(1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Poétique — Deuxième partie. De la poésie en particulier ou des différents genres de poésie — Seconde section. Des grands genres de poésie — Chapitre premier. Du genre lyrique » pp. 114-160
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(1881) Cours complet de littérature. Poétique (3e éd.) « Poétique — Deuxième partie. De la poésie en particulier ou des différents genres de poésie — Seconde section. Des grands genres de poésie — Chapitre premier. Du genre lyrique » pp. 114-160

Chapitre premier.

Du genre lyrique

167. Quelle sera la division de ce chapitre ?

Nous diviserons ce que nous avons à dire sur le genre lyrique en deux articles : dans le premier, nous traiterons de la poésie lyrique en général ; dans le second, nous parlerons de l’ode et des autres poèmes qui rentrent dans ce genre.

Article premier.

De la poésie lyrique en général

168. Qu’est-ce que la poésie lyrique ?

La poésie lyrique en général est l’expression vive et animée de la pensée et du sentiment. C’est la voix de l’enthousiasme, le premier langage et l’expression la plus élevée de l’inspiration. Elle peut exprimer des sentiments très divers, comme l’élan de la reconnaissance et de l’admiration à la vue de la bonté de Dieu, des merveilles de la création, des charmes et des prodiges de la vertu, ou les émotions ardentes de la victoire, ou les douces et agréables rêveries ; et ce sera toujours avec une verve, avec des mouvements qui la caractérisent entre toutes les expressions poétiques.

169. Quelle a été l’origine de la poésie lyrique ?

La poésie est fille du ciel, dit M. de Riancey, et l’hymne a été son premier cri. La première exclamation de l’homme sortant des mains de Dieu fut une expression lyrique. Quand il ouvrit les yeux sur l’univers, quand il sentit sa propre existence et les impressions agréables qu’il recevait par tous ses sens, il ne put s’empêcher d’élever la voix, et de faire entendre un cri de joie, d’admiration, d’étonnement et de gratitude. Ayant ensuite reconnu avec plus de loisir et moins de confusion les bienfaits dont il était comblé et les merveilles qui l’environnaient, il voulut que tout l’univers l’aidât à payer le tribut de la gloire qu’il devait au souverain bienfaiteur. Il anima le soleil, les astres, les fleuves, les montagnes, les vents. Il n’y eut pas un seul être qui ne parlât, pour s’unir à l’hommage que l’homme rendait à Dieu. Voilà l’origine des cantiques, des hymnes, des odes, en un mot de la poésie lyrique.

190. Pourquoi cette poésie a-t-elle été appelée lyrique ?

Cette poésie a été appelée lyrique (λύρα, lyre), parce que, dans le principe, elle était non-seulement chantée, mais composée aux sons des instruments de musique : ainsi David s’aidait de la harpe, Pindare s’accompagnait de la lyre pour composer les poésies admirables qu’ils nous ont laissées. Le poète était musicien. Il préludait, il s’animait au son de ce prélude, il se donnait à lui-même la mesure, le mouvement, la période musicale ; les vers naissaient avec le chant, et de là, l’unité de rythme, de caractère et d’expression entre la musique et les vers : ce fat ainsi qu’une poésie chantée fut naturellement soumise au nombre et à la cadence. C’était, du reste, dans l’origine, le privilège de toute poésie ; mais lorsque, dans la suite, la poésie se sépara de la musique, et que les poètes commencèrent à faire des ouvrages en vers pour les lire et non pour les chanter, on réserva le nom de lyrique aux poèmes destinés à être unis à la musique ou au chant.

171. La poésie lyrique a-t-elle conservé le degré d’inspiration qu’elle avait chez les Hébreux et chez les Grecs ?

Au point de vue de l’inspiration et de l’enthousiasme, le poème lyrique, chez les Latins et chez les nations modernes, n’a été qu’une frivole imitation du poème lyrique des Hébreux et des Grecs. On a dit : Je chante, et on n’a point chanté ; on a parlé des accords de la lyre, et on n’avait point de lyre. Aucun poète, depuis Horace inclusivement, ne paraît avoir modelé ses odes sur un chant. Cette différence doit être attribuée à la raison plus froide et plus positive des nations plus modernes, qui, en donnant à la poésie une couleur plus égale, lui enlève en partie son caractère d’inspiration soudaine et ses mouvements sublimes et même quelquefois désordonnés. Ce caractère primitif de l’ode ne se retrouve guère que dans le barde Ossian, et dans le poète prussien Gleim.

172. Quel avantage le genre lyrique présente-t-il pour le poète ?

Dans les autres poèmes, l’écrivain ne remplit point le personnage de poète, l’art même consiste à le faire oublier. Mais dans le genre lyrique, c’est le poète lui-même qui s’annonce et qui va chanter, le poète inspiré par les muses, et qui doit en parler le plus riche et le plus magnifique langage. Il est vrai que dans l’épopée, on suppose aussi le poète inspiré ; mais son inspiration est tranquille, la Muse raconte et le poète écrit. Dans la poésie lyrique, au contraire, le poète est tout rempli, possédé de la Muse ou du Dieu qui s’est emparé de ses sens. Aussi a-t-il besoin, pour réussir dans ce genre, de ces qualité si rares et si précieuses qui, suivant Horace, font le véritable poète : un génie créateur, un esprit presque divin, et une diction toujours riche, noble, majestueuse et souvent sublime.

173. Quelle est l’étendue du genre lyrique ?

L’étendue du genre lyrique, dont nous avons déjà dit un mot dans la définition, est marquée par ces vers :

Musa dedit fidibus Divos puerosque Deorum,
Et pugilem victorem, et equum certamine primum,
Et juvenum curas et libera vina referre.

Ainsi la divinité et ses bienfaits, les héros, les grands hommes qui, par leurs vertus, leur courage, leurs services éclatants, se sont élevée au-dessus du vulgaire, l’athlète couronné, le coursier vainqueur dans la carrière, les soucis et les tourments des jeunes gens, et la libre gaieté des festins, tels sont les sujets que peut parcourir le poète lyrique. Ce genre embrasse donc tous les sujets et prend tous les tons, depuis le sublime jusqu’au familier noble.

174. Combien distingue-t-on de genres dans la poésie lyrique ?

On distingue deux genres de poèmes lyriques : l’un est grave, héroïque, solennel ; il vient d’une admiration excitée par de magnifiques spectacles, d’une joie vive, d’une émotion profonde ; c’est alors un transport d’enthousiasme, un ravissement de l’âme. Ce genre, dit Boileau,

Élevant jusqu’au ciel son vol ambitieux,
Entretient dans ses vers commerce avec les dieux,
Aux Athlètes dans la Pise il ouvre la barrière,
Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière.

L’autre genre est simple, tendre et gracieux ; il naît d’objets plus ordinaires, comme la vue d’une fête, l’aspect des fleurs ; c’est un chant gracieux et doux qui, d’après le même poète,

Peut peindre les festins, les danses et les ris.

175. Quel doit être le but du poème lyrique ?

La poésie lyrique, comme toute poésie, doit avoir pour but non-seulement de plaire, mais encore d’instruire. Par conséquent, loin de chercher à flatter les inclinations vicieuses de notre nature déchue, le poète lyrique vraiment digne de ce nom se rappellera que ces accents, quelle que soit la puissance de leur harmonie, ne seront que des sons funestes, s’ils ne présentent pas à notre âme, créée pour la vertu, des exemples et des leçons salutaires. Il se fera donc un devoir, dans ses chants harmonieux, de mêler l’utile à l’agréable, en faisant goûter à notre cœur les préceptes de la morale la plus pure, et à notre intelligence les principes de la philosophie la plus saine, en nous excitant, par ses élans et ses transports pieux, à l’admiration et à la gratitude envers le Créateur, et en cherchant dans ses accords à réjouir saintement les âmes vertueuses et à procurer la gloire de Dieu.

Article II.

De l’ode et des autres poèmes lyriques

Le genre lyrique renferme six espèces de poèmes : l’ode qui est la plus haute expression de cette sorte de poésie, l’élégie, le dithyrambe, la cantate, la chanson et l’épithalame. C’est à l’étude de ces différentes compositions lyriques que nous consacrerons les six paragraphes suivants.

§ Ier. De l’ode

176. Qu’est-ce que l’ode ?

L’ode (ᾡδή, chant) était le nom donné, chez les Grecs, à tout poème lyrique qui pouvait être chanté, et qui se distinguait en cela de l’élégie. Telles sont les odes de Pindare et d’Anacréon. Chez les modernes, l’ode est un petit poème lyrique, dans lequel le poète exhale les sentiments les plus intimes de son âme, et qui est partagé en un certain nombre de stances ou strophes presque toujours semblables ou symétriques pour le nombre et la mesure des vers, ainsi que pour la combinaison des rimes.

177. Quelle est la matière de l’ode, et comment l’ode se distingue-t-elle des autres genres de poésie ?

Tout ce qui agite l’âme avec violence, tout ce qui lui cause une émotion douce, tout ce qui l’impressionne et fait naître en elle on enthousiasme véritable, peut devenir la matière de l’ode.

Ce poème n’est pas distingué des autres genres par la nature des sujets qu’il traite, puisque ces sujets sont très variés ; la seule différence qui existe, c’est que, dans les autres poèmes, le récit des actions est plus fréquent, taudis que dans l’ode, ce sont les sentiments portés jusqu’à l’enthousiasme qui dominent. L’ode, avons-nous dit, est un chant, c’est un cri produit par l’énergie du sentiment ; le poète y paraît agité, échauffé par un Dieu qui l’inspire. C’est en cela qu’elle diffère aussi des autres poésies lyriques, et surtout de l’élégie, où le poète s’abandonne languissamment au sentiment qui l’occupe.

