(1623) Apologie de la danse et la parfaite méthode de l’enseigner tant aux cavaliers qu’aux dames [graphies originales] « Apologie de la danse. » pp. 11-24
/ 112
(1623) Apologie de la danse et la parfaite méthode de l’enseigner tant aux cavaliers qu’aux dames [graphies originales] « Apologie de la danse. » pp. 11-24

Apologie de la danse.

I’ay balancé long-temps si ie lairrois eschapper de mes mains ce traicté, pour l’incertitude de la reüssie de ma peine, attendu la qualité du sujet dont ie parle, & la diuersité de tant d’esprits qui choquent ordinairement ce qui n’est pas de leur humeur, dont les vns croyront (peut estre) que ie veux authoriser vn Paradoxe, les autres que i’entreprends d’adiouster des appas & des attraicts au vice, parmy des ames qui y ont desia assez d’inclination naturelle, qu’vne longue habitude leur a fortifiée, & que les occasions ordinaires & les mauuais exemples resueilleroient si elle estoit endormie.

Mais les premiers seront aisement satisfaits s’ils se donnent la patience de voir surquoy ie me fonde, & pour ne les enuyer, ie ne les entretiendray point des fables de la Poësie, ie n’appelleray point à tesmoin vn Arion qui au son de sa voix & de sa lire fist iadis danser ce Dauphin qui le deliura du naufrage, ny cest Orphée qui trouuoit en toutes choses vne si grande disposition à la danse, que les inanimées mesmes se ioignoyent au bal, animées des charmes de sa lire : & ne tireray point ma consequence de l’ordre qu’on donne à la nature de ceste admirable proportion des causes, ny de ceste Symmetrie, par laquelle les Cieux, les Elemens, & tant de choses de soy contraires & disioinctes, sont par vn accord discordant, & cadence miraculeuse vnies & conseruées en cest assemblage & continuité de l’Vniuers, auquel les Stoiciens (rauis de tant de merueilles) ont donné vn corps & vne ame, l’estimant estre vn animal de nature immortelle ie lairray ceste matiere pour l’exercice de quelque Poëte, & les prieray de considerer auec moy, que les plus remarquables personnages de toute l’antiquité, ie dis & sacrez & profanes, ont honoré la danse, & de voix & de pratique. Ceux là me fourniroyent vne multitude d’exemples, si la reuerence que ie porte au liure de Dieu, me permettoit le meslange des choses sainctes à celles qui ne le sont pas, joint aussi que ie m’engagerois d’expliquer le sens des Escritures, pour faire voir le suject qui obligeoit tant de sainctes ames à la danse, ce qui contrarie à la briefueté que ie me suis proposée, vn autre dira à ma capacité, ie l’aduouë : Mais si est-ce qu’il n’y a rien de plus palpable que les plus authorisez parmy le peuple de Dieu, (poussez d’vne saincte allegresse) ont dansé, & que depuis en la primitiue Eglise, la coustume longtemps continuée a esté, qu’on obseruoit des cadences & des pas mesurez au son de certains motetz qu’on y chantoit. Que si on me dit la dessus que la difference du danser de ces anciennes Eglises, à celuy de nos bals & de nos assemblées (qu’on feint autant de tendez-vous en faueur de l’entretien du vice,) aneantit l’authorité que ie recherche en vne coustume dans le retranchement de laquelle se voit enseuelie toute la consequence que i’en pourrois tirer, si ne me peut on nier toutes fois que ces vieilles façons de faire & la souffrance de nos anciens Orthodoxes n’authorisent assez que la danse en soy ne peut estre blasmable, & c’est ce que ie demande.

