(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 16 octobre. Moa Mandu »
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(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 16 octobre. Moa Mandu »

16 octobre. Moa Mandu

Mlle Moa Mandu, danseuse bosnienne, a une face halée aux traits un peu durs illuminés par un beau sourire qui se fige et, souvent, s’attriste. Svelte, elle use de ces déhanchements languides qui font le charme des madones gothiques. Elle fait remonter son épaule juvénile en fléchissant son cou, et secoue ses cheveux dénoués, lisses et très noirs. Et comme elle est là pour danser, elle danse : Gluck, Chopin, comme cela se fait depuis Isadora, et cette suite de Peer Gynt qui, à force d’avoir été piétinée par les plantes nues d’innombrables danseuses, est devenue une loque musicale. Certaines de ces évolutions sont qualifiées d’inspirations personnelles. Méfions-nous de l’inspiration quand nous ne sommes point sûrs de nos moyens ! Assortir à une page musicale quelques attitudes censées en interpréter l’émotion intime, marquer la mesure en frappant du pied, faire flotter un corps inerte sur l’onde rythmique, cela ne pourrait suffire. Et cette désinvolture avec laquelle Mlle Mandu modifie jusqu’aux titres des pièces musicales, selon son caprice psychologique, ne saurait cacher le néant d’une technique absente. Le parti qu’elle tire d’un souffle haletant, saccadé, pour corser l’impression dramatique, produit une sensation de malaise réel. Et elle achève la plupart de ses danses en se jetant à terre. C’est que trouver l’attitude suprême, statuaire à laquelle aboutit toute danse, réaliser cette transition du mouvement à l’immobilité vibrante, c’est là une chose très ardue, mais qu’on ne doit point éluder.

Cependant il y a des détails aimables. Mlle Mandu utilise parfois le costume avec une intelligence qui fait penser aux Sakharoffs. Une robe blanche, aux plis monastiques, lui donne l’ampleur d’une statue baroque ; trop longue elle entrave son pas. Eh bien, cet obstacle matériel, cette résistance du tissu communique aux pas de la danseuse une expression d’accablement douloureux. D’ailleurs Mme Duncan a eu recours au même procédé dans la lamentation d’Orphée.

Mlle Mandu est bosnienne, avons-nous dit. Mais elle ne nous fit voir aucune de ces danses de terroir, de ces farouches « pyrrhiques » des montagnards serbes, danses dont on suppose volontiers l’existence sans en avoir la certitude. Elle a embrassé le « genre artiste » à l’instar de mille jeunes filles crédules auxquelles on fait accroire que l’on peut s’improviser danseuse. Aussi ce chemin est-il sans issue. Que pourrait-on tirer de cette nouvelle victime du dilettantisme « inspiré » ? Une interprète pour pantomime ? Il est vrai qu’on n’en fait plus. Mais faut-il en somme décourager à ce point une jeune artiste dont la bonne volonté et la conviction sont évidentes ? Sans doute, il le faut, quand c’est là l’unique moyen de lui être utile.