(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Première partie.] — Chapitre III. Témoignages des SS. Pères et Docteurs de l’Eglise contre les Danses. » pp. 23-43
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(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Première partie.] — Chapitre III. Témoignages des SS. Pères et Docteurs de l’Eglise contre les Danses. » pp. 23-43

Chapitre III.

Témoignages des SS. Pères et Docteurs de l’Eglise contre les Danses.

Les saints Pères qui ont été chacun dans leur temps les organes de l’Eglise, ont tous parlé avec force contre les danses. Le premier dont je dois rapporter le témoignage à ce sujet, est l’illustre martyr et docteur S. Ignace, évêque d’Antioche, dans sa lettre aux Magnésiens. En les exhortant à célébrer spirituellement le sabbat ou le dimanche, il met les danses au nombre des actions qu’on doit particulièrement éviter en ce saint jour. « Que chacun de vous, dit-il, observe le sabbat spirituellement, ne faisant pas consister simplement cette observation à interrompre les ouvrages corporels, et dans le repos du corps ; mais en mettant votre plaisir dans la méditation de la loi de Dieu, et à admirer ses ouvrages dans la création du monde, plutôt qu’à danser et à vous livrer à des marques de joie insensées. » (M. Cotellier, dans son recueil des ouvrages des SS. Pères qui ont fleuri dans les temps voisins de celui des Apôtres, tom. 2. pag. 59, édition d’Anvers.) Unusquisque vestrûm sabbatis et spiritualiter, meditatione legis gaudens, non corporis remissione, opificium Dei admirans, non… saltationibus, plausibusque insanis oblectans se.

St. Basile, dans une homélie qu’il a faite contre les excès du vin, s’élève aussi avec force contre les danses, et particulièrement contre les jeunes personnes de l’autre sexe, qui aiment et recherchent ce divertissement. (hom. in ebriosos, tom. 2, pag. 123.) « Oubliant, dit ce saint docteur, la crainte de Dieu, et méprisant le feu de l’enfer, au lieu qu’elles devroient regarder leur maison, et le souvenir de ce jour terrible où les cieux s’ouvriront, et où le Juge souverain des vivans et des morts descendra pour rendre à chacun selon ses œuvres ; au lieu qu’elles devroient s’appliquer à purifier leur cœur de toute mauvaise pensée, et effacer, par leurs larmes, les péchés qu’elles ont commis, et se préparer ainsi au grand jour de l’avénement du Seigneur, elles secouent le joug de Jésus-Christ ; et, ôtant de dessus leur tête le voile dont l’honnêteté demanderoit qu’elles fussent couvertes, elles s’exposent ainsi sans pudeur aux yeux des hommes, elles ont elles-mêmes un regard hardi, elles se livrent à des ris immodérés, et s’agitent dans leurs danses comme des personnes qui sont dans des transports de frénésie et de fureur, ad saltandum quasi quodam furore concitæ  ; elles allument ainsi la passion des jeunes gens pour elles, omnem juvenum libidinem in se ipsis provocantes  ; enfin, faisant ces danses hors des murs de la ville où les saints martyrs sont honorés, elles font par là de ces lieux saints, comme une boutique de leurs obscénités : In martyrum basilicis prœ mœnibus civitatis choros constituentes, loca sancta officinam obscenitatis suæ effecerunt.  »

Tout ce que saint Basile dit ici des danses contre lesquelles il s’élève, ne se trouve-t-il pas dans la plupart de celles qui se font aujourd’hui parmi nous ? Peut-on nier qu’il n’y ait dans ces dernières tous les traits de ressemblance avec celles dont parle le saint docteur ? Les filles ne s’y exposent-elles pas, comme il s’en plaignoit, à la vue des jeunes gens qui s’y assemblent pour danser avec elles, ou du moins pour les voir danser ? Ne s’y livrent-elles pas pour l’ordinaire à des ris immodérés ? Les mouvemens de leurs corps, pendant qu’elles dansent, ont-ils la décence et la modestie qui conviennent particulièrement à leur sexe et à leur âge, et généralement à toute personne chrétienne qui doit être assez maîtresse d’elle-même, pour régler tous ses pas d’une manière digne de Dieu ? Si ces jeunes personnes n’ont pas formellement dessein d’exciter la passion des jeunes gens pour elles, ne doivent-elles pas du moins craindre que cela n’arrive, puisque rien n’est plus facile et plus ordinaire ? Enfin, dans les danses d’aujourd’hui, respecte-t-on plus la présence de Dieu et des Anges, qu’on ne faisoit dans celles dont saint Basile se plaint, et n’y perd-on pas également de vue le terrible jour du Jugement ?

