(1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Deuxième partie. Préceptes des genres. — Chapitre second. De la narration. »
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(1850) Rhétorique appliquée ou recueil d’exercices littéraires. Préceptes « Deuxième partie. Préceptes des genres. — Chapitre second. De la narration. »

Chapitre second. De la narration.

On donne le nom générique de narration à toutes ces compositions de médiocre étendue, qui consistent en un récit plus ou moins vif et animé et qui n’admettent qu’accessoirement le discours direct et le dialogue.

La narration en général est l’exposé d’un fait vrai ou supposé vrai.

On distingue six sortes de narrations ; 1° narration historique ; 2° narration poétique ou fictive, 3° narration badine ; 4° narration mixte ; 5° narration épistolaire ; 6° narration légende, il y a encore la narration oratoire ; mais elle appartient au discours et nous en avons parlé à l’article de la disposition oratoire.

Profitons de cette division pour classer les autres genres de compositions que l’on comprend sous le nom de narration. Ils sont au nombre de sept : 1° la définition ; 2° les portraits et les caractères ; 3° le parallèle ; 4° le dialogue ; 5° l’allégorie ; 6° la fable ; 7° les tableaux et descriptions.

Nous commencerons par ces sept derniers genres.

§ 1. Définitions.

Préceptes du genre 18.

La définition, considérée comme composition, n’est point une de ces formules coûtées sur le même moule, qu’on trouve dans les bons dictionnaires ; c’est une composition par laquelle on fait concevoir une chose telle qu’elle est ou telle qu’elle doit être.

Le poète et l’orateur en définissant un objet, ne le peignent souvent que du côté favorable à l’opinion qu’ils veulent en donner ; de là vient que de la même chose il peut y voir plusieurs définitions différentes et dont chacune aura sa vérité et sa justesse relativement à l’intention de l’écrivain. Il n’en est pas de même du philosophe, pour qui il n’y a point de situation particulière et qui doit définir rigoureusement suivant les principes généraux des connaissances humaines. Ainsi, quand le poète et l’orateur embrasseront la totalité d‘un objet, en présenteront une complète, ils définiront philosophiquement le premier avec des images et des sentiments, comme le comporte la langue poétique ; le second avec les mouvements propres à l’éloquence.

La définition doit fixer les rapports le genre et la différence. — On détermine les rapports en détaillant les objets qu’embrasse le sujet défini ; le genre, en classant ce sujet dans l’ordre qui lui convient ; la différence, en montrant ses qualités propres qui le distinguent des sujets de même genre. Ainsi en définissant l’espérance, je dirai que c’est une vertu et je nommerai son genre : j’ajouterai que c’est une vertu chrétienne et j’indiquerai sa différence ; j’expliquerai sur quoi elle est fondée et quel est son but, et je préciserai ses rapports.

Ce ne sera pas sous une forme aride que je ferai une définition digne d’un bon écrivain. Je cacherai l’observation du précepte sous une élocution limpide. Je m’efforcerai d’être clair afin qu’on ne voie pas seulement à demi mon sujet et qu’on ne le confonde pas avec d’autres. Je tâcherai encore d’être précis pour initier en peu de mots mon lecteur à ma pensée.

Si pour arriver à la clarté, j’ai besoin de mettre un autre objet en regard de mon sujet, il me sera permis de recourir à la comparaison, que je devrai abréger le plus possible.

Souvent une définition sera parfaitement claire et précise par ses rapports seuls. quelquefois par son genre bien dessiné ; on pourra même l’apercevoir par ses différences très saillantes. Je me contenterai en ce cas de mon habileté à la faire ressortir par un seul de ses côtés, et j’abandonnerai les deux autres à la sagacité du lecteur, pour lui laisser le plaisir de me compléter.

Les définitions ne doivent pas être longues : car elles produiraient l’ennui. Ce n’est qu’une introduction à une composition plus étendue.

En résumé, la définition comprend dans le fond les rapports, le genre et la différence des objets ; dans la forme, la clarté et la précision des mots.

Voir Canevas n° 34 à 41.

Décomposition.

Comme l’écrivain n’est point obligé de commencer une définition par une de ses qualités plutôt que par une autre, on ne le chicanera pas sur l’ordre de la disposition. On fera remarquer seulement s’il a oublié quelque chose et dans quel but.

On verra si dans la forme il a observé la clarté et la précision.

Voir Canevas n° 42 à 43.

Modèle de décomposition de définition.

MATIÈRE.

L’Espérance.

Il est dans le ciel une puissance divine, compagne assidue de la religion et de la vertu. Elle nous aide à  supporter la vie, s’embarque avec nous pour nous  montrer le port dans les tempêtes ; également douce et secourable aux voyageurs célèbres, aux passagers inconnus. Quoique ses yeux soient couverts d’un bandeau, ses regards pénètrent l’avenir ; quelquefois elle  tient des fleurs naissantes dans la main, quelquefois une  coupe pleine d’une liqueur enchanteresse. Rien n’approche du charme de sa voix, de la grâce de son sourire ; plus on avance vers le tombeau, plus elle se  montre pure et brillante aux mortels consolés. La foi et la charité lui disent : Ma sœur ! Elle se nomme l’Espérance.

Chateaubriand, (Les Martyrs.)

ANALYSE.

Forme. — Tous les détails de cette définition concourent à rendre sensible aux yeux une idée abstraite par elle-même : ils contribuent donc à la clarté. La précision n’est peut-être pas aussi bien observée, et ce défaut tient au vague que laisse dans l’esprit pendant le cours de la définition 1’incertitude de la chose définie dont le nom est rejeté à la fin. Mais pour excuser l’auteur, on peut dire avec raison qu’il n’a eu recours à la suspension que pour intéresser d’avantage le lecteur. Aussi à la seconde lecture (en supposant toutefois que le titre soit supprimé), l’esprit reconnaît avec plaisir la justesse des images et la beauté des allégories.

L’auteur personnifie l’Espérance, il en fait une femme couverte d’un bandeau et lisant dans l’avenir, pour désigner l’incertitude de nos projets ; tenant des fleurs ou une coupe pleine d’un doux breuvage, pour peindre les plaisirs qu’elle nous promet. Elle a la voix encourageante, le sourire enchanteur, pour éloigner le désespoir et la crainte des malheurs ; elle paraît plus belle à mesure quelle vieillit car elle nous montre le ciel, séjour du bonheur parfait.

C’est la sœur de la foi et de la charité. Cette image, plus sensible que les précédentes, couronne à merveille la définition.

Fond. — On distingue aisément les trois qualités constitutives d’une bonne définition. Une puissance divine indique d’abord la différence, viennent ensuite les rapports, c’est-à-dire l’objet de l’espérance, ses moyens de plaire, et ses effets. Le genre est à la fin, La foi et la charité lui disent : ma sœur ! C’est donc une des trois vertus théologales.

§ 2. Portraits et Caractères.

Préceptes du genre.

On fait des portraits de deux sortes, au physique et au moral. La description de la figure, de l’extérieur d’une personne, est un portrait physique ; la description de ses mœurs, de ses qualités, est un portrait moral. Quand les deux sortes sont réunies, la description prend le nom de portrait sans autre explication.

Le caractère permet à l’écrivain de tracer le portrait moral d’un individu pris dans la société. Il peint en général une qualité ou un vice, sans faire d’application personnelle. La Bruyère a fait des caractères ; il les a puisés la plupart dans les individus qu’il connaissait ; ses ennemis l’accusèrent d’avoir fait des portraits, ils avaient en cela un double plaisir, celui de médire de l’auteur, et d’appliquer ses peintures malignes à telle ou telle personne.

Le caractère par lequel un blâme devient donc une satire, s’il ne se tient pas dans la généralité ; le portrait ne peut ainsi dégénérer parce que sa première qualité est la fidélité, et qu’il est impossible de ne pas y reconnaître, quand il est bienfait, la physionomie du personnage dépeint.

Un portrait peut être placé dans tous les genres décomposition ; on ne peut y joindre un caractère que dans des circonstances graves et solennelles, telles que les réclament par exemple la vérité et l’impartialité dans l’histoire, ou l’inflexibilité de la justice dans les plaidoyers. A part ces cas de premier ordre, un peintre de caractères doit veiller à ce que les traits qu’il dessine soient applicables aux hommes en général, et non point à un homme en particulier. Ce précepte est d’autant plus utile à observer qu’ il est plus vrai de dire que le portrait d’un homme isolé n’a par lui-même aucun intérêt, et ne peut être qu’un ornement frivole, indigne d’un bon écrivain comme d’un lecteur sérieux.

Les portraits et caractères doivent être peu fréquents et habilement faits. Dans l’histoire même, qui est le genre qui les emploie de préférence, on n’aime pas à les rencontrer à chaque instant. Ils ne sont bien placés qu’à la fin d’un règne ou d’un siècle, pour en faire connaître les personnages principaux. En ne dépeignant que ceux qui, par leur caractère, leurs fonctions, leurs actions remarquables, sont dignes d’être particulièrement connus, on ne prodiguera point les portraits et on disposera favorablement le lecteur à les examiner quand on les lui présentera.

Dans les mémoires particuliers, les portraits et caractères se rencontrent à chaque instant. La raison en est simple. Dans l’histoire, un personnage se développe et se fait connaître par ses actions ; dans les mémoires, le lecteur est transporté dans l’intimité d’une famille, et il faut qu’il parcoure la galerie des portraits de tous ses membres et de tous ses amis ou ennemis.

