(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — De Retz. (1614-1679.) » pp. 20-28
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(1865) Morceaux choisis des classiques français à l’usage des classes supérieures : chefs-d’oeuvre des prosateurs et des poëtes du dix-septième et du dix-huitième siècle (nouv. éd.). Classe de troisième « Morceaux choisis des classiques français à l’usage de la classe de troisième. Chefs-d’œuvre de prose. — De Retz. (1614-1679.) » pp. 20-28

De Retz.
(1614-1679.)

[Notice]

Né à Montmirail en 1614, Retz (Paul de Gondy), qui, dans un moment de faveur, obtint par l’entremise de la régente Anne d’Autriche le chapeau de cardinal, fut le principal héros de la Fronde. Chef de parti sans conviction comme sans vues élevées, devenu tel par la haine qu’il portait à Mazarin, il montra longtemps la turbulence et la frivolité de caractère qui ont marqué tristement cette époque de guerre civile. S’il n’avait donc pour lui que son rôle politique de coadjuteur de Paris, il serait peu digne de souvenir. Mais amendé par la disgrâce1, qui fut le seul fruit de ses intrigues ambitieuses, il mérita dans les loisirs de la retraite, où le consolait l’amitié ingénieuse de madame de Sévigné, une gloire plus solide que celle qu’avait rêvée sa jeunesse, celle d’écrivain : il mourut en 1679, laissant dans ses Mémoires un des monuments les plus remarquables de cette éloquence naturelle dont César a offert chez les anciens le modèle le plus frappant2.

Commencement de la régence d’Anne d’Autriche ; arrestation du duc de Beaufort ; établissement du pouvoir de Mazarin.

Ce parti (celui des Importants3), formé dans la cour par M. de Beaufort, n’était composé que de quatre ou cinq mélancoliques, qui avaient la mine de penser creux ; et cette mine, ou fit peur à M. le cardinal Mazarin, ou lui donna lieu de feindre qu’il avait peur. Le palais d’Orléans et l’hôtel de Condé, étant unis ensemble par ces intérêts, tournèrent en moins de rien en ridicule la morgue qui avait donné aux amis de M. de Beaufort le nom d’Importants ; et ils se servirent en même temps très-habilement des grandes apparences que M. de Beaufort, selon le style1 de tous ceux qui ont plus de vanité que de sens, ne manqua pas de donner en toute sorte d’occasions aux moindres bagatelles. L’on tenait cabinet mal à propos, l’on donnait des rendez-vous sans sujet ; les chasses mêmes paraissaient mystérieuses. Enfin l’on fit si bien, que l’on se fit arrêter au Louvre par Guitaut, capitaine des gardes de la reine. Les Importants furent chassés et dispersés, et l’on publia par tout le royaume qu’ils avaient fait une entreprise sur la vie de M. le cardinal. Ce qui a fait que je ne l’ai jamais cru est que l’on n’en a jamais vu ni déposition ni indice, quoique la plupart des domestiques de la maison de Vendôme aient été très-longtemps en prison. Vaumorin et Ganseville, auxquels j’en ai parlé cent fois dans la Fronde, m’ont juré qu’il n’y avait rien au monde de plus faux : l’un était capitaine des gardes, et l’autre écuyer de M. de Beaufort. Le marquis de Nangis, mestre de camp2 du régiment de Navarre ou de Picardie, je ne me ressouviens pas précisément, et enragé contre la reine et contre le cardinal pour un sujet que je vous dirai incontinent, fut fort tenté d’entrer dans la cabale des Importants, cinq ou six jours devant que M. de Beaufort fût arrêté ; et je le détournai de cette pensée, en lui disant que la mode, qui a du pouvoir en toutes choses, ne l’a si sensible en aucune qu’à être ou bien ou mal à la cour. Il y a des temps où la disgrâce est une manière de feu qui purifie toutes les mauvaises qualités et qui illumine toutes les bonnes ; il y a des temps où il ne sied pas bien à un honnête homme d’être disgracié. Je soutins à Nangis que celui des Importants était de cette nature ; et je vous marque cette circonstance pour avoir lieu de vous faire le plan de l’état où les choses se trouvèrent à la mort du feu roi. C’est par où je devais commencer, mais le fil du discours m’a emporté.