Saint Jean-Chrysostôme est un des pères de l’Eglise qui a le plus souvent et plus fortement parlé contre les danses. Il le fait d’abord en expliquant à son peuple l’endroit de l’Evangile selon saint Mathieu, (c. 14, v. 6.) où il est rapporté que la fille d’Hérodiade dansa devant le roi Hérode, qu’elle lui plut en dansant, et que ce prince lui ayant promis de lui accorder tout ce qu’elle demanderoit, elle eut la cruauté de lui demander, comme pour prix de sa danse, la tête de saint Jean-Baptiste. Sur quoi le saint docteur commence par ces mots : (hom. 48, en S. Matth. tom. 7, pag. 436.) « C’est dans la fille d’Hérodiade un double crime, et d’avoir dansé et d’avoir plu par sa danse : Duplex crimen, et quòd saltavit et quòd placuerit.  » Il ajoute que « c’est le diable qui la fit danser avec tant de grâce, et qui fit par là qu’elle plut à Hérode qui fut ainsi pris dans ses piéges : Id diabolus effecit, ut illa saltans placuerit, et Herodem tunc caperet  ». La raison qu’en donne S. Jean-Chrysostôme, c’est que le diable se trouve partout où il y a des danses : (pag. 498.) Ubì saltatio, ibì diabolus. « Les aimer, ajoute ce Saint, c’est abuser des dons du Créateur, et aller contre les vues qu’il s’est proposées en nous donnant des pieds : en effet il ne nous les a pas donnés pour en faire un usage aussi honteux que celui qu’on en fait dans les danses, mais seulement pour marcher modestement. Si le corps est déshonoré par cette manière indécente de marcher, combien plus l’ame l’est-elle ? Si corpus id agens turpe est, multò magìs anima. Ces danses sont les divertissemens des démons, et c’est par le plaisir qu’on y trouve que les ministres de Satan lui attirent des ames par leurs flatteries : Sic saltant, sic adulantur dæmonum ministrì. (pag. 500.) A la vérité, les danses d’aujourd’hui ne causent pas la mort de saint Jean-Baptiste, comme celle de la fille d’Hérodiade la causa ; mais elles en causent une beaucoup plus funeste aux membres de Jésus-Christ. Atque etiam si Joannes non interficiatur, sed Christi membra longè graviùs impetuntur. Ceux qui dansent maintenant, ne demandent pas qu’on leur apporte dans un plat la tête du saint précurseur ; mais ils demandent pour le démon les ames de ceux qui sont présens : Non enim caput in discopetunt ii qui nunc tripudiant, sed animas simul recumbentium. Si la fille d’Hérodiade ne se trouve pas aux danses d’aujourd’hui, le diable qui dansa alors, en quelque sorte, en elle, s’y trouve, et les anime ; et par ces danses, il entraîne captives les ames qu’il trouve dans ces assemblées si dangereuses : Nam et si non adsit filia Herodiadis ; sed qui per illam tunc saltavit diabolus, per illas nunc choreas agit, animas descumbentium agens captivas.  » Qui est-ce qui, à cette description si effrayante et trop véritable de ce qui se passe, même dans les danses de notre temps, ne doit pas trembler, s’il lui reste un peu de foi ? Et qui de ceux qui prennent la défense des danses, osera préférer son autorité et celle des aveugles mondains, à l’autorité de ce saint docteur ? S. Ambroise, dans une lettre à Sabin, évêque de Plaisance, (Lett. 58, n.° 5, tom. 2, pag. 1013,) lui écrit que « rien n’est plus immodeste que de se donner en spectacle dans les danses, pour y imiter les gestes indécens et les postures efféminées des comédiens ».

