(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome III [graphies originales] « [Programmes de ballets] — Médée. Ballet tragique. » pp. 65-74
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(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome III [graphies originales] « [Programmes de ballets] — Médée. Ballet tragique. » pp. 65-74

Médée.
Ballet tragique.

Personnages.

  • Médée , Princesse de Colchide.
  • Jason , Prince de Thessalie, époux de Médée.
  • Créon , Roi de Corinthe.
  • Créuse , fille de Créon.
  • Les deux enfans de Médée.
  • Gouvernante des enfans de Médée.
  • Corinthiens et Corinthiennes.
  • Lutteurs et Gladiateurs.
  • Les Euménides, la Haine, la Jalousie et la Vengeance.
  • Troupe de Démons.
  • Prêtres de l’Hymen.
  • Peuples.
  • Officiers et soldats.

Première partie.

La décoration représente le péristile du palais de Créon, orné pour une fête.

Créon qui craint les prétentions de Médée au trône de Corinthe, et qui voudroit l’assurer pour jamais à Creuse, croit ne pouvoir mieux faire que d’engager secrètement Jason à s’unir avec elle. Pour réussir dans ce projet, il donne à ce héros les fêtes les plus brillantes, afin de procurer plus d’occasions à sa fille de le séduire par ses charmes, aux quels Jason n’est déjà que trop sensible ; Créuse de sou coté ne jouit pas d’une plus grande tranquillité ; mais l’ardeur de ces amants, malgré toute sa violence n’a point encore osé éclater. Cependant l’œil pénétrant et jaloux de Médée perce à travers ce mystère ; les soins de Jason pour Créuse, son empressement à lui plaire, les préférences qu’il lui donne sans cesse, et dont Créuse lui tient compte, jettent Médée dans les plus affreux soupçons. Créon, qui lit dans l’aine de cette Princesse, cherche à la distraire en lui offrant successivement le spectacle varié de la lutte, de la course et de la danse ; mais tous ces tableaux différons, tous ces hommages qu’on s’empresse à lui rendre, ne peuvent calmer ses inquiétudes ; elle quitte son estrade, présente la main à Créon, en jettant sur Jason et Créuse qui la suivent, un regard menaçant qui décèle le trouble et l’agitation de son ame. Le départ précipité de Médée interrompt la fête ; et termine la première partie de ce ballet.

Seconde partie

La décoration représente un salon du palais de Créon.

Créon toujours occupé de ses projets, est absorbé par le poids de ses réflexions J il veut abdiquer la couronne, il veut unir Jason à sa fille ; il veut que ce Prince, en se séparant de Médée, lui ordonne de fuir ses états, tous ces grands événemens, que prépare sa politique, doivent être l’ouvrage des charmes de Creuse et de leur empire sur le cœur d’un jeune Prince, tout à la fois tendre, ambitieux, ingrat et perfide.

Creuse, qui suit les pas de son père, interprête défavorablement son inquiétude, il l’apperçoit, il lui tend les bras, elle y vole et s’y précipite ; Créon, après s’être mystérieusement assuré de n’être point entendu, lui confie ses desseins, il trouve dans l’aine de Creuse, tous les sentimens qui peuvent flatter son espoir ; elle applaudit avec transport à un projet qui s’accorde si bien avec les intérêts de son cœur. Créon, qui entend du bruit, quitte Creuse avec précipitation, et elle lui jure, en l’embrassant, la plus prompte obéissance.

 

Jason aborde Creuse avec ce trouble et cette émotion qui caractérisent si bien l’amour. Creuse veut fuir ; il l’arrête en tremblant, et lui fait l’aveu de sa passion ; Créuse triomphe, elle oppose à des sentimens si tendres, le courroux de Médée, et 1’empire quelle a sur son âme ; Jason lui en promet le sacrifice, embrasse ses genoux, et dans l’instant où ces amants expriment leur mutuelle tendresse, Médée paroît.