Il faut confesser, à la louange de M. le cardinal de Richelieu, qu’il avait conçu deux desseins que je trouve presque aussi vastes que ceux des César et des Alexandre. Celui d’abattre le parti de la religion avait été projeté par M. le cardinal de Retz, mon oncle ; celui d’attaquer la formidable maison d’Autriche n’avait été imaginé de personne. Il a consommé le premier ; à sa mort, il avait bien avancé le second. La valeur de M. le prince (le grand Condé), qui était M. le duc en ce temps-là, fit que celle du roi1 n’altéra point l’état des choses. La fameuse victoire de Rocroy2 donna autant de sûreté au royaume qu’elle lui apporta de gloire ; et les lauriers couvrirent le roi, qui règne aujourd’hui, dans son berceau. Le roi son père, qui n’aimait ni n’estimait la reine sa femme, lui donna, en mourant, un conseil nécessaire pour limiter l’autorité de sa régence ; et il y nomma M. le cardinal Mazarin, M. le chancelier3, M. Bouteiller et M. de Chavigny. Comme tous ces sujets étaient extrêmement odieux au public, parce qu’ils étaient tous créatures de M. le cardinal de Richelieu, ils furent sifflés par tous les laquais dans la cour de Saint-Germain, aussitôt que le roi eut expiré ; et si M. de Beaufort eût eu le sens commun, ou si M. de Beauvais4 n’eût pas été une bête mitrée, ou s’il eût plu à mon père5 d’entrer dans les affaires, ces collatéraux de la régence auraient été infailliblement chassés avec honte, et la mémoire du cardinal de Richelieu aurait été sûrement condamnée par le parlement avec une joie publique.

La reine était adorée beaucoup plus par ses disgrâces que par son mérite. L’on ne l’avait vue que persécutée, et la souffrance, aux personnes de ce rang, tient lieu d’une grande vertu. L’on se voulait imaginer qu’elle avait eu de la patience, qui est très-souvent figurée par l’indolence. Enfin, il est très-constant que l’on en espérait des merveilles.

M. le duc d’Orléans fit quelque mine de disputer la régence, et La Frette, qui était à lui, donna de l’ombrage parce qu’il arriva une heure après la mort du roi, à Saint-Germain, avec deux cents gentilshommes qu’il avait amenés de son pays. J’obligeai Nangis, dans ce moment, à offrir à la reine le régiment qu’il commandait, qui était en garnison à Mantes. Il le fit marcher à Saint-Germain, tout le régiment des gardes s’y rendit ; l’on amena le roi à Paris. Monsieur1 se contenta d’être lieutenant général de l’Etat ; M. le prince fut déclaré chef du conseil. Le parlement confirma la régence de la reine, mais sans limitation ; tous les exilés furent rappelés ; tous les prisonniers furent mis en liberté, tous les criminels furent justifiés, tous ceux qui avaient perdu des charges rentrèrent ; on donnait tout, on ne refusait rien, et madame de Beauvais, entre autres, eut permission de bâtir dans la place Royale. Je ne me ressouviens plus du nom de celui à qui on expédia un brevet pour un impôt sur les messes. La félicité des particuliers paraissait pleinement assurée par le bonheur public. L’union très-parfaite de la maison royale fixait le repos au dedans. La bataille de Rocroy avait anéanti pour des siècles la vigueur de l’infanterie d’Espagne. La cavalerie de l’empire ne tenait pas devant les Weimariens2 ; l’on voyait sur les degrés du trône, d’où l’âpre et redoutable Richelieu avait foudroyé plutôt que gouverné les humains, un successeur doux, bénin, qui ne voulait rien, qui était au désespoir que sa dignité de cardinal ne lui permettait pas3 de s’humilier autant qu’il l’eût souhaité devant tout le monde, qui marchait dans les rues avec deux petits laquais derrière son carrosse. N’ai-je pas eu raison de vous dire qu’il ne sied pas bien à un honnête homme d’être mal à la cour en ce temps-là ? Et n’eus-je pas encore raison de conseiller à Nangis de ne se pas brouiller, quoique, nonobstant le service qu’il avait rendu à Saint-Germain, il fût le premier homme à qui l’on eût refusé une gratification de rien qu’il demanda. Je la lui fis obtenir.