Qu’ils viennent donc auec moy chez les Profanes, & ie leur fairay cognoistre qu’vn Socrates (à qui ce fameux oracle d’Apollon donna la qualité de tressage) a prit à danser d’Aspasia, & que son disciple le diuin Platon conseille de ne pas employer moins de temps, & de solicitude aux exercices du corps qu’à ceux de l’ame : il ne veut pas qu’on les esleue l’vn sans l’autre : mais qu’on les conduise esgallement comme vne couple de Cheuaux attelez à mesme timon, & entre les diuertissemens qu’il a donnez à l’ame, tant s’en faut qu’il aye oublié la danse, qu’il ordonne mesmes aux vieillards d’y assister, non pour imiter la ieunesse : mais pour se resiouyr en autruy & rappeller à leur souuenance la grace & ferueur de leur aage verdissant, C’est merueille combien il est soigneux en ses loix de leurs courses, ieux & danses, desquelles il dit que l’ancienneté a donné la conduicte & patronnage aux Dieux mesmes, bien contraire en cela, à la pluspart de nos Pedans, lesquels (comme s’ils auoyent conspiré contre la gentillesse du corps) souffrent seulement à leurs Escoliers certains exercices qui ne les peuuent entretenir que dans l’ineptie, presque inseparable de ceux qui suyuent le train de leur institution, & leur deffendent la pratique d’autres qui les façonneroyent & les rendroit dignes d’vne ciuile conuersation, de laquelle vne si impertinente police les bannit ou les y fait receuoir comme des buses pour seruir de suject à la raillerie : Mais on a beau dire, ces Messieurs n’altereront pas pour cela la nature de leurs Colleges, & ne souscriront iamais que la science de l’antregent soit necessaire à la ieunesse, on ne leur ostera point cest erreur, que les exercices qui seruent le plus à ceste sçience ne soient autant d’allechemens à la desbauche, leur ignorance est en cela fatalement affectee ; Or d’autant qu’il n’y a rien à gaigner auec des gens, qui ne se peuuent separer de la passion mauuaise conseillere en toutes choses, & d’ailleurs que ie ne voudrois pas m’esloigner de mon subiect par vne discretion trop est enduë, retournant à ceux à qui ie parlois premierement ie les prieray de me suiure, pour leur faire voir que ie puis adiouster à l’authorité de Socrates & de Platon celle de plusieurs claires lumieres de l’antiquité payenne. Homere leur dira en ma faueur que les assemblées & les festins font vn corps qui ne peut estre animé que de la danse. Ie leur monstreray dans Plutarque qu’vn Damonidas l’a mise au rang des choses plus recommandables, & qu’Epaminondas s’en seruoit industrieusement au choc d’vne bataille, & s’y exerçoit encores parmy les dames de sa cité, n’estimant pas que ce fut chose qui derogeast à l’honneur de ses victoires ny à la reformation de sa vie. Ils verront en Xenophon qu’on honnora de danses & mascarades à l’arriuee des Capitaines de Cyrus : & en Macrobe que les enfans des Senateurs de Rome au sortir des escoles aloient apprendre à danser.

Ie ioindrois à ceux cy vne infinité d’autres & aux anciens les modernes, si ceux qui ne se lairront pas dessiller les yeux à la veuë de ces soleils ne deuoient par consequant mespriser toute autre lumiere. Qu’vn plus opiniastre que moy s’essaye de les persuader, ie ne perdray pas ainsi & mon temps & ma peine, ny ne m’amuseray encores à redire ce qu’Atheneus, Celius, Scaliger, Lucian, Iulius Polux, & tant d’autres ont assez amplement escript, qui tous demeurent d’accord que la danse outre qu’elle est grandement necessaire à la conseruation de la santé, n’est pas moins agreable aux vieux, que conuenable aux ieunes, & bien seante à quiconque se voudra tenir au dedans de la modestie. C’est vne eloquence muete que Roscius fit iadis aduouer bien plus forte & plus persuasiue que celle de Ciceron, à qui le despit d’auoir esté condamné par les arbitres augmenta de beaucoup la douleur que luy causoient les vlceres de ses iambes.

Voila la satisfaction où ie me suis insensiblement engagé pour le contentement de ceux que ie disois au commencement de ce discours me vouloir peut-estre soubçonner de quelque extrauagance qui cederont sans doubte à la force de la raison, de l’authorité & de l’experience.

Pour les autres dont ie parlois en suitte, ie proteste que leurs considerations, (quoy que plus desaduantageuses) sont trop legeres pour me faire perdre l’enuie de m’aquiter de ce que ie pense deuoir au bien d’vne noblesse bien née, qui sçait comme moy qu’on ne manque point de rencontrer des esprits qui choisiront plustost l’escart de quelques sinistres opinions, que le grand chemin d’vne verité toute battuë ? Ie sçay bien qu’ils se mocqueront des authoritez dont ie m’appuie, mais ie sçay bien aussi que ce sera le renuier par dessus Epimenides qui dressa des autels à l’impudense, quoy qu’ils dient, ils ne m’empecheront point de suiure mon dessein, & me soucie fort peu d’estre en butte de leur medisance.

