(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome III [graphies originales] « [Programmes de ballets] — Les Graces. Ballet anacréontique. » pp. 75-97
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(1804) Lettres sur la danse, dernière édition augmentée en 4 vol. Avec les programmes de ballet. Tome III [graphies originales] « [Programmes de ballets] — Les Graces. Ballet anacréontique. » pp. 75-97

Les Graces.
Ballet anacréontique.

Avant-propos.

Ce ballet est tiré du poème de M. Wieland, intitulé les Graces. C’est au goût, au génie, à l’élégance de ce rival heureux d’Anacréon, que je devrai le succès de ma composition, qui n’est, j’en conviens qu’une esquisse légère, ou qu’une copie bien imparfaite de l’original ; mais il n’appartient pas à tout le monde de jouer avec les Graces et de badiner avec l’amour il faut être comme M. Wieland, l’ami, le confident, et le favori des muses. Quelqu’imparfait que soit mon ouvrage, n’aurai-je pas un mérite aux yeux de la nation Allemande et et du monde littéraire, en multipliant les tableaux de ce poème charmant ? une copie du Corrége, de l’Albane ou du Titien, quelqu’au dessous qu’elle soit de l’original, indiqua cependant le goût et la manière de faire du peintre célèbre. A l’exemple de l’Abeille je dois caresser toutes les fleurs ; et, après avoir butiné dans les jardins d’Anacréon et d’Ovide, je dois encore voltiger dans ceux des Wieland et des Gesner.

 

Je préviens le public que je ne me suis servi que des 2ème, 3ème et 4ème chants du poème, et que j’ai été contraint de renoncer à toutes les beautés de détail, que la pantomime ne peut exprimer, pour me livrer à l’action et à tout ce qui s’appelle tableau de situation ; je me suis vu forcé d’avoir recours à des moyens étrangers à l’original, pour pouvoir indiquer l’instant, où, les Graces, cessant d’être méconnues, paroissoient avec le caractère de leur essence et de leur immortalité. J’ai ajouté (parce que je n’ai pu m’en dispenser) à la scène de Daphnis et de Philis ; j’ai fait enfin intervenir Vénus, pour gagner du coté de la pompe et de la machine, une partie des choses délicieuses que j’ai été obligé de sacrifier à l’insuffisance de la pantomime, qui ne fait que bégayer confusément, lorsque les grandes passions ne lui prêtent point de ressort et ne la font, pour ainsi dire, qu’articuler.

 

J’ai fait, au reste, tout ce qui moralement m’a été possible pour imiter mon modèle. Si je n’ai pas mieux réussi, je dirai pour ma justification, que ce n’est point avec les foibles ailes du papillon, qu’on peut suivre et atteindre le génie.

Personnages.

  • L’Amour .
  • Les Graces , sous la forme de trois Bergères.
  • Lycénion , vieille Bergère qui a nourri les Graces sans connoître leur origine.
  • Damet , vieux Berger uni à Lycénion.
  • Daphnis , Berger.
  • Philis , jeune Bergère.
  • Troupe de Bergers Arcadiens.
  • Troupe de Bergères Arcadiennes.
  • Vieux Arcadiens.
  • Vieilles Arcadiennes.
  • Vénus.
  • Jeux, Ris et Plaisirs de la suite de Vénus.

 

La scène est en Arcadie.

Avertissement.

Il est à propos de prévenir le public que les Graces ignorent leur origine, que sous un habit champêtre et des toits rustiques, elles se croient filles de Lycénion ; que cette même Lycénion qui les a élevées, ignore elle-même que ces aimables filles sont des immortelles ; qu’elles ne reconnoissent l’enfant de Cythère, que lorsqu’il fait éclater sa puissance en rendant la jeunesse à Lycenion et à Damet, et que l’instant qui suit, est l’époque de la reconnoissance entre l’Amour et les Graces, et celle du dénouement de l’intrigue. Les scènes suivantes tiennent plus à l’épisode qu’au sujet même ; cependant, on y est insensiblement ramené par les fêtes que l’Amour institue, et par la présence de Vénus.

Les Graces.