Pour appliquer une élocution convenable à ces deux genres de composition, on devra se souvenir que le portrait ne doit point être chargé et converti en caricature, et que le caractère ne doit point être outré et poussé au-delà de la vraisemblance. Sûreté de ton précision de termes, disposition naturelle, fermeté de détails, tels sont les moyens qui serviront à tracer un portrait fidèle et bien fini.

Le portrait est physique s’il ne dépeint que l’extérieur ; il est moral s’il parle des qualités ; il est physique et moral si à l’extérieur il joint les qualités ; il est littéraire quand il parle du mérite d’un auteur ; il est historique quand il prend son modèle dans les temps passés ; il ne devient caractère que lorsqu’il peint la vertu ou le vice d’une manière générale.

Voir Canevas n°44 à 54.

 

Décomposition.

Il est facile d’analyser un portrait ; au fond l’élève dira à quel genre il appartient et ce qu’il en pense comme juge.

Dans la forme, il examinera les détails et fera ressortir les traits qui lui plairont le plus.

Voir Canevas n° 55 à 58.

Modèle de décomposition de portraits.

MATIÈRE.

Lafontaine.

L’imagination, dans cet auteur qu’elle aime.
Du modeste apologue a fait un vrai poème :
Il a son action, son nœud, son dénoument.
Chez lui, l’utilité s’unit à l’agrément ;
Le vrai nom blesse moins en passant par sa bouche,
Il ménage l’orgueil, qu’un reproche effarouche ;
Sous l’attrait du plaisir il cache la leçon ;
Et par d’heureux détours, nous mène à la raison.
Il ignore son art, et c’est son art suprême ;
Il séduit d’autant plus qu’il est séduit lui-même.
Le chien, le bœuf, le cerf, sont vraiment ses amis,
A leur grave conseil par lui je suis admis ;
Louis qui n’écoutait, du sein de la victoire,
Que des chants de triomphe et des hymnes de gloire,
Dont peut-être l’orgueil goûtait peu la leçon
Que reçoit dans ses vers l’orgueil du roi lion,
Dédaigna Lafontaine et mit son art frivole :
Chantre aimable ! ta muse aisément s’en console,
Louis ne te fit point un luxe de sa cour ;
Mais le sage t’accueille en son humble séjour ;
Mais il le fait son maître, en tous lieux, à tout âge,
Son compagnon des champs, de ville, de voyage ;
Mais le cœur te choisit, mais tu reçus de nous,
Au lieu du nom de Grand, un nom cent fois plus doux ;
Et, qui voit ton portrait, le quittant avec peine.
Se dit avec plaisir : « C’est le bon Lafontaine. »
Et dans sa bonhomie et sa simplicité,
Que de grâce, et souvent combien de majesté !
S’il peint les animaux, leurs mœurs, leur république,
Pline est moins éloquent, Buffon moins magnifique,
L’Epopée elle-même a des accents moins fiers.

Delille. (L’imagination.)

ANALYSE.

Forme, — Aux traits caractéristiques de ce portrait, il serait facile de reconnaître Lafontaine, lors même qu’il n’eut point été nommé, les traits sont dessinés de main de maître ; voici ceux qui me paraissent le plus fidèles et énergiques :

Du modeste apologue a fait un vrai poème, peint fort bien l’intérêt, l’unité et la régularité de plan des fables de Lafontaine.

Le vrai nom blesse moins en passant par sa bouche, caractérise l’adresse heureuse du poète à employer les expressions les plus communes.

Sous l’attrait du plaisir il cache la leçon,

c’est nous parler en termes vrais du but et des moyens de la fable, telle que l’a écrite le maître du genre.

Le chien, le boeuf, le cerf sont vraiment ses amis,

trait naïf, on peint bien ceux qu’on aime bien.

Le sage t’accueille en son humble séjour,

rappelle le plaisir qu’on éprouve à lire ses ingénieux apologues.

Il ignore son art, et c’est son art suprême,

on sait en effet que Lafontaine ne se doutait pas de la hauteur de sou talent.

Au lieu du nom de Grand un nom cent fois plus doux,

c’est le bonhomme, c’est-à-dire l’aimable, l’ingénieux, le naïf, le vrai, etc., etc.

L’Epopée elle-même a des accents moins fiers,

allusion aux passage où l’auteur dépeint s’élève au sublime. Delillle a employé fort heureusement la répétition pour consoler Lafontaine de l’abandon où l’avait laissé Louis XIV. Ce roi n’aimait point le fabuliste, mais le sage l’accueille, mais il le fait son maître ; mais le cœur le choisit, mais il reçoit de nous le nom par excellence.

L’antithèse de mots se rencontre aussi avec plaisir dans ces deux vers.

Il ignore son art, et c’est son art suprême,
Il séduit d’autant plus qu’il est séduit lui-même.

Fond. — Ce portrait est du genre littéraire, il est charmant et dessiné avec une fidélité scrupuleuse, un goût sûr et des couleurs vives et bien nuancées.

§ 3. Parallèles.

Préceptes du genre.

L’art des parallèles consiste à rapprocher deux portraits et à les comparer pour se prononcer sur le mérite de chaque personnage.

En écrivant un parallèle, il faut donc tracer deux portraits à la suite l’un de l’autre, les reprendre et rapprocher chacun des traits de cette double physionomie, saisir leurs rapports et leurs différences, et dire ensuite quelle est la plus agréable, la plus noble, la plus belle.

Le parallèle est aussi multiplié que le portrait, c’est-à-dire qu’il est physique, moral, physique et moral tout à la lois, littéraire et historique.

Les règles des portraits sont applicables aux parallèles. Ceux-ci ont une ressource de plus ; c’est l’antithèse, mais il faut ici, comme ailleurs, user sobrement de cette figure dont la répétition devient monotone ; on y parviendra en opérant les rapprochements d’une manière saillante et naturelle.

Voir Canevas n° 59 à 62.

Décomposition.

Forme. — Faites remarquer les contrastes les plus saillants, et la manière variée à employer l’antithèse.

Fond. — Dites à quel genre appartient le parallèle, si vous en êtes content et pourquoi.

Voir Canevas n° 63.

Modèle de décomposition de parallèles.

MATIÈRE.

La Justice divine et la Justice humaine.

Aux deux coins de cet échafaud les deux justices sont  en présence, la Justice humaine et la Justice divine : l’une, implacable et appuyée sur un glaive, est accompagnée du Désespoir ; l’autre tenant un voile trempé de  pleurs, se montre entre la Pitié et l’Espérance. L’une  a pour ministre un homme de sang, l’autre un homme  de paix ; l’une condamne, l’autre absout. Innocente ou  coupable, la première dit à la victime : meurs ! La  seconde lui crie : fils de l’innocence ou du repentir, montez au ciel !  Chateaubriand.

ANALYSE.

Forme. — Les deux premiers mots de ce court parallèle, aux deux coins, pèchent contre la propriété de l’expression. Un échafaud a quatre coins ; l’auteur eût pu dire de chaque côté. Les deux justices sont représentées avec des attributs fort opposés, et sont accompagnées de figures allégoriques mises dans l’ombre par un seul mot, d’un côté le désespoir, ami cruel et mauvais conseiller, est le seul compagnon de la justice des hommes.

Deux vertus aimables, la pitié et l’espérance, entourent la justice de Dieu. Un bourreau, ministre de sang, un prêtre, ministre de paix, agissent et parlent au nom de ces figures muettes, la victime est au milieu de ce cortège qui marche et se meut sur un échafaud. Cette personnification sublime, ce mélange d’êtres moraux et matériels, donnent un admirable mouvement à ces préparatifs d’un drame solennel. L’antithèse acquiert une forme palpable et une singularité qui frappe et émeut. Ces deux voix opposées qui crient, l’une : meurs ; l’autre : montez au ciel, font tressaillir en même temps d’épouvante et de  consolation. La première se sert durement de l’impératif singulier : Meurs ! la seconde est respectueuse et emploie le pluriel : Montez au ciel ! et ces derniers mots sont une allusion aux paroles de l’abbé Edgeworth disant à Louis XVI : « fils de saint Louis, montez au ciel. »

Fond. — Ce parallèle appartient à l’ordre moral, quoiqu’on y reconnaisse la réalité dans l’ordre physique ; car l’auteur n’a point voulu décrire une exécution, mais son but a été de mettre en opposition les procédés de deux êtres abstraits ; il l’a fait physiquement pour frapper nos yeux autant que notre esprit. Cette manière est peut-être la plus éloquente de toutes, et peu d’écrivains sont capables de remployer avec une telle magnificence.

§ 4. Dialogues.

Préceptes au genre.

Le dialogue est un ouvrage d’esprit qui a la forme d’un entretien, d’une conversation entre deux ou plusieurs personnes.

Cette forme donne plus de vivacité au discours, plus de sel à la plaisanterie, plus de piquant au raisonnement, plus de véhémence à l’éloquence.

Le dialogue est un vêtement qui s’adapte à tous les genres, et dont l’esprit humain peut revêtir toutes les productions. L’éducation et l’ instruction s’en emparèrent dans le XVIIe siècle. On mit en dialogue la grammaire, la logique, la philosophie, la physique, la géographie, l’histoire et la politique.

Outre ces espèces particulières du dialogue, il y en a une autre qu’on nomme dialogue poétique ou dramatique, quoique les premières puissent être écrites en vers et que cette dernière puisse être écrite en prose. C’est donc du fond et du sujet qu’elles tirent leur dénomination et non de la forme du langage. Le dialogue philosophique ou littéraire a pour objet de développer, de prouver une vérité ; le dialogue poétique représente une action, comme dans la tragédie, la comédie et le drame en général ; cette action a souvent son exposition, son nœud et son dénouement.