Ie n’entre pas aussi en debat auec certains personnages mal taillez & difformes qui ne peuuent cacher les deffauts qu’ils ont de la nature qu’en la ruine de la bien seance, non plus qu’auec ceux qui comme des Timons se sont retirez de la societé des hommes, pour viure gras & ingrats, & donner la chasse aux Chimeres : l’enuie pousse ceux-là au mespris de la danse, pour n’auoir pas le corps disposé à receuoir les graces qui ne peuuent estre en leur perfection sans elle, & ie recuse ceux cy pour ce qu’ils sont obligez de controoller (au moins en apparence) ce qui contrarie à leur proffession, ioint qu’vne nouuelle façon de viure leur alterant ordinairement le cerueau & en suitte la raison, leur empesche de voir le desreglement de leurs opinions.

C’est au iugement d’arbitres non preocupez de faueur que ie m’adresse, qui aduouëront ie m’asseure que tant s’en faut que la danse aye en soy rien de blamable, qu’au contraire la bien-seance luy est vn accidant inseparable. Que si les anciens l’ont honnoree & mise en vsage, n’ayant que l’ombre & la figure de la perfection que nous possedons à cest heure, qu’elle apparence qu’estant plus noble elle soit moins recherchee.

Seneque dict, que si la nature nous a donné l’estre nous sommes redeuables à l’estude de la vertu du bien estre, & i’ose sans rougir encherir là dessus que le seul exercice de la danse peut non seulement arracher les mauuaises actions qu’vne negligente nourriture auroit enracinee, mais donner encore vn maintien & vne grace que nous disons entregent, & que ie peux appeller proprement le bel estre, chose tout à faict necessaire à quiconque veut rendre son port & son abort agreable dans le monde.

De façon qu’en l’ordre des choses se trouuent deux degrez (la Philosophie & la Danse) qui peuuent monter vn homme à sa perfection. Voici toutesfois leur difference ; c’est que le premier se peut communiquer à tous ceux qui ont de la raison sans esgard à la forme du corps, & c’est à quoy le dernier vise principalement, en fin chacun est capable de ce dont les Philosophes se ventent, & vn Canibale, mesme le plus grossier & d’esprit & de mains se peut acquerir la cognoissance de tous les arts liberaux & mecaniques, voire y peut exceller s’il y met & la peine & l’enuie, mais la danse a cela de particulier, que quiconque a le corps mal faict est incapable des graces qui l’accompagnent, il faut auoir vne matiere propre pour receuoir vne si digne forme.

Que s’il y en a parmi ceux qui sont redeuables au ciel de ce bon heur qui se laissent porter au mespris d’vne chose qui peut empescher le mespris en bonne compagnie, ie les prie de considerer le traict d’vn de nos derniers Roys qui faisoit quelque fois admirer ses perfections dans vn bal auec autant d’auantage sur ses Courtisans, comme il sur passoit en iugement & en langue les mieux sensez & les plus eloquens de son Royaume, luy blasmant vn gentilhomme (au reste fort accompli) de n’auoir pas apris à danser, & luy demandant ce qu’il sçauoit faire, ie sçay bien, Sire, dict-il, donner en guerre vn coup de lance pour le seruice de vostre Majesté : Ie vous conseille donc (repliqua ce braue Prince) de vous armer d’vn froc en temps de paix, comme s’il eust voulu dire que les fureurs de la guerre cessees vn Caualier ne pouuoit s’occuper à vn plus noble exercice que celuy qui luy donne vne grande entree en la cognoissance de sa Cour & de son monde.

Mais que sert il de tant discourir en faueur d’vne chose que l’exemple des siecles passez, & les effects qu’elle produit au nostre rendent assez recommandable ? pourquoy tant d’ennemis contre ce qui est si necessaire, & dequoy Messieurs nos Maistres ne me peuuent prouuer la censure dans les sainctes lettres, ouy bien dans quelques legeres apparences qu’ils mettent en consideration, nous ne blasmons pas la Danse, disent-ils, pour ses pas & ses mesures, autrement la voix & la Musique courroient la mesme fortune, mais parce qu’elle oblige les Venus à se parer plus ambitieusement, desquelles il faut fuir la hantise, d’autant que l’imagination prend feu (aussi soudain que le Naphthe) si on l’arreste tant soit peu en la contemplation d’vn obiect amoureux, qu’elle est en fin tousiours suiuie de mil mauuais desirs de vanité & de concupiscence, & ces desirs de scandales qui produisent souuent de grands malheurs.

