(1921) Danse et musique « Danse et musique, par André Suarès — I » p. 134
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(1921) Danse et musique « Danse et musique, par André Suarès — I » p. 134

I

Toute danse appelle l’amour. Tout ballet laisse un regret : l’âme un instant ravie n’est pas satisfaite : elle retombe ou le spectacle l’a prise, d’où la musique l’a relevée, l’invitant à la suivre, mais ou la danse ne lui a pas permis de se fixer. Cette folle Ménade s’enivre de ses bonds ; elle ne brûle que du vin qu’elle boit ; elle n’aspire pas à une ivresse éternelle, celle que la vigne du cœur verse à l’esprit. Elle n’a rien d’intérieur ; elle n’est point méditative. Même furieuses, ses passions sont éphémères, et toujours courantes ; elle est toute charnelle et toute à la volupté : elle n’en a même pas les mélancolies, tant sa nature est légère. Ainsi, après l’avoir saisie humblement par la main, après s’être suspendue à ses bras, la danse trahit la musique. Elle lui demande ce grand cœur, passionné et tendre, dont elle ne fait rien : elle ne lui donne pas le sien, car elle n’en a pas. Comme la jeunesse, elle n’a que son élan et son caprice à donner. Et qu’est-ce donc, pour l’art et la suprême convoitise de l’homme, que le corps même le plus charmant, s’il est sans âme ?