Dans son troisième livre des vierges, (c. 5, n.° 25, tom. 2, pag. 180,) après avoir dit que la joie d’un chrétien ne doit se trouver que dans le témoignage d’une bonne conscience, il ajoute tout de suite que « la pudeur ne sauroit être en sûreté, et que tout est à craindre des attraits de la volupté, lorsqu’on finit par la danse les autres divertissemens ». Ibì intecta verecundia illecebra suspecta est, ubì comes deliciarum est extrema saltatio. Le saint docteur cite à ce sujet cette parole d’un païen, qu’une personne qui n’est point ivre, ne danse point, à moins qu’elle ne soit folle. (Nous dirons dans la suite qui est ce païen, et à quelle occasion il a parlé de la sorte.) Puis il fait cette réflexion : Ibid.c. 6, n.° 27.) « Si, selon les lumières de la sagesse du siècle, l’ivresse ou la folie sont le principe de la danse, qu’en doit on penser selon les Ecritures, où ce qu’on lit de saint Jean-Baptiste, précurseur de Jésus-Christ, mis à mort selon le désir et la demande d’une danseuse, fait voir quelles funestes suites le plaisir criminel de la danse entraîne après lui ? » Il en fait une autre sur ce qu’Hérodiade produisit elle-même sa fille pour la faire danser au milieu d’une assemblée d’hommes. Et qu’est-ce, dit-il, en effet, (ibid. c. 6, n.° 27, pag. 181), « que la fille d’une femme adultère pouvoit apprendre d’elle, sinon à exposer sans crainte sa pudeur ? Car quelle pudeur peut-il y avoir où l’on danse ? Quid enim potuit de adulterâ discere, nisi damnum pudoris ? Quid enim ibì verecundiœ potest esse ubì saltatur ?  » Voilà une fille qui danse, ajoute S. Ambroise, mais c’est la fille d’une adultère : (ibid. n.° 31) Saltat sed adulterœ filia  ; et il en prend occasion d’avertir les mères chastes et chrétiennes, « d’apprendre à leurs filles, non à danser, mais tout ce qui appartient à la Religion : Quæ verò pudica, quæ casta est filias suas religionem doceat, non saltationem  ». Que cette leçon est importante, mais qu’elle est aujourd’hui peu suivie ! Combien voit-on de mères qui se glorifient de ce que leurs filles ont bonne grâce en dansant, et qui n’ont pas honte de les laisser dans une très-grande ignorance des vérités de la Religion ! On sait parfaitement les règles de la musique et de la danse ; et on n’a presque aucune idée des mystères de Jésus-Christ, de l’étendue des commandemens de Dieu, des grâces attachées aux sacremens, des dispositions nécessaires pour s’en bien approcher ; de ce qui fait le sujet de nos plus grandes solennités, et des sentimens de piété dans lesquels on doit les célébrer. Est-il étonnant que, connoissant si peu les divines beautés de notre sainte Religion, et ce qu’elle a d’intéressant pour le cœur, on n’ait de goût que pour la vanité du siècle et pour ses dangereux plaisirs ?

Saint Augustin ayant eu, même avant sa conversion, tant de respect pour saint Ambroise, et tant d’empressement à écouter ses instructions, auroit-il pu, après que Dieu l’eut touché, et ensuite élevé à l’épiscopat, n’être pas un ardent imitateur de son zèle contre tous les abus et les désordres qui régnoient de son temps ! Il ne vit jamais qu’avec la plus vive douleur, celui des danses, et surtout de celles que le concours des Fidèles aux tombeaux des martyrs occasionnoit. Que ne fit-il pas pour les abolir ! Et quelle consolation fut-ce pour lui, lorsque Dieu bénissant son ministère, il eut le bonheur d’y réussir !

