(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre quatrième — Chapitre V. Honneurs et Privilèges accordés à la Danse »
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(1754) La danse ancienne et moderne ou Traité historique de la danse « Première partie — Livre quatrième — Chapitre V. Honneurs et Privilèges accordés à la Danse »

Chapitre V. Honneurs et Privilèges accordés à la Danse

Auguste rendit les Pantomimes égaux aux Citoyens, en leur accordant le privilège de ne pouvoir être punis comme les Esclaves.

En les mettant sous sa Juridiction immédiate, en interdisant aux Préteurs celle qu’ils avaient naturellement sur eux, ainsi que sur le reste du Peuple, il les mit au-dessus des Citoyens ordinaires, et se conserva d’ailleurs par là des moyens faciles de porter l’art à la plus grande perfection et de le faire servir à ses vues. Les peines et les récompenses sont les ressorts les plus sûrs des actions des hommes. L’Artiste qu’on punit ou qu’on récompense à propos, va toujours dans son art plus loin que tous les autres.

C’est en suivant son plan, qu’Auguste qui avait exilé Pylade, pour réprimer son audace, lui déféra des honneurs extraordinaires, pour couronner ses succès. Il lui accorda le titre de Décurion 71, qui était celui qu’on donnait aux Sénateurs, lorsqu’ils partaient pour les Provinces. Dans les suites, quelques Empereurs allèrent encore plus loin, et nous voyons, dans des Monuments anciens, que des Pantomimes furent élevés à la dignité de Prêtres d’Apollon, toujours briguée par les noms les plus illustres72.

Mais tous ces titres n’auraient été qu’une vaine fumée sans la considération publique, qui est le premier des honneurs et le seul réel peut-être, parce qu’il n’a presque jamais pour principe que le talent supérieur ou les vertus éminentes.

J’aime à voir Auguste et Marc-Aurèle, qui sont de tous les empereurs romains les deux à qui il serait le plus glorieux de ressembler, honorer l’art dans la personne des grands Artistes ; mais j’éprouve un sentiment plus vif encore, lorsqu’en parcourant les Annales de Rome, je vois le Peuple, les Sénateurs, la Noblesse courir avec empressement au-devant de Pylade, l’entourer, le suivre dans les rues, et reconnaître par cet empressement honorable, la supériorité que le génie et les talents doivent avoir dans l’opinion des hommes, sur la naissance, la fortune, et les dignités.

Ces honneurs que l’usage avait perpétués en saveur des successeurs de Pylade, aigrirent et devaient irriter Tibère73. Je ne suis point surpris que cet Empereur les ait réprouvés par une loi expresse. L’Histoire qui nous peint tous les grands Rois occupés sans cesse à cultiver, à honorer les arts, nous montre aussi tous les Princes médiocres74 tremblant toujours qu’on ne fasse trop en saveur des meilleurs Artistes. Cette différence est l’ouvrage constant de la nature. Elle inspire aux uns une défiance continuelle pour tout ce qui passe leur niveau, et aux autres une douce sympathie pour tout ce qui s’élève au-dessus de l’espèce commune.

Sous l’empire des premiers, le défaut d’émulation, le mauvais goût, la prudence même concourent à la chute des Arts. C’est Tarquin qui coupe les têtes de pavot plus élevées que les autres.

Sous l’Empire des seconds, l’âme s’élève, l’esprit s’ouvre, le génie se développe. C’est la chaleur du soleil qui fait éclore les germes de la Terre.

Il y a trente ans, que les sciences, les talents, les beaux-arts étaient totalement inconnus dans le Nord de l’Allemagne. La Prusse, soumise à un Gouvernement Militaire, n’avait encore eu que des Souverains guerriers. Sous de pareils Maîtres, elle fut quelquefois redoutable, et jamais florissante. Le Ciel lui a donné un héros Philosophe. Elle s’est éclairée, polie, illustrée, sans cesser d’être guerrière. Le Roi de Prusse entraîné par ce penchant, si naturel aux hommes extraordinaires, pour les beaux-arts, les a appelés dans sa Capitale, et ils y fleurissent. Il a sur pied cent cinquante mille hommes, pour défendre ses droits, et toutes les Langues savantes de l’Europe, pour publier sa gloire.