Dans le dialogue philosophique et littéraire, le ton et le style s’abaissent ou s’élèvent suivant la nature des sujets ; le langage y est tantôt simple, naïf, léger, badin, plaisant ; tantôt grave, noble, éloquent même, et sublime toutes les fois que le sujet et la question s’y prêtent. Il ne faut jamais perdre de vue qu’un dialogue est une conversation, et doit en reproduire les qualités naturelles, la vivacité, l’abandon, la simplicité. Mais, d’un autre côté, il faut y mettre du jeu et de l’opposition, autrement c’est un dialogue où il n’y a qu’une personne qui parle, et où l’on ne voit qu’un seul avis, et c’est ici le point délicat du dialogue. Que les avis soient en opposition tranchée ; que les raisonnements soient, de part et d’autre, exposés dans toute leur force. Qu’un interlocuteur ne cède à l’ autre que par la nécessité de convenir de ses torts ; c’est ce qui rendra le dialogue animé et intéressant. Si, au contraire, un des interlocuteurs n’est en scène que pour applaudir ou pour présenter des objections sous le rapport le plus favorable à la réfutation, il joue un rôle de niais ; le lecteur est attiédi ; le dialogue devient froid, languissant et monotone.

Le dialogue serait vicieux si la réplique se faisait attendre ; c’est-à-dire si, avant de répondre catégoriquement, un interlocuteur tombait dans les lieux communs du langage et recourait aux périphrases pour donner à sa réponse le temps d’accourir à sa pensée, un tel embarras impatiente l’auditeur.

Il est bon de remarquer toutefois qu’il y a des situations où le respect, la crainte, la pudeur, l’étonnement, l’admiration, la colère même, retiennent la passion et lui imposent silence. Le dialogue se coupe alors, mais c’est d’un effet charmant. Les demi-mots, les réticences, sont ici placés avec art. Le lecteur devine et donne tort à celui des dialogueurs qui ne comprend pas comme lui.

Le dialogue est une composition agréable où l’on peut déployer, comme dans la conversation, les ressources de son esprit ; pour y réussir il faut du talent ; les bons dialogueurs sont rares.

Voir Canevas n° 64 à 69.

Décomposition.

Dans la forme, on examinera si l’exposition est simple, quels sont les ornements qui en relèvent la vivacité et 1’intérêt, quelle est la nature des moyens par lesquels l’interlocuteur reste maître de la discussion. Au fonds on spécifiera le genre du dialogue.

Voir Canevas n° 70, 71.

Modèle de décomposition de dialogues.

MATIÈRE.

InterlocuteursChicaneau, bourgeois ; Madame la comtesse de Pimbesche.
Tous deux aiment les procès et veulent plaider.

LA COMTESSE.

Monsieur, tous mes procès allaient être finis :
Il ne m’en restait plus que quatre ou cinq petits,
L’un contre mon mari, l’autre contre mon père,
Et contre mes enfants : ah, monsieur ! la misère  !
Je ne sais quel biais ils ont imaginé,
Ni tout ce qu’ils ont fait ; mais on leur a donné
Un arrêt par lequel, moi vêtue et nourrie,
On me défend, monsieur, de plaider de ma vie.

CHICANEAU.

De plaider !

LA COMTESSE.

            De plaider.

CHICANEAU.

Certes, le trait est noir.
J’en suis surpris.

LA COMTESSE.

              Monsieur, j’en suis au désespoir.

CHICANEAU.

Comment ! lier les mains aux gens de votre sorte !
Mais cette pension, madame, est-elle forte ?

LA COMTESSE.

Je n’en vivrais, monsieur, que trop honnêtement,
Mais vivre sans plaider, est-ce contentement ?

CHICANEAU.

Des chicaneurs viendront nous manger jusqu’à l’âme,
Et nous ne dirons mot ! Mais s’il vous plaît, Madame,
Depuis quand plaidez-vous ?

LA COMTESSE.

          Il ne m’en souvient pas,
Depuis trente ans au plus.

CHICANEAU.

          Ce n’est pas trop.

LA COMTESSE.

                           Hélas !

CHICANEAU.

Et quel âge avez-vous ? vous avez bon visage.

LA COMTESSE.

Hé ! quelque soixante ans.

CHICANEAU.

             Comment ! c’est le bel âge
Pour plaider.

LA COMTESSE.

                  Laissez faire, ils ne sont pas au bout.
J’y vendrai ma chemise, et je veux rien du tout.

CHICANEAU.

Madame, écoutez-moi. Voici ce qu’il faut faire.

LA COMTESSE.

Oui, Monsieur, je vous crois comme mon propre père.

CHICANEAU.

J’irais trouver mon juge.

LA COMTESSE.

                  Oui, monsieur, j’irai.

CHICANEAU.

Me jeter à ses pieds.

LA COMTESSE.

               Oui, je m’y jetterai.
Je l’ai bien résolu.

CHICANEAU.

               Mais daignez donc m’entendre.

LA COMTESSE.

Oui, vous prenez la chose ainsi qu’il faut la prendre,

CHICANEAU.

Avez-vous dit, madame ?

LA COMTESSE.

                     Oui.

CHICANEAU.

             J’irais sans façon
Trouver mon juge.

LA COMTESSE.

              Hélas ! que ce monsieur est bon !

CHICANEAU.

Si vous parlez toujours, il faut que je me taise.

LA COMTESSE.

Ah ! que vous m’obligez ! je ne me sens pas d’aise.

CHICANEAU.

J’irais trouver mon juge, et lui dirais....

LA COMTESSE.

                  Oui.

CHICANEAU.

Voi !
Et lui dirais, monsieur,

LA COMTESSE.

                     Ou, monsieur.

CHICANEAU.

                     Liez-moi.

LA COMTESSE.

Monsieur, je ne veux point être liée.

CHICANEAU.

                        A l’autre !

LA COMTESSE.

Je ne la serai point !

CHICANEAU.

                      Quelle humeur est la vôtre !

LA COMTESSE.

Non.

CHICANEAU.

     Vous ne savez pas, madame, où je viendrai.

LA COMTESSE.

Je plaiderai, monsieur, ou bien je ne pourrai.

CHICANEAU.

Mais.

LA COMTESSE.

    Mais je ne veux point, monsieur, que l’on me fie.

CHICANEAU.

Enfin, quand une femme en tête à sa folie...

LA COMTESSE.

Fou vous-même !

CHICANEAU.

       Madame !

LA COMTESSE.

              Et pourquoi me lier ?

CHICANEAU.

Madame !...

LA COMTESSE.

        Voyez-vous ! il se rend familier.

CHICANEAU.

Mais madame !

LA COMTESSE.

        Un crasseux, qui n’a que sa chicane,
Veut donner des avis !

CHICANEAU.

             Madame !

LA COMTESSE.

                      Avec son âne !

CHICANEAU.

Vous me poussez.

LA COMTESSE.

Bonhomme, allez garder vos foins.

CHICANEAU.

Vous m’excédez.

LA COMTESSE.

          Le sot !

CHICANEAU.

            Que n’ai-je des témoins !

            (Racine.)

ANALYSE.

Forme. — L’exposition est ce qu’elle doit être, claire et simple. Une plaideuse ruinée explique ses malheurs à un chicaneur bien connu, et en attend des consolations et des conseils. Elle s’exprime sans emphase, comme une personne abattue par la douleur ; cette seule exclamation : Ah ! monsieur ! la misère ! interrompt la simplicité ; mais c’est plutôt un soupir, un regret fort naturel, qu’un mouvement de l’âme.

On doit remarquer l’adresse de Chicaneau, qui  bien aise de trouver une occasion de parler procès et de s’intéresser en quelque manière aux affaires des autres, veut gagner la confiance de la Comtesse, et pour cela prend chaudement son parti, flatte sa passion de plaider et lui fait même de compliments. Vous avez bon visage. C’est le bel âge pour plaider. Le matois ! il sait bien qu’après s’être ainsi emparé de l’amour propre, il peut dire avec confiance : voici ce qu’il faut faire. On voit de suite l’effet de cette insinuation adroite. La Comtesse empressée va écouter, comme son propre père, le donneur d’avis ; elle répète tout ce qu’il dit, elle dit oui à satiété, et ce n’est que lorsque Chicaneau, fâché de se voir interrompu par ces oui, change de discours et s’adresse à la Comtesse en cessant de parler au juge, que celle-ci toute âme et toute oreilles, prend le change, et cette malheureuse apostrophe, Liez-moi, détruit toute l’entente cordiale.

Peu avant le dénouement, le dialogue est presque interrompu. Chicaneau ne sait plus dire que mais… Madame… C’est l’effet naturel de la surprise de se voir injurier au moment où il ne s’y attendait guères. Cette heureuse infraction aux lois du dialogue permet au poète de rendre plus vives et plus frappantes les apostrophes de l’interlocuteur qui parle seul.

Il faut remarquer encore que les invectives de la Comtesse deviennent plus fortes à mesure qu’elle parle. Elle réserve pour les dernières celle qui blessent le plus Chicaneau, en lui rappelant un de ses procès à propos d’un âne qui avait mange son foin, et dont il venait de lui raconter l’histoire. — Je ne veux point être liéeje ne la serai pointnon je plaideraifou ! — me lier ! moi ! — l’impertinent  ! le crasseux ! avec son âne ! — avec son foin ! — le sot ! Toutes ces idées sont graduées.