Il blâme d’abord les danses en général, en quelque temps et en quelque lieu qu’elles se fassent, en expliquant le psaume 69 (n.° 2.) il observe que le démon, selon la différence des temps, prend aussi différentes formes pour attaquer les chrétiens ; que dans le temps que les princes infidèles persécutoient les adorateurs du vrai Dieu, le démon avoit la forme de lion, la fureur des persécuteurs étant figurée par celle d’un lion rugissant ; qu’ensuite les persécutions ayant cessé, le démon avoit pris la forme d’un serpent, s’appliquant d’autant plus à séduire et à tromper les Fidèles, qu’il ne pouvoit plus les persécuter autrement ; que les danses sont un des moyens qu’il emploie pour les perdre. Les esprits de malice, dit ce père, n’ayant pas maintenant la liberté d’exercer leur cruauté sur les corps des chrétiens, ils déchirent les ames. « Et comment ? C’est par les danses, les blasphèmes, les impudicités : Quia non habent quid agant sæviendo, saltando, blasphemando, luxuriando, non impetunt corpora christianorum, sed lacerant animas christianorum.  » Si les danses étoient un divertissement indifférent et permis, saint Augustin les joindroit-il aux blasphèmes et aux impudicités, en parlant des moyens que le diable, sous la forme du serpent, prend pour séduire les chrétiens ; et diroit-il qu’elles mettent les ames en pièces, comme ces deux autres espèces de crimes, contre lesquels tout le monde prononce condamnation ?

Dans un sermon sur la fête du grand saint Cyprien, en parlant du désordre qui avoit long-temps régné, de passer la nuit de la fête de ce Saint à chanter et à danser, il dit que « cette peste, après avoir résisté quelque temps, avoit enfin cédé au zèle de l’évêque du lieu, qui n’avoit rien épargné pour faire cesser ce scandale. (serm. 311, n.° 6.) Illa pestis aliquantulùm cessit diligentiæ, etc.  »

Est-ce sans raison que saint Augustin donne aux danses le nom de peste ? Ét n’est-il pas évident qu’il ne les appelle ainsi que parce que leur contagion nuit pour le moins autant aux ames, que la peste nuit aux corps ?

Saint Augustin avoit eu la douleur de voir à Hypone, aux fêtes des martyrs, ces profanes divertissemens, qu’il appelle dans le même sermon, des jeux en l’honneur des démons qui se plaisent à séduire ainsi les hommes ; mais il avoit eu la consolation de les abolir. Il nous apprend dans une de ses lettres adressées à Alippe son ami et évêque de Tagaste, ce qu’il avoit fait pour cela : un des moyens qu’il employa fut de faire lire au peuple l’histoire de l’adoration du veau d’or par les Juifs, rapportée au chapitre 32 de l’Exode : il y est dit que le peuple se leva dès le matin, pour offrir à ce veau des holocaustes et des victimes pacifiques ; qu’ensuite il s’assit pour boire et pour manger, et qu’ils se levèrent pour danser : sur quoi saint Augustin, qui n’étoit alors que simple prêtre, fit observer au peuple que dans toute l’Histoire sainte on ne voit que la circonstance de la consécration et de l’adoration du veau d’or, où les excès de bouche et de danses aient eu lieu pour la célébration d’une fête : « et il en conclut que cette manière de célébrer les fêtes, n’est digne que des fêtes des idolâtres », et est par conséquent indigne des véritables chrétiens. Lorsqu’on fabriqua ce veau d’or, Moïse étoit avec Dieu sur la montagne de Sinaï, pour recevoir de sa main les tables de pierre, sur lesquelles furent gravés les dix commandemens. En descendant de la montagne pour porter au peuple ces tables de la loi, Moïse vit le veau et les danses qui se faisoient en son honneur : alors sa colère s’embrasa, il jeta les tables qu’il tenoit entre ses mains, et les brisa au pied de la montagne. L’exemple de ce zèle de Moïse donna une nouvelle activité à celui de saint Augustin, contre les désordres qu’il s’efforçoit de détruire, exhortant son peuple à ne plus célébrer, à l’avenir, les fêtes des martyrs par des chansons, des danses et des excès de bouche qui les profanoient. Il leur dit sur ces deux tables de la loi brisées par Moïse : « Quoi ! ne seroit-il pas étrange qu’ayant affaire avec des enfans de la nouvelle alliance, dont le caractère et la différence d’avec les Juifs doit être, selon l’apôtre, (2. Cor. c. 3, 113,) de porter la loi de Dieu écrite dans leur cœur, nous ne pussions pas amollir et briser le même cœur de ceux qui tiennent encore aux abus dont nous nous plaignons, et qu’ils persistassent à vouloir pratiquer tous les ans dans les solennités des Saints, ce que le peuple juif n’a fait qu’une seule fois, et dans une occasion d’idolâtrie ? »

