(1811) Cours complet de rhétorique « Livre quatrième. De la disposition oratoire, ou de l’Ordre mécanique du discours. — Chapitre premier. »
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(1811) Cours complet de rhétorique « Livre quatrième. De la disposition oratoire, ou de l’Ordre mécanique du discours. — Chapitre premier. »

Chapitre premier.

Quel que soit l’objet du discours, celui qui parle doit commencer par une espèce d’introduction, qui prépare l’esprit des auditeurs : il établit ensuite l’état de la question, expose celui des faits, et les appuie de preuves propres à fortifier l’opinion qu’il a de la bonté de sa cause, et à détruire les raisons de son adversaire. C’est là qu’il déploie, s’il y a lieu, les grands moyens que lui fournit la rhétorique, pour mettre de son parti les passions émues à propos. Après avoir dit enfin tout ce qu’il a jugé convenable, il termine son discours par un résum » succinct de tout ce qu’il a déployé de moyens, de ce qu’il a exposé de plus capable de laisser dans les esprits une impression profonde.

Telle est la marche naturelle et la division plus ou moins sensible de toute espèce de discours. Nous allons voir ce que l’art a fait pour diriger vers un but vraiment utile, un plan si positivement indiqué par la nature elle-même.

1º De l’Exorde.

C’est de toutes les parties du discours celle qui quelquefois doit le plus à l’art, et celle cependant qui paraît le plus dans la nature. Lorsque nous avons en effet des conseils à donner ou des réprimandes à faire à quelqu’un, les simples lumières du bon sens nous indiquent qu’il y a certaines précautions à prendre ; et ces précautions, que nous prenons si naturellement, deviennent des préceptes de l’art, auxquels nous nous conformons, sans nous douter le plus souvent que cet art existe, et qu’il faut bien du temps et bien des soins, pour apprendre à faire méthodiquement ce que la nature fait si heureusement à notre insu. C’est elle qui nous montre le chemin que nous devons prendre pour porter l’émotion dans les cœurs, ou la conviction dans les esprits ; et c est d’après elle que les Aristote et les Cicéron ont établi en principe que le but de l’exorde était de gagner la bienveillance, de captiver l’attention, et de s’assurer la docilité de l’auditeur : Reddere auditores benevolos, attentos, dociles (Cic.)

Quant aux moyens d’y parvenir, rien de plus juste et de plus sage que les réflexions d’Aristote et de Cicéron à cet égard. (Arist. Rhet. lib. iii, cap.  4 ; Cic. ad Herenn. lib. i). Ces grands critiques distinguent aussi deux sortes d’introductions : l’exorde et l’insinuation. Dans l’exorde, l’orateur se borne à indiquer clairement l’objet de son discours. L’insinuation suppose, au contraire, la nécessité de détruire, dans l’esprit des auditeurs, des dispositions peu favorables à la cause que l’on entreprend de défendre  Il faut tout l’art possible pour dissiper sans effort, mais avec succès cependant, ces préventions fâcheuses, et amener insensiblement l’auditeur à nous entendre, non seulement avec attention, mais avec cette portion d’intérêt qui est d’avance un présage certain du gain de la cause.

