(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Seconde partie.] — Chapitre II. Objections tirées de l’Ecriture sainte. » pp. 151-166
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(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Seconde partie.] — Chapitre II. Objections tirées de l’Ecriture sainte. » pp. 151-166

Chapitre II.

Objections tirées de l’Ecriture sainte.

Comme nous avons pris dans les saintes Ecritures les premières preuves que nous avons alléguées pour montrer le mal ou le danger inséparable des danses ; c’est aussi dans les saintes Ecritures que plusieurs vont d’abord chercher de quoi affoiblir ce que nous avons dit à ce sujet. Ils se prévalent de cet endroit du livre de l’ecclésiaste : (c. 3. v. 4.) Il y a un temps de s’affliger, et un temps de sauter de joie . Ensuite ils croient trouver de quoi autoriser les danses dans ce qui est dit dans le livre de l’Exode (c. 15, v. 20.) de Marie prophétesse, sœur d’Aaron : que célébrant, avec Moïse et les enfans d’Israël, le passage miraculeux de la mer rouge, elle prit un tambour à la main, et que toutes les femmes marchèrent après elle avec des tambours, formant des chœurs de musique .

On comprend bien que ceux qui cherchent et saisissent avec ardeur ce qui a la plus foible apparence de favoriser les danses, n’ont garde de manquer de citer ce qui est rapporté dans le second livre des rois : (c. 6, v. 14.) David, revêtu d’un éphod de lin, dansoit devant l’arche de toute sa force. L’éphod étoit un vêtement court, et différent par là des vêtemens ordinaires des orientaux, lesquels tomboient jusque sur les talons.

Enfin, quelques-uns prétendent trouver de quoi autoriser les danses dans ces paroles de Jésus-Christ : (Matth. c. 11, v. 16 et 17.) A qui comparerai-je ce peuple ? (Le peuple Juif.) Ils ressemblent à ces enfans assis dans la place, qui crient à leurs compagnons : Nous avons chanté des airs gais, et vous n’avez pas dansé, nous avons chanté des airs tristes, et vous n’avez pas pleuré.

Je pense que les personnes tant soit peu éclairées et de bonne foi sentent déjà par elles-mêmes combien ces endroits de l’Ecriture sont peu favorables aux danses ; et que prétendre s’en servir pour les justifier, c’est faire de la parole de Dieu un abus manifeste et intolérable. Cependant, pour ne pas laisser le plus petit retranchement aux apologistes des danses, je répondrai à chacun de ces passages en particulier. Au temps de l’ancien auteur du traité sur les spectacles, dont j’ai déjà parlé, plusieurs cherchoient dans les saintes Ecritures de quoi justifier les spectacles, comme on y cherche maintenant de quoi justifier les danses. Avant que de répondre aux passages dont on abusoit, cet ancien auteur fait cette observation, que nous avons la même raison de faire que lui : « Je dirai, qu’il vaudroit mieux ne rien savoir des saintes Ecritures, que de les lire pour en abuser ainsi. » Est-il en effet un abus plus criminel que de se servir pour autoriser les vices, des livres saints qui n’ont été écrits que pour nous enseigner et nous porter à la vertu et à la pratique de l’Evangile, selon cette parole de saint Paul : (Tim. c. 3, vv. 16 et 17.) Toute écriture inspirée de Dieu, est utile pour instruire, pour reprendre, pour corriger et conduire à la piété et à la justice, afin que l’homme de Dieu soit parfait et disposé à toutes sortes de bonnes œuvres ? Combien s’éloigne-t-on de cette intention du saint, quand on va chercher dans les livres saints, et qu’on fait d’inutiles efforts pour y trouver de quoi justifier les danses !

Le premier passage qu’on allégue en faveur des danses, est celui de l’Ecclésiaste, où l’on lit : Il y a un temps de s’affliger, et un temps de sauter de joie . Mais je demande si, sauter de joie est la même chose que danser ? Il peut arriver quelquefois que dans les sauts que la joie fait faire, il y ait quelque chose qui ne soit pas assez grave, relativement aux personnes et aux circonstances ; mais, dans les simples sauts, il n’y a rien de dangereux pour les mœurs ; et nous avons évidemment montré les dangers qui se trouvent dans les danses que nous condamnons, parce qu’elles se font avec des personnes de différent sexe, et avec des gestes et des attitudes peu modestes.

