(1876) Traité de versification latine, à l'usage des classes supérieures (3e éd.) « PREMIÈRE PARTIE. DE L'ÉLÉGANCE LATINE. — CHAPITRE II. Du choix et de la délicatesse des expressions. » pp. 9-77
/ 108
(1876) Traité de versification latine, à l'usage des classes supérieures (3e éd.) « PREMIÈRE PARTIE. DE L'ÉLÉGANCE LATINE. — CHAPITRE II. Du choix et de la délicatesse des expressions. » pp. 9-77

CHAPITRE II.

Du choix et de la délicatesse des expressions.

« C'est une chose merveilleuse, dit Rollin, comment des mots qui sont à la disposition de tout le monde, et qui par eux-mêmes n’ont aucune beauté particulière, étant choisis avec goût, maniés avec art et appliqués avec discernement, acquièrent tout d’un coup une beauté, un éclat qui les rend méconnaissables. »

Il n’y a rien de remarquable dans les mots suivants :

« C'est à Cadmus que la Grèce est redevable de l’invention des caractères ; c’est de lui qu’elle a appris l’art de l’écriture. » Mais on est charmé, lorsqu’on entend la même chose exprimée de cette manière si noble et si gracieuse :

« C'est de lui que nous vient cet art ingénieux
De peindre la parole et de parler aux yeux,
Et, par des traits divers de figures tracées,
Donner de la couleur et du corps aux pensées. »

En latin, le mot ædificare, employé dans le sens propre, est un terme fort simple. Ædificare domum, bâtir une maison. Dans le sens figuré, il a une grâce toute particulière. Juvénal, pour exprimer ces parures à différents étages dont les dames romaines ornaient leurs têtes, s’exprime ainsi :

Tot premit ordinibus, tot adhuc compagibus altum
Ædificat caput…

Boileau a rendu ainsi la pensée et les expressions de Juvénal :

« Et qu’une main savante, avec tant d’artifice,
Bâtit de ses cheveux l’élégant édifice. »

Uti, se servir. Ce verbe, dans le sens ordinaire, n’a rien de remarquable. Utor libris, je me sers de livres. Mais il a un agrément particulier dans les phrases suivantes et autres semblables : Adversis ventis usi sumus. Nous avons eu les vents contraires. Aristotele magistro usus est Alexander. Alexandre a eu pour maître Aristote. Aulo Trebonio multos annos utor valdè familiariter. Cic. Depuis plusieurs années, j’ai des liaisons très-intimes avec Aulus Trébonius.

Le mot fatigare est aussi un terme fort simple. Corpus suum fatigare, fatiguer son corps. Salluste, décrivant l’acharnement des soldats romains contre les vaincus, s’exprime ainsi : Igitur hi milites, postquàm victoriam adepti sunt, nihil reliqui victis fecêre ; quippè secundæ res sapientium animos fatigant. De pareils soldats, après la victoire, ne laissèrent rien aux vaincus ; car la prospérité ébranle même les plus sages. Ne nous arrêtons qu’à ce mot fatigant. « Est-il possible, dit Rollin, de peindre d’une manière plus courte et plus vive les rudes épreuves que les gens de bien ont à essuyer dans la prospérité ? Elle les attaque, elle les poursuit sans relâche, elle leur livre une guerre continuelle ; et si elle ne peut venir à bout de les vaincre par la force, elle espère au moins qu’ils rendront les armes de fatigue et de lassitude. C'est ce qu’exprime si bien le mot fatigant. »

Satietas, dans le sens propre, est un terme très-commun. Cibi satietas et fastidium, la satiété et le dégoût pour la nourriture. Dans le sens figuré, il a une grâce toute particulière. Mirum in modum me desiderium tenet urbis, satietas autem provinciæ. Cic.

Nubere (dérivé de nubes, nuage) veut dire, dans son premier sens, se voiler le visage ; ce que faisait anciennement la fiancée le jour de ses noces. De là cette expression si délicate : nubere alicui viro, se voiler pour un homme, c’est-à-dire l’épouser.

L'importance de cette matière nous oblige de lui donner plus de développement, et de mettre sous les yeux, en suivant un ordre logique, les expressions les mieux choisies, les tournures les plus élégantes qui ont été employées par les bons auteurs.

ARTICLE I.

du choix et de l’élégance des substantifs.

I

En français, on emploie généralement le terme abstrait pour désigner l’époque relative à une charge, à une dignité. Ainsi l’on dit : après le consulat de Brutus, avant la préture de Métellus, sous le règne d’Auguste. Mais il est plus conforme au génie de la langue latine d’employer le terme concret et de dire : Post Brutuum consulem, ante Metellum prœtorem, Augusto regnante.

Il en est de même, quand on veut indiquer à quelle époque de la vie telle chose a été faite. Ainsi l’on dira mieux : Philosophiæ adolescens multùm temporis tribui. Cic Dans ma jeunesse j’ai consacré beaucoup de temps à la philosophie. Cato senex historias scribere instituit. C. Nep. Caton, dans sa vieillesse, se mit à écrire des histoires.