Le second discours de Cicéron contre Rullus, nous offre un modèle accompli de ce genre d’introduction. Il s’agissait de la loi agraire, proposée par ce Rullus, alors tribun du peuple ; et c’est devant le peuple, que Cicéron vient combattre un projet si propre à séduire une multitude toujours facile à égarer, quand on flatte ce qu’elle croit ses intérêts. On sent tout ce qu’un pareil sujet présentait. d’obstacles à l’orateur, et tout ce qu’il fallait d’art pour les surmonter avec le succès qui couronna le discours de Cicéron. Le grand point était d’en venir à l’objet même de la question : que de passions à faire taire, avant de mettre les esprits en état de voir et de sentir la vérité ! Que de précautions à prendre, pour que cette vérité n’eût rien d’amer, rien de repoussant, et qu’elle servît par le fait l’intérêt général, sans paraître blesser celui de tant de particuliers ! Que fait l’habile orateur ? il commence par l’énumération des faveurs qu’il a reçues du peuple- : il reconnaît qu’il lui doit tout, et que personne ne peut avoir plus de motifs que lui pour défendre ses intérêts. Il déclare qu’il se regarde comme le consul du peuple, et qu’il se fera toujours une gloire du titre de magistrat populaire. Mais c’est là qu’il commence à observer avec la plus grande adresse, et les ménagements les plus délicats, que l’on donne à la popularité des acceptions bien étranges quelquefois, et bien éloignées surtout de la véritable ; qu’il n’y voit, lui, qu’un zèle sincère pour les intérêts du peuple ; mais que d’autres la faisaient servir de masque à leur ambition personnelle, etc. C’est ainsi qu’il aborde peu à peu la proposition de Rullus, mais avec beaucoup de réserve, comme l’on voit, et de circonspection. Un éloge pompeux des Gracques fortifie, dans l’idée du peuple, son opinion sur la popularité, et sur les lois agraires en général : il ajoute enfin, qu’ayant entendu parler du projet de Rullus, il se disposait à l’appuyer de toutes ses forces ; mais qu’un mûr examen lui ayant démontré combien ce projet était contraire aux intérêts du peuple, il se voyait obligé de leur mettre sous les yeux les motifs qui l’avaient déterminé à le rejeter.

Malgré tant de précautions si adroitement prises, l’orateur ne se croit pas assez maître encore des esprits de ses auditeurs, et il termine son exorde, en déclarant qu’il va exposer les motifs de son opinion, mais que s’ils paraissent insuffisants à ceux qui l’écoutent, il est tout prêt à renoncer à son avis, pour adopter celui du plus grand nombre. On sent bien que le discours est fait, après un pareil exorde, et que, quels que soient la nature, le nombre, et la force des preuves, l’orateur est sûr de diriger à son gré un auditoire si heureusement disposé.

Mais, ces cas exceptés, l’exorde doit, en général, être simple et naturel, et sortir sans effort du sujet même : Effloruisse penitùs ex re de quû tùm agitur. (Cic.) Un vice essentiel, et très ordinaire cependant dans ces orateurs prétendus qui prennent le bavardage pour de l’éloquence, c’est de fonder leurs exordes sur des lieux communs qui n’ont pas le moindre rapport avec l’objet dont il est question. Quelque achevés que puissent être ces morceaux, ils n’en sont pas moins des hors-d’œuvre très déplacés, quand ils ne sont pas souverainement ridicules. Le meilleur moyen d’obvier à un semblable inconvénient, c’est de subordonner l’exorde au plan général du discours, et de ne s’en occuper qu’en dernier lieu. La méthode opposée jette indispensablement dans les lieux communs, et dans la nécessité de faire le discours pour l’exorde, au lieu d’adapter, comme on le doit, l’exorde lui-même au reste du discours.

La correction du style et la justesse de l’expression, sont une des parties qu’il faut le plus soigner dans l’exorde, et cette précaution est fondée sur l’état où se trouve alors l’auditeur. Qu’il n’y ait cependant, dit Quintilien, rien de trop hardi dans l’expression, rien de trop figuré, rien qui sente trop l’art. La raison qu’il en donne est excellente. L’orateur n’est pas encore introduit dans l’âme de ses auditeurs ; l’attention, qui ne fait que de naître, l’observe de sang-froid ; on lui permettra davantage, quand les esprits seront échauffés. (Liv. iv, c. i).

La modestie est encore l’un des caractères distinctifs d’un exorde bien fait. Si l’orateur s’annonce, dès le début, par un ton de supériorité et d’arrogance affectée, il réveille, il révolte l’amour-propre des auditeurs, qui le suivent, dans le reste de son discours, avec l’œil soupçonneux de la malveillance. Il faut à la modestie de l’expression joindre encore celle des regards, du geste et du ton de voix. Rien ne flatte plus l’auditoire, que ces marques de déférence, que cette respectueuse timidité, qui ne doivent pas exclure cependant un certain sentiment de dignité, que donne à l’orateur la conviction intime de la justice ou de l’importance de sa cause.