La décoration représente une vaste forêt, ornée de buissons, d’arbustes fleuris et de quelques cascades rustiques.

Scène première.

L’amour égaré, las et fatigué, se couche sous un rosier sauvage ; le sommeil le surprend. Le sol rendu fécond par l’influence de ce dieu charmant, produit autour de lui un tapis émaillé de fleurs odoriférantes.

Scène II.

Trois jeunes filles d’une beauté ravissante, accoutumées à orner de bouquets et de guirlandes le lit de leur mère, paroissent et sont occupées du soin de chercher et de cueillir des fleurs ; elles apperçoivent que la terre en est couverte à l’endroit où repose l’amour ; elles y volent avec empressement. Mais qu’elle est leur surprise lorsqu’elles voyent un enfant, emmailloté, pour ainsi dire, de ces fleurs ? Confuses, interdites et tremblantes, elles ne savent si elles doivent s’approcher ou fuir ; un charme inconnu les entraîne cependant vers l’amour, que les impressions agréables d’un songe embellissent encore ; elles avancent avec autant de précaution que de légèreté ; elles considèrent, et admirent en silence les traits de cet enfant : son sourire aimable, cette tendre innocence, cette bouche vermeille, dont le plaisir semble s’exhaler, ces yeux qui, quoique fermés, expriment le sentiment ; tout enfin jette les trois Arcadiennes dans une surprise qui tient du ravissement. Ce sentiment fait bientôt place à la frayeur : en examinant de plus près l’aimable enfant, elles apperçoivent près de lui un arc, un carquois et des flèches éparses dans les fleurs, elles tremblent sur les dangers qu’elles courent et ne s’éloignent cependant qu’à pas lents. La plus jeune des trois Graces, moins craintive et plus curieuse que ses compagnes, veut examiner encore ce tendre enfant ; elle approche sur la pointe des pieds ; elle tourne autour de lui, elle se baisse et le considérant d’un œil curieux, elle s’écrie en fuyant : Mes sœurs ! il a des ailes, c’est un oiseau, ou peut-être c’est l’amour. A ce mot, on tremble, on pâlit, on frissonne, on veut fuir et insensiblement on se rapproche. Nouvel examen, nouvelle contestation, nouveaux débats. L’enjouée Thalie, toujours fertile en expédiens, tire ses sœurs à l’écart : elle leur propose de former des guirlandes, des fleurs dont l’enfant est entouré et de l’en enchaîner si fortement, qu’il ne puisse leur échapper, si c’est un oiseau ; ni être à craindre, si c’est l’amour. On adopte cette idée ; les jeunes beautés se débarrassent de leurs guirlandes, elles en composent de nouvelles et en assujettissent les bras, les ailes et les jambes de l’enfant de Cythère. Satisfaites de leur ruse et de leur précaution, elles s’en applaudissent et courent se cacher derrière un buisson de roses pour en attendre le succès.

L’Amour en s’éveillant se trouve captif et cherche vainement à rompre ses liens ; les jeunes Arcadiennes à demi cachées, jouissent de son embarras et de son dépit ; elles éclatent de rire, l’enfant ailé les apperçoit et ne doute pas qu’elles ne lui aient joué ce tour. Il les appelle de ce ton, qu’il sait si bien employer, quand il veut séduire, il les conjure au nom de Vénus de rompre ses liens. De qui, leur dit-il, de qui l’amour peut-il attendre du secours si la beauté le fuit, si les Graces l’abandonnent ? il mêle des larmes à ses prières, et leur jure une reconnoissance éternelle.