Toutefois, si l’on voulait énoncer une idée générale, une maxime, une sentence, il serait mieux d’employer le terme abstrait, comme dans cet exemple : Studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant. Cic. Les lettres sont l’aliment de la jeunesse et l’amusement de la vieillesse.

II

Il y a beaucoup de substantifs français qui se traduisent élégamment par des adjectifs latins. Tels sont : 1° les noms qui marquent la dimension des objets, comme le haut, le milieu, le bas, l’extrémité, etc. Ex. : Le haut d’un arbre, summa arbor ; le milieu d’un rocher, media rupes ; le fond de la mer, imum mare ; le bout des doigts, extremi digiti, etc.

2° Les noms qui désignent la matière dont une chose est faite : un vase d’or, vas aureum ; une statue d’airain, signum æneum ; une coupe d’argile, poculum fictile. De même : la chair de bœuf, caro bubula ; de cheval, equina ; de mouton, vervecina ; de bête sauvage, ferina, etc.

3° Les noms de lieux, de villes, de provinces : le parlement de Paris, senatus parisiensis ; Caton d’Utique, Cato uticensis ; Thrasybule d’Athènes, Thrasybulus atheniensis, etc.

4° Les noms de temps, ceux surtout qui désignent les diverses parties du jour, du mois, de l’année, ou qui sont relatifs à quelque dignité : le jour d’hier, dies hesternus ; de demain, crastinus ; le travail du matin, labor matutinus ; de la nuit, nocturnus ; de longue durée, diuturnus ; à sept heures, septima hora ; au commencement du printemps, ineunte vere ou vere primo ; au lever de l’aurore, aurora surgente ; au milieu de l’été, media æstate ; sous le règne d’Auguste, Augusto regnante ; avant la fondation de Rome, ante Romam conditam, etc.

5° Il en est ainsi de beaucoup d’autres noms précédés en français de la préposition de ou des, comme : la guerre des esclaves, bellum servile ; le pouvoir des tribuns, potestas tribunitia ; le droit des consuls, jus consulare ; la bataille de Cannes, prælium Cannense ; la plupart des hommes, plerique homines ; à force de travail, multo labore ; il prit le reste des écus, reliquos nummos abstulit.

6° On fait aussi usage d’un adjectif pour éviter la rencontre de deux génitifs. Ainsi l’on dit : clades Jugurthini exercitûs, au lieu de clades Jugurthœ exercitûs, la défaite de l’armée de Jugurtha ; exitium Pompeianarum partium, la ruine du parti de Pompée.

III

Au lieu d’un adjectif, on se sert quelquefois d’un substantif, pour donner plus d’intérêt à l’idée que l’on veut exprimer. Ainsi, au lieu de dire : In his variis studiis, on dit mieux : In hâc varietate studiorum. Cic. Au lieu de dire : Quùm floreret Isocrates nobilibus discipulis, on dit mieux : quùm floreret Isocrates nobilitate discipulorum, Cic.

IV

Les diminutifs employés à propos ont une grâce particulière ; on peut en juger par les exemples suivants : Homines mercedulâ adducti, des hommes gagnés par une faible récompense. Narrationem mendaciunculis aspergere, semer de petits mensonges dans une narration. En ipse capellas protenùs æger ago. Virg. Je conduis mes chèvres loin de ces lieux. Nos homunculi indignamur, si quis nostrûm interiit ; quùm uno in loco tot oppidorum cadavera jaceant. Cic. Nous, faibles mortels, nous nous indignons si l’un de nous vient à mourir, quand nous voyons les ruines de tant de villes accumulées en un seul lieu.

V

Le singulier s’emploie élégamment pour le pluriel, afin de donner plus d’unité à la pensée. Ex. : Fugientes Volscos eques romanus libero campo adeptus, parte victoriæ fruitur. T. L. (Eques pour equites.) Les cavaliers romains ayant atteint en rase campagne les Volsques qui fuyaient, jouissent déjà d’une partie de la victoire. Multa senem circumveniunt incommoda. Hor. Beaucoup d’incommodités assaillent les vieillards.

VI

En latin, comme en français, les noms propres sont quelquefois plus élégants au pluriel, surtout quand on veut faire un dénombrement. Ex. : Tecum video omnes Gracchos et Lucilios ; verè ut dicam, Crassos quoque et Lælios videre videor. Cic. Je vois en vous tous les Gracchus et les Lucilius ; et, à dire vrai, il me semble même voir les Crassus et les Lélius.

VII

Le nom du lieu se met élégamment pour celui de la nation. Ex, : Ut omittam Græciam, quæ semper eloquentiæ princeps esse voluit, atque illas omnium doctrinarum inventrices Athenas. Cic. (Græciam pour Græcos ; Athenas pour Athenienses.) Pour ne point parler de la Grèce, qui a toujours eu la palme de l’éloquence ; ni d’Athènes, cette mère de toutes les sciences.

