(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Boileau 1636-1711 » pp. 401-414
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(1872) Extraits des classiques français, dix-septième, dix-huitième et dix-neuvième siècles, accompagnés de notes et notices. Cours supérieurs et moyens. Prose et poésie « Extraits des classiques français — Extraits des classiques français. Deuxième partie. Poésie — Boileau 1636-1711 » pp. 401-414

Boileau
1636-1711

[Notice]

On peut diviser sa carrière poétique en trois périodes. De 1660 à 1668, il combat à outrance les méchants poëtes et le mauvais goût venu d’Espagne ou d’Italie. Il fait la police du Parnasse, et en chasse les intrus. — De 1669 à 1677, il laisse reposer ses armes, et maître du champ de bataille, formule dans l’Art poétique (1674), sous la dictée d’Horace, dont il n’a pas la grâce, ces lois éternelles du goût, qui doivent être la conscience de tout écrivain. En publiant le Lutrin, qui prouve que l’imagination ne lui fait pas défaut, il donne encore une leçon littéraire aux partisans du burlesque. A ces parodies qui dégradaient les grands sujets, il oppose une ingénieuse plaisanterie qui transforme en héros équipes de minces personnages. — L’Ode à Namur, et Trois ingrates satires furent les derniers soupirs de sa muse, qui, dans sa vieillesse chagrine, commençait à perdre haleine.

Il eut le génie du bon sens. Nul n’a plus que lui réconcilié la rime et la raison. Le goût du vrai fut sa passion bienfaisante et éloquente. Homme de bien, dont la vie est un exemple comme ses œuvres sont des modèles, aussi cordial dans l’éloge que sincère et vif dans le blâme, il a l’autorité d’un censeur et d’un juge. Ses arrêts ont force de loi1.

Le travail et la paresse

Non, je ne trouve point de fatigue si rude
Que l’ennuyeux2 loisir d’un mortel sans étude3,
Qui, jamais ne sortant de sa stupidité.
Soutient, dans les langueurs de son oisiveté,
D’une lâche indolence esclave volontaire,
Le pénible fardeau de n’avoir rien à faire4.
Vainement, offusqué5 de ses pensers épais,
Loin du trouble et du bruit il croit trouver la paix.
Dans le calme odieux de sa sombre paresse,
Tous les honteux plaisirs, enfants de la mollesse,
Usurpant sur son âme un absolu pouvoir,
De coupables désirs le viennent émouvoir,
Irritent de ses sens la fureur endormie,
Et le font le jouet de leur triste infamie.
Puis, sous leurs pas soudain arrivent les remords,
Et bientôt avec eux tous les fléaux du corps.

La chicane

Entre ces vieux appuis dont1 l’affreuse grand’salle
Soutient l’énorme poids de sa voûte infernale,
Est un pilier fameux2, des plaideurs respecté,
Et toujours de Normands à midi fréquenté.
Là, sur des tas poudreux de sacs et de pratique3,
Hurle tous les matins une Sibylle étique4 :
On l’appelle Chicane ; et ce monstre odieux
Jamais pour l’équité n’eut d’oreilles ni d’yeux.
La Disette au teint blême, et la triste Famine.
Les Chagrins dévorants et l’infâme Ruine,
Enfants infortunés de ses raffinements,
Troublent l’air d’alentour de longs gémissements.
Sans cesse feuilletant les lois et la coutume5,
Pour consumer autrui, le monstre se consume ;
Et, dévorant maisons, palais, châteaux entiers,
Rend pour des monceaux d’or de vains tas de papier.
Sous le coupable effort de sa noire insolence,
Thémis a vu cent fois chanceler sa balance6.
Incessamment il va de détour en détour :
Comme un hibou, souvent il se dérobe au jour :
Tantôt, les yeux en feu, c’est un lion superbe ;
Tantôt, humble serpent, il se glisse sous l’herbe7.
En vain, pour le dompter, le plus juste des rois
Fit régler le chaos des ténébreuses lois :
Ses griffes, vainement par Pussort accourcies8,
Se rallongent déjà, toujours d’encre noircies9 ;
Et ses ruses, perçant et digues et remparts,
Par cent brèches déjà rentrent de toutes parts10.