Rarement la chaleur et la véhémence peuvent trouver leur place dans un exorde. C’est par gradations qu’il faut préparer l’auditeur à ces secousses violentes, à ces grands mouvements toujours sans effet quand ils sont prodigués. Il faut que de pareils débuts soient commandés par les circonstances. C’est Catilina, par exemple, qui entre tout à coup dans le sénat Romain ; et Cicéron, indigné de son audace, s’écriera : Quò usquè tandem, Catilina, abutere patientiâ nostrâ ? etc. ; et tout le reste du discours sera de cette force véhémente, parce que le sentiment qui a inspiré cet exorde, ne fera que s’enflammer encore dans l’âme de l’orateur.

Les rhéteurs anglais citent avec les plus grands éloges, le début d’un sermon de l’évêque Atterbury. Il avait pris pour son texte ces paroles de J.-C. : Heureux celui qui ne se scandalisera point à mon sujet ! Eh ! qui donc, ô Jésus ! s’écrie l’orateur, pourrait être scandalisé d’une vie toute divine ! etc. ; et cette apostrophe sublime, qui tient lieu d’exorde, conduit l’éloquent pasteur jusqu’à la division de son discours. Mais ces exemples sont rares ; et l’on doit se permettre ces sortes d’introductions avec d’autant plus de réserve, qu’elles promettent une chaleur et une véhémence qu’il est difficile de soutenir dans le reste du discours, et que tout ce qui n’ajoute pas à ce premier effet, l’affaiblit nécessairement.

2º De la Narration.

Quand l’exorde a suffisamment préparé l’auditoire à ce qui doit être le sujet du discours, il faut lui indiquer positivement ce dont il est question, et lui faire l’exposé des faits sur lesquels il va avoir à prononcer : c’est l’objet de la Narration. Quintilien veut qu’elle soit courte, claire et probable : lucidam, brevem, verisimilem . Elle sera courte, s’il n’y a rien d’inutile ; car dans le cas même où vous aurez beaucoup de choses à dire, si vous ne dites rien de trop, vous ne serez jamais trop long. Nos autem brevitatem in hoc ponimus, non ut minùs, sed ne plus dicatur quàm oporteat. Elle sera claire, si vous ne vous servez pour chaque chose que du mot propre, et si vous distinguez nettement les temps, les lieux et les personnes. Il est alors si important d’être entendu, que la prononciation même doit être soignée de manière à ne rien faire perdre à l’oreille du juge. Erit autem narratio aperta atque dilucida, si fuerit primùm exposita verbis propriis, et significantibus et non sordidis quidem, non tamen ab usu remotis : tùm distincta rebus, personis, temporibus, locis, causis, ipsâ etiam pronunciatione in hoc accomodatâ, ut judex, quæ dicuntur, facillimè accipiat . Elle sera probable enfin, si vous assignez à chaque chose des motifs plausibles et des circonstances naturelles. Credibilis autem erit narratio antè omnia, si priùs consuluerimus nostrum animum, ne quid naturæ dicamus adversum . (Quint. lib. iv, c. 2).

Dans l’éloquence de la chaire, l’explication du sujet que l’on va traiter, remplace la narration judiciaire, et exige à peu près les mêmes qualités : clarté et précision dans les choses, élégance et correction dans le style.