Salomon, dans le passage de l’Ecclésiaste ; n’a nullement pensé aux danses ; mais il a seulement parlé d’une manière historique de ce qui se passe continuellement dans le monde, où quelquefois on est affligé et on pleure, et d’autres fois on saute de joie : c’est pourquoi il commence le chapitre d’où sont tirées les paroles qu’on objecte, par cette sentence : Toutes choses ont leur temps. Mais dans cette remarque du Saint-Esprit, qu’il y a un temps de s’affliger et un temps de sauter de joie, son intention principale a été de nous avertir de prendre garde à bien distinguer le temps destiné aux larmes, et celui qui est destiné à la joie ; et que c’est dans cette vie qu’il faut gémir et pleurer, en attendant dans l’autre vie la consolation et la joie. Jésus-Christ lui-même nous a appris à prendre cette vie pour le temps de deuil et de pleurs, et celui de l’autre vie pour le temps de la joie, lorsqu’il a dit : (Matth. c. 5. v. 5.) Heureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés ! Marquant à ses disciples ce à quoi ils étoient destinés pour ce monde et ce qui leur étoit réservé en l’autre, il leur adresse ces paroles : (Jean, c. 16, vv. 20 et 22.) En vérité, je vous le dis, vous pleurerez et vous gémirez, vous autres, et le monde sera dans la joie ; vous serez dans la tristesse, mais votre tristesse se changera en joie… et personne ne vous ravira cette joie  ; au contraire, le démon, tout opposé à Jésus-Christ, porte présentement les hommes à rire et à se divertir, en se réservant, par une cruelle usure, de leur faire acheter des plaisirs si courts par une éternité de supplices.

Au lieu donc de se servir de la parole du Saint-Esprit, qu’il y a un temps de pleurer, et un temps de sauter de joie , pour autoriser les danses, servons-nous-en plutôt pour nous convaincre que notre partage en ce monde doit être les gémissemens et les larmes, à la vue de tant de péchés que nous avons commis, de tant de dangers dont nous sommes environnés, et de notre éloignement du ciel, dans lequel seul le vrai bonheur nous est promis. Mais, hélas ! presque personne ne veut pleurer saintement et utilement en ce monde, sur l’autorité de Jésus-Christ ; et lorsqu’on entend cet oracle de sa bouche : Heureux ceux qui pleurent ! presque tout le monde dit dans son cœur : Heureux ceux qui rient et qui se divertissent !

Si on ne peut trouver, dans le passage de l’Ecclésiaste, rien qui autorise les danses, telles que sont celles que nous condamnons, trouve-t-on plus facilement rien qui y ressemble dans l’exemple de Marie, sœur de Moïse et d’Aaron, laquelle tenant un tambour à la main, étoit suivie d’un grand nombre de femmes, qui ayant aussi des tambours, formoient des chœurs de musique ? Ecoutons sur cela le récit de l’Ecriture : (v. 20.) Marie, conduisant le chœur des femmes, répétoit après celui des hommes : Chantons une hymne à la gloire du Seigneur, parce qu’il a révélé sa grandeur, et qu’il a précipité dans la mer le cheval et le cavalier. Combien, dans les danses contre lesquelles nous nous élevons, est-on éloigné de penser à chanter ainsi des hymnes à la gloire de Dieu ! Et ce qu’on y entend chanter, peut-il servir à autre chose qu’à le faire offenser ? Quel rapport entre ce mélange indécent et sans pudeur, de personnes de différent sexe, pour se livrer à la licence d’une joie folle et criminelle, et ces chœurs de femmes qui répétoient avec une harmonie majestueuse les hymnes sacrées, après que les chœurs d’hommes les avoient entonnées ? Et combien, par conséquent, doit-on rougir d’oser comparer ces danses avec la marche si pleine de religion de Marie, que tant de femmes ne suivirent alors que pour glorifier Dieu à son exemple, à l’envi les unes des autres !