L’avare

Debout ! dit l’Avarice, il est temps de marcher1 !
— Hé ! laissez-moi. — Debout ! — Un moment. — Tu répliques ?
— A peine le soleil fait ouvrir les boutiques.
— N’importe, lève-toi. — Pour quoi faire, après tout ?
— Pour courir l’Océan de l’un à l’autre bout,
Chercher jusqu’au Japon la porcelaine et l’ambre,
Rapporter de Goa2 le poivre et le gingembre.
— Mais j’ai des biens en foule, et je puis m’en passer.
— On n’en peut trop avoir, et, pour en amasser,
Il ne faut épargner ni crime, ni parjure ;
Il faut souffrir la faim et coucher sur la dure,
Eût-on plus de trésors que n’en perdit Galet3 ;
N’avoir en sa maison ni meubles, ni valet ;
Parmi les tas de blé vivre de seigle et d’orge ;
De peur de perdre un liard, souffrir qu’on vous égorge.
— Et pourquoi cette épargne enfin ? — L’ignores-tu ?
Afin qu’un héritier, bien nourri, bien vêtu,
Profitant d’un trésor en tes mains inutile,
De son train quelque jour embarrasse la ville.

L’ambitieux

« Pourquoi ces éléphants, ces armes, ce bagage,
Et ces vaisseaux tout prêts à quitter le rivage ?
Disait au roi Pyrrhus un sage confident4.
Conseiller très-sensé d’un roi très-imprudent.
— Je vais, lui dit ce prince, à Rome où l’on m’appelle.
— Quoi faire ? — L’assiéger. — L’entreprise est fort belle,
Et digne seulement d’Alexandre ou de vous :
Mais, Rome prise enfin, seigneur, où courons-nous ?
— Du reste des Latins la conquête est facile.
— Sans doute, on les peut vraincre : est-ce tout ? — La Sicile
De là nous tend les bras, et bientôt, sans effort,
Syracuse reçoit nos vaisseaux dans son port.
— Bornez-vous là vos pas ? — Dès que nous l’aurons prise,
Il ne faut qu’un bon vent, et Carthage est conquise.
Les chemins sont ouverts : qui peut nous arrêter ?
— Je vous entends, seigneur, nous allons tout dompter :
Nous allons traverser les sables de Lybie,
Asservir en passant l’Égypte, l’Arabie,
Courir de là le Gange en de nouveaux pays,
Faire trembler le Scythe aux bords du Tanaïs,
Et ranger sous nos lois tout ce vaste hémisphère.
Mais, de retour enfin, que prétendez-vous faire ?
— Alors, cher Cinéas, victorieux, contents,
Nous pourrons rire à l’aise, et prendre du bon temps1.
— Eh ! seigneur, dès ce jour, sans sortir de l’Épire,
Du matin jusqu’au soir, qui vous défend de rire ? »
Le conseil était sage et facile à goûter :
Pyrrhus vivait heureux, s’il eût pu l’écouter.

Les ages de la vie

Le temps qui change tout, change aussi nos humeurs
Chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs2
Un jeune homme, toujours bouillant dans ses caprices,
Est prompt à recevoir l’impression des vices.
Est vain dans ses discours, volage en ses désirs3,
Rétif à la censure, et fou dans les plaisirs1.
L’âge viril, plus mûr, inspire un air plus sage,
Se pousse auprès des grands, s’intrigue, se ménage2,
Contre les coups du sort songe à se maintenir,
Et loin dans le présent regarde l’avenir.
La vieillesse chagrine incessamment amasse ;
Garde, non pas pour soi, les trésors qu’elle entasse ;
Marche en tous ses desseins d’un pas lent et glacé ;
Toujours plaint le présent, et vante le passé3 ;
Inhabile aux plaisirs dont la jeunesse abuse,
Blâme en eux les douceurs que l’âge lui refuse.

Rien n’est beau que le vrai

Un cœur noble est content de ce qu’il trouve en lui,
Et ne s’applaudit point des qualités d’autrui1.
Que me sert en effet qu’un admirateur fade
Vante mon embonpoint, si je me sens malade ;
Si dans cet instant même un feu séditieux
Fait bouillonner mon sang et pétiller mes yeux2 ?
Rien n’est beau que le vrai : le vrai seul est aimable3;
Il doit régner partout, et même dans la fable :
De toute fiction l’adroite fausseté
Ne tend qu’à faire aux yeux briller la vérité.
Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces,
Sont recherchés du peuple, et reçus chez les princes ?
Ce n’est pas que leurs sons, agréables, nombreux,
Soient toujours à l’oreille également heureux ;
Qu’en plus d’un lieu le sens n’y gêne la mesure,
Et qu’un mot quelquefois n’y brave la césure4 :
Mais c’est qu’en eux le vrai, du mensonge vainqueur,
Partout se montre aux yeux et va saisir le cœur ;
Que le bien et le mal y sont prisés au juste ;
Que jamais un faquin n’y tint un rang auguste,
Et que mon cœur, toujours conduisant mon esprit,
Ne dit rien aux lecteurs qu’à soi-même il n’ait dit.
Ma pensée au grand jour partout s’offre et s’expose ;
Et mon vers, bien ou mal, dit toujours quelque chose.