Le cœur de ses auditeurs fut en effet brisé par la force et l’onction de ses paroles, à laquelle Dieu joignit l’onction intérieure de sa grâce. Rien n’est plus touchant que le récit que ce Saint fait lui-même à Alippe du fruit de son discours. Il le finit en les menaçant que Dieu les frapperoit par la verge de fureur, s’il méprisoit ce qu’on venoit de leur lire. « Je poussai, dit-il, cette menace de la manière que m’inspira celui qui conduisoit mon esprit et ma langue. En cet endroit nous fondions tous en larmes : ce ne fut pas moi qui commençai, mes larmes ne firent que suivre celles de mes auditeurs ; et voyant que ce que je leur disois les faisoit pleurer amèrement, j’avoue que je ne pus me retenir. Après donc qu’on eut bien pleuré de part et d’autre, je finis plein d’espérance de les ramener. » Si les églises avoient aujourd’hui un nombre de ministres aussi saints et aussi zélés que S. Augustin, ne pourroit-on pas espérer qu’élevant comme lui avec force leurs voix contre les danses, on les verroit cesser, du moins en beaucoup d’endroits où elles ne se perpétuent que parce que ceux qui devroient s’y opposer ne le font pas avec assez de vigueur, ou ne se sont pas acquis, par la lumière de leur doctrine et par la sainteté de leur vie, assez d’autorité pour faire sur l’esprit des peuples toute l’impression que leurs discours devroient y faire ?

Saint Ephrem le Syrien, un des plus illustres des anciens solitaires, dont les écrits ont été si célèbres et si estimés dans l’antiquité, qu’au rapport de saint Jérôme, ils étoient lus publiquement dans l’église après les saintes écritures, (catalog. scriptorum ecclesiast. c. 15, tom. 4, part. 2, p. 129.) S. Ephrem, dis-je, a fait un discours sur l’obligation dans laquelle sont tous les chrétiens de s’abstenir des divertissemens contraires à la sainteté du christianisme : pouvoit-il manquer de s’y élever contre les danses ? Voyons en quels termes il en parle (Edit. de Cologne, pag. 107 et suiv.). « Qui jamais, dit ce Saint, pourra montrer qu’il est permis à des chrétiens de danser ? Qui des prophètes l’a enseigné ? Quel évangile l’autorise ? Dans quel livre des apôtres trouve-t-on aucune décision favorable aux danses ? Si un pareil divertissement peut être permis à des chrétiens, il faut dire que tout est plein d’erreur dans la loi, les prophètes, les écrits des apôtres et les évangiles. Mais si toutes les paroles de ces saints livres sont véritables et inspirées de Dieu, comme elles le sont en effet, il est incontestable qu’il est défendu à des chrétiens de rechercher les divertissemens dont nous venons de parler : Si Dei hæc sint verba, et vera et divinitùs inspirata, ut reverà sunt : nefas sanè fuerit, christianis quæ jam dixerunt agere… N’employons donc pas, je vous en conjure, mes chers frères, à ces coupables divertissemens le temps qui nous est donné pour faire pénitence. Ecoutons plutôt le prophète David, qui nous crie : (Ps. 94, v. 2.) Prévenons la face du Seigneur avec une confession humble… Prévenons-le avant que nous entendions ce cri : (Matth. 26, v. 6.) Voilà l’époux qui vient ! Comment le saint prophète veut-il que nous prévenions la face ou l’arrivée du Seigneur ? C’est, dit-il, par le chant des psaumes, et non par des divertissemens ridicules : c’est par le chant, non des cantiques du diable, qui sont les mauvaises chansons, mais des cantiques du Seigneur. » Venez, continue David, (v. 6.) Adorons-le, prosternons-nous devant lui ; et pleurons devant le Seigneur qui nous a faits  : le prophète ne dit pas : Jouons des instrumens pour nous divertir ; mais chantons les psaumes  : ce chant met en fuite les démons. « Mais, où il y a des danses et des instrumens pour y exciter, là, est la fête du diable, et les saints anges sont dans la tristesse » : Ubi citharæ ac chori, ibi angelorum tristitia, et diaboli festum.