178. Quel est le principal caractère de l’ode ?

Le caractère essentiel, l’âme de la poésie lyrique, et surtout de l’ode, c’est l’enthousiasme, c’est l’inspiration. L’enthousiasme ou fureur poétique est un sentiment vif et profond d’admiration, de joie, de colère, de tristesse, etc., produit par une idée vive et saillante dont l’imagination est fortement frappée à la vue de l’objet qu’elle se représente. L’enthousiasme ne consiste pas dans un délire factice qui porte certains poètes à parler de leur feu, de leur sainte ivresse, etc., ni dans des apostrophes comme celle-ci : Que vois-je ? qu’entends-je ? où suis-je ? où vais-je ? quel transport m’égare ? Ces formules supposent l’enthousiasme, mais elles ne peuvent ni le faire naître, ni le suppléer.

179. Quels sont les privilèges et les règles de l’ode ?

L’enthousiasme est le caractère principal de l’ode ; mais il n’est pas le seul. La marche si vive et si libre de l’enthousiasme donne lieu à des débuts hardis, à des écarts et à des digressions qui produisent un certain désordre apparent : c’est ce qu’on appelle les caractères ou privilèges de l’ode. D’un autre côté, l’enthousiasme, à cause de son impétuosité, ne peut durer longtemps, et le poète, malgré ses écarts, rapporte tout au sentiment qui le domine : de là se déduisent les deux règles de l’ode, la brièveté et l’unité.

180. Quel doit être le début de l’ode ?

Le début de l’ode doit être en général hardi, saisissant, pompeux et solennel. En effet, quand le poète saisit la lyre, on le suppose fortement frappé des objets qu’il se représente : son sentiment est alors porté au plus haut point. Dans cette situation de l’âme, comment pourrait-il s’annoncer par un début simple, tranquille, mesuré ? Emporté par la fougue de son imagination brûlante, et par les mouvements de son cœur vivement ému, il part comme un torrent qui rompt ses digues, et chante tout à coup sur un ton élevé. On voit dès le début toute la chaleur de son âme, et tout l’enthousiasme dont elle est remplie. Les premiers vers doivent toujours être du nombre des plus beaux ; et le poète, s’il a du goût, doit s’arrêter dès qu’il commence à descendre. L’ode n’est pas toujours également passionnée : il est clair que dans les sujets moins élevés, le début n’aura point un ton si imposant, puisqu’il doit être en harmonie avec l’ensemble du morceau.

Nous citerons comme modèle de début, l’ode d’Horace : Qualem ministrum…

181. Qu’appelle-t-on écarts dans l’ode ?

Les écarts ou sauts lyriques sont des vides entre les idées du poète sans liaison sensible. On sait quelle est la vitesse de l’esprit. Quand l’âme est échauffée par la passion, cette vitesse est incomparablement plus grande encore. La fougue presse les pensées et les précipite ; et, comme il n’est pas possible de les exprimer toutes, le poète saisit seulement les plus remarquables et les plus frappantes ; il les exprime dans le même ordre qu’elles avaient dans son esprit, et passe sous silence celles qui leur servaient de liaison ; ce qui les fait paraître disparates et décousues. Elles ne se tiennent que de loin, et laissent par conséquent entre elles quelques vides que le lecteur remplit facilement quand il a de l’âme, et quand il a saisi l’esprit du poète.

Citez un exemple.

Moïse, dans l’Écriture, fait dire à Dieu irrité : « J’ai parlé, Dixi. Où sont-ils ? Ubinant sunt ? » Ce qui signifie : J’ai parlé à mes ennemis dans ma colère, ma seule parole les a fait disparaître ; vous qui êtes témoins de ma victoire, répondez : Où sont-ils ? Que sont-ils devenus ? Les deux pensées du poète sacré sont : J’ai parlé, où sont-ils ? Toutes les autres idées qui sont entre ces deux mots se sont trouvées dans son esprit ; mais, emporté par son enthousiasme, dédaignant les pensées intermédiaires, il n’a saisi que les plus frappantes, et a laissé ce vide qu’on appelle écart. Du reste, les écarts ne doivent se trouver que dans les sujets qui peuvent admettre des passions vives, parce qu’ils sont l’effet d’une âme troublée, et que le trouble ne peut être causé que par des objets importants.

183. Qu’entendez-vous par digression ?

Le sentiment, dans l’ode, est tellement vif que tout en rappelle l’objet à l’esprit qui est dominé par l’enthousiasme, et que pour lui tout semble s’y rapporter. De là les digressions, qui sont des sorties que l’esprit du poète fait sur d’autres sujets voisins de celui qu’il traite, soit que la beauté de la matière l’ait tenté, soit que la stérilité de son sujet l’ait obligé d’aller chercher ailleurs de quoi l’enrichir.

Les digressions sont de deux sortes : les unes sont des lieux communs, des pensées générales souvent susceptibles des plus grandes beautés poétiques ; les autres sont des traits de l’histoire ou de la fable qui ont quelque analogie avec l’objet qui concerne le poète, et que celui-ci emploie pour prouver ce qu’il a en vue.

On peut citer comme modèle l’ode d’Horace : Sic te diva potens…

184. Quel doit être le désordre de l’ode ?

Boileau a dit en parlant de l’ode :

Son style impétueux souvent marche au hasard.
Chez elle un beau désordre est un effet de l’art.

Ce désordre, qu’explique la marche de l’imagination, provient des caractères que nous venons de découvrir dans l’ode et principalement de l’enthousiasme. Mais ce désordre n’est qu’apparent, puisqu’il est le fruit de l’art ; il doit renfermer un ordre caché, puisqu’il est beau. Tout doit être sagement distribué dans l’ode, tout doit y tendre à une même fin, toutes ses parties bien enchaînées doivent s’y prêter des beautés mutuelles et former un tout parfait. Toutes ces évolutions, que nous venons de caractériser, ne doivent servir qu’à varier, animer, enrichir le sujet, jamais à l’obscurcir et à l’embarrasser. Il faut que l’enthousiasme soit dirigé par la raison, ou du moins qu’elle puisse le suivre : sans cela, il n’est qu’un délire, et les égarements ne sont qu’une folie.

185. Pourquoi la brièveté est-elle nécessaire à l’ode ?

Après les caractères de l’ode viennent ses règles : la brièveté et l’unité.

L’ode ne doit avoir qu’une étendue médiocre. En effet, elle est toute dans le sentiment, et dans le sentiment produit à la vue d’un objet ; or, la vivacité, la violence du sentiment épuise et abat, et ne peut, par conséquent, se soutenir longtemps : Animorum incendia , dit Cicéron, celeriter restinguuntur. Aussi voyons-nous que les meilleurs lyriques se contentent de présenter leur objet sous les différentes faces qui peuvent produire ou entretenir la même impression, après quoi ils l’abandonnent presque aussi brusquement qu’il l’avaient saisi.

186. L’unité est-elle possible dans l’ode ?

Malgré les apparences contraires, l’unité est possible dans l’ode, parce qu’une passion véhémente suffit pour occuper l’âme tout entière. De plus, et cela résulte de ce que nous avons dit sur la nature du désordre lyrique, il doit y avoir dans l’ode unité de sentiment, de même qu’il y a unité d’action dans l’épopée et dans le drame. On peut, on doit même varier les images, les pensées, les tours, mais de manière qu’ils soient toujours analogues à la pensée qui règne. Cette passion peut se replier sur elle-même, se développer plus ou moins ; mais elle ne doit ni changer de nature, ni céder la place à une autre. Si c’est la joie qui a fait prendre la lyre, elle pourra bien s’égarer dans ses transports et aborder au hasard ; mais ce ne sera jamais ë la tristesse : ce serait une faute grossière.

187. Quelle sera la conclusion de l’ode ?

L’ode, avons-nous dit, doit s’élever, dès le début, à un haut degré de magnificence, et à cause de l’enthousiasme du poète, et à cause de l’impression qu’il est obligé de faire tout d’abord sur les esprits. Il n’est donc guère possible que l’ode monte plus haut que son début, quoique le psaume 103 nous présente, après un grand nombre de tableaux sublimes, une conclusion très animée, et remplie d’écarts et de tours extraordinaires. Eu général, on demande quo le poète se soutienne jusqu’à la fin à la même élévation. C’est un athlète qui s’est élancé dans la carrière, et qui doit toujours courir avec la même vitesse : s’il ralentit sa course, il perd la couronne qui l’attendait. Le poète lyrique nous a fait dans son début une impression des plus vives : il faut que cette impression soit durable. Son âme, échauffée d’un feu divin, nous a embrasés de la même flamme : il faut que ce feu conserve jusqu’au bout sa force et son activité. On peut voir l’Ode de Lefranc de Pompignan tirée du psaume 103.

188. Quelle sera le style de l’ode ?

Le style de l’ode varie suivant la diversité des sujets, comme nous aurons occasion de le constater dans la suite. C’est pour cela que nous nous bornerons ici à des notions générales. Dans les sujets nobles et élevés, le poète, après nous avoir ouvert tous les trésors de la poésie, doit en étaler à nos yeux toute la richesse et toute la magnificence. C’est alors qu’il nous élève, nous enchante et nous transporte, en unissant au sublime des sentiments et à la hardiesse des pensées toute l’énergie et la pompe des expressions, tous les charmes d’une harmonie soutenue et toujours ravissante. Tantôt ce sera une peinture qu’animeront les traits les plus vifs et les plus frappants, et que suivront de grandes et nobles idées rendues avec une singulière véhémence de style, comme dans ces strophes de l’Ode à la fortune, de Rousseau : Quels traits me présentent vos fastes… Juges insensés que nous sommes… Tantôt ce seront des comparaisons riches et multipliées qui nous présenteront les objets dans toute leur grandeur, dans toute leur beauté, comme celle que nous offre l’Ode aux princes chrétiens sur l’armement des Turcs : Comme un torrent fougueux… La Palestine enfin, après tant de ravages… Tantôt, ce sera un enchaînement de figures vives et saillantes qui donneront aux pensées un nouveau degré de force et d’élévation, comme on le voit dans un passage de l’ode Qualem ministrum : Quid debeas, ô Roma, Neronibus… cum laude victorem.