Est-il plus raisonnable d’alléguer en faveur des danses, que l’amour du plaisir sensuel a introduites parmi nous, l’exemple de David qui a dansé de toutes ses forces devant l’arche ? Avant que de répondre aux amateurs et aux défenseurs des danses, qui veulent se prévaloir de cet exemple, je leur demanderai s’ils ont autant remarqué tout ce qui est dit dans l’histoire de ce saint roi pénitent, des différens caractères si admirables de sa pénitence, qu’ils ont remarqué sa danse ; et s’ils sont autant touchés des gémissemens qu’il poussoit sans cesse, et des larmes qu’à la vue de ses péchés il répandoit toutes les nuits si abondamment, que son lit en étoit tout trempé, qu’ils sont touchés de le voir danser devant l’arche du Seigneur ? Pourquoi, étant si empressés à se prévaloir de la danse de David, le sont-ils si peu à imiter sa pénitence ? Mais, sans nous arrêter à observer que cette danse de David, se livrant seul à ces mouvemens devant l’arche, ne ressembloit en rien aux danses que nous réprouvons, dont le mélange de personnes de différent sexe fait le fonds et le danger, est-il pardonnable de ne considérer cette danse du Prophète-Roi, qu’avec des yeux tout charnels, comme s’il n’y avoit cherché que le plaisir sensuel que recherchent uniquement ceux qui vont aujourd’hui aux danses ? « David, dit saint Ambroise, (l. 5, in Lucam, n. 5) a dansé devant l’arche du Seigneur, non par l’amour de la volupté, mais par un esprit de religion : David antè arcam Domini non pro lascivio, sed pro religione saltavit. Et tout ce qui est rapporté à la Religion est bienséant ; en sorte que nous ne rougissons de rien de ce qui peut servir à honorer Jésus-Christ. (idem 2, de pœnit. n. 41.) Totum decet quidquid defertur religioni, ut nullum obsequium quod proficiat ad cultum et observantiam Christi erubescamus.  »

Plus les sentimens de Religion sont vifs au-dedans de l’ame, plus il est difficile qu’elle les contienne, et qu’elle les empêche de se répandre au-dehors. « Un homme touché de Dieu jusqu’au fond du cœur, dit un célèbre interprète sur la danse de David, (M. d’Asfeld, concordance et explication des rois et des paralipomènes, tom. 4. p. 100 et suiv.), ne peut se défendre de laisser échapper des étincelles du feu qui le brûle au-dedans. Quand il se voit libre et sans témoins, il lève tantôt les yeux au ciel pour marquer son admiration et sa confiance, et tantôt il les baisse vers la terre pour confesser son indignité. Il étend ses mains pour implorer la miséricorde divine, et il se frappe la poitrine pour punir lui-même le coupable. En se prosternant en terre, il commence à exécuter l’arrêt qui le condamne à retourner en poudre. Ses gémissemens sont les interprètes de son repentir, et il verse une abondance de larmes pour effacer ses crimes par ce nouveau baptême. Si on étoit de loin spectateur de toutes ces actions et de ces gestes, on en seroit d’abord étonné ; mais si, en approchant de plus près, on entendoit ses paroles, et si on pouvoit lire dans le cœur qui les dicte, on seroit attendri par le spectacle d’une religion si vive, si enflammée et si pure. Il faut porter le même jugement de la danse de David. Qui s’arrêteroit à la première apparence que présente cette action, pourroit être tenté, comme Michol, de la condamner comme peu séante à la majesté d’un roi et à la gravité d’un prophète. Mais si, en pénétrant jusque dans la cause, on unit ces mouvemens extérieurs de l’ardente piété d’où ils partent, on ne trouvera dans toute sa conduite rien que de respectable et que de grand. Ce prince religieux, emporté par les saillies de son amour pour Dieu, et devenu distrait pour tout ce qui l’environne, par une sainte ivresse, ne voit plus que son bienfaiteur qui le met en ce moment au comble de ses vœux ; et afin de donner à sa reconnoissance et à sa joie tout l’essor, et d’en suivre les transports, il prend une tunique, comme le vêtement le plus propre à en seconder l’activité ; et il quitte les marques de la majesté royale en la présence de Dieu, devant qui tout doit s’anéantir et disparoître. »