La coupe des réponses, les exclamations, les interrogations répétées rendent le dialogue pressant, vif, incisif et mordant.

Fond. — Ce dialogue appartient au genre dramatique, les deux interlocuteurs ont les mêmes passions ; ils se racontent leurs aventures, en tout point semblables. Cela fait, celui qui se croit le plus habile veut donner des avis à l’autre, et le nœud commence. Il fallait une certaine adresse pour éviter la monotonie d’un dialogue entre deux personnes de mêmes goûts, et le poète a eu recours à la pétulance de la passion des procès, en dotant la Comtesse d’une démangeaison de parler qui empêche Chicaneau d’achever ce qu’il veut dire. Elle se méprend sur le sens d’un mot, et le dialogue se coupe de lui-même et dégénère en invectives ; celles-ci amènent un dénouement risible, qui n’est point, il est vrai, conforme à l’exposition, mais qui se justifie par la situation comique des dialogueurs, et la gaîté qui en résulte pour le spectateur.

L’exposition finit à Madame, écoutez-moi. Le nœud se serre à… Mais daignez donc m’entendre. On voit Chicaneau s’impatienter de ne pouvoir parler longuement et à son aise. Le nœud se complique à Monsieur, je ne veux point être liée , l’intérêt s’accroît ; le dénouement se prépare par les mots : enfin quand une femme en tête a sa folie. On prévoit une rupture, elle paraît d’autant plus prochaine que les exclamations de la plaideuse se succèdent plus aigres et plus piquantes. Le dénouement est amené à vous me poussez, Chicaneau ne pouvant plus se contenir éclate, et la rupture a lieu. Un procès va s’en suivre et ces mots : que n’ai-je des témoins ! en préviennent l’auditeur.

§ 5. Allégories.

Préceptes du genre.

Nous avons vu en étudiant les tropes que l’allégorie est une métaphore continuée pendant un certain temps. Quand nous disons d’un homme cruel, c’est un tigre, nous faisons une simple métaphore ; L’allégorie continue l’image, en représentant par les formes matérielles les qualités morales, c’est-à-dire en faisant agir le tigre pendant toute la durée d’une action, en peignant ses ruses, ses détours, son adresse, sa rage.

Telle que nous allons l’ envisager, l’allégorie est la manière d’exprimer des faits ou des sentiments par des objets ou des paroles qui les laissent deviner, qui en donnent ridée, mais qui ne la font point connaître positivement. Remarquons ces derniers mots. Si après une allégorie on prend soin de l’expliquer, d’appliquer aux objets connus et sensibles chaque trait de la composition, on ne fait point une allégorie parfaite, parce qu’on détruit d’une main ce qu’ on a édifié de l’autre. Pour charmer l’esprit, il convient donc de ne point déchirer le voile de l’allégorie, le lecteur a au moins le plaisir de découvrir la pensée cachée ; c’est un mérite que notre art lui laisse en entier.

L’allégorie parle aux yeux dans les œuvres d’art, comme la peinture et la sculpture. Un papillon sculpté sur une tombe rappelle l’idée de la résurrection des corps ; chacun sait que ce genre d’insecte devient tour à tour ver, chrysalide et papillon, et qu’ainsi il ne meurt qu’apparemment. C’est par allégorie que le coq représente la vigilance ; le paon, l’orgueil ; l’olivier, la paix.

Le mystère facile à pénétrer que l’allégorie répand sur une composition, lui donne beaucoup d’attraits. Quelque flatteuse que soit une vérité, elle devient ainsi une louange délicate qui ne blesse point la modestie. S'il s’agit au contraire de donner une leçon sévère, l’allégorie en adoucit l’amertume, et les hommes nés vicieux mais ayant tous en eux l’amour de la vérité, aiment cette manière indirecte de les instruire. Ce goût de l’homme pour les instructions mystérieuses a créé l’apologue et la parabole, deux variétés de l’allégorie, mais imparfaites parce qu’elles sont expliquées et dont la première a pour objet l’instruction morale, et la seconde l’instruction religieuse.

L’allégorie, soit par la ressemblance, soit par la justesse de ses rapports, doit toujours laisser entrevoir la vérité qu’elle enveloppe ; son objet est manqué si l’esprit s’y trompe, ou si, satisfait d’on apercevoir la surface, il ne désire pas autre chose et n’en pénètre pas le fond.

Quelque belle que soit l’ allégorie, elle serait froide si elle était longue. Un ouvrage tout allégorique ne serait pas soutenable, eût-il d’ailleurs mille beautés.

Nous faisons en France peu d’usage de l’allégorie, bien différents en cela des peuples orientaux, dont cette composition forme presque toute la rhétorique.

On peut, dans l’allégorie, faire usage a son aise d’expressions figurées. Nulle composition n’y prête d’avantage.

Voir Canevas n°72 à 82.

Décomposition.

Pour ne pas fatiguer les élèves par des exercices trop compliqués de décomposition, nous ne leur donnerons ici que le soin de découvrir le sens caché des allégories.

Voir Canevas n°83 à 86.

Modèle de décomposition d’allégories.

MATIÈRE.

Le Rocher et les deux Voyageurs.

Un homme voyageait dans la montagne, et il arriva en un lieu où un gros rocher, ayant roulé sur le chemin, le remplissait tout entier ; et, hors du chemin, il n’y avait point d’autre issue ni à gauche ni à droite. Or, cet homme voyant qu’il ne pouvait continuer son voyage à cause du rocher, essaya de le mouvoir pour se faire un passage, et il fatigua beaucoup à ce travail et tous ses efforts furent vains.

Ce que voyant, il s’assit plein de tristesse et dit : Que sera-ce de moi lorsque la nuit viendra et me surprendra dans cette solitude, sans nourriture, sans abri, sans aucune défense, à l’heure où les bêtes féroces sortent pour chercher leur proie ?

Et comme il était absorbé dans cette pensée, un autre voyageur survint, et celui-ci, ayant fait ce qu’avait fait le premier et s’étant trouvé aussi impuissant à remuer le rocher, s’assit en silence et baissa la tête.

Et après celui-ci, il en vint plusieurs autres, et aucun ne put mouvoir le rocher, et leur crainte à tous était grande.

Enfin, l’un d’eux dit aux autres : mes frères, prions notre père qui est dans les deux, peut-être il aura pitié de nous dans cette détresse. Et cette parole fut écoutée et ils prièrent de cœur le père qui est dans les deux.

Et quand ils eurent prié, celui qui avait dit : Prions, dit encore : Mes frères, ce qu’aucun de nous n’a pu faire  seul, qui sait si nous ne le ferons pas tous ensemble ?

Et ils se levèrent, et tous ensemble ils poussèrent le rocher, et le rocher céda et ils poursuivirent leur route en paix.

EXPLICATION.

Le voyageur, c’est l’homme ; le chemin, c’est la vie ; le rocher, ce sont les misères qu’il rencontre à chaque pas sur sa route.

Nous essayons souvent vainement de triompher de nos malheurs, nous en sommes accablés, nous sommes tristes et nous nous désespérons. Invoquons le secours du ciel, et unissons-nous à nos frères pour prier et travailler.

Seuls nous ne pourrions jamais écarter nos misères, mais Dieu leur a donné une mesure telle qu’elles n’arrêtent jamais ceux qui vivent dans la crainte de Dieu, qui s’aiment entre eux et se soulagent mutuellement.

§ 6. Fables et Apologues.

Préceptes du genre.

La fable est le récit d’une action feinte, destinée à l’amusement et à l'instruction. sous le voile de l’allégorie.

Elle comprend l’apologue et la fable.

L’apologue intéresse par le choix de l’allégorie, la naïveté qui séduit et persuade ; par une certaine philosophie égayée qui nous cache la sécheresse des préceptes. Comme tout récit, l’apologue doit avoir son exposition, son nœud et son dénouement. Sa longueur n’est pas rigoureusement déterminée ; cependant le plus souvent il sera court. L’action de 1’apologue est allégorique, c’est-à-dire qu’elle couvre une maxime ou une vérité. Cette maxime ou cette vérité se nomme moralité. Elle sera courte et intéressante, sans métaphysique, sans périodes, sans trivialité ; elle sortira naturellement du sujet, on la place ou au commencement ou à la fin, soit dans la bouche d’un des personnages, soit en une réflexion faite par l’auteur. L'apologue fait parler les dieux, les esprits, les hommes, les animaux et les choses inanimées. La fable est d’un genre moins relevé elle ne fait parler que les animaux et les choses inanimées. Voilà leur forme et leurs différences.

Les personnages de l’apologue ou de la fable doivent être conformes à l’idée que nous en avons, et agir selon le caractère ou l’instruction qui leur est propre, ou qu’on a convenu de leur donner.

Les ornements conviennent à l’apologue lorsque, étant conformes à son genre, ils tournent au profit de la vérité qu’il veut faire connaître ou des vertus qu’il veut inspirer. Il admet dans cette vue les images, les tableaux, les descriptions ; mais le style n’en sera pas moins précis et serré. Il rejette le faste des périodes  le luxe des phrases symétriquement cadencées. On aime à y trouver des ellipses qui contribuent à la rapidité du style. La simplicité, la naïveté, la facilité, le naturel, forment ses caractères distinctifs, sans en exclure l’élégance, surtout dans l’apologue proprement dit. Les expressions variées, mais restreintes dans les limites du genre ; les épithètes justes et gracieuses, placées à propos et sans prodigalité ; les métaphores et les allégories naturelles ; enfin, les images vives qui transportent les objets sous les yeux, et les expressions imitatives qui peignent à l’oreille en même temps qu’à l’esprit : voilà en quoi consistent les ornements qui conviennent à l’apologue.