Vous ne serez pas surprise de ce qu’on le fut de la prison de M. de Beaufort, dans une cour où l’on venait de les ouvrir à tout le monde sans exception ; mais vous le serez sans doute de ce que personne ne s’aperçut des suites. Ce coup de rigueur, fait dans un temps où l’autorité était si douce qu’elle était comme imperceptible, fit un grand effet, quoique cet effet fût aussi presque incroyable. Il n’y avait rien de si facile que ce coup par toutes les circonstances que vous avez vues ; mais il paraissait grand ; et tout ce qui est de cette nature est heureux, parce qu’il a de la dignité et n’a rien d’odieux. Ce qui attire assez souvent je ne sais quoi d’odieux sur les actions des ministres, même les plus nécessaires, c’est que pour les faire ils sont presque toujours obligés de surmonter des obstacles dont la victoire ne manque jamais de porter avec elle de l’envie et de la haine. Quand il se présente une occasion considérable dans laquelle il n’y a rien à vaincre, parce qu’il n’y a rien à combattre, ce qui est très-rare, elle donne à leur autorité un éclat pur, innocent, non mélangé, qui ne s’établit pas seulement, mais qui leur fait même tirer, dans les suites, du mérite de tout ce qu’ils ne font pas, presque également que1 de tout ce qu’ils font.

Quand l’on vit que le cardinal avait arrêté celui qui, cinq ou six semaines devant, avait ramené le roi à Paris avec un faste inconcevable, l’imagination de tous les hommes fut saisie d’un étonnement respectueux ; et je me souviens que Chapelain, qui enfin avait de l’esprit2, ne pouvait se lasser d’admirer ce grand événement. L’on se croyait bien obligé au ministre de ce que toutes les semaines il ne faisait pas mettre quelqu’un en prison, et l’on attribuait à la douceur de son naturel les occasions qu’il n’avait pas de mal faire. Il faut avouer qu’il seconda fort habilement son bonheur. Il donna toutes les apparences nécessaires pour faire croire qu’on l’avait forcé à cette résolution ; que les conseils de Monsieur et de M. le prince l’avaient emporté dans l’esprit de la reine sur son avis. Il parut encore plus modéré, plus civil et plus ouvert le lendemain de l’action. L’accès était tout à fait libre, les audiences étaient aisées ; l’on dînait avec lui comme avec un particulier. Enfin, il fit si bien, qu’il se trouva sur la tête de tout le monde, dans le temps que tout le monde croyait l’avoir encore à ses côtés3.

Mémoires.

Une sédition à Paris ; courage du premier président (Mathieu Molé).

Le parlement s’étant assemblé ce jour-là1 de très-bon matin, et devant même que l’on eût pris les armes, apprit le mouvement par les cris d’une multitude immense qui hurlait dans la salle du palais : Broussel ! Broussel ! et il donna arrêt par lequel il fut ordonné que l’on irait en corps et en habit au Palais-Royal redemander les prisonniers ; qu’il serait décrété contre Comminges, lieutenant des gardes de la reine ; qu’il serait défendu à tous gens de guerre, sous peine de la vie, de prendre des commissions pareilles, et qu’il serait informé contre ceux qui avaient donné ce conseil comme contre des perturbateurs du repos public. L’arrêt fut exécuté à l’heure même : le parlement sortit au nombre de cent soixante officiers. Il fut reçu et accompagné dans toutes les rues avec des acclamations et des applaudissements incroyables : toutes les barricades tombaient devant lui.

Le premier président parla à la reine avec toute la liberté que l’état des choses lui donnait. Il lui représenta au naturel le jeu que l’on avait fait en toutes occasions de la parole royale ; les illusions honteuses, et même puériles, par lesquelles on avait éludé mille et mille fois les résolutions les plus utiles et même les plus nécessaires à l’Etat ; il exagéra avec force le péril où le public se trouvait par la prise tumultuaire et générale des armes. La reine, qui ne craignait rien parce qu’elle connaissait peu, s’emporta, et elle lui répondit avec un ton de fureur plutôt que de colère : « Je sais bien qu’il y a du bruit dans la ville ; mais vous m’en répondrez, messieurs du parlement, vous, vos femmes et vos enfants. » En prononçant cette dernière syllabe, elle rentra dans sa petite chambre grise et elle en ferma la porte avec force.

