(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre second — Chapitre III. Des Danses des Anciens dans les Fêtes des Particuliers »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre second — Chapitre III. Des Danses des Anciens dans les Fêtes des Particuliers »

Chapitre III. Des Danses des Anciens dans les Fêtes des Particuliers

Nous n’aurions qu’une idée bien imparfaite des Mœurs des Anciens, si nous en jugions par les nôtres. La Société qui nous fournit à chaque instant de nouveaux objets de dissipation, ne leur offrait que ces liens utiles et solides qui unissent entre eux tous les Citoyens.

Les nœuds qui nous rassemblent sont plus déliés et moins embarrassants. Le plaisir, la convenance les forment, les brisent et les renouvellent sans cesse. Peut-être le Français a-t-il seul bien connu les avantages, les douceurs, les délices de la Société. Un simple particulier à Paris, qui sait unir le goût à l’opulence, est le maître de rassembler chez lui plus de commodités, d’agréments et de plaisirs que n’en ont imaginé la délicatesse d’Athènes, ou le luxe de Rome, et sur ce point les peuples contemporains les plus polis de l’Europe sont encore à notre égard, ce qu’ont été les Grecs et les Romains.

Parmi ces derniers, une espèce de tyrannie avait pris naissance dans le sein de la liberté. On n’avait consulté que les chefs de famille lors de l’établissement des Lois. Elles leur furent toutes favorables, et le Despotisme paternel alla jusqu’au droit de vie et de mort. Dans les premiers temps de la République Romaine, un Père dans ses foyers était toujours aussi absolu, et souvent aussi barbare, qu’un Sultan peut l’être aujourd’hui au milieu de cette foule d’esclaves qui l’environnent.

Le peu de fréquentation entre les Citoyens, était une suite nécessaire de leur puissance domestique. Souverains dans leurs maisons, ils n’en pouvaient sortir sans se voir coudoyés par des égaux, et ils se renfermaient machinalement chez eux par la même raison, qui fait que les Rois entre eux ne se visitent guère.

Leur vie ordinaire devait être par conséquent très uniforme. La crainte et le respect des enfants pour leurs Pères, les bontés et les complaisances des Pères pour leurs enfants, les services et l’amitié entre les proches, sans beaucoup de familiarité, voilà quelle était la base de leur tranquillité respective, et toutes les douceurs de leur Société. Ils étaient heureux avec cette simplicité de Mœurs. Au moins n’avaient-ils pas l’idée d’une autre genre de bonheur, et c’est celui qu’il connaît qui est le seul nécessaire à l’homme.

Cependant outre les Fêtes publiques, qui mettaient quelque variété dans cette manière monotone de vivre, les événements particuliers de chaque famille, lui fournissaient encore de temps en temps des occasions de plaisir. Elles devaient paraître d’autant plus piquantes qu’elles étaient assez rares. Ainsi l’anniversaire de la naissance d’un Père, le mariage d’un fils, l’arrivée d’un étranger, sortaient quelquefois les Anciens de la léthargie ordinaire dans laquelle ils étaient plongés. On préparait alors des Festins, on exécutait des Concerts, on imaginait des Danses. L’amitié, la tendresse, l’hospitalité concouraient ensemble pour ranimer la joie et pour entretenir le plaisir.

Chaque Famille dans les premiers temps fournit elle-même les Acteurs de ces Fêtes particulières. Le luxe ensuite fit imaginer de jouir de ces amusements avec moins d’embarras et plus d’agréments. Il s’établit dans Athènes et à Rome des Gens exercés qui jouaient de divers instruments, d’autres qui chantaient et qui dansaient pendant et après les festins.

Dans le temps que la bonne chère et le vin excitaient et flattaient le goût des Convives, la Musique et la Danse occupaient agréablement leurs autres sens. Ces saillies vives, ces traits légers, ce badinage élégant, qui sont l’âme aujourd’hui de nos Fêtes de tous les jours, furent constamment inconnus aux peuples jadis les plus polis et les mieux instruits de la terre.

Les amusements étrangers, qu’ils appelèrent à leur secours contre l’ennui de leurs festins, n’excluaient point cependant les Danses de Famille. Ces Assemblées, où l’on dansait pour le seul plaisir de danser, furent toujours en usage parmi eux. Socrate lui-même tenait à honneur d’y exécuter les Danses qu’il avait apprises de la belle Aspasie, et Caton le plus sévère des Romains à l’âge de plus de soixante ans, crut devoir se faire recorder ses Danses, afin de paraître moins gauche dans un Bal de Rome.