(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Seconde partie.] — Chapitre X. Neuvième et dernière objection : Défendre les Danses, c’est peine perdue. » pp. 208-214
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(1769) Traité contre les danses [graphies originales] « Traité contre les danses. [Seconde partie.] — Chapitre X. Neuvième et dernière objection : Défendre les Danses, c’est peine perdue. » pp. 208-214

Chapitre X.

Neuvième et dernière objection : Défendre les Danses, c’est peine perdue.

On a beau écrire et parler fortement contre les danses, on ne viendra jamais à bout de les abolir : pourquoi donc entreprendre de le faire ?

Réponse. Où conduit un pareil raisonnement ? Si on le suit, il ne faudra pas plus écrire ni parler contre les juremens, les ivrogneries, les impudicités, les injustices et les autres désordres, que contre les danses. Voit-on beaucoup de pécheurs convertis par les meilleurs sermons ? En pourroit-on conclure qu’il est inutile de parler fortement contre les vices, et qu’il faudroit se contenter de faire des catéchismes pour apprendre aux bonnes gens ce qu’ils doivent croire ? Le fruit qui se peut tirer des meilleures choses dépend de la grâce de Dieu dont les jugemens sont impénétrables ; et la dépendance où nous sommes de la grâce pour faire le bien, doit-elle nous empêcher de prendre tous les moyens extérieurs qu’il est dans l’ordre de Dieu que l’on prenne pour le pratiquer ou pour le procurer ? C’est ordinairement à l’usage de ces moyens qu’il attache sa grâce, sans laquelle Jésus-Christ nous dit que nous ne pouvons rien. (Jean, c. 15, v. 5.) C’est donc une conséquence très-fausse que de conclure qu’il est inutile d’écrire ou de parler contre les danses, parce que, quelque chose qu’on dise ou qu’on écrive contre elles, on ne les abolira certainement pas, et qu’on n’empêchera pas une infinité de personnes de s’y livrer comme elles ont fait jusqu’à présent. Mais si cette conséquence est fausse, dès lors le raisonnement d’où on l’a tirée n’est-il pas évidemment faux ? Raisonne-t-on si mal par rapport à la santé du corps, et aux remèdes qui peuvent la conserver, ou la rétablir lorsqu’elle a été altérée par la maladie ? Dit-on qu’il ne faut pas les employer, parce qu’ils n’opèrent pas toujours la guérison des malades pour qui on les emploie ? On sait qu’ils sont utiles à plusieurs, et c’en est assez pour en faire usage dans tous les cas où l’état des malades semble les exiger. En écrivant et en parlant contre les danses, on est bien éloigné de penser que toutes les personnes qui y sont attachées y renonceront ; et qu’on réussira, comme on le souhaiteroit, à les abolir : on est, au contraire, persuadé que le nombre de ceux et de celles qui céderont à la force de la vérité, sera toujours infiniment plus petit que le nombre de ceux qui y résisteront. Mais on regarde comme un très-grand gain celui d’une seule ame rachetée par le Sang de Jésus-Christ ; et dût-on ne retirer pour fruit de son travail que le gain de cette ame, on s’en croiroit bien récompensé.

Mais pourquoi vouloir mettre des bornes à la bonté et à la miséricorde de Dieu, et ne pas espérer que, par le secours de sa grâce, la lumière de la vérité pénètrera dans un plus grand nombre d’esprits et de cœurs ? Nous avons entendu saint Jean Chrysostôme déclarer, en déclamant contre les danses, que si plusieurs le trouvoient en cela ridicule, il espéroit que du moins son discours seroit utile à quelques-uns. C’est cette même espérance qui nous anime. D’ailleurs, nous savons que Dieu nous demande notre travail, et non le fruit de ce travail dont nous ne sommes pas les maîtres. Ceux qui doivent parler sont coupables quand ils se taisent ; mais ils ne le sont pas lorsqu’ils parlent à des morts. Le ministre, chargé de planter et d’arroser, ne sait pas si son travail réussira, parce que c’est Dieu qui donne l’accroissement à ce qui est planté et arrosé : mais il n’est pas douteux que si le ministre ne travaille pas, il ne pourra pas recueillir ce qu’il n’aura pas semé.

Aussi, quoique le peuple Juif résistât opiniâtrément à la voix des Prophètes, Dieu ne laisse pas de dire à Isaïe : Criez sans cesse, faites retentir votre voix comme une trompette ; annoncez à mon peuple les crimes qu’il a faits ; et à la maison de Jacob, les péchés qu’elle a commis. (Is. c. 68, v. 1.)

Saint Paul, écrivant à l’évêque Timothée, son disciple, lui dit : Pressez les hommes à temps et à contre-temps ; reprenez, suppliez, menacez, sans vous lasser jamais de les tolérer et de les instruire. (Tim. 2. c. 4. v. 2.)