Le parlement s’en retournait ; et il était déjà sur les degrés, quand le président de Mesmes, qui était extrêmement timide, faisant réflexion sur le péril auquel la compagnie s’allait exposer parmi le peuple, l’exhorta à remonter et à faire encore un effort sur l’esprit de la reine. M. le duc d’Orléans, qu’ils trouvèrent dans le grand cabinet et qu’ils exhortèrent pathétiquement, les fit entrer au nombre de vingt dans la chambre grise. Le premier président fit voir à la reine toute l’horreur de Paris armé et enragé, c’est-à-dire il essaya de lui faire voir, car elle ne voulut rien écouter ; elle se jeta de colère dans la petite galerie.

Le cardinal s’avança et proposa de rendre les prisonniers, pourvu que le parlement promît de ne pas continuer ses assemblées. Le premier président répondit qu’il fallait délibérer sur la proposition. On fut sur le point de le faire sur-le-champ ; mais beaucoup de ceux de la compagnie ayant représenté que les peuples1 croiraient qu’elle aurait été violentée si elle opinait au Palais-Royal, l’on résolut de s’assembler l’après-dînée au palais, et l’on pria M. le duc d’Orléans de s’y trouver.

Le parlement étant sorti du Palais-Royal, et ne disant rien au peuple de la liberté de Broussel, ne trouva d’abord qu’un morne silence au lieu des acclamations passées. Comme il fut à la barrière des Sergents2, où était la première barricade, il y rencontra du murmure, qu’il apaisa en assurant que la reine lui avait promis satisfaction. Les menaces de la seconde furent éludées par le même moyen. La troisième, qui était à la Croix du Tirouer3, ne se voulut pas payer de cette monnaie ; et un garçon rôtisseur, s’avançant avec deux cents hommes et mettant la hallebarde dans le ventre du premier président, lui dit : « Tourne, traître ; et si tu ne veux être massacré toi-même, ramène-nous Broussel ou le Mazarin et le chancelier en otage. » Vous ne doutez pas, à mon opinion, ni de la confusion ni de la terreur qui saisit presque tous les assistants ; cinq présidents au mortier et plus de vingt conseillers se jetèrent dans la foule pour s’échapper. L’unique premier président, le plus intrépide homme, à mon sens, qui ait paru dans son siècle, demeura ferme et inébranlable1. Il se donna le temps de rallier ce qu’il put de la compagnie ; il conserva toujours la dignité de la magistrature et dans ses paroles et dans ses démarches, et il revint au Palais-Royal au petit pas, sous le feu des injures, des menaces, des exécrations et des blasphèmes.

Cet homme avait une sorte d’éloquence qui lui était particulière. Il n’était pas congru2 dans sa langue, mais il parlait avec une force qui suppléait à tout cela ; et il était naturellement si hardi, qu’il ne parlait jamais si bien que dans le péril. Il se passa3 lui-même lorsqu’il revint au Palais-Royal, et il est constant qu’il toucha tout le monde, à la réserve de la reine, qui demeura inflexible.

Monsieur fit mine de se jeter à genoux devant elle ; quatre ou cinq princesses, qui tremblaient de peur, s’y jetèrent effectivement. Le cardinal, à qui un jeune conseiller des enquêtes avait dit en raillant qu’il serait assez à propos qu’il allât lui-même dans les rues voir l’état des choses, le cardinal, dis-je, se joignit au gros de la cour, et l’on tira enfin à toute peine cette parole de la bouche de la reine : « Hé bien ! messieurs du parlement, voyez donc ce qu’il est à propos de faire. » L’on s’assembla en même temps dans la grande galerie ; l’on délibéra, et l’on donna arrêt par lequel la reine serait remerciée de la liberté accordée aux prisonniers.

Aussitôt que l’arrêt fut rendu, l’on expédia les lettres de cachet, l’on transmit les paroles, et le premier président montra au peuple les copies, qu’il avait mises en forme, de l’un et de l’autre : mais l’on ne voulut pas quitter les armes que l’effet ne s’en fût ensuivi4. Le parlement même ne donna point d’arrêt pour les faire poser, qu’il n’eût vu Broussel dans sa place. Il y revint le lendemain, ou plutôt il y fut porté sur la tête des peuples avec des acclamations incroyables. L’on rompit les barricades, l’on ouvrit les boutiques, et en moins de deux heures Paris parut plus tranquille que je ne l’ai jamais vu le vendredi saint1.

Ibid.