

Aux deux côtés des parterres et des deux monts régnaient six plates-bandes sur deux lignes aussi à fleur d’eau, ornées et décorées dans le même goût des parterres. Les trois de chaque côté occupaient un espace de plus de cent pieds de long sur 15 de large.

Deux terrasses de charpente, à doubles rampes de 20 pieds de haut, étaient adossées aux quais des deux côtés, et se terminaient en gradins jusque sur le rivage. Elles régnaient sur toute la longueur du jardin, et occupaient un terrain de 408 pieds sur la même ligne, en y comprenant une suite de décorations rustiques, qui semblaient servir d’appui à ces deux grands perrons ; le tout était garni d’une si grande quantité de terrines, que les yeux en étaient éblouis, et les ténèbres de la nuit entièrement dissipées. Le mouvement des lumières, qui en les confondant leur donnait encore plus d’éclat, faisait un tel effet à une certaine distance, qu’on croyait voir des nappes et des cascades de feu.

Entre ces terrasses lumineuses et le brillant jardin, à la hauteur des deux montagnes, on avait placé deux bateaux de 70 pieds de long, sur 24 de large, d’une forme singulière et agréable, ornés de sculpture et dorés. Du milieu de chacun de ces bateaux, s’élevait une espèce de temple octogone, couvert en manière de baldaquin, soutenu par huit palmiers avec des guirlandes, des festons de fleurs, et des lustres de cristal. Les bateaux étaient remplis de musiciens pour les fanfares qu’on entendait alternativement.

Sur la partie la plus élevée du temple, placé du côté de l’hôtel de Bouillon, on lisait ce vers de Tibulle.

Omnibus ille dies semper natalis agatur

Pour inscription sur l’autre temple du côté du Louvre, on lisait cet autre vers du même Poète :

O quantùm felix, terque quaterque dies !

Le sommet de ces deux magnifiques gondoles était terminé par de gros fanaux et par des étendards, sur lesquels on avait représenté des dauphins et des amours.

Les quatre coins de ce vaste, lumineux, et magnifique jardin, étaient terminés par quatre brillantes tours, couvertes de lampions à plaque de fer blanc, qui augmentaient considérablement l’éclat des lumières, et qui pendant le jour faisaient paraître les tours comme argentées. Elles semblaient s’élever sur quatre terrasses de lumières, ayant 18 pieds de diamètre, sur 70 de haut, en y comprenant les étendards aux armes de France et d’Espagne, qu’on y avait arborés à un petit mât chargé d’un gros falot.

C’est du haut de ces tours que commença une partie de l’artifice de ce grand spectacle, après que le signal en eut été donné par une décharge de boîtes et de canons, placés sur le quai du côté des Tuileries, et après que les princes et princesses du sang, les ambassadeurs et ministres étrangers, et les seigneurs et dames de la cour, invités à la fête, furent arrivés à l’hôtel de Bouillon.

On vit partir en même temps de ces tours les fusées d’honneur, et ensuite quantité d’autres artifices, soleils fixes et tournants, gerbes, etc. après quoi commença le spectacle d’un combat sur la rivière, dans les intervalles et les allées du jardin, de douze monstres marins, tous différents, figurés sur autant de bateaux de plus de 20 pieds de long, d’où on vit sortir une grande quantité de serpenteaux, de grenades, ballons d’eau, et autres artifices qui plongeaient dans la rivière, et qui en ressortaient avec une extrême vitesse, prenant différentes formes, comme de serpents, etc.

Pour troisième acte de cet agréable spectacle, on fit partir d’abord du bas des deux montagnes, et ensuite par gradation, des saillies, des crevasses, des cavités, et enfin du sommet des deux monts, une très grande quantité d’artifice suivi et diversifié, ce qui formait comme deux montagnes de feu dont l’action n’était interrompue que par des volcans clairs et brillants, qui sortaient à plusieurs reprises de tous côtés et du sommet des rochers. Les intervalles des différents temps auxquels les volcans partaient, étaient remplis par des fougades très vives par le grand nombre et par la singularité des fusées. La fin fut marquée par plusieurs girandes. (B)