Saint Grégoire-le-Grand montre, par l’exemple de Jésus-Christ, que ceux qui ont la charge d’instruire, ne doivent pas se lasser de le faire, quoiqu’ils ne voient pas de fruits de leurs instructions ou qu’ils en voient peu. (hom. 18, sur les évang. n.° 3.) « Quoi qu’on voie, dit-il, la perversité des méchans croître, non-seulement il ne faut pas cesser de prêcher et d’instruire, mais il faut encore le faire avec plus d’ardeur et plus souvent. C’est ce dont le Seigneur nous avertit par son exemple, puisqu’après que les Juifs, résistant à sa parole, l’eurent appelé possédé du démon , il ne laissa pas de répandre avec plus de profusion les grâces de ses instructions, en disant à ces Juifs qui venoient de l’outrager d’une manière si indigne : En vérité, en vérité, je vous le dis : si quelqu’un garde ma parole, il ne mourra jamais (Jean, c. 8, v. 51.) »

Quels motifs n’avons-nous pas de croire plutôt à la parole de Jésus-Christ qu’à celle du monde ? Les maximes du monde sont des maximes meurtrières, parce qu’elles donnent la mort aux ames qui ont le malheur de les suivre, et qui, en les suivant, perdent la vie de la grâce, et se rendent dignes de la mort éternelle de l’enfer. Les maximes de J. C. sont au contraire salutaires et vivifiantes, parce qu’en y conformant sa vie, on vit de son esprit, et qu’on mérite par là de vivre un jour éternellement avec lui dans sa gloire. Ce que le monde dit, tend à rendre ici-bas la vie plus agréable et plus commodé ; mais c’est pour la lui rendre éternellement malheureuse après la mort. Ce que dit Jésus-Christ, demande qu’on mène sur la terre une vie plus resserrée et plus gênante ; mais c’est pour conduire à la jouissance des biens incompréhensibles et immuables, qui sont réservés dans le ciel pour ceux qui aiment Dieu. Si nous savons nous aimer nous-mêmes, ne nous mettrons-nous pas plutôt en peine de ce qui peut nous être utile pour la vie future, qui ne doit jamais finir, que de ce qui peut nous faire plaisir en cette vie qui est si courte ? N’est-ce pas être véritablement sage que de savoir nous priver de plaisirs qui pourroient nous exposer au danger de nous perdre pour l’éternité ? Et n’est-ce pas, au contraire, une insigne folie que de sacrifier son salut éternel pour quelques satisfactions d’un moment ? Ecoutons en tremblant, et méditons souvent cette parole de Job, (Job, c. 21, vv. 11, 12, 13.) Leurs enfans sortent de leurs maisons comme des troupeaux de brebis ; ils sautent et dansent en se jouant, ils battent le tambour et jouent de la harpe ; ils se divertissent au son des instrumens de musique, ils passent jusqu’à la vieillesse leurs jours dans les plaisirs ; en un moment ils descendent dans l’enfer (ou dans le tombeau.) Que deviennent à la mort les plaisirs dont on a joui pendant la vie ? Et si ces plaisirs ont engagé l’ame dans le péché, de quoi sont-ils suivis dans les enfers ? Voyez ce qu’en dit le mauvais riche qui, étant sur la terre, avoit été vêtu de pourpre et de lin, et avoit fait tous les jours bonne chère : (Luc, c. 16, v. 24.) Je souffre cruellement dans cette flamme. Et pourquoi y souffre-t-il ainsi ? Abraham, dont il implore le secours dans ses tourmens, pour qu’il lui procure quelque soulagement, le lui dit : (v. 25.) Mon fils, souvenez-vous que vous avez reçu vos biens pendant votre vie. C’est-à-dire, vous n’avez pensé qu’à y vivre à votre aise et dans les plaisirs. Vous deviez regarder les biens et les plaisirs de ce monde comme des biens étrangers pour vous, parce que vous deviez tendre à d’autres biens et à d’autres plaisirs. De ces biens et de ces plaisirs, que vous deviez regarder comme n’étant pas vos biens, parce que vous n’étiez pas fait pour eux, vous en avez fait vos biens et vos satisfactions en y attachant votre cœur : vous n’avez donc rien à prétendre à des biens que vous avez méprisés, et vous devez reconnoître que les tourmens que vous souffrez, sont la juste punition du mépris que vous avez fait des vrais biens que la foi devoit vous faire apercevoir, et que vous deviez seuls rechercher.

Ah ! si nous avions assez de foi pour nous transporter en esprit dans l’autre vie, et y voir les funestes suites des plaisirs défendus qu’on aura recherchés, et les heureuses suites des mortifications qu’on aura pratiquées et des maux qu’on aura soufferts patiemment pour l’amour de Dieu, faudroit-il faire tant d’efforts pour nous persuader de renoncer à des plaisirs qu’on ne peut guère se procurer sans offenser Dieu, et en particulier à celui des danses ; et ne nous rendrions-nous pas plus facilement à des vérités pour lesquelles le monde n’a tant d’opposition que parce qu’elles contredisent les désirs déréglés de la concupiscence ?