Les Bergères emües et attendries se reprochent leur cruauté et Thalie, la plus jeune d’entre elles, soutient que c’est une barbarie. Approchons, dit-elle, à ses sœurs, il nous prie avec tant de grace ! il est dailleurs si bien lié, répond Aglaé. Et ne sommes-nous pas trois, continue Euphrosine, quel mal peut nous faire un enfant ? elles avancent ; les larmes et les prières de l’amour remplissent leur ame de l’émotion la plus vive, elles se préparent à lui rendre la liberté. A peine a-t-il un de ses petits bras dégagé qu’il trésaille de joye, et qu’il s’en sert pour embrasser sa libératrice. Thalie rougit, se lâche et lui donne un coup sur les doigts. Ah, ah ! vous êtes méchant, lui dit-elle, eh bien ! pour vous punir vous resterez enchaîné. A cet arrêt l’amour frémit, il prie, il presse, il répand quelques larmes et promet d’être plus sage. Comment résister à son langage persuasif ? on l’écoute, il intéresse, on brise ses liens, on lui rend la liberté et il en consacre à la reconnoissance les premiers momens. Thalie, Aglaé et Euphrosine partagent ses innocentes caresses, il leur jure de ne les quitter jamais ; il leur promet de les conduire à Paphos. Vous serez, leur dit-il, aimables sœurs, vous serez, sous le nom chéri des Graces, l’ornement de l’empire de Cythère ; vous embellirez la beauté même ; les arts, les talens, ne pourront plaire sans vous, rien ne sera aimable sans votre secours, et votre influence, en répandant des charmes sur tous les objets, embellira jusqu’à la vertu.

L’amour, pour les convaincre de son attachement, réunit plusieurs guirlandes éparses pour n’en former qu’une seule avec la quelle il s’enchaîne aux trois jeunes Bergères qui en tiennent l’extrémité.

Le fils de Vénus, par un sentiment qui lui est inconnu, aime les trois Arcadiennes, sans malice, sans méchanceté, comme si elles étoient ses sœurs, et ces filles charmantes qui réunissent ce qu’ont de divin, la beauté simple, l’innocence naïve, la gaité modeste et la douce sérénité, prodiguent leurs caresses à l’Amour, comme si elles pressentoient à leur tour que ce dieu est leur frère.

Un instant de réflexion ramène les Bergères à, leur devoir ; leur absence à été longue ; que dire à leur mère ! Il faut partir, que faire de cet enfant ? l’abandonner dans cette forêt, seroit une cruauté ; quel parti prendre ? L’enjouée Thalie propose à l’Amour de le mettre dans leur corbeille : nous l’emporterons, dit-elle, nous l’offrirons à notre mère comme un oiseau que nous avons trouvé sous des fleurs. Cette idée qui plaît, est soudain adoptée ; on fait de la corbeille un lit de fleurs ; on y place l’enfant ailé, et on l’emporte en triomphe en jouant et en folâtrant avec lui.

Scène III.

La décoration représente l’intérieur de la Cabane de Damet et de Lycénion.

Ce vieux Berger et cette vieille Bergère, assis près d’une table sur la quelle est servi un repas champêtre et frugal, attendent le retour de leurs filles ; ils expriment leur crainte et leur tendre inquiétude ; ils ne savent à quoi attribuer une aussi longue absence, et déjà ils se livrent au sentiment accablant de l’incertitude, lorsqu’enfin ils les voyent paroître.

Scène IV.

Lycénion leur fait les plus tendres reproches : Thalie, qui se jette dans ses bras, y trouve son excuse ; elle dit à Lycénion, qu’elles ont trouvé, ses sœurs et elle, une chose rare, mais charmante ; elles courent ensuite avec précipitation vers la porte, oh elles ont laissé l’Amour. Elles présentent la corbeille à Lycénion ; elles ont eu soin de la couvrir de leur voile ; Thalie veut, avant tout, que sa mère devine ce qu’il y a dans cette corbeille et sans se donner le tems d’attendre sa réponse, elle la découvre elle-même. Lycénion reconnoît l’Amour et recule d’effroi ; elle frémit sur le danger qui menace ses filles et leur fait de ce dieu la peinture la plus terrible. L’Amour qui est sorti de sa corbeille est effrayé du tableau : en vain, les Bergeres veulent prendre sa défense, en vain, l’une vante sa candeur, l’autre sa beauté, celle-ci son innocence ; rien n’appaise Lycénion ; elle veut, quoiqu’il en puisse être, que le petit monstre soit mis à la porte.