Mais au barreau la narration est une partie essentielle du discours, et celle peut-être qui demande le plus d’attention. L’avocat ne doit dire que la vérité ; mais il doit éviter cependant de rien laisser échapper qui puisse nuire à sa cause. Les faits qu’il rapporte sont la base nécessaire des raisonnements qu’il établira dans la suite. Il faut donc autant d’intelligence que de talent et d’adresse, pour se renfermer dans les bornes scrupuleuses de la vérité, et présenter néanmoins les faits sous le jour le plus favorable à sa cause, pour faire ressortir les circonstances avantageuses, et pour affaiblir d’avance l’effet de celles qui pourraient servir la partie adverse. Mais en remplissant cette tâche délicate, l’orateur ne doit pas oublier que le point essentiel, que le comble de l’art est ici de faire disparaître entièrement l’art. Le juge est tellement attentif, tellement sur ses gardes pendant cette partie du discours, que le moindre doute sur la sincérité de l’orateur entraînerait infailliblement la perte de sa cause. C’est ce que Quintilien rappelle si formellement à ses jeunes élèves  : Effugienda in hâc præcipuè parte, omnis calliditatis suspicio : neque enim se usquàm magis custodit judex, quàm cùm narrat orator ; nihil tùm videatur fictum ; nihil sollicitum ; omnia potiùs à causâ, quàm ab oratore, profecta videantur. (Lib. iv).

Aucun orateur n’a porté ce grand art plus loin que Cicéron ; et il n’y a presque pas une de ses narrations oratoires qui ne soit un modèle à citer. Mais nous nous arrêterons de préférence à celle du discours pour Milon, lorsque, dans le résumé qui va suivre ces notions générales, nous chercherons dans ce magnifique plaidoyer les preuves de ce que nous avançons ici, et de l’incontestable supériorité du plus grand des orateurs.

Reprenons l’ordre et l’analyse des autres parties du discours.

3º De la Confirmation.

L’ordre naturel des idées amène immédiatement la confirmation à la suite de la narration. Il faut prouver  en effet ce que l’on vient d’avancer. Probanda sunt quæ propter hoc exposuimus. (Quint. lib. iv, c. 3).

Les preuves sont ou de raison ou de sentiment, et doivent toucher le cœur par leur pathétique, ou convaincre l’esprit par leur solidité. De là l’argumentation, qui est la partie technique du raisonnement, ou, si l’on veut, le corps de la preuve ; et le pathétique, qui en est l’âme, et qui achève victorieusement sur les cœurs, ce que l’argumentation a commencé sur les esprits. La confirmation se propose deux objets différents, mais dont le but et le résultat sont absolument les mêmes. Car il s’agit ou de prouver que ce que l’on a dit est vrai, et c’est confirmer l’auditeur dans l’opinion que nous lui avons déjà donnée de la cause ; ou il est question de démontrer la fausseté des faits avancés par la partie adverse, et c’est ce qu’on appelle la réfutation. Toute cette partie de l’art oratoire appartient au raisonnement ; et c’est là que l’avocat doit se montrer logicien aussi profond qu’orateur habile. Mais la réunion de ces deux qualités est indispensable pour le triomphe de sa cause. S’il n’est que raisonneur exact ou logicien subtil, il sera sec et froid, et pourra bien convaincre, mais jamais entraîner l’auditeur. Or, quelles que soient la force de la vérité et la légitimité des droits qu’elle défend, il faut quelque chose de plus pour vaincre au barreau, et pour agir efficacement sur une multitude quelconque. Il faut, ce que l’art ne donnera jamais, ce qu’Aristote, Cicéron et Quintilien n’enseignent point et ne peuvent enseigner, une chaleur, une impétuosité de sentiment, qui entraînent impérieusement, et conduisent, malgré lui, l’auditeur au but où celui qui parle veut le conduire. Mais il faut observer que cette chaleur même doit être subordonnée à la raison, et que celui qui s’y livrerait inconsidérément pourrait bien étonner un moment, mais ne persuaderait personne, parce qu’il faut que l’esprit soit convaincu, pour que le cœur se laisse persuader ; et que la règle générale est que :

L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas,
(Boileau).