Ce fut pour les anciens faiseurs de poétiques, une grande discussion que celle de déterminer si la fable devait être écrite en vers ou en prose, et quelle sorte de style devait y être employée. Lafontaine a pleinement résolu les deux problèmes : après ses vers si faciles et si harmonieux, il n’a plus été permis de songer à un autre langage ; et quoique resté inimitable sous ce point de vue comme sous tant d’autres, il a bien fallu l’imiter au moins pour le rhythme et la mesure. Quant au style de la fable, on sait assez que Lafontaine en a donné, non pas un, mais vingt modèles divers. Tour à tour gracieux, badin, touchant, sublime même, sans cesser d’être naïf, il sera pour tous les siècles le fablier ; après ni, on n’a plus vu que des fabulistes. (Encyclopédie des gens du monde.)

Voir Canevas n° 87 à 97.

Décomposition

Forme, — Détaillez les ornements. Fonds, — Examinez l’invention, l’exposition, le nœud, le dénouement et la moralité. Réduisez la fable à sa plus simple expression.

Voir Canevas n° 98 à 99.

Modèle de décomposition de fable et d’apologue.

MATIÈRE.

LE CHENE ET LE ROSEAU.
      Le chêne un jour dit au roseau :
Vous avez bien sujet d’accuser la nature,
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
      Le moindre vent qui d’aventure
      Fait rider la face de l’eau,
      Vous oblige à courber la tâte ;
Cependant que mon front au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
      Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon, tout me semble zéphir.
Encore si vous naissiez à l’abri du feuillage
      Dont je couvre le voisinage,
      Vous n’auriez pas tant à souffrir ;
      Je vous défendrais de l’orage.
      Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent,
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui repartit l’arbuste,
Part d’un bon naturel, mais quittez ce souci ;
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ;
Je plie et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
      Contre leurs coups épouvantables,
      Résisté sans courber le dos.
Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
      Le plus terrible des enfants
Que le nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
      L’arbre tient bon, le roseau plie
      Le vent redouble ses efforts,
      Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts.
(Lafontaine.)

ANALYSE.

Forme. — Il faudrait tout citer, si l’on voulait faire sentir toutes les beautés de cette charmante fable. Contentons-nous d’examiner les plus saillantes.

Un roitelet pour vous est un pesant fardeau.

Idée vraie, naïve, mais insuffisante, exprimée de manière à augmenter la faiblesse du roseau ; elle fait image.

Fait rider la face de l’eau.

Autre image riante, et métaphore juste et agréable.

Vous oblige à baisser la tête.

Vers doux et coulant ; il semble que le chêne s’abaisse à ce ton par pitié pour le roseau ; il parle bien différemment dans les trois vers qui suivent, c’est la noblesse des images, une comparaison superbe et la fierté de l’être qui brave également l’ardeur du soleil et l’effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphir.

Contraste frappant, brièveté énergique d’expression dans les deux hémistiches ; harmonie différente appropriée, l’une à la force, l’autre  à ta faiblesse. Ce qui est une réalité pour le roseau, n’a qu’un semblant d’existence pour le chêne.

Sur les humides bords des royaumes du vent : humides,

épithète qui ajoute un degré de plus à la fâcheuse position du roseau ; royaumes du vent, périphrase métaphorique des mots, mer, lacs, fleuves, etc.

Votre compassion part d’un bon naturel,

répartie fine et transition habile. On voit bien que le roseau connaît tout l’orgueil du chêne ; mais il cache sa pensée véritable ; il a d’ailleurs de quoi humilier le chêne à son tour ; car il craint les vents moins que lui, et leur situation réelle se résume dans ces mots : Je plie et ne romps pas. Vient ensuite la menace déguisée sous le proverbe : qui vivra, verra.

Le dialogue est fini, le chêne n’a plus rien  à répliquer, il entend déjà gronder l’aquilon et se prépare à le recevoir ; il va voir si c’est un zéphir. Le petit tableau de l’orage est de main de maître ; il est court, mais la périphrase a permis au poète de prolonger l’harmonie.

L’arbre tient bon, le roseau plie.

Contraste, nos deux acteurs déploient leurs moyens. Qui restera vainqueur ?

Le chêne est déraciné : ce géant, pareil au Caucase tombe avec fracas, et c’est ce que le poète veut faire entendre par les deux derniers vers où il a réuni et combiné l’antithèse et l’hyperbole.

Fond. — L’exposition est tout entière dans le premier vers : Voilà deux acteurs en scène, ils vont causer. Que vont-ils se dire ? Le nœud commence aux premières paroles du chêne ; Il se serre à mais quittez ce souci ; il se complique à la menace du roseau, mais attendons la fin ; le dénouement est préparé par l’arrivée impétueuse du vent, il a lieu au vers ; et fait si bien qu’il déracine.

Les pensées sont sous tous les rapports dignes de la circonstance et des personnages. Le chêne parle avec orgueil, et sa commisération affectée pour la faiblesse du roseau lui sert à faire ressortir sa propre force. Le roseau remarque bien ces fanfaronnades ; mais il sait en faire justice, et alarmer le chêne sur sa raideur et son inflexibilité. Et il se trouve que le roseau a raison.

La moralité n’est point exprimée mais l’esprit soulève sans efforts le voile de l’allégorie, et reconnaît qu’on ne doit point, dans la crainte des malheurs à venir, tirer vanité de sa position présente.

Pour réduire toute la fable à sa plus simple expression, il suffirait de dire :

Un jour le chêne dit au roseau : Vous êtes faible et chétif ; je suis grand et fort, pourquoi la nature vous a-t-elle si mal partagé, — Le roseau répond — je ne me plains pas de mon sort, votre grandeur peut vous nuire, ma faiblesse me protégera. — Après cet entretien, un vent violent s’élève et déracine le chêne. Il est plus facile sous cette forme simple et découvrir la moralité ; elle se trouve dans le langage du roseau.

§ 7. Tableaux et Descriptions19.

Préceptes du genre.

La description représente un objet ou une action ; elle met en relief  la nature d’une chose, ou les diverses circonstances d’un fait. Elevée à son plus haut degré de perfection, elle prend le nom de tableau.

La description et le tableau ne constituent pas, à parler rigoureusement, un genre particulier de composition ; ce sont des ornements, et les plus riches peut-être de l’éloquence et de la poésie. L’on ne peut guère concevoir une composition de quelque intérêt sans que la description ou le tableau viennent y prendre plus ou moins de place. Mais il n’est pas moins vrai que ces ornements sont par eux-mêmes d’un tel effet qu’ils méritent des préceptes spéciaux.

On peut puiser une description à quatre sources différentes : 1° dans la nature, en représentant quelque scène solennelle ou quelque objet touchant, qui se présente journellement à nos yeux, depuis la fleur qui cache ses parfums sur les bords du ruisseau, jusqu’à la foudre qui brise les chênes séculaires et à la tempête qui bouleverse les mers ; 2° dans la société, en peignant les événements qui se passent soit au sein de la famille soit sur ce théâtre mobile où les hommes déploient, tantôt en public, tantôt dans les réunions et soirées, leurs talents, leurs mœurs, et l’infatigable activité de l’esprit ; 3° dans le cœur humain ; l’écrivain y découvre les ressorts secrets qui font mouvoir les sociétés, il étudie les mouvements les passions, il y sonde les mystères de la conscience ; pour cela il s’étudie lui-même ; son cœur est comme un écho où viennent se répercuter tous les bruits de ceux qui 1’environnent ; 4° dans l’idée d’une puissance suprême : la pensée prend son essor par de là les limites du monde périssable ; elle va dans une région supérieure chercher de plus nobles images, s’empare de ces mystérieux rapports qui unissent le ciel et la terre, et nous fait respirer d’avance un parfum d’immortalité.

En trois vers Boileau a indiqué le style de la description :

Soyez riche et pompeux dans vos descriptions ;
C’est là qu’il faut du style étaler l’élégance,
N’y présentez jamais de basse circonstance.

Soyez riche, — Peignez avec des couleurs vives et tellement vraies qu’on ne puisse méconnaître l’objet décrit.

Soyez pompeux, élégant ; mais prenez garde a l’enflure, à l’emphase, aux écarts de l’imagination.

Point de basse circonstance. Choisissez vos détails ; rejetez ce qui est vulgaire, insignifiant ; arrêtez-vous aux traits caractéristiques, originaux.