Cette résolution consterne les jeunes Arcadiennes et les pénetre de douleur. L’Amour témoin sensible de leur peine, va se servir de son pouvoir ; il sent combien il lui est important de ranger Damet et Lycénion de son parti et combien ses discours feroient peu d’impression sur des cœurs glacés par l’age et fermés sans retour aux attraits du plaisir. Il transforme donc soudain Damet en jeune Berger et il opère le même prodige sur Lycénion ; par cette métamorphose, l’un et l’autre se trouvent ramenés à cet âge heureux, où le cœur s’ouvrant au plaisir est l’image de la rose qui s’épanouit au soufle léger du Zéphyr.

Ces deux êtres nouveaux se prosternent aux pieds de l’Amour, pour lui témoigner leur reconnoissance, et les trois Arcadiennes, enchantées de ce qui vient d’arriver, ne regardent le fils de Vénus que comme un dieu bienfaisant. Dans le même instant, la cabane se transforme en une superbe gallerie ; toutes les colonnes sont de pierres précieuses enrichies des métaux les plus recherchés, et entourées de pampres, de vignes, de guirlandes de roses et de lacs d’Amour formés de myrthe et de jasmin. A cette métamorphose à la quelle le dieu de Paphos n’a point de part, il reconnoît la présence invisible de sa mère et celle de Bacchus dispensateur de la gaité.

Par un nouveau prodige, un nuage léger cache, pendant quelques, instants les filles de Lycénion ; insensiblement il se dissipe, et l’Amour voit les Graces. Ce ne sont plus les jeunes Arcadiennes, ce ne sont plus de simples Bergères, ce sont des divinités : une jeunesse immortelle brille dans leurs yeux ; une robe tissue par les Zéphyrs et ornée par Flore voltige autour d’elles, les colombes de Vénus volent et traversent les airs, tenant dans leurs becs des couronnes de roses, qu’elles viennent poser sur la tête des Graces : l’Amour enchanté se précipite dans leurs bras, et s’écrie en les embrassant ; Vous êtes mes sœurs, vous êtes les Graces !

Scène V.

Tant de prodiges excitent la curiosité des Bergers et des Bergères ; ils accourrent en foule, et frappés d’étonnement à l’aspect de toutes ces merveilles, ils expriment leur admiration, leur ravissement et leur respect.

L’Amour ne veut point abandonner l’heureux séjour de l’Arcadie sans y instituer des fêtes et des jeux qui perpétuent à jamais le jour fortuné qui l’a uni aux Graces ; il ordonne aux Bergers de le suivre ; les Bergères accompagnent de leur côté les Graces et s’embellissent en marchant sur leurs pas.

Scène VI.

La décoration représente un paysage agréable terminé par des coteaux rians et des arbustes fleuris. Plusieurs cascades formées par la nature, tombent en murmurant dans des bassins rustiques ; des cygnes nagent sur leurs eaux transparentes : sur les côtés on voit les statues d’Apollon et d’Hyacinthe entourées de buissons fleuris. Ce paysage doit être riche et caractériser un site heureux, orné des trésors du printems.

Un ancien Roi d’Arcadie avoit ordonné qu’on célébrât une fête annuelle, mêlée de jeux et de danses, dans la quelle le Berger le plus beau, le plus leste et le plus adroit seroit couronné des premières roses du printems : ce jour étoit arrivé ; l’Amour inspiré par les Graces, trouve qu’il manque quelque chose à cette institution, que la beauté y est oubliée et que c’est une injustice qu’il faut réparer ; il ordonne donc qu’à l’avenir la plus belle des Bergères recevra une couronne de roses de la main du Berger, qui aura remporté le prix accordé à l’élégance, à l’adresse et à l’agilité. Cet ordre est suivi : tous les Bergers applaudissent à l’idée de l’Amour ; toutes les Bergères en rougissent de plaisir et la joye et la reconnoissance se peignent dans leurs yeux.

Philis, jeune insensible, qui paroissoit moins connoître le désir de plaire qu’aucune de ses compagnes, étoit celle qui avoit le plus de droit au prix de la beauté ; le jeune Daphnis, aussi beau et aussi timide que Philis étoit belle et insensible, l’aimoit avec ardeur et la suivoit depuis deux printems ; mille fois il s’étoit approché d’elle pour lui découvrir ses feux et mille fois sa timidité l’avoit empêché de les lui dévoiler.