Ie m’estonne de ces gens qui font deux sortes de scandale (le pris & le donné,) & en condamnent l’obiect sans distinction : i’auouë que l’on doit prendre garde à l’vn, car ie n’approuue point ce qui est impudique, mais qui se peut empescher de l’autre, puis que l’ennemi des hommes se seruira des plus innocentes franchises pour trahir les ames susceptibles de ses tentations ; certes l’intention est le plus veritable iuge de nos actions, si elle n’est point alteree, peche qui voudra, il est luy mesme autheur de son offence.

Mais ie ne veux pas entrer si auant en vne matiere esloignee de mon gibier & de mon dessein, ie diray toutesfois en passant, que ceux qui en font profession employeroient plus heureusement leur plume & leur loisir à decider tant de controuerses qui tyrannisent les consciences, & dont les doutes causent vne indubitable perdition à vne infinité d’ames malheureusement forcees d’en aller demander la solution à Radamanthe, leur peine en cela seroit autant loüable, comme en ceci les iugemens biens sains la trouuent inutile.

L’authorité desquels seconde mon entreprise que ie poursuis auec d’autant plus de resolution que ie la sçay appuyee de la conformité de nos loix, & qu’elle a pour subiect vn bien tres-necessaire aux Caualiers, & aux Dames qui veulent anoblir les charmes qu’ils ont desia de la Nature, des actions & des graces qu’elle ne leur a peu donner, lesquels loüeront, ie me vante mon affection, lors que l’experience leur aura tesmoigné les effects de la methode dont ie traicte : & que ceux qui se peuuent à bon droict donner la gloire d’auoir porté la Danse parmi les choses accomplies pratiquent auiourd’huy.

Ie dis ceux : pource que ie ne puis donner ma voix à l’inconsideration de plusieurs, qui poussez de quelque affection particuliere, ou forcez, peut estre, de cest instinct qui nous faict ordinairement fauoriser vne chose plus que l’autre, & bien souuent trouuer chois en deux pareils subiects, attribuent c’est aduantage à vn seul ; car si l’on iuge que tant de personnes qu’on sçait auoir attaint la perfection de bien danser, ont apris en diuers lieux & soubs differents Maistres, & qu’eux mesmes par leur exercice & iugement y ont apporté quelque chose du leur, on sçaura que i’ay raison de dire qu’vn seul n’a pas inuenté tout ce qui est auiourd’huy receu estre bien faict : mais que plusieurs, qui plus, qui moins y ont contribué leur industrie, & que par consequent il est tres-raisonnable que tout plain de braues gens qui honnorent ceste profession participent à ceste loüange, sinon à pareil degré d’honneur que les premiers, au moins à mesure que chacun a de la vertu ce qui sera d’autant plus equitable qu’ils ont acquis dequoy se faire imiter & se distinguer d’auec ceux qu’on sçait profaner le mestier.

Icy il importe que ie gauchisse encores vn peu mon chemin, pour faire veoir que cest abus est suiui d’vn autre bien plus insupportable : C’est que comme en toutes sortes de sciences il se rencontre des personnes qui pour y estre montees seulement par la fenestre, n’esperent rien moins que les mesmes priuileges de ceux qui en ont recherché l’entree par les voyes legitimes, l’on voit de mesmes en celle cy vn tas de Maistres dont les vns s’imaginent que pour rendre leurs imperfections inuisibles, c’est assez de se mettre à couuert soubs les aisles de ceste belle qualité, qu’ils font le sejour de leur reputation, aussi plaisant que celuy qui couuroit son Asne de la peau du Lyon, croyant luy faire changer de nature.

Les autres sont si fort esclaues de la vanité qu’ils font gloire de professer l’ignorance, mais auec telle superstition qu’ils condamnent souuent ce qu’ils n’entendent pas, & lors qu’on choque leurs vieilles maximes, & les actions corrompuës & abastardies dont ils se seruent, estiment qu’il suffit d’appeller à garand l’authorité des Maistres soubs lesquels ils ont faict leur apprentissage, & par là meriter assez pour manger la moüelle de la renommee, sans considerer qu’ils n’ont pas les dents à l’espreuue pour en ronger les os, & ainsi la sottise ne manque iamais de proye ny d’exercice.

Or s’il y en a quelques vns parmi ceux-cy qui n’ayent pas du tout oublié par l’vsage des pas celuy de la raison, ie les coniure de faire vne petite reflection sur eux mesmes, & de donner quelques heures de leur loisir à la cognoissance non affectee de ce qu’ils sont capables ou incapables, afin que la prattique d’vn estude si profitable, ils anoblissent ce qu’ils peuuent desia, corrigent leurs deffauts, & acquierent en fin les perfections qui rendent à bon droict imitables ceux qui les possedent, lesquelles (s’ils ne les recherchent ailleurs que dans la presomption) on trouueroit aussi tost en eux, qu’en la Sphere le rencontre de deux parallelles.