Si le sujet est simple et riant, le style aura de la douceur, de l’élégance et de la variété.

Tantôt, comme une abeille ardente à son ouvrage,
L’ode s’en va de fleurs dépouiller le rivage.

189. Faites connaître la forme de l’ode antique.

La forme de l’ode a varié suivant le goût des différents peuples. Chez les Grecs, elle était ordinairement partagée en stances, qu’ils appelaient formes εἴδη. Ces stances avaient différents noms. Il y avait la strophe, l’antistrophe et l’épode. Les strophes symétrisaient avec les antistrophes, et les épodes entre elles. La strophe commençait, puis venaient l’antistrophe et l’épode, et ainsi de suite jusqu’à la fin du morceau. Ces stances étaient toujours accompagnées du chant et de la danse. Les danseurs tournaient à droite pendant la strophe ; pendant l’antistrophe ils tournaient à gauche en revenant sur eux-mêmes ; enfin, pendant l’épode, qui était toujours plus courte, ils faisaient tous leurs mouvements sans tourner ni d’un côté ni de l’autre. C’est dans cette forme que sont faites les odes de Pindare, et la plupart des chœurs dramatiques.

Alcée, Sapho et d’autres lyriques avaient inventé avant Pindare d’autres formes, où on mêlait des vers de différentes espèces, avec une symétrie qui revenait beaucoup plus souvent. Ce sont ces formes qu’Horace a suivies.

190. Quelle est la forme de l’ode moderne

Chez les modernes, et chez les Français en particulier, presque toujours les stances qui partagent l’ode sont régulières ou symétriques. L’assortiment et le nombre des vers est à peu près au choix et à la disposition du poète ; mais la première strophe, dans le premier cas, et les deux premières dans le second, une fois assorties, doivent servir de règle à toutes les autres. On rencontre aussi, mais beaucoup plus rarement, des odes à strophes irrégulières, qui sont regardées comme irréprochables, et qui paraissent même devoir leur succès à cette liberté d’allure. Il faut en conclure que la règle véritable pour la forme de l’ode, est qu’elle soit bien adaptée au sentiment que l’on veut exprimer, c’est-à-dire qu’elle soit régulière ou symétrique, si le sentiment a une vigueur soutenue, et irrégulière, si la vivacité de la pensée ou du sentiment produit des variations dans la marche.

191. Combien compte-t-on d’espèces d’odes ?

On compte quatre espèces d’odes : dans le genre religieux, l’ode sacrée, à laquelle se rattache l’hymne et le cantique ; dans le genre guerrier, l’ode héroïque ou pindarique ; dans le genre tempéré, l’ode morale ou philosophique ; enfin, dans le genre doux et gracieux, l’ode badine, qui comprend aussi l’ode anacréontique.

I. — Ode sacrée. — Hymne. — Cantique.

192. Qu’est-ce que l’ode sacrée ?

L’ode sacrée est celle qui célèbre les perfections et les œuvres de Dieu, et les grandeurs de la religion. C’est l’hymne à la Divinité. Ce fut le premier chant que les poètes firent entendre, parce que, comme nous l’avons dit, la première exclamation de l’homme, à la vue des merveilles de l’univers et des bienfaits dont Dieu l’avait comblé, fut une expression lyrique, un cantique de louanges. Le poète, dans cette ode, admire avec transport les chefs-d’œuvre de la toute-puissance divine, et en offre les tableaux les plus brillants et les plus magnifiques.

193. Ou pourrons-nous trouver une juste idée de la poésie sacrée ?

Ce sont les Livres Saints qui pourront nous donner une juste idée de la poésie religieuse ou de l’ode sacrée. Car, comme l’a fort bien dit M. de Fontanes,

L’enthousiasme habite aux rives du Jourdain.

C’est, en effet, dans les poésies des Hébreux, que nous trouvons le caractère sérieux et sublime de la poésie lyrique, le grand caractère de l’ode, c’est-à-dire un objet important, un enthousiasme sincère, des élans rapides, une véritable inspiration. Ce n’est point, comme il arrive trop souvent dans les poètes profanes, un jeu de l’imagination, que les cantiques de Moïse, de David et des Prophètes. Ces hommes incomparables chantaient avec une verve qu’on appellerait génie, dit Marmontel, si ce n’était pas l’inspiration même de l’Esprit divin. Leur poésie est un torrent, un orage : elle emporte tout avec elle ; elle ébranle les cœurs ; elle nous fait parcourir l’univers, elle nous fait monter aux cieux, elle nous fait tomber dans les abîmes. On sent que le poète est sous la main de Dieu qui règle ses inspirations et dirige ses chants.

194. D’où vient la supériorité de la poésie sacrée ?

Sans vouloir refuser toute inspiration aux auteurs profanes, nous devons dire que, chez aucun d’eux, le sublime ne se trouve à un degré aussi éminent que chez les écrivains sacrés. Si on cherche la raison de cette différence, on verra qu’elle vient de ce que les poètes profanes n’avaient pas le même fond dans leur matière, ni le même esprit pour les animer dans la composition. Ils ne chantaient qu’une religion fausse, un héroïsme souvent mal entendu, des combats dont la gloire était quelquefois chimérique. Dans les chants consacrés à la gloire du vrai Dieu, on sent au fond même du sujet la vraie grandeur puisée dans sa source : ce sont de vraies beautés, de vraies vertus qu’on admire, et des sentiments solides qu’on exprime. Dans les poètes, c’est toujours l’homme qui écrit, qui travaille : on sent son effort, et par conséquent, sa faiblesse ; on sent ses vices, ses préjugés, son ignorance, sa corruption. Ici, c’est l’esprit de Dieu qui souffle : tout est plein, lumineux, libre, marqué au coin de celui qui se jouait en formant l’univers.

195. Quels sont les plus beaux poèmes lyriques de l’Écriture ?

Les plus anciens poèmes lyriques connus aujourd’hui sont les deux cantiques de Moïse. Le premier, Cantemus Domino, est l’expression la plus sublime de la reconnaissance et de l’admiration des Hébreux, après le passage de la mer Rouge ; l’autre, Audite, cœli quæ loquor, fut prononcé par Moïse, quelque temps avant sa mort, pour graver profondément dans la mémoire du peuple le souvenir des bienfaits dont Dieu l’avait comblé. On trouve encore d’autres poèmes lyriques dans les Livres Saints : les plaintes sublimes de Job, Pereat dies, et celles d’Ézéchias mourant ; les cantiques, Confitebor tibi, d’Isaïe, Benedicite, de Daniel, Domine, audivi, d’Habacuc, et Qui sponte obtulistis, chanté par Débora après la victoire sur Sisara. Tous ces morceaux sont dans le genre sublime.

Parmi les psaumes, nous citerons, dans le genre doux et simple, les psaumes 22, Dominus regit me ; — 62, Deus, Deus meus, ad te de luce vigilo ; — 79, Qui regis Israel ; — 132, Ecce quam bonum, qui sont de beaux modèles d’odes gracieuses ; dans le genre tempéré, les psaumes 11, Salvum me fac, Domine ; — 18, Cœli enarrant gloriam Dei ; — 41, Quemadmodum desiderat cervus ; — et 83, Quàm dilecta tabrnacula tua… ; enfin, dans le genre sublime, les psaumes 28, Afferte Domino filii Dei ; — 67, Exurgat Deus ; — 75, Notus in Judæâ Deus ; — 103, Benedic anima mea, hymne admirable sur la création, et 113, In exitu Israel.

Ces poèmes sacrés et quelques autres ont été admirablement imités dans notre langue par Racine, J.-B. Rousseau, Lefranc de Pompignan et Lamartine.

La littérature païenne ne nous offre, dans ce genre, que le Carmen sæculare, d’Horace.

196. Qu’est-ce que l’hymne ?

L’hymne (ὓμνος, chant) est, comme l’indique son nom, un chant, un poème en l’honneur de la divinité, et diffère peu de l’ode sacrée et du cantique. Cependant, pour préciser davantage, nous dirons que l’hymne, en général, est une ode sacrée renfermant l’expression solennelle de l’enthousiasme de tout un peuple ; le concert et l’accord d’une multitude d’âmes qui s’élèvent, soit en admiration des merveilles de la nature, soit en adoration des prodiges de la grâce, soit dans un transport unanime de reconnaissance et d’amour, ou dans un mouvement de crainte, d’étonnement et de respect. Tel est le cantique de Moïse après le passage de la mer Rouge ; tel est encore le cantique de saint Ambroise et de saint Augustin, le Te Deum, chanté par une nation entière, après un événement heureux et important. Dans ce genre de poésie, tout doit être en sentiments et en images. L’élévation en est le caractère ; car, ici toutes les pensées, toutes les relations sont de l’homme au Créateur. Mais, comme ce poème est fait pour les multitudes, il faut que le sublime qui y règne soit à la fois si simple et si frappant qu’il saisisse tout d’un coup et sans peine tous les esprits.

197. Les hymnes de l’Église n’offrent-elles pas un caractère particulier ?

Outre les magnifiques poésies de l’Écriture et les hymnes au caractère sublime dont nous venons de parler, il y a encore ce qu’on appelle les hymnes liturgiques. Ce sont des poèmes lyriques d’un caractère moins élevé, d’une forme grave, mais ordinairement simple, et qui sont destinés à être chantés pendant les offices divins. Ces hymnes, tout en se prêtant à l’exposition du dogme, sont plus spécialement des chants d’actions de grâces, des invocations, des prières ou des louanges que le poète adresse à Dieu ou aux saints : à Dieu, pour le célébrer, le remercier, implorer son secours ; aux bienheureux, pour exalter leur fidélité, l’héroïsme de leurs vertus, ainsi que leur bonheur et leur gloire, et les intéresser en faveur de leurs frères de la terre.