L’Amour, avant de quitter l’heureux séjour de l’Arcadie et le berceau des Graces, voulut couronner la constance de Daphnis, en disposant le cœur de Philis à la tendresse et en ouvrant son ame aux charmes du plaisir, toujours délicieux, quand il est l’ouvrage du sentiment.

Scène VII.

Philis triste et rêveuse, fixe un rameau sur le quel sont perchées deux tendres tourterelles, image la plus belle de l’Amour et de la fidélité ; puis détournant les yeux, elle considère deux cygnes qui folâtrent sur les eaux d’un bassin rustique ; elle apperçoit sur un autre bassin un autre cygne, qui seul et sans compagne, paroît livré à la tristesse. Sa vue se portant de là vers le sommet d’une montagne, elle y découvre un Berger occupé du tendre soin de couronner sa Bergère et de l’orner de fleurs, que le plaisir semble faire éclore autour d’elle. Un peu plus bas elle voit un Berger qui brise son chalumeau, et qui exprime ce que la douleur et la langueur ont de plus touchant. Tous ces tableaux variés qui lui sont offerts par la nature, excitent ses réflexions, elle se méconnoît dans les uns, elle se retrouve dans les autres ; le jeune Daphnis caché derrière un buisson de fleurs observe son amante.

Scène VIII.

Le moment est favorable ; Philis plongée dans une douce rêverie, et le cœur ému du spectacle que la nature vient de lui offrir, seroit sans doute, moins fière et moins farouche ; l’Amour presse, il entraîne le Berger, mais sa timidité rallentit ses pas ; la crainte de déplaire à Philis le fait fuir et il va se cacher dans le bosquet.

L’Amour voit qu’il lui faudroit trop de tems pour vaincre la timidité du Berger, s’approche doucement de la Bergère et se place à ses cotés. Philis, la tête appuyée sur un de ses beaux bras, et livrée aux sentimens divers qui remplissent son âme, ne voit et n’entend rien ; vainement l’Amour frappe du pied, tousse et soupire ; plongée dans ses réflexions elle n’écoute que son cœur. Le dieu s’approche de plus près ; il agite ses ailes, et l’air frais et délicieux qu’elles répandent autour de la Bergère semble lui donner un nouvel être. Elle se retourne en soupirant et apperçoit l’Amour. Dans sa surprise elle hésite et ne sait si elle doit rester, ou fuir ; un charme enchanteur la relient ; elle considère avec admiration et avec plaisir l’enfant dangereux ; il est le plus beau et le plus touchant qu’elle ait vu jusqu’alors ; ses cheveux bouclés dont l’ambroisie s’exhale, les ailes dorées qui couvrent ses épaules d’albâtre, son petit arc, ses flèches, son carquois, tout attache ses regards, fixe son attention ; et la sensibilité succède bientôt à1’admiration ; elle serre tendrement dans ses bras l’aimable enfant et elle se sent animée par un sentiment qui lui est inconnu ; elle ne veut plus enfin quitter l’Amour, et la crainte qu’elle a, que cette espèce d’oiseau charmant ne lui échappe, lui fait naître l’idée de lui couper les aîles. A l’aspect du danger dont il est menacé, l’Amour frémit, il tombe en pleurant aux genoux de Philis et il la conjure, au nom de la beauté, dont elle est l’image, de ne point le priver d’un ornement qui lui est cher.

Philis attendrie et touchée par les larmes de l’Amour ne peut résister à ses prières ; ses ailes sont conservées ; mais, par un autre caprice elle en arrache une plume. L’Amour pousse un cri, et Philis après s’être ornée le sein de cette plume fatale, passe autour du col du petit dieu un ruban et le mène en laisse en jouant avec lui et en lui prodiguant d’innocentes caresses.

L’Amour, pour se venger du mal qu’elle vient de lui faire et pour servir en même temps Daphnis, tire malicieusement une fléche de son carquois : Philis qui commence à devenir curieuse, veut tout apprendre se saisît de la fléche ; elle en examine la forme et voulant indiscrètement savoir si elle est aigue, l’enfant malin, qui la guette, lui pousse le bras et la lui fait entrer dans le bout du doigt. Philis jette un cri, pousse un soupir, se plaint de la noirceur de l’Amour et enveloppe le mal du coin de son tablier, en gémissant et en laissant couler quelques larmes.