Quand à ceux qui n’ont l’esprit qu’au bout des pieds, ils ne peuuent pas auoir les considerations releuees iusques où ie les voudrois, pour leur faire trouuer quelque goust en ces aduis, ils sont trop ahurtez à la bonne opinion qu’ils ont d’eux mesmes, qu’ils s’y tiennent donc tant qu’il leur plaira, & qu’ils exercent à souhait leur iugement terre à terre, ie ne leur enuieray iamais la gloire qu’ils en rapporteront, il suffit que i’aye rendu ce tesmoignage du ressentiment qu’vne consideration publique me donne de ce qu’ils sont tels, & du contentement que i’aurois pour la mesme raison qu’ils fussent dignes d’vne recommandation veritable.

Que si ie ne m’arreste point à particulariser tant de mauuaises actions, qui feroient peut estre remarquer les personnes où elles sont, (comme certains accidents en leurs subiects) inseparablement coniointes, qu’on sçache que ie suis en cela poussé de courtoisie, & de mon inclination ennemie iuree de la mesdisance, & non d’aucune crainte que i’aye, ny des effects ny des paroles des gens qui ne me pourroient rien faire que pitié. D’ailleurs si ie m’enfonçois en ceste matiere, i’abuserois trop long temps de la patience du monde, & engagerois inutilement ma peine à la guerison d’vn mal qui paroist sans remede, & en fin ce qui me touche le plus, seroit abandonner de trop loing mon subiet qui me rappelle & veut que ie le concluë.

Ce que ie feray auec cest estonnement dont mon ame a souuent esté surprise. Pourquoy tant de sciences, ie ne diray pas seulement inutiles, mais dommageables ont eu la vogue parmi le monde, & que celle cy qui meine quand & soy les graces a tant este disgratiee que pas vn de ceux qui en font profession, n’a laissé à la memoire le moyen qu’il falloit obseruer en sa pratique : Certes si l’on considere en cela la negligence des siecles passez, on les trouuera en quelque façon excusables eu esgard à leur insuffisance, mais au nostre où la Danse se peut venter du dernier poinct de sa perfection. N’est-ce pas vne honte que nous voulions enseuelir la gloire qu’il merite de l’y auoir amenee, & priuer la posterité d’vn bien qui nous donne vn si grand auantage sur les anciens : car comme toutes choses par vne vicissitude & reuolution presque ineuitable retournent à leur commencement, qui doute que cest exercice s’alterant auec le temps ne r’entre bien tost au neant dont nous l’auons tiré, s’il ne rencontre quelque plume charitable qui luy entretienne la vie malgré l’enuie.

Mais le moyen, me dira quelqu’vn d’exprimer par escrit ce dont l’intelligence gist au voir faire ? Comme si l’on n’auoit iamais escrit de choses plus difficiles à comprendre ? Vn Philosophe me dit vn iour, que comme les paroles estoient les marques des conceptions de nostre ame, les escrits estoient aussi les images des paroles, que des choses s’enfantoient les paroles pour les communiquer aux presens, & des paroles les escrits, mais en consideration des absens & de nos posterieurs, ce qui n’est pas l’office des paroles, il m’apprit encores par des exemples & des raisons si palpables, qu’vn homme auec du sens commun n’en peut douter, que lors que l’intellect a bien compris la cognoissance des choses qui luy arriue par l’entremise des sens, il la peut heureusement esclarcir par le moyen de l’vn ou l’autre de ces deux instruments dont ie viens de parler, cela m’a tellement fortifié en l’opinion que i’en auois desia par experience, que i’ose maintenir, que quiconque a l’imagination plaine de quelque science, il se peut faire entendre ou de voix ou d’escrit, sinon à tous, pour le moins à ceux de sa profession. I’auouë bien que la danse a quelque chose de particulier qui l’annoblit & l’anime, comme vn certain air, ou vn maintien tantost graue, & tantost negligent qu’vne plume ne peut apprendre, mais qu’outre les pas on ne puisse encores enseigner les actions plus necessaires, qui donnent vn facile acheminement à ceste perfection, qui consiste à voir faire vn bon Maistre, sont des impossibilitez que ie feray voir imaginaires en ce traicté, duquel non seulement plusieurs qui se meslent d’enseigner, mais les Escoliers mesme peuuent tirer vn grand soulagement.