(1897) Extraits des classiques français, seizième, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours moyens. Première partie : prose. [Seizième siècle] « XVIe siècle — Prose — Henri IV, 1553-1610 » pp. -
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(1897) Extraits des classiques français, seizième, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours moyens. Première partie : prose. [Seizième siècle] « XVIe siècle — Prose — Henri IV, 1553-1610 » pp. -

Henri IV
1553-1610

[Notice]

Élevé par son grand-père, Henri d’Albert, au milieu des pâtres du Béarn, habillé, nourri comme eux, Henri de Bourbon avait eu pour précepteur le savant belléniste La Gaucherie et Florent Chrestien, l’un des auteurs de la Ménippée. Mis au collége de Navarre, il apprit le grec et devint bon latiniste. Casaubon parle d’une traduction des Commentaires de César qu’il avait écrite dans sa jeunesse. A l’étude des anciens s’ajouta pour lui la fréquentation d’Amyot, dont le Plutarque fut sa lecture favorite, et de Montaigne, son voisin, dont il pratique les Essais avec la sympathie native d’un compatriote.

Un contemporain l’appela « le prince le mieux disant de son siècle ». Ses Lettres missives ne démentent pas cet éloge. Dans sa correspondance à la fois militaire, politique, diplomatique et intime, nous voyons tour à tour le chef de parti, le roi reconnu par une moitié de la France, combattu par l’autre, le vainqueur, le souverain populaire, mais surtout l’homme lui-même nous offrant toujours le parfait modèle d’un caractère habile et chevaleresque, d’un naturel ouvert et généreux, d’une imagination preste et originale. Écrivain sans le savoir, il a la source vive, l’esprit alerte, de la gaieté, de l’entrain, des saillies gauloises, un bon sens gascon, une familiarité souriante, un brave langage, de la rondeur et du piquant, des accents de cœur, et la concision expressive de cette parole agissante qui n’a pas de temps à perdre.

Courtes, substantielles et animées de mots saillants qui se retiennent, ses allocutions de guerre ou ses harangues adressées aux notables, aux parlements et au clergé sont d’un orateur éloquent à l’improviste, et sachant mieux ce qu’il dit que ce qu’il va dire. A certaines vérités rudes, mais tempérées par la bonhomie et la belle humeur, on reconnaît le roi qui fait fi de la rhétorique, porte l’épée au côté, sait mener son monde et le ranger à l’obéissance, est passé maître dans l’art de gagner les esprits et de séduire les plus récalcitrants, possède l’expérience des hommes, ne dédaigne pas la ruse quand la loyauté serait peine perdue, et mêle l’adresse aux bons propos, à l’indulgence, à une bonté vraie quoique toujours très clairvoyante. C’est bien là, suivant l’expression de d’Aubigné, cette décision et promptitude merveilleuse du prince « le plus madré qui fût au monde. »

On ne saurait contester les services qu’il rendit aux lettres. Non seulement il protégea de Thou, Pierre Mathieu, Casaubon, d’Ossat, Desportes, Bertaut, Coeffeteau, Regnier et Malherbe, qui fit, comme lui et grâce à lui, succéder la discipline à l’anarchie dans le domaine de la poésie ; mais il rendit publique la bibliothèque royale, il rétablit l’Université de Paris, il fonda le collége de France, il y institua un enseignement encyclopédique, il établit dans toute la France de nouvelles chaires. S’il n’eût pas le loisir de faire plus, la faute en est au coup de poignard qui frappa le cœur de la France avec le sien.

Consolation

A Monsieur de Launey, baron d’Entraigues 1

Monsieur Delauney d’Entraigues, Dieu aydant, j’espere que vous estes à l’heure qu’il est restably de la blessure que vous receutes à Coutras2, combattant si vaillamment à mon costé ; et si ce est comme je l’espere, ne faites faulte (car, Dieu aydant, dans peu nous aurons à decoudre3, et ainsy besoin de vos services) de partir aussitost pour venir me joindre. Sans doute vous n’aurés manqué, ainsy que vous l’avez annoncé à Mornay, de vendre vos bois de Mezilac et Cuze, et ils auront produit quelques mille pistoles. Si ce est, ne faites faulte de m’apporter tout ce que vous pourrés : car de ma vie je ne fus en pareille disconvenue4 ; et je ne sçais quand, ni d’où, si jamais, je pourray vous le rendre ; mais je vous promets force honneur et gloire ; et argent n’est pas pasture pour des gentilshommes comme vous et moy.

Vostre affectionné,
Henry.
(Lettres missives de Henri IV, tome II, p. 398.)

Un politique

A Monsieur de Batz 5

Monsieur de Batz, j’ay entendu avecque plaisir les services que vous et Monsieur de Roquelaure1 avés faict à ceulx de la Religion, et la sauveté que vous particulierement avez donnee en vostre chasteau de Suberbie à ceulx de mon pays de Bearn, et aussy l’offre que je accepte pour ce temps de vostre dict chasteau. De quoy je vous veulx bien remercyer, et pryer de croire que combien que soyés de ceulx-là du Pape, je ne avois, comme le cuydiés2, mesfiance de vous dessus ces choses. Ceulx qui suivent tout droict leur conscience sont de ma religion ; et moy je suis de celle de tous ceulx-là qui sont braves et bons3. Sur ce, je ne feray la presente plus longue, sinon pour vous recommander la place qu’avés en main, et d’estre sur vos gardes, pour ce que ne peut faillir que ne ayez bientost du bruict aux oreilles. Mais de cela je m’en repose sur vous comme le devez faire sur

Vostre plus asseuré et meilleur amy, Henry.
(Lettres missives du Roi de Navarre, Henri (1577).

Un père d’autrefois 4

Je me plains de vous, de ce que vous ne m’avez pas mandé que vous aviez fouetté mon fils ; car je veulx et vous commande de le fouetter5 toutes les fois qu’il fera l’opiniastre ou quelque chose de mal, saichant bien par moy-mesme qu’il n’y a rien au monde qui lui face plus de profict que cela ; ce que je recognois par experience m’avoir profité ; car, estant de son aage, j’ay esté fort fouetté. C’est pourquoy je veulx que vous le faciés et que vous luy faciés entendre.

Henry.