198. Quel est le mérite des hymnes liturgiques ?

Les hymnes romaines sont remarquables, dit Mgr Pallu du Parc, en ce qu’elles possèdent la vraie beauté de la prière, c’est-à-dire le principal ornement de l’hymne chrétienne. L’enthousiasme y est moins élevé, l’inspiration moins soudaine, la forme moins séduisante et moins pompeuse ; mais pour peu qu’on les lise avec les dispositions convenables, on sent que le poète n’était point seul quand il les composa ; on y reconnaît une ineffable simplicité, la suavité, l’onction, quelque chose qui recueille l’âme et la pacifie, quoique chose qui nous touche et nous remplit des sentiments de la plus tendre piété. Ordinairement, il est vrai, ces hymnes ne remplissent point l’oreille de ce bruit qui souvent ne fait que flatter le sens de l’harmonie, mais ces hymnes prient toujours.

Nous citerons, parmi les principaux auteurs des hymnes liturgiques, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Grégoire, saint Bernard et saint Thomas d’Aquin.

199. Qu’est-ce que le cantique ?

Le cantique (canticum cantus) est, comme l’ode sacrée et comme l’hymne avec lesquelles il se confond, un chant en l’honneur de la divinité. Cette composition lyrique est l’expression d’un sentiment élevé de l’âme, et demande à être chantée. C’est le nom qu’a pris dans les Livres Saints la poésie lyrique, à l’exception des Psaumes. Chez les Hébreux, le cantique était employé à célébrer des événements heureux et mémorables, ou à déplorer des malheurs ; le plus souvent il était consacré à l’action de grâces. Il prenait tous les tons de l’ode, et il en est quelquefois le modèle le plus sublime et le plus touchant. Aux chants sublimes de Moïse, au brillant cantique de Débora, et aux autres poésies de ce genre que nous avons déjà signalées, nous ajouterons pour l’Ancien Testament le chant si fier et si patriotique de Judith, ceux d’Anne, mère de Samuel, Exultavit cor meum, et de David sur la mort de Saül et de Jonathas. Le Nouveau Testament nous fournit des cantiques non moins admirables dans le Benedictus, le Magnificat et le Nunc dimittis. Qu’entendez-vous par cantiques spirituels ?

Les cantiques spirituels ou simplement cantiques, sont des chants en langue vulgaire composés sur des sujets de religion, et destinés à être chantés par la foule des fidèles. Comme les précédentes compositions, et surtout comme l’hymne liturgique, ils célèbrent Dieu et ses grandeurs ; les saints, leurs vertus et leur gloire ; les mystères et les vérités de la foi. Seulement ils s’élèvent moins que l’ode sacrée, n’ont pas d’écarts, et se rapprochent plus pour l’ensemble du ton de l’ode gracieuse. On les divise en strophes qui prennent le nom de couplets ; on les termine avantageusement par un refrain. Destiné à éclairer l’intelligence ; à toucher le cœur et à satisfaire le goût, le cantique doit briller par la clarté, la précision, la noble simplicité de l’expression, et surtout, lorsqu’il s’agit du dogme, par une grande exactitude théologique. Les compositions modernes en ce genre n’approchent pas généralement de nos vieux cantiques de Montfort et de Brydaine, pour la piété vraie, l’onction inimitable, la vraie poésie d’idées, de sentiments et d’images, et la beauté naïve et touchante. Ces chants destinés aux réunions de catéchismes, de confréries, etc., doivent être rigoureusement bannis des offices liturgiques qui n’admettent jamais l’emploi de la langue vulgaire. Il est inutile d’ajouter qu’on ne doit jamais donner aux cantiques des airs de chansons profanes, comme cela s’est vu quelquefois ; c’est d’une inconvenance trop choquante pour que nous ayons besoin d’insister. — Racine nous a laissé de magnifiques cantiques spirituels.

201. Citez, parmi les plus remarquables, quelques odes sacrées, hymnes et cantiques.

Outre les poésies tirées de l’Écriture Sainte et le Carmen sæculare d’Horace, dont nous avons fait mention précédemment, nous citerons quelques autres modèles choisis parmi les odes sacrées, les hymnes et les cantiques les plus remarquables. Ce sont :

L’ode de Malherbe intitulée : Dégoût des grandeurs périssables ; les plus belles du Ier livre de J.-B. Rousseau, tout entier tiré des Psaumes ; les Merveilles de la création, la Délivrance des Juifs, les Cantiques de Moïse et de Débora, de Lefranc de Pompignan ; le Jugement dernier, de Gilbert, et l’Hymne au Christ, de Lamartine.

Citons parmi les hymnes, proses liturgiques et cantiques : Salvete, flores martyrum, avec la traduction de Corneille ; les hymnes du lundi à Matines et à Landes, traduites par Racine ; Sacris Solemniis, Lauda Sion, Victimes paschali, Dies iræ, avec la traduction de M. de Marcellus ; la prose et l’hymne des complies du Sacré-Cœur. Viennent ensuite des cantiques spirituels et des Noëls : trois cantiques du grand Racine, dont un à N.-D. de la Garde, mentionné par Chateaubriand ; le cantique de la Croix, du cardinal Giraud ; un Noël sur le sommeil de l’enfant Jésus, et un autre intitulé la Belle Étoile.

Enfin, nous mentionnerons quelques odes sacrées empruntées aux littératures étrangères, comme une ode d’Ossian, qui a pour titre : Hymne au soleil, et une autre de même nom de Léopold de Stolberg ; une ode du protestant Novalis à la Vierge Marie, que l’on prendrait pour l’œuvre d’un catholique ; une prière à sainte Marie Madeleine, par Pétrarque ; les Disciples à l’Ascension, de Louis Ponce de Léon ; puis l’Hymne de la Résurrection, de Manzoni, et une autre pour la victoire de Lépante, par Herréra

II. — Ode héroïque ou pindarique.

202. Qu’est-ce que l’ode héroïque ?

L’ode héroïque ou pindarique est celle qui célèbre les hauts faits, le génie, les talents, les vertus éclatantes des grands hommes dans tous les genres, des héros vainqueurs dans les combats, des souverains, des hommes d’Etat, des magistrats illustres, etc. Voilà son but direct. Elle peut s’étendre aussi à tout ce qui intéresse vivement les nations, comme les événements heureux ou malheureux ; et alors elle comprend toutes les odes qui ont pour principe et pour base l’amour de la patrie.

203. Quel est le caractère dominant de l’ode héroïque ?

La nature du sujet qui est grand et élevé, demande que l’ode héroïque, comme l’ode sacrée, ait pour caractère dominant la noblesse, l’élévation et même le sublime dans les pensées et dans le style. Cette ode aime une marche libre et fière, de la verve et de la chaleur, de la richesse dans les images, de la variété dans les mouvements, si elle chante la gloire des vainqueurs, elle doit inspirer la valeur, le mépris de la mort, l’amour de la patrie, de la liberté et de la gloire. Dans ce genre, les chants prussiens sont à la fois des modèles d’enthousiasme et de discipline. — L’ode héroïque doit avoir en même temps un caractère religieux.

204. Quelles sont les plus belles odes héroïques ?

Les odes de Pindare sont des odes héroïques. Horace en a aussi un certain nombre, parmi lesquelles on doit ranger les plus belles du livre III, et quelques-unes du livre IV. Il en est de même de J.-B. Rousseau, dont nous ne nommerons ici que l’ode au prince Eugène de Savoie, celles qui sont adressées aux princes chrétiens, sur l’armement des Turcs contre Venise en 1715, à Malherbe contre les détracteurs de l’antiquité, et l’ode sur la bataille de Péterwaradin. On trouve aussi des odes héroïques chez les poètes dont les noms suivent : Tyrtée, Ossian, Malherbe, Théophile, Lefranc de Pompignan, Lebrun, Casimir Delavigne, Victor Hugo, Chênedollé, Lamartine, Gleim, Klopstock et Arriaza.

III. — Ode morale ou philosophique.

205.Qu’est-ce que l’ode morale ou l’ode morale ou philosophique ?

L’ode morale ou philosophique est celle dont les sentiments sont inspirés par la vertu, l’amitié et l’humanité. Elle attaque le vice, célèbre la vertu, présente de grandes vérités, de belles et utiles maximes ; ou bien elle approfondit, dans un langage qui n’a rien de didactique, de hautes questions philosophiques. Cette ode s’appuie toujours, dans les leçons qu’elle donne, sur des exemples sensibles ; d’un autre côté, pour l’homme de bien, et surtout pour le chrétien, elle ne peut manquer d’avoir un caractère plus ou moins religieux : voilà pourquoi elle se rapproche de l’ode héroïque et surtout de l’ode sacrée.

206. Quel doit être le caractère de l’ode morale ?

Dans l’ode morale, le poète s’abandonne à tous les transports, à toutes les inspirations que peuvent lui suggérer la beauté du bien et de la vérité, ou la laideur du mal et de l’erreur. Il doit éclairer notre âme par la splendeur du vrai, et en même temps nous échauffer, nous transporter par les élans d’un enthousiasme réel. Il faut que sa morale soit revêtue des plus brillantes couleurs, et que ses spéculations les plus abstraites soient animées de tout le feu de la poésie, comme on le voit dans l’Hymne au Christ, de Lamartine. Avant tout, ses principes doivent être solides, et ses sentiments nobles et purs. Quelquefois l’ode morale se contente de planer dans une région moyenne, sans chercher à s’élever, comme les genres précédents, à ce qu’il y a de plus sublime dans la poésie lyrique.

207. Nommez quelques odes morales.

Outre quelques odes d’Horace, en particulier les trois premières du livre III, nous pouvons citer en ce genre une ode de Joachim du Bellay sur la Vertu ; l’ode à la Fortune, d’Horace, mise en vers français par La Harpe, et comprenant l’O diva gratum et le Parcus deorum cultor ; celles de J.-B. Rousseau contre les Hypocrites et sur l’Aveuglement des hommes du siècle ; la Prière et l’Hymne au Christ, de Lamartine ; Moïse sauvé du Nil, de Victor Hugo.