L’Amour appelle Daphnis qui d’un clin d’œil se transporte aux pieds de Philis ; elle l’apperçoit et rougit ; le Berger lui prend la main, elle le repousse d’un bras mal assuré avec la fierté de l’innocence. Daphnis enhardi par l’Amour ne se rebute point ; Philis cède ; sa fierté se change en pitié et bientôt cette pitié devient tendresse : ses beaux yeux, qui n’étoient ouverts que pour se fixer avec indifférence sur les objets tranquilles de la nature, s’arrêtent avec complaisance sur le Berger, dont les charmes lui paroissent nouveaux.

Scène IX.

L’Amour qui est allé chercher les Graces, pour les rendre témoins de cette union, paroît dans le lointain avec ses aimables sœurs : leur présence embellit tout, leur influence répand sur tous les objets de nouveaux attraits. Rien aux yeux de Daphnis n’est aussi beau que Philis ; rien aux yeux de Philis n’est aussi beau que son Berger. Enivrés de leur bonheur mutuel ils se jurent une tendresse éternelle, et ils éprouvent l’un et l’autre ce sentiment délicieux, qui n est vivement senti, que lorsque l’Amour règne sur le cœur de concert avec les Graces.

 

L’instant des jeux est annoncé par une musique douce et champêtre, et le coteau se garnissant de Bergers et de Bergères, Philis et Daphnis se séparent pour joindre chacun leur troupe et se jurent encore en se quittant de s’aimer à jamais.

Scène X.

Déjà le coteau est rempli d’une foule de Bergers, qui, en le descendant, font place aux Bergères. Lorsqu’ils ont gagné la plaine, ils se disposent à y commencer leurs jeux. De vieux Arcadiens, et de vieilles Arcadiennes se placent en ordre comme juges au bas de la montagne, pour décerner la couronne au vainqueur ; les Bergères se rangent sur la colline. L’Amour et les Graces président à cette fête.

 

Les jeux commencent ; on tire de l’arc ; on se livre ensuite à la lutte, et on finit les exercices par des danses, formées autour des statues d’Apollon, et d’Hyacinte. Les Bergères peignent tour-à-tour leur tendre inquiétude, chacune fait des vœux pour son Berger. Cependant le moment de la décision approche, les juges se lèvent et vont prononcer ; le trouble augmente parmi les Bergères ; partagées en petits groupes, elles attendent avec timidité l’instant qui va nommer le vainqueur.

 

Les voix sont recueillies ; on prononce enfin ; Daphnis obtient le prix et la joye brille dans les yeux de Philis. Le son des haubois, des flûtes et des chalumeaux porte au loin le triomphe du Berger ; l’echo fait retentir son nom ; Philis le répéte tout-bas et son cœur lui répond. L’allégresse règne parmi les compagnons du vainqueur, ils dansent autour de Daphnis ; ils le couronnent et le conduisent en triomphe, sous une espèce de baldaquin de fleurs.

Les Bergères descendent à leur tour du coteau, précédées par l’Amour et par les Graces ; Philis inquiète et tremblante n’ose lever les yeux, et si par hazard elle les lève, ce n’est que pour regarder les filles de Lycénion et pour se dire qu’elles seules méritent la préférence. Cependant Aglaé qui devine le sujet de ses inquiétudes, vole à elle, la serre dans ses bras et la rassure, en lui faisant entendre, qu’on ne trouve beau que ce qu’on aime et qu’elle doit ne rien craindre du cœur de son Berger.

 

Les danses commencent. Les Bergers sont placés sur le coteau pour voir les jeux ; les Bergères se disputent le prix de la course, d’autres celui du tambourin ; celles-ci forment des danses avec des guirlandes, tandis que celles-là tracent en dansant avec des cerceaux garnis de roses, différentes figures variées, les Graces présentes à ces jeux, les embellissent encore en formant sous les berceaux différentes figures pittoresques. Moins jalouses de plaire que de prêter de l’éclat aux Bergères, leur présence est plus marquée par les charmes qu’elles leur communiquent que par les leur propres. L’influence secrette de ces immortelles répand sur toute l’assemblée un esprit de bienveillance et de gaité. Point de jalousie, point de tracasserie, point d’amour-propre, point de coquéterie : chaque Bergère paroît moins s’enorgueillr de ses attraits que de ceux de sa compagne : ce prodige est opéré par les Graces ; ces sentiment sont leur ouvrage.