« O funeste artifice du démon ! et avec quelle malheureuse adresse trompe-t-il les ames et persuade-t-il aux chrétiens de faire le mal au lieu du bien ! Aujourd’hui on les verra s’adonner aux danses, selon la doctrine de satan, aujourd’hui ils paroissent le renoncer, et demain ils le suivent. Aujourd’hui ils semblent s’attacher à Jésus-Christ, et le lendemain ils le déshonorent et le renoncent. Aujourd’hui chrétiens, et demain païens : aujourd’hui religieux, et demain impies : aujourd’hui serviteurs de Jésus-Christ, et demain apostats et ennemis de Dieu. Ne vous y trompez pas, mes frères, ne vous y trompez pas : on ne peut servir tout à la fois deux maitres, selon la parole de Jésus-Christ. (Matth. c. 6, v. 2.) On ne peut servir Dieu, et danser en quelque sorte avec le démon : Nemo potest Deo servire, ac cum diabolo choreas ducere Ne chantez point aujourd’hui avec les anges les cantiques du Seigneur, pour être demain aux danses avec les démons : Noli hodiè psallere cum angelis ; et crastinâ die in tripudiis esse cum dæmonibus. Souvenons nous de la menace que le Seigneur a faite en disant : (Luc 6, v. 25) Malheur à vous qui êtes dans la joie ! parce que vous serez dans l’affliction et dans les pleurs… Vous savez, mes frères, nous dit saint Paul, (Gal. c. 3, v. 27.) que nous tous qui avons été baptisés, avons été revêtus de J. C. Comment donc en nous dépouillant de Jésus-Christ, c’est-à-dire de ses sentimens, voulons-nous servir l’antechrist ? Nous avons reçu de l’apôtre le commandement de tout faire pour la gloire de Dieu . (1 Cor. c. 10, v. 31.) Est-ce à quoi l’on fait attention dans les danses ?… On vous le répète, mes frères, ces divertissemens ne conviennent point à des chrétiens, mais aux païens qui ne connoissent point Dieu : Iterùm dico, non sunt ista christianorum, sed gentium Deum non habentium  : Pourquoi, ô homme ! vous tant agiter pour vous procurer des plaisirs ? Un seul accès de fièvre peut mettre fin à vos danses et à vos autres divertissemens. Une seule heure peut vous séparer pour toujours de ceux et de celles avec qui vous avez coutume de danser. En une seule heure ces pieds dont vous faites un si mauvais usage, peuvent être sans mouvement.

« Alors tous ceux qui ont été les compagnons de vos plaisirs se retireront, en vous abandonnant. Il n’y aura plus, près de vous, que les démons, ces esprits invisibles à qui vous avez obéi, et qui n’attendront que le consentement du Seigneur pour entraîner votre malheureuse ame dans le lieu des supplices qui lui sont préparés, et où elle recueillera ce qu’elle aura semé, je veux dire les pleurs, l’affliction, le serrement de cœur, les grincemens de dents et toutes sortes de maux. En effet, on ne peut ici-bas se plaire comme les démons dans les danses, et se réjouir avec les anges dans le ciel : Neque enim licet et hic cum dæmonibus choreis delectari, et ibi cum angelis psallere.  »

Après avoir entendu saint Ephrem parler si fortement contre les danses, et alléguer de si puissans motifs et de si fortes raisons pour les condamner, tous ceux qui osent en prendre la défense ne doivent-ils pas être pour toujours réduits au silence, ou ne parler que pour reconnoître humblement l’erreur où ils ont été jusqu’à présent à ce sujet, et dans laquelle ils en ont peut-être malheureusement entraîné beaucoup d’autres ?