IV. — Ode badine, gracieuse ou anacréontique.

208. Qu’est-ce que l’ode badine ou gracieuse ?

L’ode badine ou gracieuse est celle qui roule sur des sujets légers, agréables et tendres. Elle aime les descriptions riantes, les chants joyeux, les scènes touchantes et aimables, les pensées et les tableaux gracieux. Quoi de plus vivant, de plus délicieux que le passage suivant des Livres Saints : Vous bénirez nos champs, Seigneur, et vos bénédictions seront la couronne de l’année, et les campagnes se couvriront de vos dons. Les déserts s’embelliront et deviendront fertiles ; les collines seront revêtues d’allégresse ; et les vallées enrichies de la multitude des grains, élèveront la voix et chanteront l’hymne de vos louanges.

209. Quel doit être le ton de l’ode gracieuse ?

L’ode gracieuse laissant les sujets les plus nobles et le caractère le plus élevé au genre grave et solennel, demande un ton simple et modéré, un naturel aimable. Son caractère dominant doit être la douceur, l’élégance, la fraîcheur et la gaieté. Elle est, aussi bien que l’ode élevée, susceptible d’enthousiasme, puisque cet enthousiasme n’est qu’un sentiment produit par l’imagination qui se représente vivement un objet quel qu’il soit. Mais, dans la première, l’âme du poète est agitée avec violence ; dans celle-ci, elle est émue légèrement. Ce sont les jeux et les plaisirs qu’il chante ; c’est le sentiment qu’il peint avec les couleurs les plus douces. Ses tableaux, sans être trop riches, sont toujours frais et riants. Ses pensées, sans être trop élevées ou trop fortes, sont toujours vives, naturelles et délicates. Son style n’a rien de pompeux, mais il est toujours élégant et varié. Le poète peut, dans cette espèce d’ode, répandre avec grâce des traits de morale, et y entremêler de fines louanges.

210. Qu’entend-on par ode anacréontique ?

L’ode badine prend le nom d’anacréontique, quand elle chante Bacchus ou l’Amour, c’est-à-dire la joie et les plaisirs. Elle tire son non d’Anacréon qui s’est illustré dans ce genre, et qu’Horace a souvent imité. Les tableaux les plus riants de la nature, les mouvements les plus ingénus du cœur humain, l’enjouement, le plaisir, la mollesse, la négligence de l’avenir, le doux emploi du présent, les délices d’une vie dégagée d’inquiétude : voilà les sujets que choisit la muse d’Anacréon. Ce genre, on le voit, a peu de noblesse ; et il est évident que ce n’est pas ici que la poésie remplit le mieux l’honorable fonction de ramener les hommes à la vertu.

211. Quel est le moyen de relever ce genre ?

Ce genre de poésie, naturellement peu élevé, a été souvent abaissé, avili même par les poètes qui l’ont cultivé. Si l’ode anacréontique, dans Horace et dans Anacréon surtout, brille par le sentiment, la naïveté , un certain air de négligence, la douceur et l’harmonie du style, il arrive trop souvent que ces deux poètes, suivis en cela par un trop grand nombre d’autres, offensent gravement la morale par des peintures licencieuses, et par l’expression de sentiments coupables, La religion chrétienne, qui est la source de toutes les inspirations saintes, a épuré ces sentiments, et a appris aux poètes à mettre dans leurs chants tant de modestie et de pureté que l’innocence n’en puisse jamais être alarmée. On peut citer comme modèle une ode de Klopstock, qui a pour titre Salem ou l’Ange du pur amour. David surtout excelle dans le genre gracieux. Ses plus belles poésies dans ce genre sont les Psaumes 22, Dominas, regit me ; 62, Deus Deus meus, ad te de luce vigilo ; 83, Quàm dilecta tabernacula tua ; 132, Ecce quàm bonum et quàm jucundum.

212. Citez les odes gracieuses et anacréontiques les plus remarquables.

Parmi les nombreuses poésies d’Anacréon, nous ne citerons que l’Amour mouillé avec une imitation par La Fontaine, l’Amour piqué par une abeille, la Colombe et le Passant, et la Rose.

Horace a laissé un grand nombre d’odes en ce genre. Nous ne mentionnerons que les suivantes : Solvitur acris hyems, et Æquam memento. Parmi les modernes, nous nous contenterons de signaler à l’attention des jeunes littérateurs les pièces suivantes : la Villanelle d’un batteur de blé aux vents, de Joachim du Bellay ; l’Élection d’un sépulcre, par Ronsard ; la Plainte au roi de Théophile dans sa prison ; l’ode de Chaulieu sur la solitude de Fontenay ; le Papillon et le Retour du guerrier dans la chaumière paternelle, de Lamartine ; la Grand’mère, par V. Hugo, et la Violette, de Constant Dubos.

§ II — De l’élégie

213. Qu’est-ce que l’élégie ?

L’élégie est un petit poème destiné à exprimer des sentiments calmes et modérés dans tous les genres, dans la joie et dans la douleur, mais principalement des sentiments de regret et de tristesse. Son étymologie (ἑ ἑ, λέγειν, dire hélas !) fait voir clairement quelle a été sa destination première. Dans l’origine, en effet, l’élégie était uniquement consacrée aux larmes, aux gémissements, et à l’expression de la douleur. C’est vraisemblablement sur un tombeau qu’elle fit entendre pour la première fois ses tristes accents. Dans la suite, on y fit entrer des sentiments de tendresse et même de joie. Tibulle, Ovide et Properce la réduisirent à peu près aux seuls intérêts de l’amour : elle servit à exprimer ses plaintes et ses succès. Horace et Boileau nous ont marqué les différents usages auxquels ce poème fut employé :

Versibus impariter junctis querimonia primum,
Post etiam inclusa est voti sententia compos.
La plaintive élégie, en longs habits de deuil,
Sait, les cheveux épars, gémir sur un cercueil ;
Elle peint, des amants, la joie et la tristesse

Cependant la tristesse lui convient mieux que la joie ; et son véritable caractère est celui d’une douce mélancolie.

214. Quels sont les sentiments qui conviennent à l’élégie ?

Il faut que le cœur seul parle dans l’élégie

Le but de l’élégie, telle que nous l’entendons aujourd’hui, est moins de plaire que de toucher, d’attendrir l’âme ; elle veut exciter la pitié, et non pas l’admiration. Par conséquent, pour bien réussir dans ce genre, il faut bien sentir et bien peindre le sentiment avec des couleurs vraies et naturelles. Ici, l’âme du poète doit être toute remplie de son objet, toute pénétrée des malheurs qu’elle veut déplorer, et se montrer tout entière. Dans ce poème, tout doit respirer cet abandon d’une âme livrée modérément à la mélancolie. En cet état, l’homme repasse dans son imagination les causes de ses malheurs. La douleur, dit Lowth, est ingénieuse à se tourmenter ; elle se plaît à revenir souvent sur la peinture de ses maux, à les exagérer, à décrire toutes les circonstances qui ont accompagné la perte qu’elle déplore, et à s’attacher fortement aux idées qui la lui rappellent. Elle est soupçonneuse, inquiète, injuste, et passe facilement à l’espérance pour retourner bientôt à la pensée de ses maux.

215. Qu’avez-vous à dire sur la marche de l’élégie ?

L’élégie a une marche très irrégulière et très difficile à saisir. Elle se refuse à tout ordre, à tout arrangement ; tandis que dans l’ode, on peut encore se tracer un plan, et parcourir un cercle déterminé. Il ne faudrait pas croire cependant que tout soit permis dans l’élégie, et que le succès y soit facile. Ce genre de poème, en effet, doit toujours être naturel ; par conséquent, il réprouve et les excès de l’imagination, et l’exagération du sentiment, et l’abus de l’esprit, parce que ces défauts ont pour résultat de le rendre froid, fade, langoureux, ou chargé d’ornements frivoles, non moins ridicules que déplacés.

216. Quel doit être le style de l’élégie ?

La véritable douleur n’a point de langage étudié, de style pompeux. Le style de l’élégie doit être simple, naturel, sans apprêt, doux et tendre. Les images riantes ont aussi leurs grâces particulières, quand elles forment un contraste avec la situation du poète ou de ses personnages ; mais elles doivent être employées avec beaucoup de retenue, parce qu’il s’agit moins ici de peindre des objets gracieux que d’exprimer des sentiments délicats et tendres. Un certain désordre, un air de négligence et d’abandon vont bien à la douleur. Mais tout ce qui offre l’appareil de l’étude et du travail, tout ce gui sent l’affectation et la recherche est opposé au caractère de l’élégie, non-seulement lorsqu’elle exprime la douleur ou la tendresse, mais encore lorsqu’elle décrit en passant des objets gracieux. Que le cœur soit vivement pénétré, et il suggérera à l’esprit des pensées, des images, des comparaisons analogues et proportionnées au sentiment. Toutes ces règles trouvent leur application dans une élégie de Mollevaut sur la mort de sa sœur, dans celle de Millevoye intitulée l’Anniversaire, où l’on trouve une exquise sensibilité et une douce mélancolie, et dans les plaintes de La Fontaine sur la disgrâce de Fouquet.

217. Qu’avez-vous à dire sur la forme de l’élégie ?

La forme de l’élégie, chez les Grecs et les Latins, était le distique. Les anciens appelaient poème élégiaque celui qui était en vers hexamètres et pentamètres entrelacés, et le nom d’élégie tenait alors à la forme du poème aussi bien qu’au fond des choses.

Chez nous, il n’y a point de forme particulière pour ce genre de poésie ; et on ne le distingue guère que par la nature même du sentiment qui y est exprimé. Le poète élégiaque est toujours parfaitement libre dans le choix du mètre ; mais assez souvent il adopte la forme de l’ode.