Si cependant le nom de pays était peu usité, ou s’il n’existait pas, il faudrait employer le nom de la nation. Ex. : In Sabinis natus, né dans le pays des Sabins. In Persas proficisci, partir pour la Perse. (Persas pour Persidem, qui est peu usité.) In Colchos abiit, il se retira dans la Colchide.

VIII

Le nominatif s’emploie communément après le verbe esse et d’autres de signification analogue, comme existere, fieri, apparere, ainsi qu’après les infinitifs passifs de certains verbes, comme dici, appellari, haberi, existimari, videri, etc., surtout si ces infinitifs dépendent des verbes volo, nolo, malo, possum, debeo, cupio, soleo, studeo. Ex. : Cato esse quàm videri bonus malebat. Cic. Caton aimait mieux être homme de bien que de le paraître. Volo is esse quem tu me esse voluisti. Cic. Je veux être tel que vous avez voulu que je sois.

Cependant, si le sujet des deux verbes n’était pas le même, ou s’il y avait dans la seconde proposition un pronom qui se rapportât au sujet énoncé dans la première, l’attribut devrait se mettre à l’accusatif. Ainsi il faudrait dire avec un pronom : volo me eruditum fieri, ou, sans pronom, volo eruditus fieri.

IX

Quand deux substantifs désignent le même objet, et que l’un marque le genre et l’autre l’espèce, le second doit se mettre au génitif. Ex. : flos violæ, la fleur de la violette ; arbor fici, l’arbre du figuier.

Il en est de même après causa, genus, et quelques autres mots que l’usage apprendra. Ex. : Duæ sunt hujus obscuritatis causœ : una pudoris, altera sceleris. Cic. Il y a deux causes à cette obscurité : la première est la honte, la seconde le crime.

X

Le génitif est d’un usage plus fréquent pour désigner les qualités de l’esprit, et l’ablatif pour désigner celles du corps. Ex. : Lucilius, vir præstantis ingenii, fait staturâ humili et corpore exiguo. Lucilius, homme d’un grand esprit, avait un corps effilé et de petite taille.

XI

Le génitif s’emploie élégamment pour désigner certaines propriétés accidentelles des objets, comme la mesure, le poids, la quantité, la valeur, etc. Ex. : Navis inusitatæ magnitudinis, un vaisseau d’une grandeur extraordinaire. Classis septuaginta navium, une flotte de soixante-dix vaisseaux.

XII

Le génitif est d’un usage habituel après les verbes qui expriment le souvenir ou l’oubli, quand le régime est un nom de personne. Ex. : Scias velim nos meminisse tui. Cic. Veuillez croire que je ne vous ai point oublié.

Mais quand le régime est un nom de chose, l’accusatif est plus fréquemment employé ; il est même de rigueur, quand c’est un adjectif du genre neutre. Ex. : Oblivisci nihil solet, præter injurias. Cic. Il n’a coutume d’oublier que les injures. Externa libentiùs quàm domestica recordor. Cic. Je me souviens plus volontiers des faits étrangers que des faits domestiques.

XIII

Le génitif s’emploie mieux que l’ablatif après les verbes qui signifient accuser, condamner, absoudre, convaincre. Ex. : Miltiades proditionis accusatus est. C. N. Miltiade fut accusé de trahison. Piso sceleris insimulat generum suum. Cic. Pison accuse son gendre de crime. (Ce génitif est régi par les ablatifs crimine, nomine, judicio, sous-entendus, quelquefois même exprimés.)

XIV

Le datif employé pour désigner l’objet à l’avantage ou au désavantage duquel on fait telle chose (ou datif intentionnel) est communément plus conforme au génie de la langue latine que l’accusatif joint à quelque préposition. Ex. : Tibi soli amas, vous n’aimez que pour vous seul. Sol omnibus collucet, le soleil brille pour tout le monde. Homo non sibi soli natum esse meminerit, sed patriæ, sed suis. Cic. L'homme doit se souvenir qu’il n’est pas né pour lui seul, mais aussi pour la patrie et pour les siens.

XV

L'accusatif servant à désigner un espace de lieu ou de temps s’emploie mieux que l’ablatif. Ex. : Lex jubebat ut ab urbe abesset millia passuum ducenta (sous-ent. ad). La loi voulait qu’il fût éloigné de la ville à la distance de deux cents pas. Quædam bestiolæ unum modò diem vivunt. (Sousent. per.) Cic. Certains animalcules ne vivent qu’un jour.

XVI

L'accusatif se met élégamment après les interjections o, heu, eheu, comme complément d’un verbe sous-entendu. Ex. : Heu me miserum ! (sous-ent. sentio) hélas ! que je suis malheureux ! O fallacem hominum spem ! (sous-ent. dico) ô trompeuse espérance des hommes !