Peut-on raisonnablement douter que ces grands sentimens de religion n’aient été le principe de la danse de David devant l’arche, lorsqu’on fait quelque attention à la réponse qu’il fit à Michol qui, le voyant danser et sauter devant le Seigneur, s’en étoit moquée en elle-même, et qui ensuite lui dit en raillant : Que le Roi d’Israël a eu de gloire aujourd’hui en paroissant devant les servantes de ses sujets comme un bouffon ! Quelle fut la réponse de David à ce reproche et à cette raillerie de Michol ? Apprenons-le de l’histoire sacrée. (2 Rois, c. 6, vv. 21 et 22.) Oui, dit-il, devant le Seigneur qui m’a choisi plutôt que votre père et que toute sa maison, et qui m’a commandé d’être le chef de son peuple d’Israël, je danserai et je paroîtrai vil encore plus que je n’ai paru ; je serai méprisable à mes propres yeux et devant les servantes dont vous parlez, et même j’en ferai gloire. Une danse où l’on est rempli de sentimens d’humilité si sincères et si profonds, peut-elle, sans un prodigieux aveuglement, être mise en parallèle avec les danses profanes contre lesquelles nous écrivons ? Va-t-on à ces danses pour s’abaisser et s’anéantir devant le Seigneur, à l’exemple de David ? Y est-on occupé, comme lui, de l’infinie grandeur de Dieu et de l’extrême bassesse de l’homme ? Quoi, au contraire, de plus capable de faire perdre Dieu de vue, que les danses dont le moindre mal est une très-grande dissipation d’esprit et de cœur, où elles jettent ? Si, pendant qu’on danse, il venoit à l’esprit qu’on est en la présence de Dieu, et si le sentiment de cette divine présence commençoit à pénétrer l’ame, pourroit-on continuer à se tenir sous ses yeux dans une situation qu’on ne pourroit alors douter lui être très-désagréable ? C’est donc se faire à soi-même la plus grossière illusion que de prétendre autoriser des danses où l’on ne pense nullement à Dieu, par l’exemple de David, dont la danse n’exprimoit que les sentimens de la plus vive religion.

Il ne reste plus qu’à répondre à l’endroit de l’Evangile, où Jésus-Christ parle à des enfans qui disent à leurs compagnons : Nous vous avons chanté des airs gais, et vous n’avez point dansé. Qu’y a-t-il là qui paroisse justifier les danses ? C’est, dira-t-on, que ceux qui n’ont point dansé, en entendant des airs gais, en sont repris : mais est-ce Jésus-Christ qui les en reprend ? Fait-il autre chose qu’employer une comparaison ; et cette comparaison autorise-t-elle plus les danses, que la parabole de l’économe infidèle autorise son infidélité ? Cet économe, en agissant en homme très-infidèle à son maître, a agi en même temps en homme très-prudent pour les affaires temporelles ; et c’est uniquement à nous inspirer la même prudence dans l’affaire du salut, que cette parabole est destinée.