Je finis toutes ces autorités des saints contre les danses, par celle de S. Charles, archevêque de Milan, qui a fait un traité entier contre ces divertissemens si persévéramment prescrits, et si opiniâtrément défendus. Il dit en particulier dans ce traité en latin, (c. 16) « Qu’il se souvient que lui et quelques camarades, lorsqu’ils étoient encore écoliers et laïques, entraînèrent, comme malgré lui, à une assemblée de danses un philosophe très-grave, qui ayant considéré avec attention cette sorte de divertissement, et ce qui s’y passoit, fut extrêmement surprise de ce qu’il y vit, et s’écria dans sa surprise, que c’étoit là une invention toute singulière pour corrompre les mœurs. Cùm genus ludi contemplatus esset, magnâ affectus admiration clamavit, illud esse inventum ad mores depravandos singulare  ». Saint Charles a présidé aux conciles de Milan tenus de son temps ; ainsi on trouve ses sentimens sur les danses dans les réglemens de ces conciles.

Dans le troisième, (part.1. des actes, p.69) où il est parlé de la manière de célébrer les fêtes des saints, les danses y sont expressément défendues ; et quoique le concile les réprouve d’une manière particulière, aux heures où l’on célèbre l’Office divin, ce qu’il dit des maux de toute espèce que les danses en général entraînent après elles, fait voir qu’elles ne sont permises en aucun temps, ni en aucune circonstance. « On ne s’assemble jamais pour les danses, est-il dit dans ce concile, sans que Dieu y soit beaucoup et très-grièvement offensé : Ad choreas, tripudia saltationes, nunquàm ferè conveniri solet sinè multis et iis quidem gravissimis Dei offensionibus.  » Et comment le concile montre-t-il que les danses sont pour l’ordinaire une source de beaucoup et de très-grands péchés ? « C’est, dit-il, à cause des pensées déshonnêtes, des paroles impures, de la corruption des mœurs, et des pernicieuses amorces pour toutes les œuvres de la chair qui y sont continuellement jointes : Idque ad turpes cogitationes, obscœna dicta, inhonestas actiones, morum corruptelas, et perniciosas adomnia opera carnis illecebras illis perpetuò conjunctas.  » Le concile va jusqu’à dire « que les adultères et les plus honteuses actions d’impudicité, aussi bien que les querelles et les meurtres, et beaucoup d’autres maux sont très-souvent les malheureux fruits des danses : Tum propter cædes, rixas, dissidia, stupera, adulteria, aliaque mala plurima indè consequentia  ». Pour marquer en détail quelques-uns de ces autres maux, le concile ajoute que « par ces funestes divertissemens par lesquels le diable attire les ames, beaucoup de fidèles sont détournés des Offices divins, de la prière, des saintes lectures et de l’assistance aux instructions, particulièrement nécessaires à ceux qui sont dans l’ignorance de la religion, dont le nombre n’est que trop grand, et des autres exercices de piété par lesquels les jours particulièrement consacrés à Dieu doivent être sanctifiés : Iis ipsis diebus fideles plerosque nefariis istis blanditiis satanæ illectos, à divinis officiis religiosis, supplicationibus lectionibusque sacris abduci, avertique rudes à percipiendis fidei rudimentis aliosque ab aliis christianæ pietatis, in quo eo tempore religiosè incumbendum est, abstrahi et amoveri  ». Le concile finit par dire « que ces maux sont certainement très-grands devant Dieu et devant l’Eglise : Hoc certè gravissimum est in conspectu Dei et Ecclesiæ  ». Peut-on avoir tant soit peu à cœur son salut, et s’exposer, en aimant les danses, à tant et de si grands maux ? Mais surtout comment avec un peu de foi peut-on ne pas craindre de s’en charger devant Dieu, même sans commettre soi-même ces péchés, en prenant la défense des danses qui en sont la source ?