XVII

L'accusatif a une grâce particulière après certains verbes neutres employés dans un sens actif. Tels sont : dolere, s’affliger ; lugere, porter le deuil, être dans l’affliction ; flere, pleurer ; gemere, gémir ; et d’autres que l’usage apprendra. Ex. : Meum casum luctumque doluerunt amici. Cic. Mes amis ont pris part à mon malheur et à mon affliction. Fratrem lugebant ademptum. Virg. Ils pleuraient la mort de leur frère. Lacrymat sua gaudia palmes. Plin. Le sarment distille des pleurs de joie.

Remarque. Les bons auteurs ont donné quelquefois pour complément à certains verbes intransitifs le substantif formé de la même racine que le verbe, ou quelque autre de signification analogue, par ex. : Jucundam vivere vitam, mener une vie agréable. Duram servire servitutem, être réduit à un dur esclavage. Sanguinem nostrum sitiebat, il avait soif de notre sang.

XVIII

Les accusatifs neutres hoc, id, illud, unum, quid, pauca, multa, etc., se construisent élégamment avec un bon nombre de verbes intransitifs (on sous-entend ad ou secundùm). Ex. : Unum omnes student, tous n’ont qu’un seul désir. Utrumque lætor, je me réjouis de l’une et de l’autre chose. Vellem idem gloriari, quod Cyrus. Cic. Je voudrais me glorifier du même avantage que Cyrus.

XIX

Les poètes et même les prosateurs mettent quelquefois à l’accusatif le nom qui désigne la partie à laquelle se rapporte l’action du verbe. Ainsi ils disent : Fractus membra labore, ayant les membres épuisés de fatigue. Redimitus tempora lauro (sous-ent. ad ou secundùm), le front ceint de lauriers. Os humerosque deo similis, ayant le visage et la taille d’un dieu. Magnam partem ex iambis nostra constat oratio. Cic. Notre langue est en grande partie composée d’iambes.

XX

Nous avons vu dans la grammaire que beaucoup de verbes intransitifs deviennent transitifs en composition et régissent l’accusatif en vertu de la préposition qu’ils renferment, par ex. : Adiit oraculum Jovis, il alla trouver l’oracle de Jupiter. Toutefois il faut admettre généralement que l’accusatif ne s’emploie guère qu’avec les verbes composés des cinq prépositions circum, per, præter, trans et super, ou par ceux qui, étant composés d’autres prépositions, sont devenus tout à fait transitifs, comme adire, subire, aggredi, convenire, etc. Quant aux autres verbes, ils se construisent communément avec le datif ou avec une préposition suivie de son complément (le plus souvent c’est la préposition comprise dans le verbe). Ex. : Succurritis urbi incensæ, vous secourez une ville dévorée par les flammes. Hostis citato gradu ad urbem accedit, l’ennemi s’approche de la ville à marche forcée. Helvetii Cœsaris ad pedes sese projecerunt, les Helvétiens se jetèrent aux pieds de César. (Voir notre grammaire, page 227.)

Remarque. Après les verbes qui expriment une idée de séparation, d’éloignement, on sous-entend ordinairement les prépositions a ou ab, è ou ex et de, quand elles sont déjà énoncées dans le verbe. Ainsi l’on dit : abire oppido, s’éloigner de la ville ; exire senatu, sortir du sénat ; amicitia nullo loco excluditur, l’amitié n’est exclue d’aucun lieu.

Il faut excepter cependant les verbes avertere, alienare, deterrere, éloigner, détourner ; decedere, se retirer ; abhorrere, s’éloigner de, et quelques autres que l’usage apprendra.

XXI

Au lieu de l’ablatif de cause, on se sert avec élégance des prépositions per et propter avec l’accusatif. Ex. : Propter metum legibus paret, il obéit aux lois à cause de la crainte.

L'emploi de ces prépositions est même de rigueur, quand il s’agit des personnes. Ex. : Propter te, fili mi, tantos suscepi labores. C'est à cause de vous, mon cher fils, que j’ai entrepris de si grands travaux.

XXII

Au lieu de ob ou propter avec l’accusatif, on se sert élégamment des ablatifs causâ, gratiâ, avec le génitif. Ex. : Hœc scripsi amicitiæ causâ, c’est par amitié que je vous ai écrit cela.

Ces locutions : à cause de moi, de toi…, se rendent dans ce cas par meâ, tuâ, nostrâ, vestrâ causâ.

XXIII

Quand les hommes sont le moyen ou l’instrument par lequel une chose se fait, au lieu de l’ablatif seul, il est mieux de mettre operâ avec le génitif ou avec les adjectifs possessifs meâ, tuâ, nostrâ, vestrâ. Ex. : Meâ unius operâ respublica servata est. Cic. C'est par moi seul que la république a été sauvée.

On emploie aussi élégamment la préposition per avec l’accusatif, surtout quand le complément est un pronom personnel. Ex. : Per me, per te, per hunc unum stat quominùs id fiat, il ne tient qu’à moi, qu’à vous, qu’à lui seul que cela ne se fasse. Per me non stat quin sis beatus, il ne tient pas à moi que vous ne soyez heureux.