Les saints Pères sachant combien les mauvais chrétiens sont disposés à se prévaloir de tout ce qui paroît dans les saintes Ecritures tant soit peu favorable à leurs passions, et prévoyant qu’il s’en pourroit trouver quelques-uns qui abuseroient de ce texte de l’Evangile pour justifier les danses, ont eu soin d’avertir les Fidèles de n’en pas tirer une conséquence si contraire aux vues de Jésus-Christ. Saint Ambroise, (l. 2, de pœnit. c. 6, n. 42.) après les avoir citées, dit expressément : « Il faut bien prendre garde que quelqu’un, trompé par une interprétation grossière et trop humaine de ces paroles, ne croie pouvoir s’en servir pour autoriser ces mouvemens lubriques qui se font dans les danses, et qui ne conviennent qu’à des baladins et à des bouffons. Ces mouvemens sont vicieux et répréhensibles, même dans la jeunesse. (n. 43.) Il ne s’agit donc point ici de cette espèce de danse, qui a pour compagne inséparable l’impudicité ; mais Jésus-Christ a seulement voulu nous élever à quelque chose de spirituel, par ce qui se passe de corporel et de sensible dans les danses ordinaires. » « Voici donc, conclut S. Ambroise, (n. 44.) le sens mystérieux : Hoc est mysterium , des paroles du Sauveur, nous avons chanté , et ce que nous avons chanté, c’est le cantique du nouveau testament, dont le sujet est la réconciliation des hommes avec Dieu par Jésus-Christ ; et vous n’avez point dansé , c’est-à-dire vous n’avez point élevé votre ame à cette grâce spirituelle, parce qu’elle n’en a point été touchée. Nous avons chanté des airs lugubres, et vous n’avez point fait pénitence. Les airs gais qui n’ont point touché les Juifs, c’est la vie commune de Jésus-Christ, qui sembloit plus capable de les attirer ; et ces airs lugubres, c’est la vie la plus austère de saint Jean-Baptiste qui ne les a point amenés à la pénitence. Jésus-Christ explique ainsi lui-même ce qu’il a voulu faire entendre par l’exemple de ce que les enfans se disent les uns aux autres ; car Jean-Baptiste, dit-il, est venu ne mangeant point et ne buvant point du vin  ; et vous dites : Il est possédé du démon. Le fils de l’homme est venu buvant et mangeant , et vous dites : C’est un homme de bonne chère et qui aime à boire. C’est avec raison, conclut saint Ambroise, que Dieu a rejeté le peuple juif, parce qu’il n’a point fait pénitence à la prédication de Saint Jean-Baptiste, et qu’il a rejeté la grâce qui lui a été offerte par Jésus-Christ. »

Une remarque importante qu’il me paroît utile de faire sur l’explication toute spirituelle que saint Ambroise a faite de cet endroit de l’Evangile, c’est qu’on y voit combien l’esprit qui animoit les saints est différent de celui dont les personnes mondaines sont animées. Celles-ci n’ont que des idées toutes charnelles, et saisissent avec empressement tout ce qu’elles peuvent trouver dans les Ecritures, qui paroît favorable au goût et aux maximes du monde pour s’en autoriser ; et les saints, au contraire, se servent, pour s’élever jusqu’à Dieu et aux choses spirituelles, de ce qui paroît dans certains endroits des Ecritures donner des idées charnelles ! Jugeons par là de l’esprit qui nous anime. Et comme, selon le grand principe de saint Augustin (l. 3. de la doctrine chrétienne, n. 15.) « l’Ecriture ne commande que la charité et ne défend que la cupidité », comprenons que nous n’entendons et ne lisons l’Ecriture avec fruit, qu’autant que cette lecture sert à enflammer en nous la charité, et affoiblir notre cupidité. Est-ce là le fruit que retirent de la lecture des saintes Ecritures ceux et celles qui voudroient y trouver quelque chose qui autorise les danses, lesquelles ne peuvent qu’enflammer la cupidité, et par conséquent éteindre ou du moins affoiblir la charité ?

Les ministres protestans que nous avons déjà cités plusieurs fois, ont répondu avant nous aux exemples qu’on voudroit tirer des livres saints en faveur de la danse : ce qu’ils ont dit à ce sujet nous a paru assez lumineux et assez solide pour mériter de trouver encore ici sa place.

