(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Première partie.] — Chapitre X. En convenant que les Danses doivent ordinairement être évitées, ne peut-on pas les permettre du moins aux jours de noces, où elles sont d’usage partout ? » pp. 115-125
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(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Première partie.] — Chapitre X. En convenant que les Danses doivent ordinairement être évitées, ne peut-on pas les permettre du moins aux jours de noces, où elles sont d’usage partout ? » pp. 115-125

Chapitre X.

En convenant que les Danses doivent ordinairement être évitées, ne peut-on pas les permettre du moins aux jours de noces, où elles sont d’usage partout ?

Si les danses entre des personnes de différent sexe, et surtout de jeunes personnes, sont toujours pour le moins dangereuses, comme on ne peut raisonnablement en douter après toutes les preuves qu’on en a données et toutes les réflexions qui ont été faites, il s’en suit certainement qu’elles ne sont pas plus permises aux noces qu’en toute autre circonstance, parce qu’il ne faut jamais se mettre soi-même, ni mettre les autres dans aucune occasion de péché. Aussi, le concile de Laodicée, qui est le premier de tous les conciles que nous avons cités contre les danses, défend-il expressément qu’il y en ait aux noces en particulier, recommandant qu’on s’y contente de quelques repas où tout se passe d’une manière digne de la sainteté qui doit être dans les chrétiens, comme dans l’histoire du mariage du jeune Tobie avec Sara. Le Saint-Esprit dit expressément (c. 9, v. 12.) que dans le repas même des noces tout se passa selon la crainte du Seigneur . Il n’est que trop ordinaire que dans les festins des noces les règles de la tempérance ne soient pas bien exactement observées, qu’on y chante des chansons mauvaises, et qu’on y tienne des discours indécens ; et quand des jeunes gens viennent à la danse, déjà échauffés par des chansons lubriques qu’ils ont chantées ou entendues, et par les discours très-indécens qu’une infinité de gens ne rougissent pas de tenir à l’occasion du mariage qui se célèbre, combien est-il facile, je dirai même inévitable, qu’ils soient fortement excités à la volupté par la vue des jeunes personnes d’un autre sexe, au milieu desquelles ils se trouvent, et par la très-grande familiarité que la danse leur fait avoir avec elles ? N’est-il pas également à craindre pour ces jeunes personnes d’un sexe foible et fragile, que l’esprit impur ne profite de la présence des jeunes gens avec qui elles sont, et de tout ce qui les environne, pour s’insinuer dans leur ame, et porter à leur chasteté les plus mortelles atteintes ?

Un jour de noces est un jour où les personnes, dont le mariage rassemble leurs parens et leurs amis, ont reçu un sacrement : ceux et celles qui ont assisté à l’administration de ce sacrement, ont dû joindre leurs prières à celles des deux personnes qui l’ont reçu, pour attirer sur elles la bénédiction de Dieu. Et quel rapport y a-t-il entre ces prières qui ont dû être faites de part et d’autre, et les danses, les excès de bouche, les paroles et les chansons libres, dont la plupart des noces sont aujourd’hui souillées et déshonorées ? Qu’est-ce que les païens peuvent penser de la sainteté de nos sacremens, quand ils voient les chrétiens eux-mêmes en faire si peu de cas, que le jour où l’administration d’un de ces sacremens les rassemble, est un de ceux où ils paroissent plus licencieux, en se livrant plus librement à leurs passions et à des manières d’agir dont d’honnêtes païens rougiroient ?

Le zèle de saint Jean Chrysostôme l’a porté à s’élever plusieurs fois contre ces scandales et ces désordres qui déshonorent les noces des chrétiens, quoiqu’ils ne fussent alors ni si communs, ni si grands qu’ils le sont parmi nous. Ce saint docteur nous parle encore à nous-mêmes dans ses sermons qui sont venus jusqu’à nous ; écoutons-le avec le respect que mérite un si grand saint, et plus encore la vérité éternelle qui a parlé par sa bouche.