218. Combien distingue-t-onde sortes d’élégies ?

L’élégie, chez les anciens, s’est quelquefois confondue avec d’autres gemmes, à cause de la grande liberté dont elle jouissait alors. C’est ainsi que nous la voyons prendre la forme de la pastorale dans l’idylle de Moschus sur la mort de Bion, ainsi que dans la Mort de Daphnis, par Virgile ; et celle de l’ode, dans la pièce adressée à Virgile, par Horace, sur la mort de Quintilius Varus, leur ami. La poésie dramatique elle-même nous offre des pièces élégiaques, par exemple, le monologue si beau et si touchant gui sert de début à l’Andromaque d’Euripide. Mais, si nous voulons spécifier davantage le genre élégiaque, nous trouverons deux sortes d’élégies : l’élégie ou poésie érotique, qui est le chant de l’amour heureux ou malheureux ; et l’élégie proprement dite, qui s’étend à tout le reste. Ces deux espèces d’élégies suivent également les règles que nous avons fait connaître.

219. Quels sont les deux caractères de l’élégie proprement dite ?

L’élégie proprement dite, comprenant tous les événements qui ne rentrent pas dans l’élégie érotique, présente deux caractères distincts : elle est individuelle ou sociale. L’élégie est sociale ou patriotique quand elle déplore une perte publique, les désastres de toute une nation, et alors elle peut s’élever à la hauteur de la poésie lyrique. On peut citer en ce genre les admirables Lamentations de Jérémie sur la ruine de Jérusalem et sur les malheurs des Juifs, le psaume Super flumina Babylonis, et les Messéniennes de Casimir Delavigne. Lorsque l’élégie déplore une perte domestique, un malheur privé, elle est individuelle. Telles sont les plaintes de David sur la mort de Saül et de Jonathas, les stances de Malherbe à son ami, les paroles de Gilbert, mourant.

220. Où se trouvent les plus beaux modèles de poésie élégiaque ?

Les plus beaux modèles en ce genre se trouvent chez les Hébreux. Ce sont les plaintes de Job, qui expriment les pins terribles angoisses de l’âme, et qui semblent résumer les gémissements de l’humanité souffrante ; ce sont les lugubres et touchantes lamentations de Jérémie, qui passent pour les élégies les plus sublimes que l’on connaisse ; ce sont des psaumes en grand nombre, parmi lesquels il faut citer les sept psaumes pénitentiaux, et particulièrement celui qui est devenu, dans l’Église, le cantique de la mort. Il en est de même du 41e, Quemadmodum desiderat cervus, dans lequel le prophète, exilé à l’extrémité de la Judée, loin du temple et de ses augustes cérémonies, pressé par ses ennemis, exposé à leurs insultes , adresse ses plaintes et ses prières au Seigneur ; et du 136e, Super flumina Babylonis, que Chateaubriand regarde comme le plus beau des cantiques sur l’amour de la patrie . Enfin, nous devons encore à David une des plus magnifiques élégies, c’est le chant funèbre qu’il composa sur la mort de Jonathas et de Saül. La religion chrétienne qui, en épurant le cœur, le dispose à la poésie la plus sublime et la plus tendre, et qui fait de l’élégie une prière pleine de chaleur, de simplicité et d’onction, a inspiré quelques pièces remarquables en ce genre. Nous ne mentionnerons que les chants élégiaques de saint Grégoire de Nazianze, le Stabat Mater, et le Dies iræ.

221. En combien de genres peut-on diviser l’élégie ?

Le ton de l’élégie varie en étendue et en élévation suivant que l’impression, produite ordinairement par le malheur, est plus ou moins forte, et donne au cœur plus ou moins de puissance pour exprimer ses sentiments. C’est pour cela qu’on a partagé l’élégie en trois genres : le passionné, le tendre et le gracieux. En général, le sentiment domine dans le genre passionné ; c’est le caractère de Properce, qui est vigoureux, mais qui fait un usage trop fréquent de la mythologie, et montre quelquefois trop d’érudition et d’art. L’imagination domine dans le genre gracieux ; c’est le caractère de Catulle, doué de beaucoup de goût, de grâce et de naturel, et d’Ovide, chez qui l’excessive abondance de l’imagination et le feu pétillant de l’esprit refroidissent presque partout le sentiment. Enfin, l’émotion douce et tranquille règne dans l’élégie tendre ; c’est le caractère de Tibulle, le poète du sentiment doux et tendre, et qui l’emporte sur ses rivaux par un goût pur, une composition irréprochable, un style d’une élégance exquise.

222. Quelles sont les plus belles élégies modernes ?

On peut citer les suivantes : l’élégie de Martial de Paris sur la mort de Charles VII : Mieux vaut la liesse ; une pièce de Christine de Pisan sur son veuvage, qui se recommande par la douce mélancolie de la pensée, et la forme ingénieuse sous laquelle elle est présentée : Seulette je suis… ; une élégie de du Bellay, qui paraît avoir inspiré Malherbe dans ses stances à Duperrier : La Rose journalière ; la Brièveté de la vie, par Ronsard ; les Plaintes de Théophile dans sa prison ; les Stances de Malherbe à Duperrier sur la mort de sa fille ; Aux Nymphes de Vaux, par La Fontaine ; A Philomèle, par J.-B. Rousseau ; les dernières paroles de Gilbert ; le Bonheur, par Léonard ; la Jeune captive, d’André Chénier ; la Chute des feuilles et l’Anniversaire, de Millevoye ; la Mort de Jeanne d’Arc, et le Jeune diacre, de Casimir Delavigne ; la Jeune fille agonisante, de Campenon ; les Tombeaux de Saint-Denis et Louis XVIII, de Tréneuil ; le Petit Savoyard, de Guiraud ; la Prière de l’enfant, de Lamartine ; l’Ange et l’enfant, de Reboul ; le Retour à la chapelle, de Mme Tastu ; le Dernier hymne d’Ossian ; le Cimetière de campagne, de Gray ; Une mère à son enfant, de Campbell ; A l’Irlande, par Thomas Moore,

§ III — Du dithyrambe

223. Qu’appelait-on dithyrambe chez les Grecs ?

Chez les Grecs, le dithyrambe était un petit poème lyrique fait et chanté en l’honneur de Bacchus, sur le mode phrygien, c’est-à-dire sur un mode fier et guerrier, et dans lequel le poète imitait le délire de l’ivresse. Dans un pays où l’on rendait un culte sérieux au dieu du vin, il est assez naturel qu’on lui ait adressé des hymnes, et que dans ces hymnes les poètes aient imité le délire de l’ivresse : c’était plaire à ce dieu que de lui ressembler. Le caractère de cette ode sacrée fut primitivement religieux, comme un chant consacré à la divinité ; vif, rapide, pétillant et désordonné, comme la joie et l’ivresse d’une fête bachique. Arien de Méthymne passe pour l’inventeur du dithyrambe. Après lui, beaucoup de poètes attiques s’exercèrent en ce genre, qui permettait des métaphores hardies (audaces), des transitions brusques, des expressions neuves et inusitées (nova verba). Du reste, l’antiquité ne nous a laissé aucun modèle de cette espèce de poésie lyrique.

224. Quel a été le sort du dithyrambe antique chez les Latins et les modernes ?

Les Latins, quoique leur culte fût celui des Grecs, ne respectaient pas assez la fureur bachique pour en estimer l’imitation ; et, de tous les genres de poésie, le dithyrambe fut le seul qu’ils dédaignèrent d’imiter. Les Italiens modernes se sont montrés moins graves : leur imagination singeresse et imitatrice , comme dit Montaigne, a voulu essayer de tout ; ils se sont exercés dans la poésie dithyrambique, et pensent y avoir excellé. Mais, à vrai dire, c’est quelque chose de bien facile et de bien peu intéressant que ce qu’ils ont fait dans ce genre.

Nos anciens poètes du temps de Ronsard, qui se faisaient gloire de parler grec en français, ne manquèrent pas d’essayer aussi des dithyrambes ; mais ni notre langue, ni notre imagination, ni notre goût ne se sont prêtés à cette docte extravagance. Le dithyrambe antique est aujourd’hui entièrement abandonné.

225. Qu’entend-on maintenant par dithyrambe ?

On entend aujourd’hui par dithyrambe un chant lyrique qui respire l’enthousiasme et le délire poétique, et qui jouit de la plus complète liberté relativement à la mesure. Ce petit poème est, pour le fond, une ode portée au plus haut point d’exaltation ; mais il se distingue de l’ode proprement dite, en ce qu’il n’exige pas, comme elle, l’unité de pensée, et qu’il n’est assujéti ni à la régularité ou à la symétrie des strophes, ni à la nécessité d’employer des vers de même mesure. Le dithyrambe sert à exprimer avec impétuosité les sentiments actuels d’une passion ardente, comme la joie, l’indignation. Il prend ses sujets dans la religion, la morale, la politique. Obligé de suivre la passion dans sa marche désordonnée, il doit, comme chez les Grecs, avoir des allures neuves, hardies et vives.

226. Faites connaître quelques dithyrambes.

Nous mentionnerons en premier lieu le célèbre dithyrambe de Delille sur l’Immortalité de l’âme, dirigé contre les révolutionnaires de 1793, dans lequel on remarque des vers très énergiques, comme le passage commençant par ces mots :

Oui, vous qui de l’Olympe usurpant le tonnerre…

Lebrun a chanté, dans un poème de ce genre, l’arrivée à Paris des monuments artistiques conquis en Italie pendant la campagne de 1796 :

Réveille-toi, lyre d’Orphée…

Enfin, Lamartine, voulant remercier M. de Genoude de sa traduction de l’Écriture, lui adressa un dithyrambe sur la poésie sacrée, dans lequel il imite successivement le mouvement et le ton des différents poètes inspirés. Nous donnons un extrait de ce morceau :

            Écoutez ! Jéhova s’élance
            Du sein de son éternité.
Le chaos endormi s’éveille en sa présence,
Sa vertu le féconde, et sa toute-puissance
            Repose sur l’immensité.
Dieu dit, et le jour fut ; Dieu dit, et les étoiles
De la nuit éternelle éclaircirent les voiles ;
            Tous les éléments divers
            A sa voix se séparèrent ;
            Les eaux soudain s’écoulèrent
            Dans le lit creusé des mers ;
            Les montagnes s’élevèrent,
            Et les aquilons volèrent
            Dans le libre champ des airs.