La première réponse qu’ils font est, que si les danses dont parle l’Ecriture étoient telles que celles d’aujourd’hui, elles ne pourroient servir à les justifier ; mais à cette réponse ils en ajoutent une seconde, en faisant voir les différences entre les danses qu’ils combattent, et celles des femmes israélites et de David. Le but de ces danses dont parle l’Ecriture étoit « de se réjouir en Dieu en lui rendant grâces ; ce que ne pouvoient faire des personnes si saintes, jouissant si saintement en la présence de Dieu, avec une sainte modestie et une gravité convenable. Ainsi s’en allèrent les femmes d’Israël après Marie avec des tambours et autres instrumens, mais en donnant gloire à Dieu de la délivrance de son peuple ; car cela est exprimé. Quant aux sauts de David devant l’arche, ils ne pouvoient être autres qu’accompagnés de psaumes et de cantiques : car il est dit que c’étoit devant le Seigneur qu’ils jouoient des instrumens, et que David sautoit de toutes ses forces. Cependant, lorsque ces choses se faisoient, les hommes n’étoient point avec les femmes… Or, maintenant faisons comparaison de ces danses-là à celles d’aujourd’hui, pour voir si elles se ressemblent. Celles-là donc avoient pour unique fin une affection véhémente de donner louange à Dieu avec le témoignage d’une joie sainte ; et celles-ci ne tendent au contraire qu’à prendre et à donner du plaisir. C’étoient là des mouvemens de personnes touchées et émues d’une douce jouissance des bienfaits de Dieu ; et ce sont ici des danses, après des banquets, de personnes pleines de vin et de viande, ou de cœurs vains et folâtres. Là, les sons étoient des sujets sacrés, des cantiques et des actions de grâces, pour conduire les pas de manière qu’il n’y eût rien de profane : ici, les chansons les plus folles et les plus indécentes sont les mieux reçues. Là, les hommes n’étoient point avec les femmes, il n’y avoit point d’embrassemens, de baisers, d’entretiens : ici, tout sont pêle-mêle avec toute privauté, avec licence et abandon. Voilà la différence comme du jour à la nuit ».

Cette différence étant si sensible, falloit-il beaucoup de pénétration pour l’apercevoir ; et, si l’on ne s’aveugloit pas volontairement, ne l’auroit-on pas tout d’un coup aperçue ?

Mais au moins, puisque par les réflexions qui viennent d’être faites, le jour de la vérité luit d’une manière si frappante, qu’on cesse d’y fermer les yeux, et que désormais on raisonne et qu’on agisse toujours en enfans de lumière.

Mais, dit-on, en accordant qu’il n’y a dans les saintes Ecritures rien qui autorise absolument les danses, ne peut-on pas raisonnablement demander à ceux qui défendent avec tant de sévérité de chercher ce dangereux divertissement, pourquoi, si elles sont si dangereuses, Jésus-Christ et les Apôtres n’ont rien dit positivement d’un si grand péril et d’un si grand mal ? Je réponds avec M. Bossuet (dans ses réflexions sur la comédie, tom. 7. de la collection de ses ouvrages, p. 630 à la fin, et 631.) « que ceux qui voudroient tirer avantage de ce silence, n’auroient qu’à autoriser les gladiateurs et toutes les horreurs des anciens spectacles, dont l’Ecriture ne parle pas. Les saints Pères qui ont essuyé de pareilles difficultés, nous ont ouvert le chemin pour y répondre qu’en général tout ce qui intéresse les hommes dans des inclinations vicieuses, est proscrit avec elles dans l’Ecriture. Les immodesties des tableaux dont l’Ecriture ne dit rien expressément, sont condamnées par tous les passages où sont rejetées en général les choses déshonnêtes ». Il en est de même des danses. S. Jean n’a rien oublié, lorsqu’il a dit : (épit. 1, c. 2, vv. 15 et 16.) N’aimez point le monde ni ce qui est dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du père n’est point en lui ; car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie ; ce qui ne vient point du père, mais du monde. Si la concupiscence n’est pas de Dieu, tout ce qui la favorise, et plus encore tout ce qui l’excite, n’est point de lui, mais du monde ; et les Chrétiens n’y doivent prendre aucune part, puisque Jésus-Christ dit d’eux : (Jean, c. 17. v. 14.) Mes disciples ne sont pas du monde, comme je ne suis pas moi-même du monde. Saint Paul a aussi tout compris dans ces paroles de son épître aux Philippiens. (c. 4, v. 8.) Tout ce qui est vrai, tout ce qui est honnête, tout ce qui est juste, tout ce qui est saint, tout ce qui est aimable, tout ce qui est d’édification et de bonne odeur, tout ce qui est vertueux, ce qui est louable dans les mœurs ; que ce soit là ce qui occupe vos pensées. Tout ce qui empêche donc d’avoir ces saintes pensées, et qui en inspire de contraires, ne doit point plaire à des chrétiens, et doit au contraire leur être suspect.