Je sais, dit saint Jean Chrysostôme, dans une homélie, sur l’épître aux Ephésiens, (hom. 20, tom. 2, p. 154.) « que je paroîtrai ridicule à plusieurs, en faisant observer les règles que je vais vous prescrire par rapport aux noces ; mais si vous me croyez, j’espère que l’avantage que vous en retirerez, vous fera comprendre que je ne vous aurai rien dit que d’utile. Loin de rire de ce que je vous dis, ce qui vous paroîtra ridicule, c’est là mauvaise coutume que je combats ; et vous ne pourrez vous empêcher de reconnoître que ce qui se fait maintenant est une conduite d’enfans sans raison, ou même de gens ivres ; et que celle que je m’efforce de vous persuader est une conduite pleine de modestie et de sagesse, et qui vous feroit commencer à mener dès ce monde une vie toute céleste. Que dois-je donc vous dire à ce sujet ? C’est qu’il faut bannir de vos noces les mauvaises chansons, qui sont les cantiques du diable ; les courses et le concours des jeunes gens, dont les discours et les manières ne montrent que trop qu’ils sont dominés par l’impureté : Omnia turpia cantica, quæ sunt satanica, inhonestas cantilenas, immundorum juvenum circuitiones aufer à nuptiis… Car celui qui, au temps même de ses noces, ne peut souffrir ni les danses, ni les instrumens qui les animent, ni les chants mous et dissolus, ne pourra guère dans la suite faire ou rien dire d’indécent ou de honteux : Nam qui neque tibias, neque saltantes, neque fractos cantus sustinuerit, idque tempore nuptiarum, vix ipse in animum induxerit ut turpe aliquid un quàm aut faciat aut dicat  ».

Ce saint parle encore sur la même matière, dans une homélie sur l’épître aux Colossiens ; il le fait même avec plus d’étendue que dans celle que je viens de citer. (hom. 12, tom. 2, pag. 118 et suiv.) « Tout dans vos noces, dit-il, devroit être plein de tempérance, de modestie, de gravité et d’honnêteté ; et j’y remarque tout le contraire, y voyant des gens qui sautent comme des chevreaux et des mulets… Dans toutes vos actions vous avez soin de séparer le mauvais du bon ; comme quand vous voulez ensemencer vos terres, ou que vous faîtes vos vendanges, vous ôtez tous les mauvais grains ; de même, si vous composez quelque parfum, vous prenez bien garde qu’il n’y tombe rien qui soit de mauvaise odeur. Le mariage est une espèce de parfum, parce que ceux qui le contractent, doivent s’y conduire de manière que, par la sainteté de leur conduite, ils répandent la bonne odeur de Jésus-Christ. Pourquoi y laissez-vous tomber la boue du péché qui l’infecte ?… Le mariage est-il donc un jeu de théâtre ? C’est un mystère, et la figure d’une grande chose. Si vous ne respectez pas la figure, respectez au moins ce qu’elle représente. Ce sacrement est grand , dit saint Paul, (Ephés. c. 5, v. 32.) Je dis en Jésus-Christ et son Eglise , c’est-à-dire que ce qui en fait la grandeur, c’est qu’il représente l’union ineffable de Jésus-Christ avec l’Eglise son épouse. Quelle nécessité y a-t-il qu’il y ait des danses à vos noces ? Les danses ne conviennent qu’aux mystères et aux cérémonies des païens : In mysteriis Græcorum sunt saltationes. Mais ce qui convient à nos cérémonies, ce sont : le silence, une honnête gravité, la pudeur et la modestie : In nostris autem silentium, honesta gravitas, pudor et modestia… Réfléchissons sur toutes ces choses, ne déshonorons pas un si grand mystère. Le mariage est un signe de la présence de Jésus-Christ, et vous vous enivrez ! Dites-moi, si vous voyiez l’image du roi, voudriez-vous la déshonorer ? Non sans doute. Les désordres dont je me plains, qui se passent à l’occasion du mariage, paroissent être des choses indifférentes ; mais ils sont dans la vérité de très-grands maux, et tout y est plein d’iniquité, Saint Paul dit : (Eph. c. 5, v. 4.) Qu’on n’entende parmi vous ni paroles déshonnêtes, ni folie, ni bouffonnerie, ce qui ne convient pas à votre état  ; et on n’entend dans vos noces que des discours bouffons et déshonnêtes… Le diable peut-il manquer de se trouver où l’on tient de pareils discours ? Ubi sermo obscœnus, adest diabolus sua efferens. Lorsque je vous parle ainsi, je vous suis peut-être trop à charge et trop importun ; mais c’est ce qui prouve l’excès de la corruption qui règne parmi vous, de ce que ceux qui la reprennent sont regardés comme trop austères. N’entendez-vous pas saint Paul qui dit : (1. Cor. c. 10. v. 31.) Soit que vous mangiez ou que vous buviez, et quelque chose que vous fassiez, faites tout pour la gloire de Dieu ? Et vous, au contraire, vous faites tout pour votre propre honte et votre confusion ! N’entendez-vous pas aussi le prophète-roi qui dit : (ps. 2, v. 11.) Servez le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement ? Et vous vous répandez en des excès de joie et de dissolution ! Jésus-Christ ne se trouve point où sont les joueurs d’instrumens : Ubì sunt tibicines, nequaquàm est Christus  ; et s’il y en a dans une maison où il entre, il commence par les faire sortir, et il opère ensuite des miracles, comme on le voit dans l’histoire de la résurrection de la fille de Jaïr, chef de la synagogue, rapportée par saint Matthieu. (c. 9, v. 23 et suiv.) Il n’est rien de plus agréable que la vertu, rien de plus doux que la modestie, rien de plus désirable qu’une conduite pleine d’honnêteté. Que les noces se fassent en la manière que je le recommande, et l’on éprouvera la vérité de ce que je dis, que le plaisir solide se trouve, non dans ce qui flatte les passions, mais dans la pratique de la vertu : Faciat quispiam nuptias quales ego dico, et videbit voluptatem.  »