§ IV. — De la cantate.

227. Qu’est-ce que la cantate ?

La cantate est une composition lyrique, une espèce d’ode dans le genre héroïque ou gracieux, faite pour être mise en musique, et composée de deux parties : le Récit ou Récitatif, et l’Air ou Chant.

228. Quelles sont les règles du Récitatif ou de l’air ?

Le Récitatif, qui est plus élevé ou plus simple suivant la nature du sujet, présente l’objet à l’esprit ; l’Air exprime le sentiment ou la réflexion qu’a dû faire naître la vue de cet objet ; ce qui produit deux sortes de musique, et aussi deux sortes de poésie. Le récitatif commence, l’air suit, puis un autre récitatif, puis encore un autre air. Les récitatifs n’excèdent pas ordinairement le nombre de trois ; il en est de même des airs. Le récitatif est plus doux, plus simple ; l’air est plus vif, plus animé. Les vers des récits doivent être d’une mesure inégale, parce qu’ainsi ils sont plus favorables à l’harmonie du chant. Ils peuvent être de huit, de dix, de douze syllabes, mais jamais au-dessous de huit. Les airs, qui doivent être remplis par des monologues ou des réflexions morales que le poète tire de ce qui fait la matière de ses récits, admettent des vers de toute mesure, à l’exception de ceux de douze pieds : la majesté du vers alexandrin ne se prêterait point assez aux chutes et à la vivacité d’un air de mouvement.

229. Quelles sont les règles de la cantate relativement au sujet et au style ?

Il faut choisir pour sujet d’une cantate quelque trait historique ou fabuleux, d’où l’on puisse tirer naturellement des réflexions morales. Ce poème doit être, suivant J.-B. Rousseau, une allégorie exacte dont les récits soient le corps, et les airs l’âme et l’application. Il admet la même noblesse d’idées, la même pompe d’expressions que l’ode ; mais il en rejette les écarts et les désordres : ils seraient incompatibles avec l’art et la sagesse qu’il faut pour soutenir une allégorie. Le style du récit doit avoir plus d’énergie et d’élévation que celui de l’air, qui doit être plus vif et plus animé.

230. Faites connaître l’origine et de la cantate.

La cantate, de l’italien cantata, formé de cantare, chanter, a été empruntée à l’Italie par J.-B. Rousseau, qui en a enrichi notre littérature. Ce poète en a tracé les règles, et les a suivies exactement dans les magnifiques compositions qu’il nous a laissées en ce genre. Ces règles, toutefois, ne sont pas absolument obligatoires. C’est ainsi que Casimir Delavigne et Lamartine ont remplacé les airs par des chœurs, le premier dans sa belle cantate des Troyennes, et le second dans sa magnifique cantate pour les Enfants d’une maison de charité. Cette dernière composition s’éloigne encore des règles générales du genre, en ce qu’elle n’est empruntée ni à l’histoire, ni à la fable ; le sujet en est religieux et sans allégorie, et il n’en a pas moins donné lieu à l’une de nos plus belles cantates.

231. Combien y a-t-il de sortes de cantate ?

Il a des cantates dans le genre noble et dans le genre gracieux. J.-B. Rousseau nous offre de parfaits modèles des deux espèces. Nous citerons, dans le premier genre, colle de Circé, que La Harpe appelle un des chefs-d’œuvre de la poésie française . Peut-on rien ajouter à la beauté du tableau où le poète représente cette magicienne ayant recours aux secrets de son art pour rappeler Ulysse ?

Sur un autel sanglant, l’affreux bûcher s’allume.
…………………………… d’horribles sifflements.

Dans le genre gracieux, la cantate de Céphale offre les images les plus douces et les plus riantes :

La nuit d’un voile obscur couvrait encore les airs,
…………………………… goûter la douceur.

Il en est de même de celle de l’Arbrisseau :

Jeune et tendre arbrisseau, l’espoir de mon verger,
…………………………… sous les gazons.

Disons, en finissant, que si le mérite de Rousseau en ce genre est incontestable, il est regrettable de voir ce poète, dans toutes ses cantates, n’employer que des allégories païennes, et sacrifier tout à la plus déplorable des passions, sans aucun retour de morale chrétienne.

§ V. De la chanson.

232. Qu’est-ce que la chanson ?

La chanson est une espèce d’ode au caractère ordinairement badin, léger, amusant, délicat, satirique ou touchant, quelquefois même pieux ou élevé, où l’on exprime par le chant une pensée ou un sentiment qu’on cherche à rendre populaire. Traitant toutes sortes de sujets, il est nécessaire qu’elle puisse prendre tous les tons. La chanson se divise en stances ou strophes qui prennent le nom de couplets.

233. Quel est le caractère de la chanson ?

La chanson, inspirée par le plaisir, prend, pour le chanter, une allure plus vive, une marche plus légère. Elle demande un esprit délié, une imagination enjouée, une douce sensibilité. Le moyen d’y exceller est d’unir une naïveté délicate à une piquante originalité. Ce genre de poésie doit présenter une suite d’idées naturelles et piquantes, d’images douces et gracieuses. Il faut que le style en soit léger, les expressions choisies et toujours exactes, la marche libre, les vers faciles et coulants, sans que les tours aient rien de forcé ; enfin, que tout y soit fini, sans que le travail s’y fasse sentir.

234. Qu’avez-vous à dire sur le couplet, le refrain ?

Les couplets doivent suivre, dans la chanson, les mêmes règles que les stances de l’ode, avec cette différence cependant que, dans les premiers, il est beaucoup plus facile d’admettre des licences. Chaque couplet doit être terminé par une pensée fine et saillante, ou un sentiment délicat. Il y en a qui ont un refrain, c’est-à-dire que chaque couplet finit par les mêmes vers. Le refrain, qui doit être facile à retenir et à chanter, plaît beaucoup dans la chanson, et lui donne plus de grâce et de mérite. 11 doit contenir le résumé frappant du sentiment de la pièce, l’idée principale de la chanson ; et cette idée doit être saillante, toujours liée naturellement avec celles qui la précèdent dans chaque strophe, et toujours amenée avec art.

235. Combien compte-t-on d’espèces de chanson ?

La chanson n’a point de caractère fixe ; elle prend tour à tour, d’après le sujet, celui de l’épigramme ou de la satire, du madrigal, de l’élégie, de la pastorale, de l’ode héroïque, et même de l’ode sacrée. De là, les chansons religieuses, les chansons nationales, patriotiques ou guerrières, les chansons satiriques ou vaudevilles, les chansons pastorales, les chansons bachiques, les chansons érotiques et la romance.

236. Qu’est-ce que la chanson religieuse ?

La chanson religieuse est celle qui roule sur des sujets de religion et de piété. Destinée à exprimer la gaieté et la joie, à récréer l’esprit, à toucher le cœur par de gracieuses images, la chanson, infidèle à sa mission, s’inspire trop souvent de souvenirs dangereux et de peintures licencieuses. C’est pour faire contre-poids à ce désordre qu’elle est quelquefois consacrée aux souvenirs de l’innocence, aux saintes joies de la vertu, aux allégresses d’une bonne conscience. Saint François d’Assise, saint Jean de la Croix, sainte Thérèse, Fénelon, ont composé des chansons sur des sujets de piété. Ce qui distingue la chanson religieuse du cantique, c’est que celui-ci, étant destiné à être chanté en chœur dans le lieu saint, doit toujours être grave et sérieux ; tandis que l’autre, qui doit être chantée parmi les beautés de la campagne, demande un ton moins grave, une mesure plus vive, une versification plus légère. En voici un exemple :

Bénissez le Seigneur suprême,
Petits oiseaux, dans vos forêts ;
Dites sous ces ombrages frais :
        Dieu mérite qu’on l’aime !
Dans ces beaux lieux tout est fertile ;
J’y vois des fruits, j’y vois des fleurs,
Et je dis en versant des pleurs :
        Je suis l’arbre stérile !

On peut citer comme modèles de chansons religieuses, l’Église de campagne, et la Pauvre Lidwine par Mlle Angélique Gordon ; le Voyageur, par Béranger, et le Bon Dieu du petit enfant.

237. Qu’est-ce que la chanson patriotique ou guerrière ?

La chanson patriotique, nationale ou guerrière, est celle qui célèbre les gloires de la patrie, les hauts faits des grands capitaines, les victoires de l’armée. La chanson alors, inspirée par le sentiment élevé de la gloire et de l’amour de la patrie, ne se distingue pas de l’ode ; elle en a les accents, la force, la chaleur et l’élévation. Une des plus célèbres chansons de ce genre est le Chant de guerre de l’année du Rhin, dont les paroles et la musique furent composées en 1792, à Strasbourg, par Rouget de l’Isle, officier du génie. Les Marseillais, venus à Paris pour la seconde fête annuelle de la fédération, ayant fait connaître ce chant dans cette ville, on lui donna leur nom qu’il a toujours conservé. Béranger a fait plusieurs chansons nationales et militaires.