Il serait trop long et trop fastidieux de suivre, dans les rhéteurs, le système beaucoup trop compliqué de l’argumentation oratoire ; de remonter avec eux à la source des diverses sortes de preuves, d’ajouter des divisions, et des distinctions à des distinctions sans nombre. C’est le moyen infaillible d’ôter au discours toute sa gravité ; c’est le hacher plutôt que le séparer, et amener enfin la confusion et l’obscurité, par la méthode même inventée pour les prévenir.

Mais Quintilien, qui fait cette remarque judicieuse, et qui proscrit si positivement l’abus, ne laisse pas d’établir partout la nécessité de l’usage, et d’observer qu’il faut posséder la dialectique en philosophe, et l’employer en orateur.

Le devoir du philosophe-orateur est donc de prouver, et son mérite, de le faire avec un ordre qui permette de le suivre pas à pas sans trouble et sans confusion, et une clarté qui ne laisse rien perdre de la force et de la valeur de ses arguments. Pour y parvenir, il ne s’arrêtera point indistinctement à la foule d’arguments qui se présentent quelquefois, au premier coup d’œil, pour appuyer ou développer une preuve : mais il choisira, et son choix ne se déterminera que pour ceux qui vont directement au but ; et il aura soin d’observer, dans leur disposition, la gradation qu’indique la nature elle-même. Elle veut, dit Quintilien, que l’on procède d’une chose à une autre ; cette méthode aide beaucoup à la mémoire de celui qui parle, et soutient l’attention de celui qui écoute. Les arguments doivent donc être en petit nombre ; mais il faut qu’ils rachètent en force ce qu’ils perdent en quantité, et que leur liaison ajoute à leur solidité.

Quant à leur force graduelle, la règle générale veut que l’on procède du plus faible au plus fort ; et cette marche est excellente toutes les fois que l’orateur, convaincu de la bonté de sa cause, ne voit aucune espèce d’obstacle à en démontrer l’évidence. Mais, dans le cas contraire, il doit frapper d’abord les grands coups, et placer les premiers ses arguments les plus forts, afin de disposer favorablement l’auditoire à l’infériorité des preuves subséquentes. Lorsque dans un grand nombre d’arguments, il s’en trouve un ou deux qui sont plus faibles que les autres, Cicéron conseille de les placer au milieu de ce corps de preuves, parce que leur faiblesse y sera bien moins sensible qu’au commencement où à la fin de la confirmation. Mais quand tous les arguments sont également forts, également satisfaisants ; quand chacun d’eux, placé dans tout son jour, est capable de produire l’effet que l’on en attend, il est bon de les séparer par une distance raisonnable, pour laisser à l’auditeur le temps d’en apprécier la valeur. Sont-ils faibles ou seulement douteux : il faut les serrer étroitement, et en former, pour ainsi dire, une phalange, où la faiblesse individuelle emprunte de la réunion une force que l’on était bien loin de leur supposer.

Mais quels que soient le nombre, la forme et la distribution des preuves dans le discours, l’orateur n’a rempli que la moitié de son objet, si, content d’avoir convaincu les esprits, il ne cherche pas à émouvoir les cœurs, en touchant à propos la passion. Mais c’est là que les règles se taisent, que les conseils sont inutiles ou insuffisants, et que l’orateur ne doit écouter que son génie, et ne suivre que l’impression du moment. Alors il deviendra pathétique, parce qu’il sera vrai ; ses moyens seront victorieux, parce qu’ils seront naturels, et que l’on n’attaque jamais en vain le cœur des autres, quand on est fortement pénétré soi-même du sentiment que l’on exprime. Mais voilà l’essentiel, le difficile, le rare, et l’indispensable cependant : Summa enim circà movendos affectus, in hoc posita est, ut moveamur ipsi. (Quint. lib. vi. c. 3).

4º De la Péroraison.