Un homme aussi saint et aussi éclairé que saint Jean Chrysostôme, ne mérite-t-il pas bien qu’on l’en croie, plutôt que le monde qui est si corrompu et si aveugle ?

Je ne puis m’empêcher d’ajouter à ce qu’on vient d’entendre de saint Jean Chrysostôme, ce qu’on écrit contre les danses qui se font aux noces, les ministres protestans, du traité desquels j’ai fait plus haut l’analyse. Je le rapporterai dans leurs propres termes, comme j’ai fait à l’égard des autres extraits que j’en ai donnés. C’est dans le chapitre 19, où, parlant des circonstances qui contribuent à rendre les danses plus mauvaises, ils s’expriment ainsi sur la troisième : Ce qui rend les danses encore plus abominables devant Dieu, est de les avoir introduites aux noces et solennités du mariage. Il est vrai qu’il semble à la plupart du monde, que c’est une partie principale des noces, et toutefois, il n’y a rien qui leur soit plus contraire, si l’on considère les causes du mariage, la sanctification ordinaire, les bénédictions et le contentement qu’on y peut désirer : car le mariage est une sainte ordonnance de Dieu, pour réprimer la convoitise et toute impudicité. Tellement que, recevoir aux solennités du mariage ce qui peut irriter la concupiscence, et non l’éteindre, et ce qui peut donner lieu à l’impudicité, en quelque sorte, c’est renverser l’ordonnance de Dieu, la profaner, et en attirer des effets tout contraires. Or, telles sont les danses, et Dieu n’aura jamais pour agréable que l’on abuse des remèdes qu’il a ordonnés. De plus, les chrétiens doivent agir saintement dès les commencemens, afin que les commencemens étant saints, le reste le soit aussi. Ç’a toujours été la coutume de venir à l’église, afin que là leurs mariages fussent sanctifiés par la parole de Dieu et l’oraison, que leurs promesses fussent comme déposées entre les mains de Dieu, que de sa bouche ils prissent les assurances de ses bénédictions. Voilà proprement les solennités de mariage entre les chrétiens. Si après la réception du sacrement il se fait quelque banquet, s’il y a assemblée de parens et d’amis, et quelque réjouissance ; ce sont des choses qui peuvent encore s’accorder comme civilités humaines, moyennant que la modestie et la sobriété y soient gardées. Mais si, au sortir de cette solennité sainte, on s’abandonne à tout plaisir sans modération, et que l’on vienne aux danses, voilà tous ces beaux commencemens renversés… On aura appelé Dieu pour être auteur de cette œuvre, et une heure après, on lui donnera congé avec outrage, pour recevoir le diable et ses suggestions. N’est-ce pas se moquer de Dieu, et avoir appelé l’Eglise et les anges pour être un jour témoins contre cette perfidie et cet abus des choses saintes ? Et quelle sera la bénédiction de Dieu avec ce mépris ? Aux mystères des chrétiens, il ne faut que prières, cantiques saints, honnêteté, modestie. Quand les chrétiens se marient, c’est afin, comme le dit saint Paul, (Héb. c. 13, v. 4.) qu’en toutes choses on se comporte avec honnêteté dans le mariage, et que le lit nuptial soit sans tache. Or, pour avoir le mariage avec cette pureté et cet honneur, il le faut avoir tel dès le commencement : car si l’impureté s’y attache