XXIV

L'ablatif absolu6, si usité en latin, est plus élégant que tout autre cas, et s’emploie généralement mieux que toute périphrase, quand il répond exactement à l’idée que l’on veut exprimer. Ainsi, au lieu de dire : Quùm libertas patriœ opprimitur, on dira mieux : Oppressâ libertate patriœ, nihil est quod ampliùs speremus. Cic. Quand la liberté de la patrie est opprimée, nous n’avons plus rien à espérer. Au lieu de dire : Postquàm Cœsar rem intellexisset, on dira mieux : Re intellectâ, Cœsar continuò milites suos jussit esse in armis. Cæs. César ayant compris cela, fit aussitôt mettre ses soldats sous les armes.

Cette construction élégante a lieu surtout quand il s’agit du temps, de la cause, de la manière, de l’instrument. Ex. : Reluctante naturâ, irritus est labor. Quand la nature résiste, le travail est inutile. Elle s’emploie surtout pour traduire en latin nos participes passés actifs, comme ayant aimé, ayant reçu, ayant rendu. Ex. : Gladio correpto, seipsum occidit. Ayant saisi son épée, il se tua.

XXV

Il est quelquefois plus élégant de sous-entendre le substantif. Ex. : Paucis ad te volo (sous-ent. verbis). Je veux vous écrire en peu de mots. Asia populi romani facta est (sous-ent. possessio). L'Asie est devenue la possession du peuple romain.

ARTICLE II.

du choix et de l’élégance des adjectifs.

I

Les adjectifs qui expriment une disposition de l’esprit, un mouvement du cœur relativement à tel acte, comme lœtus, joyeux ; tristis, triste ; prudens, prudent ; sciens, sachant ; ignarus, ignorant ; liber, libre ; coactus, forcé, etc., sont beaucoup plus élégants que les adverbes lœtè, avec joie ; tristè, tristement ; prudenter, prudemment ; liberè, librement, etc. Ex. : Socrates venenum lœtus hausit. Socrate avala le poison avec joie. Id sciens prudensque feci. J'ai fait cela sciemment et avec prudence. Redit acrior ad pugnam. Il retourne avec plus d’ardeur au combat. Cette construction est très-fréquente chez les poètes.

II

Certains adjectifs, employés substantivement et suivis d’un génitif, ont une grâce particulière surtout en poésie. Ex. : Non temerè incerta casuum reputat, quem fortuna nunquàm decepit. Liv. (Incerta casuum pour incertos casus.) Rarement il réfléchit à l’incertitude des évènements, celui que la fortune n’a jamais trompé. Ferimur per opaca locorum. Virg. (Pour opaca loca.) Nous nous précipitons dans des lieux sombres. Obsedere alii telis angusta viarum. D'autres armés de traits ont occupé les passages les plus étroits.

III

L'adjectif attribut se met quelquefois avec élégance au genre neutre, quand même il se rapporte à un nom masculin ou féminin, ou à deux noms du même genre. Ex. : Quùm omnium rerum mors sit extremum. Cic. Puisque la mort est la fin de toutes choses. Ira et avaritia potentiora erant. T. Liv. La colère et l’avarice étaient trop puissantes.

IV

L'adjectif s’accorde quelquefois, par syllepse, non point avec le substantif sujet, mais avec le mot dont ce substantif sujet, mais avec le mot dont ce substantif rappelle l’idée. Ex. : Capita conjurationis virgis cœsi sunt. T. Liv. Les chefs de la conjuration furent battus de verges. Pars in crucem acti, pars bestiis objecti. Les uns furent mis en croix, les autres exposés aux bêtes.

V

Quand un participe construit avec esse ou videri fait les fonctions d’attribut, il s’accorde élégamment avec le substantif le plus proche. Ex. : Pauperlas mihi onus visum est grave. Ter. La pauvreté m’a semblé un lourd fardeau. On pourrait aussi rapprocher le participe du substantif sujet, et dire : Visa est mihi paupertas grave onus. Non omnis error stultitia dicenda est. Cic. Toute erreur ne doit pas être traitée de folie.

VI

Bien qu’il soit difficile de dire quelque chose de précis sur le grand nombre d’adjectifs qui se construisent avec le génitif, toutefois on peut établir comme principe que les adjectifs qui viennent des verbes et qui expriment une disposition habituelle de l’esprit relativement à telle chose, comme avidus (de avere, désirer vivement), avide de ; capidus (de cupere, désirer), désireux de ; studiosus (de studere), etc., veulent leur complément au génitif. Ex. : Avidus gloriæ, avide de gloire ; cupidus rerum novarum, désireux de nouvelles choses ; patiens injuriarum, qui a la patience des injures, qui les souffre habituellement (patiens injurias se dirait de celui qui les souffre actuellement) ; amans virtutis, ami de la vertu (amans virtutem désignerait celui qui aime actuellement la vertu).