Conseils au poëte

Quelque sujet qu’on traite, ou plaisant ou sublime,
Que toujours le bon sens s’accorde avec la rime :
L’un l’autre vainement ils semblent se haïr ;
La rime est une esclave, et ne doit qu’obéir1 ;
Lorsqu’à la bien chercher d’abord on s’évertue,
L’esprit à la trouver aisément s’habitue2.
Au joug de la raison sans peine elle fléchit,
Et, loin de la gêner, la sert et l’enrichit.
Mais, lorsqu’on la néglige, elle devient rebelle ;
Et, pour la rattraper, le sens court après elle3 :
Aimez donc la raison4 ; que toujours vos écrits
Empruntent d’elle seule et leur lustre, et leur prix.
La plupart, emportés d’une fougue insensée,
Toujours loin du droit sens vont chercher leur pensée.
Ils croiraient s’abaisser dans leurs vers monstrueux,
S’ils pensaient ce qu’un autre a pu penser comme eux.
Évitons ces excès : laissons à l’Italie5
De tout ces faux brillants l’éclatante folie6.
Tout doit tendre au bon sens ; mais, pour y parvenir,
Le chemin est glissant et pénible à tenir :
Pour peu qu’on s’en écarte, aussitôt on se noie.
La raison, pour marcher, n’a souvent qu’une voie.
Un auteur, quelquefois trop plein de son objet,
Jamais sans l’épuiser n’abandonne un sujet.
Fuyez de ces auteurs l’abondance stérile,
Et ne vous chargez point d’un détail inutile.
Tout ce qu’on dit de trop est fade et rebutant1 ;
L’esprit rassasié le rejette à l’instant.
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire2 :
Souvent la peur d’un mal nous conduit dans un pire.
Un vers ôtait trop faible, et vous le rendez dur.
J’évite d’être long, et je deviens obscur.
L’un n’est point trop fardé, mais sa Muse est trop nue ;
L’autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.
Voulez-vous du public mériter les amours,
Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal, et toujours uniforme,
En vain brille à nos yeux, il faut qu’il nous endorme.
On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.
Heureux qui dans ses vers sait, d’une voix légère,
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère !
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin3 entouré d’acheteurs.
Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse :
Le style le moins noble a pourtant sa noblesse.
Au mépris du bon sens, le burlesque effronté4,
Trompa les yeux d’abord, plut par sa nouveauté.
Que ce style jamais ne souille votre ouvrage.
Imitez de Marot1 l’élégant badinage,
Et laissez le burlesque aux plaisirs du pont Neuf2.
Mais n’allez point aussi, sur les pas de Brébeuf3,
Même en une Pharsale 4, entasser sur les rives
De morts et de mourants cent montagnes plaintives
Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art,
Sublime sans orgueil, agréable sans fard.
N’offrez rien au lecteur que ce gui peut lui plaire :
Ayez pour la cadence une oreille sévère.
Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots,
Suspende l’hémistiche, en marque le repos.
Gardez qu’une voyelle, à courir trop hâtée,
Ne soit d’une voyelle en son chemin heurtée.
Il est un heureux choix de mots harmonieux ;
Fuyez des mauvais sons le concours odieux.
Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée,
Ne peut plaire à l’esprit quand l’oreille est blessée.
Durant les premiers ans du Parnasse françois,
Le caprice tout seul faisait toutes les lois.
Enfin5 Malherbe vint, et le premier en France
Fit sentir dans les vers une juste cadence ;
D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir,
Et réduisit la muse aux règles du devoir.
Par ce sage écrivain la langue réparée,
N’offrit plus rien de rude à l’oreille épurée.
Les stances avec grâce apprirent à tomber,
Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber.
Tout reconnut ses lois, et ce guide fidèle
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
Marchez donc sur ses pas ; aimez sa pureté,
Et de son tour heureux imitez la clarté.
Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre,
Mon esprit aussitôt commence à se détendre,
Et de vos vains discours prompt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher1.
Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d’un nuage épais toujours embarrassées ;
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d’écrire, apprenez à penser2 :
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L’expression la suit, ou moins nette, ou plus pure3 :
Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément4.
Surtout qu’en vos écrits la langue révérée
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée ;
En vain vous me frappé d’un son mélodieux,
Si le terme est impropre, ou le tour vicieux :
Mon esprit n’admet point un pompeux barbarisme,
Ni d’un vers ampoulé l’orgueilleux solécisme :
Sans la langue, en un mot, l’auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu’il fasse, un méchant écrivain.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez pas d’une folle vitesse.
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d’esprit que peu de jugement.
J’aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu’un torrent débordé, qui d’un cours orageux
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hâtez-vous lentement5, et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.
Polissez-le sans cesse, et le repolissez ;
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez1.
C’est peu qu’en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d’esprit semés de temps en temps pétillent :
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu,
Que le début, la fin, répondent au milieu ;
Que d’un art délicat les pièces assorties
N’y forment qu’un seul tout de diverses parties ;
Que jamais du sujet le discours s’écartant
N’aille chercher trop loin quelque mot éclatant.
Craignez-vous pour vos vers la censure publique ?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique :
L’ignorance toujours est prête à s’admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous censurer2;
Qu’ils soient de vos écrits les confidents sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l’arrogance d’auteur ;
Mais sachez de l’ami discerner le flatteur.
Tel vous semble applaudir, qui vous raille et vous joue ;
Aimez qu’on vous conseille, et non pas qu’on vous loue.
Un flatteur aussitôt cherche à se récrier ;
Chaque vers qu’il entend le fait extasier.
Tout est charmant, divin ; aucun mot ne le blesse
Il trépigne de joie, il pleure de tendresse3;
Il vous comble partout d’éloges fastueux.
La vérité n’a point cet air impétueux.
Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible.
Il ne pardonne point les endroits négligés ;
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés ;
Il réprime des mots l’ambitieuse emphase :
Ici le sens le choque, et plus loin c’est la phrase ;
Votre construction semble un peu s’obscurcir ;
Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir.
C’est ainsi que vous parle un ami véritable.
(Art poétique, chant Ier.)

