(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 10 décembre « Le Festin de l’araignée ». »
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(1924) La danse au théâtre. Esthétique et actualité mêlées « 10 décembre « Le Festin de l’araignée ». »

10 décembre « Le Festin de l’araignée ».

Le Festin de l’Araignée n’a pas été imaginé par un maître de ballet. Un musicien spontané et subtil l’a composé en s’inspirant de la pensée d’un poète. La chorégraphie est ajoutée après coup. Ceci, pour la critique, détermine le point de départ. La partition de danse adhère-t-elle au texte musical, augmente-t-elle la portée de l’œuvre ? Celle-ci ne s’en trouve-t-elle pas endolorie, amoindrie ? Le spectateur ne se sent-il pas frustré, par la réalisation scénique, d’un peu de cette rêverie délectable qu’il a éprouvée au concert ?

À l’intelligent courage d’un grand directeur comme celui de l’Opéra-Comique, nous croyons devoir la plus intransigeante franchise. La chorégraphie simpliste et usée ainsi que l’ensemble de la mise en scène ont fait songer au Châtelet et aux frères Cognard. Voilà bien des éléments dont s’accommoderait la Reine des Carottes mais qui ne s’amalgament point avec la matière musicale de l’œuvre.

La tâche, d’ailleurs, est loin d’être aisée. Il y a, dans la toile d’araignée de M. Roussel, des mailles si fines que la plus menue pointe de danseuse s’y prendrait. Le corps humain, instrument superbe, est d’un emploi limité. Il y a des allures irréalisables pour lui, les « rubati », brusques changements de temps, le déconcertent, les coupes trop diverses d’un rythme syncopé lui échappent. Aussi se plaît-il, cet instrument, aux rythmes francs, marqués et symétriques, aux cantilènes distinctement phrasées. C’est pourquoi l’exécution de certaines œuvres modernes par des danseurs n’est, pour le musicien, qu’un aimable leurre.

Ceci admis, avouons que mainte suggestion rythmique de M. Roussel a été méconnue ou bien pauvrement traduite par la danse, que mainte autre n’a pas été utilisée du tout. Distinctement, parfois nous entendions danser, mais nous n’apercevions rien sur la scène.

Les acteurs de cette fiction entomologique sont des insectes ou des lépidoptères. La ressource indiquée au maître de ballet c’est donc le mouvement imitatif. Ressource aucunement négligeable : Aristophane n’en a-t-il pas, dans les Oiseaux ou dans les Guêpes, usé magistralement ? Et je songe à ces danses des oiseaux et des cerfs filmées en Afrique occidentale et exécutées par des indigènes : ce sont des merveilles de mouvement stylisé et d’une utilisation caractéristique de l’accessoire. Routiniers parisiens, que trop d’insouciance paralyse, méfiez-vous des Siki de la danse !

Car vous avez préféré le moindre effort, l’à-peu-près négligent. Tout ce petit monde aérien qui bat, sous la baguette du chef d’orchestre, de ses ailes diaprées, exigeait sur la scène de grandes envolées de temps sautés. Le plateau serait trop petit ? Mais faites usage du saut vertical, du jeu étincelant des entrechats. Organisez la danse en hauteur par des enlèvements inédits. Il est vrai qu’il n’y a pas de danseurs à l’Opéra-Comique. Les danseurs doivent chercher ailleurs.

Le décor, les costumes sont signés par un maître. Ce qui n’empêche que ce sont des choses qui n’ont rien à voir avec le théâtre. Les accoutrements des mantes religieuses sont des camisoles de force qui entravent le mouvement. Le décor est une vignette agrandie et coloriée avec goût. Mais la scène n’est pas la page d’un bouquin, elle n’est pas une surface : c’est un espace où des danseurs évoluent.

Somme toute, c’est un spectacle à base d’une partition admirable, comportant certaines trouvailles heureuses, mais combien incohérent, illogique, confus. Il manque une conception, une direction voulue et maintenue dans le moindre détail, une volonté unique capable de coordonner, d’intégrer les éléments de l’œuvre. Telle quelle, elle n’est qu’un argument pour ceux qui tournent le dos au théâtre lyrique pour mieux goûter une partition au piano, en tête à tête avec la pensée du musicien.

Même incohérence dans la distribution. Mlle Mado Minty n’est ni une danseuse, ni une mime. C’est une acrobate : bel et périlleux métier. Elle semble réellement habiter sa toile ; elle circule de maille en maille, s’accroche, se suspend, guette les victimes ; mais elle est surtout préoccupée de sa gymnastique. On dirait un mousse qui grimpe dans les cordages tandis que la musique, sur le pont, joue pour les autres. Mlle Minty se désintéresse absolument des rythmes et des mètres chers à M. Roussel ; elle a autre chose à faire. Très souple avec cela ; la mort de l’araignée est remarquablement exécutée.

Mlle Monna Païva danse l’Éphémère. Il y a des chanteurs dont on dit : ils ont un filet de voix. Par leur manière d’émettre et de nuancer le son, par la justesse de l’intonation ils nous procurent un agrément très réel. Mais l’ampleur, le volume leur manquent. C’est un peu le cas de Mlle Païva, danseuse ; c’est même tout à fait son cas. Mais elle exécute avec une élégance discrète, avec une correction qui s’enrichit à vue d’œil de nuances nouvelles ; on reconnaît l’élève assidue de l’admirable professeur qu’est Mme d’Alessandri. Un peu de ballon, s’il vous plaît, Mademoiselle Soulé ! Vous êtes un papillon. Justifiez vos ailes !