Il en est ainsi de beaucoup d’autres adjectifs qui expriment de même une disposition de l’esprit, une idée de jouissance habituelle, de possession, relativement à telle chose, comme : peritus, qui a l’expérience de, qui est habile dans ; memor, qui a le souvenir de, qui se souvient ; conscius, qui a la conscience de, qui connaît ; compos, qui a la jouissance de, qui jouit, etc.

Il faut aussi remarquer que les poètes et ceux des prosateurs qui se servent d’expressions poétiques, Tacite principalement, mettent le génitif après un grand nombre d’adjectifs. Ainsi ils disent : segnis occasionum, lent à profiter des occasions ; modicus voluptatum, modéré dans ses passions ; certus sceleris, assuré du crime ; anxius futuri, inquiet de l’avenir ; timidus procellœ, qui craint la tempête. Ils disent : cuncta terrarum (sous-ent. loca), toutes les terres ; angusta viarum, des passages étroits ; opaca locorum, des lieux ombragés ; incerta casuum, l’incertitude des évènements, etc.

VII

Le génitif se met élégamment comme complément des adjectifs neutres hoc, id, illud, quid, aliquid, quidquam, nihil, etc. Ex. : Id œtatis jam sumus ut omnia fortiter ferre debeamus (c’est-à-dire ad id spatium œtatis). Nous sommes dans un âge où l’on doit tout souffrir courageusement. Ignari quid in poematibus, in picturis vitii sit, nequeunt judicare, Cic. Les ignorants ne peuvent juger ce qu’il y a de vicieux dans un poème ou dans une peinture.

VIII

Les adjectifs similis, semblable, par, égal, se construisent mieux avec le génitif, quand ils marquent une ressemblance de mœurs, de caractère. Ex. : Plures Romuli quàm Numœ reges similes reperiuntur. T. Liv. On trouve plus de rois semblables à Romulus qu’à Numa. Metelli paucos quidem pares hœc civitas tulit. Cic. Notre cité a produit peu d’hommes semblables à Métellus.

IX

Avec les adjectifs utilis, utile à ; aptus, idoneus, propre à ; natus, né pour, on met généralement le nom de la personne au datif et le nom de la chose à l’accusatif avec ad. Ex. : Patientia omnibus utilis est. La patience est utile à tous. Liberis civibus nata est eloquentia. L'éloquence est née pour les citoyens libres. Aptum ad insidias hostis locum cepit. L'ennemi a choisi un lieu propre à des embûches. (La raison de cette différence de cas, c’est que, avec le nom de personne, il y a plutôt un rapport d’attribution, et avec le nom de chose, un rapport de tendance.)

X

Après les adjectifs ou les participes qui expriment une bonne ou une mauvaise disposition relativement à telle chose, on met bien l’accusatif avec in ou ergà au lieu du datif, surtout quand ces adjectifs et les mots auxquels ils sont joints indiquent plutôt une inclination de la volonté, une tendance morale, qu’un rapport d’attribution. Ainsi, au lieu de dire : Æquus omnibus, juste pour tout le monde ; on dira bien : Æquus in omnes. Au lieu de dire : Amicis tuis ostende te beneficum, on dira mieux : In amicos tuos te beneficum ostende, montrez-vous généreux à l’égard de vos amis.

XI

Cette expression, âgé de, se rend élégamment par natus avec l’accusatif. Ex. : Decessit Alexander tres et triginta annos natus. Just. (Sous-ent. antè.) Alexandre mourut à l’âge de trente-trois ans. On dirait moins élégamment : tertio et tricesimo œtatis anno, ou tertium et tricesimum agensannum.

XII

L'ablatif de cause, de manière, se met élégamment après les adjectifs suivis en français de la préposition de. Ex. : Malade d’inquiétudes, œger curis ; fatigué de la guerre, fessus militiâ, etc.

XIII

Après les adjectifs qui expriment une idée de privation, de séparation, comme vacuus, vide de ; liber ou liberatus, délivré de ; immunis, exempt ; orbus, privé, etc., on omet ordinairement les prépositions à ou ab, è ou ex, quand le rapport de séparation est peu sensible ; ce qui a lieu surtout quand il est purement moral. Ex. : Vacuus curis (sous-ent. ex), libre d’inquiétudes ; immunis militiâ, exempt du service militaire.

XIV

Le comparatif s’emploie élégamment au lieu de multùm, valdè, nimis, avec le positif. Ex. Senectus est naturâ loquacior (sous-ent. quàm alia œtas), la vieillesse est naturellement très-causeuse. Vespasianus pecuniœ avidior fuit (sous-ent. quàm decebat), Vespasien fut trop avide d’argent.

XV

Le comparatif a beaucoup de grâce dans les phrases suivantes et autres semblables : Litteris quàm moribus instructior, meilleur littérateur que moraliste Similior antiquis quàm recentibus viris fuit Cato, Caton ressemblait plus aux anciens qu’aux modernes.