Des Bergers descendent de la colline ; le beau Daphnis paroît couronné de roses ; il aborde les filles de Lycénion, et leur dit que leur beauté mériteroit la préference ; mais qu’il n’a qu’une couronne et que l’Amour le rend injuste ; puis cherchant avec l’empressement du désir sa chère Philis qui, par modestie, s’est cachée derrière ses compagnes, il vole à elle, la tire de la foule, lui pose la couronne sur la tête et tombe à ses pieds.

 

Philis rougit ; elle prétend moins au prix de la beauté qu’au cœur de son amant ; un sentiment de justice la détermine ; elle s’échape des bras de Daphnis pour courir vers les Graces ; elle voudroit avoir trois couronnes à leur offrir, elle marque son embarras, elle regarde l’amour, et par le pouvoir de ce dieu, sa couronne se multiplie : chacune des Graces en reçoit une ; mais enchantées de la modestie touchante de Philis, elles la couronnent elles-mêmes de leur main divine. L’Amour qui applaudit au choix de Daphnis, l’enchaîne à Philis avec une guirlande de roses, et les unit l’un à l’autre. On se livre de nouveau à des danses qui expriment tout à la fois la joye, le plaisir et l’enjouement.

Scène XI.

Un prodige inattendu interrompt la fête : Vénus paroît sur un nuage doré porté par les Zéphirs ; elle est accompagnée des jeux, des ris, des plaisirs, et une foule de petits Amours s’empresse à la couronner. A cet aspect, le dieu de Cythère vole aux Graces, il les prend par la main et les conduit à la mère. Un bois de roses naissantes s’élève sous les pas du fils de Vénus et des trois immortelles et leur fraye une route de fleur qui les conduit à la cour céleste. L’Amour je jette dans les bras de sa mère et lui présente ses charmantes sœurs, qui, après avoir reçu de la déesse les plus tendres caresses, se grouppent autour d’elle. Tous les Bergers s’approchent du bois ; ils y cueillent les roses que l’Amour fait éclore ; ils en ornent les cheveux de leurs Bergères, et des rameaux fleuris qu’ils arrachent, ils forment des berceaux, des couronnes et des guirlandes. Philis, Daphnis, Lycénion et Damet se prosternent aux pieds de Vénus, de l’Amour et des Graces ; tous les Bergers et toutes les Bergères s’empressent à leur rendre le même hommage ; les trois aimables sœurs leur promettent de règner toujours invisiblement parmi eux, de se mêler à leurs danses et d’embéllir leurs fêtes.

 

Elles leur recommandent de célébrer tous les ans celle que l’Amour vient d’instituer, et les assure que la récompense qui vient d’être accordée à la plus belle sera désormais le prix de la plus vertueuse.

 

Tous les Bergers et toutes les Bergères étendent les bras vers ces divinités bienfaisantes, qui se frayant une route dans les airs, disparoissent avec les groupes de nuages et de zéphirs qui les environnent.

Dans le même instant un temple et un autel consacrés aux Graces s’élèvent de dessous terre. Un grouppe qui offre l’image de ces immortelles, paroît ensuite derrière l’autel, il les représente enchaînées l’une à l’autre et se tenant par les mains. Les Bergers enchantés de ce nouveau prodige expriment leur joie et leur félicité. Philis et Daphnis unis à jamais, sont les premiers à orner de festons et de guirlandes l’autel des Graces ; ils y déposent leurs couronnes ; ils se rejoignent ensuite aux Bergers et se livrent à des danses, qui caractérisent l’expression naïve d’une joie pure. Cette fête Anacréontique est terminée par un grouppe général enrichi de tous les accessoires que la puissance de l’Amour leur a prodigués pour orner leurs Bergères et pour embellir leurs jeux.