en quelque sorte ; on ne peut pas l’effacer bientôt ; et le péché est un hôte fort difficile à faire déloger quand on l’a reçu. Dès l’entrée donc il faut établir le mariage tel qu’on le veut avoir dans tout son cours. C’est ce qui se fait quand on appelle Dieu pour auteur de cet acte ; que l’on s’étudie à ne rien faire qui ne soit bien pur et saint ; qu’avec le mariage l’on reçoit en la famille la modestie, la pureté et la vertu ; que l’on en bannit les choses profanes, le péché, le diable, et toutes ses œuvres… Au reste, de quoi servent à ceux qui se marient les danses en leurs noces ? Est-ce pour les faire plus magnifiques ? Mais la vraie magnificence et la plus honorable, ce sera s’il n’y a rien qui ne soit bien honnête et selon les principes de la vertu. Est-ce pour les célébrer avec plus de plaisir ? mais il faut devenir agréables, premièrement à Dieu, qui est là présent ; il faut aussi choisir des plaisirs qui ne causent point de dommage. Est-ce pour exciter les convoitises de la chair ? Mais on entre en mariage pour les éteindre… Et il n’y a pas de doute que ce n’aient été les pratiques du diable d’introduire là les danses, afin que l’ordonnance de Dieu fût violée, la sanctification du mariage changée en souillure et en malédiction, et qu’on vît naître d’une chose bonne, toutes sortes de maux… Il faut que toutes ces méchantes coutumes disparoissent ensemble du milieu de nous, et que nous rendions l’institution de Dieu sainte en son entier, de peur qu’il ne se courrouce, et que ce qu’il nous avoit donné pour remède, il ne le convertisse lui-même en punition, comme il n’arrive que trop souvent en de pareilles fautes… Jésus-Christ assista aux noces à Cana avec ses disciples : il sera aux nôtres avec toute l’abondance de ses grâces, si nous voulons ; mais qu’il nous souvienne toujours de la sentence de saint Jean Chrysostôme : Là où sont les menétriers et les danses, Jésus-Christ n’y est point. En un mot, les noces ne sont point un théâtre de folie et de turpitude, mais une solennité sainte d’une chose sacrée, pour mener la vertu, la modestie, la chasteté, l’honneur, Dieu même avec toutes ses grâces dans la maison des époux. »

Que répondront au jour du jugement à Dieu, tant de chrétiens qui connoissent si peu la sainteté du mariage, et qui, y entrant sans aucune vue de servir Dieu et sans le moindre sentiment de piété, célèbrent leurs noces d’une manière toute païenne, lorsque Jésus-Christ leur opposera ce qu’en ont écrit les docteurs protestans dont je viens de rapporter les paroles, et qu’il leur reprochera que dans le sein même de l’Eglise, ils ont moins sainement pensé des choses de la Religion et de la sainteté de nos sacremens, que des hommes qui avoient le malheur d’en être séparés par l’hérésie, et qui ne regardoient point la célébration du mariage comme un vrai sacrement ? Qu’ils préviennent ces reproches, et qu’ils ouvrent enfin les yeux à la lumière qui leur est présentée par des hommes qui ne doivent pas leur être suspects de rigorisme, et pour lesquels on ne peut s’empêcher d’être vivement affligé qu’ils n’aient pas été aussi éclairés sur tous les articles de notre foi, qu’ils l’ont été sur ce point de morale.