XVI

Les ablatifs opinione, spe, œquo, justo, solito, dicto, etc., s’emploient élégamment au lieu de quàm après un comparatif. Ex. : Opinione majorem animo cepi dolorem. Cic. (Pour quàm opinio omnium erat.) J'ai ressenti une douleur plus grande qu’on ne peut se l’imaginer. Plus œquo liber, plus libre qu’il ne convient. Tardiùs solito, plus tard que de coutume. Citiùs dicto, plus vite que la parole.

XVII

Quàm pro, après un comparatif, s’emploie élégamment dans le sens de eu égard à…, à proportion de… Ex. : Atrocior quàm pro numero pugnantium editur pugna, il s’engage un combat plus terrible que ne le faisait pressentir le nombre des combattants. Latiùs quàm pro copiis suis Appius castra metatus est. T. L. Appius mesura son camp sur un trop grand espace, eu égard au nombre de ses troupes.

XVIII

Le superlatif précédé de la conjonction quàm se met très-élégamment pour énoncer une qualité portée au plus haut degré possible. Ex. : Cæsar quàm maximis itineribus in galliam ulteriorem contendit, César se rend le plus vite qu’il peut dans la Gaule transalpine. Gallinæ aliœquœ aves cubilia sibi pullisque nidos construunt, eosque quàm mollissimè substernunt, ut quàm facillimè ova serventur. Cic. Les poules et les autres oiseaux font des nids pour eux et leurs petits, et ils les garnissent des matières les plus molles, afin que leurs œufs s’y conservent le plus facilement.

XIX

Le superlatif énonçant la qualité à un degré très-élevé peut s’augmenter encore au moyen des adverbes multò, longè. Ex. : Multò mihi jucundissima fuit præsentia tua. Cic. Votre présence m’a été tout à fait agréable. Apud Helvetios longè nobilissimus et doctissimus fuit Orgetorix. Cæs. Orgétorix fut de beaucoup le plus noble et le plus érudit des Helvétiens.

XX

Au lieu de l’adjectif omnis, qui éveille dans l’esprit quelque chose de vague, il est plus élégant de se servir de quisque, de la manière suivante. Ex. : Tous doivent remplir leur devoir. Suo quisque debet officio fungi. Cic. De même chaque, suivi de son, sa, ses ; ce qui, ce que, suivis d’un superlatif ; on, suivi d’un pronom réfléchi, se rendent élégamment par quisque. Ex. : Chaque animal a son instinct. Sua cujusque animalis natura est. On s’aime toujours soi-même plus que tout autre. Se quisque magis amat, quàm quemvis alium. Cic.

XXI

L'adjectif solus est plus élégant que les adverbes solùm, tantùm, tantummodò. Ex. : Nec verò corpori soli subveniendum est, sed etiam menti, atque animo multò magis. Cic. Il ne faut pas seulement pourvoir aux besoins du corps, mais plus encore à ceux de l’esprit et du cœur.

XXII

L'adjectif alienus vaut mieux que le génitif aliorum. Ex. : Cùm sit œmulantis angi alieno bono, puisque c’est le propre d’un envieux de s’affliger du bonheur des autres.

XXIII

Gravis et levis, en matière de mal et de crime, conviennent mieux que magnus et parvus ; de même graviter et leviter, au lieu de multùm et parùm. Ex. : Medici leviter ægrotantes leviter curant ; gravioribus autem morbis periculosas curationes adhibere coguntur. Cic. Les médecins traitent avec douceur les maladies légères ; mais quand elles sont graves, ils emploient des remèdes violents et périlleux.

XXIV

Dans une interrogation, quand on ne parle que de deux, on se sert de uter, utra, utrum, et, dans la réponse, de neuter, ra, rum, quand elle est négative. Ex. : Uter est diligentior, tune, an frater ? R. Neuter, ni l’un ni l’autre.

Mais si l’on parle de plus de deux, on se sert de quis, quœ, quid pour l’interrogation, et de nullus, a, um pour la réponse. Ex. : Quis inter vos prœmio dignus erit ? Nullus certe.

XXV

Il est plus élégant d’exprimer en premier lieu les corrélatifs de talis, tot, tantus, etc., quand on veut mieux faire sentir le rapport de similitude. Ex. : Quantùm in bello fortis animus, tantùm in pace valet eloquentia. Cic. L'éloquence est aussi puissante en temps de paix, que le courage en temps de guerre.

La phrase a une grâce particulière quand il y a un rapport de supériorité entre les deux membres. Ex. : Quantò ille plura miscebat, tantò hic magis convalescebat. Plus Clodius répandait de troubles, plus les forces de Milon se multipliaient.

XXVI

On se sert de quidam pour désigner une personne ou une chose déterminée, et de quispiam ou aliquis quand la chose est incertaine ou indéterminée. Ex. : Misit ad me quemdam è suis. Il m’a envoyé l’un des siens. Quœret fortassè quispiam. Quelqu’un demandera peut-être.