238. Qu’est-ce que la chanson satirique ou vaudeville ?

On appelle chanson satirique ou vaudeville, celle qui critique les travers, les défauts, les actions répréhensibles, les mœurs irrégulières. Les événements remarquables par leur singularité ou leur importance sont aussi du domaine de la chanson satirique. La pensée qui termine chaque couplet doit surtout être vive, piquante, avoir même quelque chose de caustique et de mordant. Mais il faut bien se garder de passer les bornes d’une critique fine et d’une raillerie délicate. On doit se contenter d’attaquer les vices et les ridicules généraux, sans donner dans l’odieux des personnalités. C’est uniquement par là que ces sortes de chansons peuvent être de quelque avantage à la société. Le sujet en est simple et le style familier. Voici un couplet d’un vaudeville de Panard :

Le perroquet et l’acteur
Tous deux récitent par cœur :
    Voilà la ressemblance.
Devant le public assemblé,
L’un siffle, l’autre est sifflé :
    Voilà la différence.

239. Qu’est-ce que la romance ?

La romance, qui tient de l’élégie et de l’ode gracieuse, est une chanson tendre ou plaintive, presque toujours avec refrain, et ayant pour sujet une histoire tragique ou touchante, un regret, une plainte, un souvenir douloureux, une aventure amoureuse. C’est l’élégie de la chanson. Elle rejette toute recherche d’esprit, l’esprit étant l’écueil du langage du cœur. Son caractère est la naïveté ; tout doit y être en sentiment ; et le style doit en être simple, naturel et délicat.

La timide romance exhale mollement
Une plainte sans art, fille du sentiment ;
Elle aime à parcourir le domaine des larmes.
Et doit à l’élégie une part de ses charmes.

La romance présente trop souvent un danger réel : c’est d’amollir le cœur et de l’accoutumer à une espèce de sensiblerie pour des choses futiles, et à une insensibilité trop fréquente pour des malheurs vraiment dignes de compassion.

240. La chanson n’a-t-elle pas une grande influence sur les peuples et en particulier sur les Français ?

La chanson, et surtout la chanson patriotique, a toujours exercé une grande influence sur les peuples ; plus d’une victoire même a dû être attribuée à des chansons guerrières. Chez nous, la chanson de Roland a servi jusqu’à la bataille de Poitiers, à animer le soldat dans le combat. Les sectaires et les révolutionnaires se sont souvent servis de la chanson comme moyen de propagande, depuis Arius, les Vaudois, les Albigeois, jusqu’à Luther et à la Révolution française qui s’est résumée dans la Marseillaise. De tous les peuples de l’Europe, le Français est celui dont le naturel est le plus porté à ce genre léger de poésie. La galanterie, le goût du plaisir, la vivacité, la gaieté, le penchant à la satire, qui nous caractérisent, ont produit des chansons ingénieuses dans tous les genres. Et cette disposition est ancienne, puisque Tacite disait des Germains, nos ancêtres : Cantilenis infortunia sua solantur.

Fille aimable de la folie,
La chanson naquit parmi nous ;
Souple et légère elle se plie
Au ton des sages et des fous.

On peut assurer, l’histoire à la main, qu’il n’y a pas eu en France un seul événement public, de quelque nature qu’il fût, qui n’ait été la matière d’un couplet ; et rien n’est plus vrai que ce vers :

Le Français rit de tout, même de ses malheurs.

Ainsi la Ligue et la Fronde firent éclore des milliers de chansons pleines de sel et de traits heureux. Celles du temps de Louis XIV ont plus de finesse et de grâce que les refrains de la Fronde, et le sel en est moins âcre. Quoi de plus plaisant et de plus gai que ce couplet sur Villeroi, fait prisonnier dans Crémone :

Palsembleu, la nouvelle est bonne,
Et notre bonheur sans égal :
Nous avons recouvré Crémone,
Et perdu notre général.

Ce tour d’esprit n’a rien perdu dans la suite, et est toujours resté le même en France : témoin ce couplet sur la déroute de Rosbach, si prompte et si imprévue ; c’est le général qui parle :

Mardi, mercredi, jeudi,
Sont trois jours de la semaine ;
Je m’assemblai le mardi ;
Mercredi, je fus en plaine :
Je fus battu le jeudi.
Mardi, mercredi, etc.

Nous aurions pu nommer, parmi les trouvères chansonniers du moyen-âge, Raoul de Coucy, mort au siège de Saint-Jean-d’Acre ; Maurice et Pierre de Craon, du xiie  siècle ; Thibaut de Champagne et Audefroy-le-Bastard, du xiiie . Leurs chansons, aujourd’hui très recherchées, sont trop souvent licencieuses. Nous devons adresser le même reproche à notre chansonnier du xixe  siècle, Béranger, qui, dans presque toutes ses poésies, outrage la morale et la religion.

§ VI. — De l’épithalame.

241. Qu’est-ce que l’épithalame ?

L’épithalame (ἐπὶ, sur, θὰλαμος, lit nuptial) que nous croyons devoir ranger, à cause de son caractère et de son étendue, parmi les compositions lyriques, est un petit poème composé à l’occasion d’un mariage, pour louer les nouveaux époux et leur offrir des souhaits de félicité et de bonheur.

242. Combien distingue-t-on de parties essentielles dans l’épithalame ?

Il y a dans l’épithalame deux parties essentielles, que nous avons indiquées dans la définition : l’une comprend les louanges que l’on donne aux époux, à cause de leurs qualités et de leurs vertus ; l’autre les vœux que l’on forme pour leur bonheur. Ces louanges doivent être ingénieuses, mais naturelles, exprimées avec beaucoup de délicatesse, et accommodées au sexe, à la naissance, au rang et au mérite des personnes. Les vœux doivent se rapporter principalement à la douceur de l’union que forment les nouveaux époux, et aux fruits heureux qu’ils peuvent en attendre. Mais ils doivent toujours rester dans les limites de la vraisemblance.

243. Faites connaître les règles qui président à la composition de l’épithalame.

La meilleure manière de traiter le sujet d’un épithalame, est de le renfermer dans une fiction ou dans une allégorie. Les idées n’en sont alors que plus saillantes et plus poétiques. D’après certains auteurs, la mythologie sert à répandre de l’agrément dans ces sortes de poésies. Racine et Bernis ont mis cette règle en pratique dans leurs épithalames. Ces exemples nous touchent peu. Nous croyons qu’il serait beaucoup plus convenable, lorsqu’il s’agit de poètes et d’époux chrétiens, de substituer les idées si pures de notre religion et les personnages si augustes qu’elle nous apprend à vénérer et à invoquer, à toutes les friperies mythologiques dont le moindre inconvénient est de frapper par leur invraisemblance. Ce poème demande beaucoup de délicatesse dans les sentiments, et, dans le style, de la richesse, de l’élégance, de la fraîcheur, de la grâce et surtout de la variété. On peut prendre un ton noble et élevé, ou badin et enjoué. Cela dépend de la manière dont on envisage son sujet, ainsi que du rang et des personnes dont on chante l’union. Quant à la mesure et à la disposition des vers, il n’y a point de règles particulières pour l’épithalame. Tout ce que l’on peut dire à ce sujet, c’est qu’il y a ordinairement un ou deux vers intercalaires répétés par intervalles, et qui forment un espèce de refrain.

244. Quels sont les poètes qui se sont distingués en ce genre ?

L’épithalame remonte à la plus haute antiquité. Les anciens, en effet, célébraient leurs mariages, et surtout ceux de leurs princes, par des poésies lyriques ordinairement avec refrain, comme dans Catulle. La Bible nous fournit plusieurs modèles d’épithalames. Le Cantique des cantiques, qui a dû être composé à l’occasion du mariage de Salomon avec la fille du roi d’Égypte, a mérité d’être considéré par les Pères comme l’épithalame de l’anion de Jésus-Christ avec son Église. On donne la même signification mystique au psaume xliv, Eructavit cor meum verbum bonum…

Stésichore, né à Himère, en Sicile, vers l’an 612 avant Jésus-Christ, passe pour avoir été, chez les Grecs, l’inventeur de l’épithalame. Il ne reste presque rien de ses œuvres. On trouve dans les idylles de Théocrite l’épithalame supposé d’Hélène et de Ménélas, qui est très remarquable.

Catulle est le premier poète latin qui ait exercé son talent en ce genre. Son épithalame réel de Manlius et de Vinie se distingue par la fraîcheur et la beauté du coloris ; mais il est regrettable qu’il n’ait pas toujours assez respecté la décence.

Ce genre a été cultivé par quelques-uns de nos poètes. Outre la Nymphe de la Seine, que Racine composa à l’occasion du mariage de Louis XIV avec Marie-Thérèse, et qui a plutôt la forme d’une ode que d’un épithalame, parce qu’il ne s’y trouve pas de vers intercalaires, on peut citer comme modèle l’épithalame que M. de Bernis fit, en 1745, sur le mariage du fils de Louis XV, le dauphin Louis, avec l’infante d’Espagne, Marie-Thérèse.

245. Nommez les principaux poètes lyriques.

Après les écrivains sacrés et surtout David qui, suivant saint Jérôme, peut nous tenir lieu de tous les Grecs et de tous les Latins, nous citerons : Anacréon et Pindare, chez les Grecs ; Horace, chez les Latins ; Malherbe, J. Racine, J.-B. Rousseau, Lefranc de Pompignan, Lebrun, Malfilâtre, Gilbert, André Chénier, Millevoye Casimir Delavigne, Alexandre Soumet, Béranger , Guiraud, Lamartine, Victor Hugo, Reboul et Turquéty chez nous ; Ossian, Thomas Gray, Thomas Campbell, Georges Byron et Thomas Moore, en Angleterre ; Pétrarque et Manzoni, en Italie ; Ponce de Léon, Héréra, Mélindez, Quintana et Arriaza, en Espagne ; et chez les Allemands, Martin Opitz, Weckerlin, Flemming, Albert de Haller, Klopstock, Ewald de Kleist, Herder, Bürger, Gœthe, Léopold de Stolberg, Schiller, Novalis, Zedlitz, Théodore Kœrner, Grün, Auguste et Adolphe Stœber.