Voici ce qu’on peut ajouter à ces recommandations du maître : 1° On doit présenter l’objet à dépeindre sous le point de vue le plus remarquable ou le plus favorable au but qu’on se propose. S’agit-il d’un serpent, par exemple, ne parlez pas, si vous voulez le rendre moins odieux, de son venin, de sa bave et de ses morsures cruelles, etc. ; mettez au contraire en lumière ses vives couleurs, ses plis et ses replis. — Mais si vous voulez le rendre affreux, négligez les détails gracieux, et faites ressortir ceux qui donnent plus d’horreur du reptile ; 2° On doit saisir le moment le plus avantageux, quand l’objet est mobile ; si vous vouliez dépeindre le vol de l’hirondelle, vous n’iriez pas la placer immobile sur une fenêtre ; 3° Considérez l’étendue que vous pouvez donner à votre description, elle dépendra du morceau ou vous l’encadrerez, et du genre dans lequel vous écrirez. Simple narrateur, historien, vous vous contenterez de quelques traits saillants ; orateur, vous présenterez plus de détails ; mais vous vous arrêterez dès que vous jugerez votre but atteint. Poète, vous laisserez faire un peu votre imagination, sans lui permettre cependant de fatiguer le lecteur ; 4° Enfin, recourez quelquefois au contraste. Mélangez l’ombre avec les lumières. Vous détacherez mieux les objets, vous leur donnerez plus d’éclat. Voici deux vers qui empruntent au contraste une forme touchante :

Furieuse elle vole avec un coutelas
Vers ce fils innocent qui lui tendait les bras.

C’est une mère furieuse qui est sur le point d’égorger son enfant. L’innocence n’a pour se défendre que la supplication. L’enfant tend les bras à sa mère pour la recevoir et l’embrasser ; et cette action naturelle et attendrissante fait ressortir la fureur d’une mère dénaturée.

On peut remarquer, d’après tout ce qui précède, que décrire ce n’est pas accumuler sans choix tous les détails d’une action ou d’un objet, quelque vrais qu’ils soient ; et que le mérite du style descriptif est d’offrir les circonstances principales, de donner à chacune la place et l’ étendue qui lui conviennent.

Il ne faut pas non plus décrire pour le seul plaisir de décrire, et comme pour montrer qu’après avoir représenté la sérénité d’un beau ciel, on sait aussi représenter l’horreur d’une tempête. Ce but futile serait indigne du plus médiocre écrivain. Songeons que la description n’est qu’un moyen de relever ce qu’il y a de moral et d’essentiel dans un ouvrage, et qu’elle doit, directement ou indirectement, concourir à rendre mieux la pensée principale d’un auteur.

Si vous voulez maintenant faire un tableau d’une description, vous tâcherez, au moyen de l’hypotypose, d’augmenter le mouvement, de presser le récit. Vous parlerez plus à l’imagination qu’à l’oreille ; vous ne serez plus narrateur, poète, orateur ; vous serez peintre, et vous nous ferez assister à un spectacle réel. Mais plus puissante que la peinture, votre parole imitera les sons, fera changer les objets de place, reproduira la succession des mouvements, exprimera les élans du cœur, et révélera les faits les plus intimes de la pensée. Votre œuvre ne se verra pas sur une simple toile ; ce sera un diorama (ouvrage à double vue), mais un diorama vivant, où vos acteurs devront tour à tour penser, parler et agir. Ce n’est qu’à ces conditions que vous ferez un tableau.

Voir Canevas n° 100 à 135.

Décomposition.

Il serait inutile de rechercher une disposition dans les descriptions et tableaux. Ici on ne s’occupera que des détails et du style.

Voir Canevas n° 136 à 139.

Modèle de décomposition de descriptions.

MATIÈRE.

UNE NUIT DANS LES DÉSERTS DE L’AMÉRIQUE.

 

Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres, à l’horizon opposé ; une brise embaumée, qu’elle amenait de l’Orient avec elle, semblait la précéder, comme sa fraîche haleine, dans les forêts, la Reine des nuits montait peu à peu dans le ciel : tantôt elle suivait paisiblement sa course azurée, tantôt elle reposait sur des groupes de nues, qui ressemblaient à la cime des hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se déroulaient en zones diaphanes de salin blanc, se dispersaient en légers flocons d’écume, ou formaient dans les deux des bancs d’une ouate éblouissante, si doux à l’oeil, qu’on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité.

La scène, sur la terre, n’était pas moins ravissante ; le jour bleuâtre et velouté de la lune descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes de lumière jusque dans l’épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui coulait à mes pieds, tour à tour se perdait dans les bois, tour à tour reparaissait toute brillante des constellations de la nuit, qu’elle répétait dans son sein. Dans une vaste prairie, de l’autre côté de cette rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons. Des bouleaux agités par les brises et dispersés cà et là dans la savanne, formaient des îles d’ombres flottantes sur une mer immobile de lumière. Auprès, tout était silence et repos, hors la chûte de quelques feuilles, le passage brusque d’un vent subit ; les gémissements rares et interrompus de la hulotte ; mais au loin, par intervalles, on entendait les roulements solennels de la cataracte du Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert et expiraient à travers les forêts solitaires.

La grandeur, l’étonnante mélancolie de ce tableau, ne sauraient s’exprimer dans des langues humaines ; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée. En vain, dans nos nos champs cultivés, l’imagination cherche à s’étendre ; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes, mais dans ce pays désert, lame se plaît à s’enfoncer dans un océan de forêts, à errer aux bords de lacs immenses, à planer sur le gouffre des cataractes, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu.

Chateaubriand. (Génie du Christianisme.)

ANALYSE.

Cette brillante description mérite le nom de tableau ; car on y reconnaît la touche d’un peintre habile. Tout lecteur remarque les mots Reine des nuits, cette périphrase est bien connue, mais elle est placée là si à propos que la lune ressemble à une reine assise sur un trône de nuages, et entourée de toute la pompe d’une cour splendide.

On ne peut trop admirer tous ces mots qui font image et rendent sensibles aux yeux les magnificences du désert. La brise est l’haleine de la lune qui s’ avance, ceci paraîtrait peut-être forcé ; mais l’auteur a eu soin d’ajouter comme. Les nues ressemblent à des montagnes couronnées de neige  ; elles se déploient en bandes de satin, se dispersent en flocons d’écume, et forment des sièges de ouate molle et élastique. Peut-on parler plus éloquemment aux yeux ?

La hardiesse et la beauté des métaphores ne sont pas moins dignes d’éloges, des îles d’ombres flottantes, une mer immobile de lumière, un océan de forets, le sein de la rivière  ; sont des figures riches, la course azurée de la lune, son jour velouté, les zones diaphanes, formées par tes nuages, des bancs doux à l’œil, la rivière brillante des constellations de la nuit, la clarté donnante sur les gazons ; renfermement des épithètes qui tiennent à la fois de la métaphore et de l’image, et que peu d’écrivains emploient avec grâce.

L’auteur partage sa description en trois parties. Dans la première c’est le ciel avec la lune et les nuages qui se jouent dans l’azur. Il néglige les étoiles, comme détails trop pâles à côté de l’éclat de l’astre des nuits. Cette partie avait besoin d’un peu de vie et de mouvement ; l’auteur anime la scène par l’haleine de la brise, la course majestueuse de la lune et les mouvements variés des nuages. La seconde partie, c’est le bord de la rivière, du côté où l’auteur écrit. On voit la lune se jouer capricieusement dans les massifs d’arbres, la rivière qui brille, court, se perd dans les bois et va refléter plus loin les constellations de la nuit. La dernière partie est l’autre côté du fleuve. Ici, en regard du repos de la nature et de la douceur du spectacle, règnent par un habile contraste le mouvement et la majesté. Les bouleaux, s’agitent, les feuilles tombent, le vent passe dans la forêt, la hulotte gémit, et le Niagara fait entendre dans le lointain un roulement solennel : c’est la grande voix de la cataracte qui trouble par intervalles le calme de la nuit, et il semble par un effet d’harmonie imitative que cette voix roule d’échos en échos. Se prolongeaient, expiraient, forêts, — De désert en désert, à travers, solitaires, tous ces mots convenablement distancés viennent frapper l’oreille de sons uniformes, et l’on éprouve comme un frémissement involontaire.

L’auteur termine cette description magnifique en nous ramenant en Europe. Il oppose nos champs cultivés aux déserts du nouveau monde, là l’imagination languit ; ici elle est libre et fière, et l’âme s’y plaît seule devant Dieu. Réflexion sublime qu’on aime à rencontrer en finissant. C’est ainsi que l’écrivain n’écrit pas simplement pour dire de belles choses, mais qu’il sait surtout rapporter son génie et ses productions au créateur de toutes les perfections.

§ 8. Narration historique.

Préceptes du genre.

Il n’entre point dans mon plan de tracer ici les graves devoirs d’un historien. Ce serait une tâche au-dessus de mes forces ; d’ailleurs les bornes d’une rhétorique ne me permettraient point les développements nécessaires.

Nous ne parlons que de la narration historique, c’est-à-dire du récit particulier d’un fait puisé dans l’histoire ; or, trois qualités sont indispensables à ce genre de narration : la vérité, l’impartialité, l’unité.

La vérité. — Le fait doit être incontesté, puisé à des sources authentiques ou appuyé, s’il est inédit, de pièces justificatives irrécusables.

L’impartialité. — Il ne suffit pas de dire la vérité ; il faut la dire tout entière. On doit caractériser la nature du fait, l’esprit d’une expédition, les motifs d’une entreprise, en donnant à chaque personnage sa part d’éloge ou de blâme, en évitant de juger avec passion, et en rapportant même les choses qui seraient contraires à nos opinions.

L’unité. — S’il faut, dans l’histoire, tout rapporter à une cause première, ainsi que l’a fait Bossuet dans son discours sur l’histoire universelle, à plus forte raison faut-il dans une simple narration avoir un but unique auquel on rapportera tous les détails d’un fait, toutes les circonstances d’un événement.

Il n’est point défendu au narrateur de se servir de son imagination, en donnant aux personnages une physionomie plus saillante, aux actions plus de mouvement et de coloris, pourvu qu’on se renferme dans l’exactitude historique, et que les choses racontées ne restent point en deçà ou n’aillent point au-delà de la vérité.