Devoirs de l’écrivai

Que votre âme et vos mœurs, peintes dans vos ouvrages,
N’offrent jamais de vous que de nobles images.
Je ne puis estimer ces dangereux auteurs,
Qui de l’honneur, en vers, infâmes déserteurs,
Trahissant la vertu sur un papier coupable,
Aux yeux de leurs lecteurs rendent le vice aimable.
En vain l’esprit est plein d’une noble vigueur :
Le vers se sent toujours des bassesses du cœur1.
Fuyez surtout, fuyez ces basses jalousies,
Des vulgaires esprits malignes frénésies.
Un sublime écrivain n’en peut être infecté2 ;
C’est un vice qui suit la médiocrité.
Du mérite éclatant cette sombre rivale
Contre lui chez les grands incessamment cabale,
Et sur les pieds en vain tâchant de se hausser,
Pour s’égaler à lui cherche à le rabaisser.
Ne descendons jamais dans ces lâches intrigues :
N’allons point à l’honneur par de honteuses brigues.
Que les vers ne soient pas votre éternel emploi :
Cultivez vos amis, soyez homme de foi1 ;
C’est peu d’être agréable et charmant dans un livre ;
Il faut savoir encore et converser et vivre.
Travaillez pour la gloire, et qu’un sordide gain2
Ne soit jamais l’objet d’un illustre écrivain.
Je sais qu’un noble esprit peut sans honte et sans crime
Tirer de son travail un tribut légitime ;
Mais je ne puis souffrir ces auteurs renommés,
Qui, dégoûtés de gloire, et d’argent affamés,
Mettent leur Apollon aux gages d’un libraire3,
Et font d’un art divin un métier mercenaire.
Un vil amour du gain, infectant les esprits,
De mensonges grossiers souilla tous les écrits ;
Et partout, enfantant mille ouvrages frivoles,
Trafiqua du discours et vendit les paroles.
Ne vous flétrissez point par un vice si bas.
Si l’or seul a pour vous d’invincibles appas,
Fuyez ces lieux charmants qu’arrose le Permesse ;
Ce n’est point sur ses bords qu’habite la richesse.
Aux plus savants auteurs, comme aux plus grands guerriers,
Apollon ne promet qu’un nom et des lauriers4.
(Art poétique, chap. iv.)

épitaphe du docteur arnault 1

Au pied de cet autel de structure grossière,
Gît sans pompe, enfermé dans une vile bière,
Le plus savant mortel qui jamais ait écrit :
Arnauld, qui, sur la grâce instruit par Jésus-Christ,
Combattant pour l’Église, a, dans l’Église même,
Souffert plus d’un outrage et plus d’un anathème.
Plein du feu qu’en son cœur souffla l’Esprit divin,
Il terrassa Pélage, il foudroya Calvin ;
De tous les faux docteurs confondit la morale :
Mais, pour fruit de son zèle, on l’a vu rebuté,
En cent lieux opprimé par leur noire cabale,
Errant, pauvre, banni, proscrit, persécuté ;
Et même par sa mort leur fureur mal éteinte
N’aurait jamais laissé ses cendres en repos,
Si Dieu lui-même ici de son ouaille sainte
A ces loups dévorants n’avait caché les os1.