Son action est celle de la fureur, mais habile en l’art de feindre, elle cache sa rage sous le voile de la candeur, elle court vers Créuse et la serre tendrement dans ses bras ; Jason, que sa passion emporte, et qui ne voit que Créuse, oublie ce qu’il doit à Médée. Cette magicienne se livre progressivement à tous les mouvemens de la jalousie, et ne pouvant supporter sans mourir l’idée de l’ingratitude et de l’infidélité de son epoux, elle tombe expirante dans ses bras ; Créuse s’empresse à lui donner ses soins ; mais Médée revoyant la lumière et sa rivale, la fuit avec horreur. La jalousie n’étant qu’impuissante, elle s’abandonne aux transports de la vengeance, elle tire son poignard, s’élance sur Créuse ; Jason arrête le coup mortel, il désarme Médée, qui, désespérée de n’avoir pu assouvir sa rage, part en menaçant, et en exprimant ce que la haine et la fureur ont de plus effrayant. Créuse, vivement émue du danger qu’elle a couru, quitte Jason en l’assurant de la constance de ses sentimens.

Créon profite du désordre qui règne dans l’âme de Jason, pour achever de triompher de ses scrupules ; il lui offre son trône et la main de Créuse, à condition qu’il renverra Médée. Jason hésite ; la reconnoissance balance encore les droits de l’amour ; mais à la vue du sceptre et de la couronne que Créon lui présente, Jason oublie tout ; il accepte avec transport. Médée paroît avec ses enfans ; ils se précipitent à ses pieds ; elle veut tenter, quelque chose qui lui en coûte, un dernier effort : elle réclame ses premiers sermens, elle le presse de lui rendre sa tendresse, elle lui montre ses fils, gages précieux de la foi qu’il lui a jurée ; elle lui présente un poignard et son sein, en le conjurant de lui percer le cœur, s’il ne veut lui rendre le sien. Jason, pénétré du plus vif repentir, se jette, malgré les efforts de Créon, dans les bras de Médée, il la serre étroitement dans les siens, l’innonde de ses larmes, il va lui rendre sa foi, il va refuser la couronne, il va refuser Créuse. Créuse paroît et triomphe.

Il se débarrasse des bras, de son épouse pour voler dans ceux de son amante ; et sa passion lui faisant oublier qu’il doit tout à Médée, il pousse la cruauté jusqu’à lui ordonner impérieusement d’éviter sa présence, et de fuir pour jamais les états de Créon.

Médée, les yeux fixés vers la terre, paroît immobile ; l’arrêt de sa disgrace absorbe, pour ainsi dire, toutes les facultés de son âme ; elle est dans l’anéantissement le plus affreux, lorsque tout à coup elle en sort pour se livrer toute entière à sa rage. Elle éloigne ses enfans, elle évoque les élémens, les enfers et les dieux ; elle change le sallon en une grotte épouvantable ; la haine, la jalousie et la vengeance accourent à sa voix ; elle leur commande de servir sa fureur, et ces filles de l’enfer lui présentent le feu, le fer et le poison ; elle ordonne au feu de renfermer dans un coffret qu’elle destine à Créon les matières les plus combustibles, et les flammes les plus actives ; elle commande au poison de répandre ses venins mortels et ses vapeurs empestées sur un bouquet de diamans, que sa cruauté réserve à Créuse ; elle demande au fer un instrument propre à assouvir sa rage ; il tire de son sein un poignard, que la jalousie, la haine et la vengeance présentent à Médée. Cette magicienne, se félicitant des forfaits quelle va commettre, ordonne à la troupe infernale de disparoître.

Le sallon reparoît.

Enivrée de ses fureurs, Médée appelle ses enfans, elle veut en faire ses premières victimes ; mais son bras mal-assuré refuse d’obéir. Le fer échappe de sa main, et la nature semble lui reprocher l’atrocité d’un tel crime, elle charge ses enfans des présens empoisonnés ; et elle les accompagne, pour faire agir plus sûrement les ressorts qu’elle a résolu d’employer pour assouvir sa vengeance.

Troisième partie.

La décoration représente la salle Royale du palais de Créon.