Le style sera, suivant le sujet, abondant, ou grave, ou concis, on y admettra les ornements qu’autant qu’on fera usage de soit imagination. Les phrases seront tantôt courtes, tantôt périodiques, et toujours de formes variées. (Voyez variété, page 166.)

Voir Canevas n° 140 à 149.

§ 9. Narration poétique ou fictive.

Préceptes du genre.

Dans la narration historique, la vérité règne seule, immuable et inflexible ; l’imagination est son esclave. Ici les rôles changent. L’imagination est seule reine et maîtresse ; elle ne consulte point la vérité, il lui suffit d’obéir à la vraisemblance. Mais cette seule règle de la vraisemblance impose au narateur de stricts devoirs.

1° Il faut que son récit soit tel qu’on puisse aisément le croire vrai. L’homme raille et méprise l’impossible ; il faut captiver son attention, et lui laisser même croire que l’on dit des choses vraies : 2° le récit fictif doit être plus intéressant que s’ il était historique. On n’a point pour s’excuser la réalité du fait, puisqu’on dispose à son gré des événements ; 3° donnez à la narration l’unité la plus parfaite, ne vous plaignez point de la multiplicité des événements, de l’aridité des détails, de l’imperfection des caractères : car vous êtes maître de tout ; 4° l’action doit offrir fort nettement un commencement, un milieu et une fin ; mais, soit pour éviter les longueurs, soit pour faire arriver l’intérêt dès l’abord, on peut ne pas commencer par l’exposition. Le lecteur se trouve ainsi transporté de suite au milieu du nœud, et il faut trouver habilement le moyen de raconter plus tard le commencement. Ce début est employé de préférence dans les compositions dramatiques ; 5° les caractères des personnages doivent être soutenus, c’est-à-dire se présenter à la fin, tels qu’au commencement. Si les circonstances sont de nature à les modifier, ce changement sera amené avec adresse et vraisemblance ; 6° enfin, vous devez raconter des choses morales et imiter la belle nature. Malheur au narrateur qui emploie son talent à réhausser de coupables passions !

Mépris à celui qui nous promène d’horreurs en horreurs !

Le récit poétique reçoit tous les ornements du style.  Il s’agit de les placer à propos et avec goût.

Voir Canevas n° 150 à 163.

§ 10. Narration badine.

Préceptes du genre.

La narration badine ou conte est le récit d’un événement dont le but est d’instruire le lecteur tout en l’amusant.

C’est le genre peut-être où l'imagination a la plus libre carrière, puisqu’elle n’est point gênée par la vraisemblance. Non-seulement l’écrivain peut recourir au merveilleux ; mais il peut le revendiquer comme un de ses privilèges. Il vit dans le monde des chimères, dans le domaine des fées et des enchanteurs ; il fait agir la baguette miraculeuse, les anneaux qui rendent invisibles et les talismans qui protègent de tout danger.

Ecrit presque toujours pour les enfants, le conte veut un style simple, léger, familier et à la portée du premier âge.  Il doit cacher, comme la fable, une moralité claire, facile à tirer du sujet, et qu’il convient toujours d’expliquer en peu de mots.

Si le conteur se dispense de recourir aux prodiges et aux enchantements, il rendra sa narration vraisemblable et intéressera plus vivement l’ enfance ; ainsi exposé le conte, quoique futile de sa nature, peut contribuer à répandre les douceurs de la morale et devenir par son but une composition sérieuse. Chacun se rappelle ici quel agrément on éprouve en lisant les contes du chanoine de Schmit, quelles larmes d’attendrissement ils font verser aux enfants et combien l’on est heureux de voir toujours la vertu récompensée et la méchanceté punie. La Barbe Bleue, Peau d’âne, n’ont pas eu de moindres succès en leur temps. Or, qu’on se persuade bien que ces contes seraient oubliés depuis longtemps, si les auteurs avaient dévié de ce but moral que tout écrivain ne doit jamais perdre de vue. On peut rapporter à la narration badine, du moins pour la forme légère et familière, l’historiette et l’anecdote.

Voir Canevas n° 165 à 183.

§ 11. Narration mixte

La narration mixte, dit l’abbé Anastase Capot, occupe le milieu entre le récit historique et la fiction ; elle tient à la fois de l’un et de l’autre, et c’est pourquoi on a pu la nommer narration mixte. C'est l’espèce la plus usitée pour les essais de composition, et à bon droit. Que doit-on, en effet, se proposer en apprenant à écrire ? Est-ce seulement de posséder les qualités de l’historien, de devenir correct dans son style et juste dans ses appréciations ? Non, il faut encore savoir, au besoin, donner carrière à la faculté créatrice de son esprit, suivre les élans de l’enthousiasme, embellir un rôle et représenter ses personnages d’un côté plutôt que d’un autre. Mais la sévérité de l’histoire s’opposait au moindre écart en dehors de la ligne réelle, et d’autre part le genre purement poétique exigeait trop de vigueur de conception et trop de confiance en soi-même. Ainsi, qu’avait-on de mieux à faire que de créer un genre qui, reposant sur des bases connues et avérées, ne fût cependant pas ennemi des embellissements de l’imagination, des élans du sentiment et des circonstances de pure fantaisie ? Notez de plus que ce genre n’exige pas une étude aussi sévère des faits que le récit historique, et qu’il présente en conséquence beaucoup plus d’attraits. Pourquoi maintenant les jeunes gens trouvent-ils si rarement dans leurs lectures des fragments propres à leur servir de modèle en ce genre ? La raison en est simple. C’est qu’un auteur n’écrit guère que pour faire ou du réel ou du romanesque, et que le genre mixte n’ayant pas un grand résultat moral dans la république des lettres, il est presque exclusivement abandonné aux écoles.  Il y a cependant des ouvrages, tels que la Gaule poétique, par Marchangy, où abonde la narration mixte. On peut encore classer dans ce genre une foule de ces narrations qui se trouvent aujourd’hui dans plusieurs publications périodiques.

Ainsi dans la narration mixte on s’empare d’un fait dont le fond appartient à l’Histoire : d’un personnage dont l’ existence n’est point mise en doute. On arrange les détails de manière à embellir son récit, on met dans la bouche de ses héros les paroles qu’ils ont vraisemblablement prononcées.  Ensuite donc les règles de la narration historique pour le fond et pour les détails ainsi que pour la forme, on se conforme aux préceptes de la narration poétique.

La narration mixte me semble plus étendue que ne le pense l’estimable auteur cité plus haut. N’est-ce pas ce genre en effet qu’il faut reconnaître dans la plupart des tragédies, des drames, et des romans qualifiés d’historiques. Les auteurs dramatiques sentent la force de la vérité, et savent que le public aime à voir agir, à entendre parler les grands acteurs des siècles passés. En puisant ainsi dans l’histoire, ils économisent des frais d’invention ; ils y trouvent des caractères tout faits, des circonstances préparées, et des noms de personnages prêts à mettre en scène. C’est une ressource immense pour les écrivains du second ordre : car si une élocution digne du sujet est la marque certaine de l’art et du goût, une invention toute originale est la pierre de touche du génie.

Voir Canevas n° 184 à 203.

§ 12. Narration épistolaire.

   Préceptes    du    genre.

La narration épistolaire raconte un fait dans une lettre. Elle se distingue d’une simple nouvelle en ce qu’elle ne se borne point à dire que telle chose a eu lieu, mais comment elle est arrivée, et avec quelles circonstances remarquables.

Si je dis : « Le carrosse de l’archevêque de Reims a versé hier sur a route de St.-Germain à Paris, et a failli écraser un homme à cheval. Tout le monde en a été quitte, heureusement, pour la peur » je mande une nouvelle sous une forme simple, sans détails, sans ornements. Mais Madame de Sévigné en racontant la même événement, fait une petite narration épistolaire, charmante, récréative et pittoresque. Ecoutons-la.

L’archevêque de Reims revenait hier fort vite de  Saint-Germain ; c’était comme un tourbillon. S’il se croit grand seigneur, ses gens le croient encore plus que lui, il passait au travers de Nanterre, tra, tra, tro : ils rencontrent un homme à cheval : Gare ! gare !  Ce pauvre homme se veut ranger ; son cheval ne le  veut pas, et enfin le carrosse et les chevaux renversent sens-dessus dessous le pauvre homme et le cheval,  et passent par-dessus, et si bien par-dessus que le  carrosse en fut versé et renversé. En même temps l’homme et le cheval, au lieu de s’amuser à être roués, se lèvent miraculeusement, remontent l’un sur l’autre,  et s’enfuient ; ils courent encore, pendant que les laquais et le cocher de l’archevêque, et l’archevêque  même, se mettent à crier : Arrête, arrête ce coquin ! qu’on lui donne cent coups ! L’archevêque, en racontant ceci disait : Si j’avais tenu ce maraud-là, je lui  aurais rompu les deux bras et coupé les oreilles.

Un style familier, rempli d’aisance, de grâce et de naturel ; un choix de détails intéressants, feront le mérite d’une narration épistolaire.

Voir Canevas n° 204 à 211.

§ 13. Narration Légende.

Préceptes du genre.

La légende est le récit d’un fait puisé dans l’histoire du moyen-âge, ou dans ces temps primitifs où l’imagination se passionnait pour le merveilleux ; elle reproduit toutefois le plus ordinairement un événement religieux, qu’admet volontiers une foi simple et pure.