Le quatrième concile de Milan, (act. part. 3, p. 143. columna secunda), recommande aux curés d’avoir pour le temps de la visite de l’évêque, une liste de ceux dans la conduite publique desquels il y aura quelque chose à reprendre et à corriger, afin que l’évêque leur donne les avertissemens nécessaires, et emploie, s’il le faut, son autorité pour les faire rentrer dans leur devoir : et marquant qui sont ceux qui doivent être mis sur cette liste, après avoir nommé les hérétiques, les blasphémateurs, les usuriers, les concubinaires, et autres pécheurs semblables, il nomme « ceux qui ont coutume de profaner les jours de fêtes par des œuvres serviles, par des danses, et autres actions semblables : Illorum qui servilibus operibus dies festos violant aut choreis aliisque ejusmodi actionibus profanare soleant  ».

Dans les instructions que saint Charles a faites pour les prédicateurs, parlant des mauvaises coutumes qu’ils ne doivent cesser de reprendre dans leurs instructions, et qu’ils doivent s’efforcer d’abolir, comme donnant lieu à beaucoup de péchés, il marque en particulier les danses, lesquelles, dit-il, excitent dans les ames des inclinations et des passions qui leur donnent la mort : « Choreas, saltationes et tripudia è quibus mortiferœ cupiditates excitantur, de suggestu sæpè graviter reprehendet atque inseclabitur. » Que faut-il donc penser des confesseurs qui souffrent tranquillement que leurs pénitens et leurs pénitentes aillent aux bals et aux danses ? Et si le silence des prédicateurs ou des confesseurs à cet égard, suffit seul pour les rendre très-criminels devant Dieu, combien plus le sont ceux qui ne rougissent pas d’avancer, qu’il n’y a rien de mauvais dans ces sortes de divertissemens, et qu’on peut se les procurer innocemment, pourvu qu’on n’ait point de mauvaises intentions en les recherchant !

Saint Charles recommande encore aux prédicateurs de s’efforcer de déraciner les abus que la corruption des mœurs a introduits dans les noces ; et entre ces abus, il marque principalement les danses. (act. part. 4., p. 402, col. 1, à la fin.) Præcipuè verò in id incumbet, ut si quæ morum corruptelæ nuptiis celebrandis ex depravato usu adhibentur, radicitùs extirpentur, præsertìm saltationes, choreæ, etc.

Enfin dans les canons pénitentiaux, c’est-à-dire dans les règles pour bien administrer le sacrement de pénitence, dont saint Charles veut que les confesseurs soient instruits, pour s’y conformer dans l’imposition des pénitences que ces canons prescrivent, on voit qu’en parlant du troisième commandement qui ordonne la sanctification des dimanches, ils imposent une pénitence de trois ans à ceux qui auront dansé devant les églises, ou un jour de fête, après avoir promis de ne le plus faire. (act. part. 4, p. 436, col. secunda.) si quis antè ecclesias, vel die festo saltationes (quas ballationes vocant) fecerit emendationem pollicitus, pœnitentiam aget tribus annis. Il est vrai qu’il s’agit dans le canon des danses faites devant l’église, ou un jour de fête ; mais nous avons vu avec quelle force saint Charles a parlé contre les danses en général, et quelle effroyable peinture il a faite des funestes suites qu’elles entraînent pour l’ordinaire après elles. Si donc la circonstance particulière d’avoir dansé devant une église, ou un jour de fête, exige qu’on impose, pour être allé dans cette danse, une pénitence de trois ans, ne seroit-il pas contre toute raison de penser que les danses faites dans les places publiques éloignées de l’église, ou dans les maisons particulières, ne méritent aucune pénitence ? Parce qu’une faute n’est pas aussi griève qu’une autre, s’ensuit-il qu’on puisse se la permettre plus facilement, ou qu’il ne faille faire aucune pénitence pour l’expier après s’en être rendu coupable ?