Ce Prince est sur son trône ; il en descend, après avoir reçu l’hommage des trois ordres de l’état Il approche de l’autel, il montre Jason au peuple, comme le Prince que son cœur choisit pour régner à sa place ; il abdique le trône, et en fait serment sur l’autel. Jason prête à son tour le serment usité. Créon, après avoir uni Jason à sa fille, le couronne de sa propre main, et le conduit au trône ; le peuple tombe aux pieds du nouveau Roi ; les cris d’allégresse éclatent de toutes parts ; le bruit des timballes et des trompettes retentit dans les airs ; le peuple applaudit au choix de Créon. Créuse mêle sa joye à celle de ses sujets ; Créon, au comble de ses vœux, marche vers le trône, il est suivi par les prêtres de l’hymen, qui, en tombant à ses pieds, lui remettent la coupe nuptiale ; après l’avoir élevée vers le ciel, il la présente à Jason qui s’en saisit avec le plus vif empressement ; elle est déjà sur le bord de ses lèvres ; Médée paroît ; tout change à son aspect.

Jason est pénétrée de honte et de dépit ; Créuse est saisie de crainte et n’ose plus lever les yeux. Créon témoigne le plus violent courroux ; le peuple consterné attend en frémissant l’issue d’un tel événement.

Médée, qui n’a pu s’empêcher de marquer quelqu’émotion à la vue de la coupe que Jason tenoit avec tant de joye, craignant de se trahir, cache sa rage sous le voile de la dissimulation et de l’hypocrisie ; elle aborde ses ennemis avec les apparences d’une résignation décidée ; elle leur sourit agréablement, comme pour leur faire entendre qu’ils doivent se rassurer ; que bien loin de vouloir troubler leur bonheur, elle ne vient que pour y contribuer encore de tout son pouvoir ; elle montre les présens qui sont entre les mains de ses enfans. Créuse et Jason commencent à se tranquilliser ; le visage de Créon s’adoucit, un des enfans lui présente humblement le coffret de la part de sa mère ; Médée prend elle-même le bouquet, et paroît se faire gloire d’en orner sa rivale ; elle la serre étroitement dans ses bras avec les démonstrations de la bienveillance la plus sincère ; elle fait ses tendres adieux à Jason ; elle l’unit à Créuse, en feignant de demander au ciel de combler de faveurs une union si parfaite. Jason plein de la plus vive reconnoissance, embrasse Médée, la perfide se retire en laissant éclater tout l’emportement d’une joye barbare.

Le départ de cette magicienne fait renaître le calme dans tous les cœurs ; mais il ne dure qu’un instant. Créuse ressent tout à coup les funestes effets des présens de Médée ; un poison dévorant s’allume dans ses veines, et répand sur ses traits l’empreinte de la mort ; Créon, frappé de ce spectacle déchirant, menace vainement Médée : soudain il est enveloppé par les tourbillons de flammes qui s’élèvent du coffret ; les vapeurs empestées qu’ils exhalent, le suffoquent ; il recule, il chancelle et tombe expirant. Créuse, à cet aspect, se traîne vers lui ; elle se jette sur son corps, mêle ses souffrances à celles de son père, et veut, en mourant dans ses bras, confondre son dernier soupir avec le sien. Jason troublé, Jason au désespoir, s’efforce en vain de secourir les malheureuses victimes du courroux de Médée. Cette magicienne paroît triomphante sur un char traîné par des monstres qui vomissent des flammes ; un de ses enfans expire à ses pieds, elle a le bras levé pour frapper l’autre ; Jason se précipite à ses genoux et la conjure d’épargner au moins cette dernière victime ; mais l’implacable Médée se rit de ses prières, met le comble à ses forfaits, et plonge le fer dans le sein du dernier de ses fils ; elle jette à Jason le poignard ; il le saisit avec fureur ; il veut s’en frapper, mais il est désarmé par la haine, la jalousie et la vengeance. Médée, qui veut prolonger les tourmens de Jason, ordonne aux enfers de les accroître encore ; les furies et les démons accourent à sa voix ; ils se grouppent de différentes manières et poursuivent Jason qui est effrayé d’un spectacle aussi horrible ; près d’expirer, il conjure Médée de terminer ses tourmens ; elle ordonne au fer de lui donner un poignard ; Jason s’en saisit, s’en frappe et meurt à côte de Créuse. Les enfers expriment leur joye barbare ; le ciel s’obscurcit ; la terre tremble, une pluie de feu embrâse le palais ; il s’écroule : tout fuit, et l’exécrable Médée se frayant une route dans les airs, s’envole en s’applaudissant de l’énormité de ses forfaits.