L’écrivain doit s’identifier ici avec l’esprit de l’époque naïve à laquelle il emprunte son récit. On ne le verra pas s’armer des principes d’une critique rigoureuse, son ton, au contraire, sera constamment empreint d’une aimable crédulité.

La phrase de la légende affectionne les tournures originelles du vieil idôme ; elle admet un bon nombre d’expressions surannées ; en un mot, le laisser-aller y domine dans le style autant que dans la pensée (M. A. Capot.)

Voir Canevas n° 212 à 221.

Décomposition de la narration.

En général :

Forme.— On détaillera les principaux ornements.

Fond. — 1° On examinera les trois parties de la disposition ; 2° on réduira la narration à une ou deux phrases ; 3° on dira auquel des six genres indiqués la narration appartient.

En particulier :

On fera remarquer 1° si dans la forme la narration historique est grave, sérieuse, soutenue ; si la narration fictive et la narration mixte sont ornées, élégantes, si la narration badine et la narration épistolaire sont familières, simples et enjouées ; si la narration légende fait respirer le parfum du style et de la foi de nos pères.

2° Si au fond les narrations fictives, mixtes, et la légende sont vraisemblables et intéressantes. Si la narration historique est une, vraie et impartiale, si les narrations badine et épistolaire sont rehaussées par ces détails attrayants, ces circonstances bien saisies qui font leur mérite principal.

Canevas n° 222 et 223.

Modèle de décomposition de narration.

MATIÈRE.

Combat entre Mérovée et un chef gaulois.

Mérovée, rassasié de meurtres, contemplait immobile, du haut de son char de victoire, les cadavres dont il avait jonché la plaine. Ainsi se repose un lion de Numidie, après avoir déchiré un troupeau de brebis ; sa faim est apaisée, sa poitrine exhale l’odeur du carnage ; il ouvre et ferme tour à tour sa gueule fatiguée, qu’embarrassent des flocons de laine ; enfin, il se couche au milieu des agneaux ; égorgés, sa crinière, humectée d’une rosée de sang, retombe des deux côtés de son cou ; il croise ses grilles puissantes, il allonge la tête sur ses ongles, et, les yeux à demi fermés, il lèche encore les molles toisons étendues autour de lui.

Le chef des Gaulois aperçut Mérovée dans ce repos insultant et superbe. Sa fureur s’allume ; il s’avance vers le fils de Pharamond ; il lui crie d’un ton ironique : « Chef à la longue chevelure, je vais t’asseoir autrement sur le trône d’Hercule le Gaulois. Jeune brave, tu mérites d’emporter la marque du fer au palais de Teutatès. Je ne veux point te laisser languir dans une honteuse vieillesse.

— Qui es-tu ? répondit Mérovée avec un sourire amer ; es-tu d’une race noble et antique ? Esclave romain, ne crains-tu point ma framée ?

— Je ne crains qu’une chose, répartit le Gaulois frémissant de courroux ; c’est que le ciel tombe sur ma tête.

— Cède-moi la terre, dit l’orgueilleux Sicambre.

— La terre que je te céderai, s’écria le Gaulois, tu la garderas éternellement.

  A ces mots, Mérovée, s’appuyant sur sa framée, s’élance du char par-dessus les taureaux, tombe à leurs têtes, et se présente au Gaulois qui venait à lui.

  Toute l’armée s’arrête pour regarder le combat des deux chefs. Le Gaulois fond l’épée à la main sur le jeune Franc, le presse, le frappe, le blesse à l’épaule, et le contraint à reculer jusques sous les cornes des taureaux. Mérovée, à son tour, lance son angon, qui, par ses deux fers recourbés, s’engage dans le bouclier du Gaulois. Au même instant, le fils de Clodion bondit comme un léopard, met le pied sur le javelot, le presse de son poids, le fait descendre vers la terre, et abaisse avec lui le bouclier de son ennemi. Ainsi forcé à se découvrir, l’infortuné Gaulois montre la tête. La hache de Mérovée part, siffle, vole, et s’enfonce dans le front du Gaulois, comme la cognée d’un bûcheron dans la cime d’un pin. La tête du guerrier se partage ; sa cervelle se répand des deux côtés, ses yeux roulent à terre, son corps reste encore un moment debout, étendant des mains convulsives, objet d’épouvante et de pitié.

Chateaubriand.

ANALYSE.

 

Le commencement de cette belle narration fait connaître la situation du principal personnage. La grande figure de Mérovée domine du haut d’un char de triomphe la scène de meurtres qui l’environne, L’épithète immobile semble lui donner ce sang-froid naturel aux grands courages : on voit de suite qu’il s’agit d’un héros qui a vaillamment combattu, et pour que le lecteur ait une haute idée de la force et de la valeur du héros, l’auteur le compare  à un lion qui vient d’égorger un troupeau. Cette comparaison est si rebattue qu’elle est devenue triviale ; mais Châteaubriand le sait, et il va lui donner une de ces formes colossales qui la feront admirer. Quelle variété de détails il jette au milieu de ce repos majestueux du lion ! Quelle force dans les épithètes, sa gueule fatiguée, sa crinière humectée d’une rosée de sang (métaphore hardie) ses griffes puissantes, et par contraste les molles toisons, les brebis les agneaux, les flocons de laine, toutes ces idées douces mêlées à l’horreur du récit, viennent rendre plus sauvage la férocité du roi des forêts.

Le chef Gaulois, second acteur de ce drame, doué de fierté et d’énergie comme Mérovée, paraît et ose insulter le vainqueur : ici commence un dialogue un peu forcé peut-être. L’ironie est dans la bouche du Gaulois : chef à la longue chevelure, périphrase insultante, ainsi que celles qui se développent en trois phrases formant une expolition. Mérovée répond sérieusement et insulte à son tour le Gaulois en l’appelant esclave romain. Celui-ci réplique par une hyperbole, je ne crains qu’une chose, c’est que le ciel me tombe sur la tête. Mérovée entendant parler du ciel, réclame la terre. Cette anti-thèse est peu naturelle dans ce solennel instant. Le Gaulois à propos de la terre, fait un jeu de mots trop étudié pour être vraisemblable.

Tout ce dialogue sent l’art, et même l’affectation dans l’art, et c’est bien dommage que cette tache se montre dans un si beau récit.

Mérovée est debout, une image saisissante le représente franchissant d’un bond les taureaux. Voilà les deux héros en présence, ici commence un des plus beaux tableaux que possède notre langue. Figurons-nous une vaste toile dont une armée entière occupe le fond et les côtés. Au milieu, sur le deuxième plan, est un char vide attelé de taureaux, deux guerriers l’épée à la main (remarquez cette nouvelle image), sont au premier plan, et au grand jour. Les voilà qui se pressent, se frappent et se blessent. L’hypotypose étale ses grandes ressources. Phrases coupées, expressions vives et courtes, verbes au temps présent, images entassées, tout dans le style se presse, court comme un torrent, et c’est à peine si l’imagination peut suivre ce mouvement, bondissant comme un léopard (comparaison courte et vive, telle qu’il la fallait en cet endroit). Le Gaulois montre la tête ; la hache, quel rapprochement énergique et rapide ! on voit à peine la tête que la hache se montre ! La hache part, siffle, vole, et s’enfonce, harmonie imitative. Ce mot s’enfonce plus long et plus pesant que les mots légers et courts part, siffle, vole, fait tomber le trait descriptif avec lourdeur ; il semble que l’on entend ce coup sourd et effrayant d’un fer sur une tête humaine : siffle, vole sont des expressions forcées ; il fallait peut-être brille, s’abat et s’enfonce.

Deux petites taches se rencontrent encore à la fin. La cîme d’un pin est une image fausse. On attaque un pin par le tronc et non par la cîme.  Il est vrai que la cîme est plus tendre, et ce mot a été choisi de préférence par l’auteur pour rendre plus sensible l’ effet de la hache sur une substance aussi molle que la cervelle ; mais cela ne peut justifier l’expression. Ses yeux roulent à terre est une autre image contraire à la nature. Les yeux peuvent sortir de l’orbite mais non pas s’en détacher ainsi ; sauf ces réserves la fin du drame est digne du tableau précédant ; les petites circonstances rehaussent la mort du Gaulois. Ce corps mort encore debout, ces mains qui s’agitent convulsivement, cette cervelle qui se répand à terre, impriment dans l’âme, comme le dit Chateaubriand, l’ épouvante et la pitié.

Ecrire ainsi, c’est écrire en poète plutôt qu’en narrateur.

Fond. — Cette narration appartient au genre mixte, l’auteur s’est emparé d’un nom, d’un fait historique, et son imagination a su les revêtir d’ornements brillants et poétiques, il est impossible de refuser au récit l’intérêt, la vraisemblance et l’unité.

La disposition est des plus brillantes. L’exposition se termine au dialogue, le nœud se serre au moment où Mérovée saute à bas de son char ; il se complique à l’instant de la blessure et du combat. Le dénouement se prépare lorsqu’on voit le bouclier du Gaulois s’incliner vers la terre ; il s’approche quand ce guerrier se découvre, et il se montre en même temps que la hache. Ce dénouement tragique est digne de l’exposition. Réduit à sa plus simple expression, le récit se renfermerait dans ces deux phrases. « Mérovée vainqueur se reposait sur son char quand un chef Gaulois vint le provoquer à un combat singulier. Le chef Sicambre accepta ce défi, et après un combat de quelques instants il fendit la tête du Gaulois d’un coup de hache. »