C’est surtout dans la conclusion du discours que se développaient avec succès, chez les anciens, les grandes ressources du pathétique. C’est là que l’orateur, rassemblant toutes ses forces, frappait les derniers coups avec une énergie à laquelle rien ne résistait ; c’était le triomphe de l’éloquence judiciaire, chez des peuples dont les tribunaux, entourés d’une foule innombrable de peuple, offraient un vaste théâtre à l’action oratoire. Mais c’est dans l’éloquence de la tribune et dans celle de la chaire, où le but principal est d’intéresser et d’émouvoir, que la péroraison est la partie essentielle du discours. Elle est loin d’avoir au barreau la même importance : ici, c’est la loi qui prononce ; c’est donc bien moins la volonté du juge, que son opinion qu’il s’agit de déterminer. Comme cependant ce juge est un homme, il ne sera jamais inutile de l’intéresser en faveur de l’innocence et de la faiblesse, de la justice et de la vérité. Ce que la nature a mis de sensibilité dans le cœur du juge, est le commentaire heureux du texte impassible de la loi. Une péroraison pathétique n’est indigne de l’éloquence, que dans le cas où l’on s’en servirait pour faire triompher le crime ou le mensonge.

Dans nos plaidoyers modernes, qui ne sont le plus souvent que des discussions arides, où le sentiment ne saurait être pour rien, la péroraison doit uniquement consister dans le résumé clair et rapide de la cause. C’est un épilogue qui réunit tous les moyens épars et développés dans le cours du discours, pour leur donner une nouvelle force en les présentant tous à la fois. Il ne peut y avoir lieu ici aux mouvements oratoires : un raisonnement pressé, mais lumineux, des conséquences justes et exactement déduites ; voilà tout le mérite de ces sortes de péroraisons, qui ont l’avantage de réunir, sous un seul et même point de vue, l’état général de la cause, les lois dont elle s’appuie, et les moyens que l’on a employés pour la défendre. Aussi la règle prescrite à cet égard par Cicéron, est-elle de donner à chacun de ces points intéressants le plus de force, avec le moins d’étendue possible : c’est une récapitulation pour soulager la mémoire de celui qui écoute, et non un morceau d’apparat pour faire briller le talent de celui qui parle : ut memoria, non oratio, renovata videatur . (Cic.)

Mais si la nature de la cause donne lieu à une éloquence véhémente, le résumé doit être suivi d’un mouvement oratoire, qui sera ou d’indignation ou de commisération. Mais dans l’un ou l’autre cas, il faut savoir s’arrêter à propos, et dans le dernier principalement ; car, suivant la remarque du rhéteur Apollonius, citée par Cicéron et Quintilien, rien ne sèche si vite que les larmes : nec sine causâ dictum est nihil faciliùs quàm lacrymas inarescere . (Quint. lib. vi. c. 1). Du moment que l’on s’aperçoit que tous les cœurs sont émus, gardons-nous d’insister sur les plaintes ; ne laissons pas à l’auditeur le temps de se refroidir, et ne nous flattons pas surtout que personne pleure longtemps des infortunes qui lui sont étrangères.

Quintilien conseille encore, avec sa sagesse ordinaire, de mesurer ses forces avant d’essayer le pathétique, et de ne point manier ce ressort puissant, mais délicat, si l’on ne se sent pas tout le talent nécessaire pour l’employer avec succès. Comme il n’y a point, en effet, d’impression plus forte, lorsqu’on parvient à la produire, il n’y en a point qui refroidisse davantage, quand l’effet est manqué. Il vaudrait beaucoup mieux alors laisser les juges à leurs propres dispositions ; car ici les grands efforts, les grands mouvements, sont tout près du ridicule ; et ce qui ne fait pas pleurer, fait nécessairement rire : nihil habet ista res medium ; sed aut lacrymas meretur aut risum . (Quint. lib. vi. c. 2).

C’est ce qu’Aristote sans doute a voulu nous faire entendre, lorsqu’il nous a donné le conseil et le modèle à la fois de la plus courte et de la meilleure peut-être des conclusions, pour le plus grand nombre des plaidoyers : j’ai dit, vous m’avez entendu, vous connaissez l’affaire ; prononcez. Εἴρηκα, ἀκηκὸατε, ἔχετε, κρίνατε (Rhét. lib. iii. 19).