XXVII

Au lieu de répéter un substantif dans la même proposition, il est plus élégant de dire : et is, atque is, idemque ; et avec une négation nec is. Ex. : Non libet mihi deplorare vitam, quod multi viri, et ii docti, sœpè fecerunt. Cic. Il ne me plaît pas de déplorer la vie ; ce que beaucoup de personnes et même de gens instruits ont fait souvent. Erant in Torquato plurimœ litteræ, nec eœ vulgares. Cic. Torquatus avait beaucoup de littérature, et une littérature peu commune.

XXVIII

Idem et ipse se mettent élégamment pour etiam. Ex. : Quidquid honestum est, idem est utile. Cic. Tout ce qui est honnête est aussi utile. Darius, cùm vinci suos videret, mori voluit et ipse. Just. Darius, voyant ses soldats vaincus, voulut aussi mourir.

XXIX

Ipse, ipsa, ipsum, construit avec un pronom complément du verbe, s’accorde avec le sujet, quand c’est l’idée exprimée par le sujet qui offre le plus d’intérêt. Ex. : Non egeo medicina ; me ipse consolor. Cic. Je n’ai pas besoin de remède, je me console moi-même. Avarus sibi ipse nocet, l’avare se nuit à lui-même.

Ipse s’accorde au contraire avec le pronom complément, quand on veut appeler l’attention sur ce pronom et l’opposer à d’autres objets Ex. Pompeium omnibus aliis, Lentulum verò mihi ipsi antepono. Cic. Je préfère Pompée à tous les hommes, et Lentulus à moi-même.

XXX

Ille s’emploie souvent pour exprimer l’éloge, la célébrité, comme dans cette phrase : Ex suo regno sic Mithridates profugit, ut ex eodem Ponto Medea illa quondam profugisse dicitur. Cic. Mithridate s’enfuit de son royaume comme autrefois la fameuse Médée. Iste, au contraire, exprime le mépris, l’aversion. Ubi sunt isti qui iracundiam utilem dicant ? Cic. Où sont ces gens qui peuvent dire que la colère est utile ?

XXXI

Si quis se met élégamment pour quicumque, quisquis, omnis, etc. Ex. : Araneolœ retia texunt, ut, si quid inhœserit, conficiant. Cic. Les araignées construisent des filets, afin de saisir tous les insectes qui s’y attachent.

XXXII

Les adjectifs alius, alter, répétés à différents cas dans la même proposition, ont une grâce particulière. Ex. : Alii aliis rebus delectantur. Les uns aiment une chose, les autres une autre. Alius alium, ut prœlium incipiant, circumspectant. L. Ils se regardent les uns les autres pour commencer le combat. Alter in alterius mactatos sanguine cernam ? Les verrai-je immolés dans le sang les uns des autres ?

XXXIII

Dans les phrases négatives ou interrogatives, au lieu de aliquis, on se sert mieux de quisquam, quispiam. Ex. : Quœret fortassè quispiam. Quelqu’un demandera peut-être. Ego nunquam ad te quemquam sine tuis litteris ire patiar. Cic. Je ne laisserai aller personne chez vous, sans lui donner une lettre.

XXXIV

Au lieu de et nemo, et nullus, il est mieux de dire nec ullus, nec quisquam ; au lieu de dire et nunquàm, on dira mieux nec unquàm. Ex. : Nec quisquam dubitabit. Et personne ne doutera. Nec ulla res difficilior in senatu versata est. Aucune affaire plus difficile n’a été discutée dans le sénat.

XXXV

Le relatif qui, quœ, quod s’emploie élégamment au lieu de is, ille, ipse. Ex. : Advenit nondùm Lepidus ; quem si fortè videro, eum statim ad te mittam. Cic. Lépidus n’est pas encore arrivé ; si je le vois, je vous l’enverrai aussitôt.

XXXVI

Le relatif qui, quœ, quod, employé sans son antécédent is, ille, ipse, a une grâce particulière. Ex. : Cœlum, non animum mutant, qui trans mare currunt (sous-entendu ii ou illi). Ceux qui vont au-delà des mers ne font que changer de climat ; leur esprit est toujours le même.

Si toutefois l’antécédent devait être à un autre cas que le relatif, il faudrait l’exprimer. Ex. : Sapientes magni faciunt eos qui colunt justitiam et pietatem.

XXXVII

Le relatif qui, quœ, quod s’emploie très-élégamment comme complément d’un comparatif, de la manière suivante : Mediam, quâ nulla opulentior regio est, Parmenionis imperio Alexander subjecit. Alexandre mit en la puissance de Parménion la Médie, qui est la plus riche de toutes les provinces. Phidiœ simulacris quibus nihil in illo genere perfectius videmus, cogitare tamen possumus pulchriora. Cic. Quoique nous ne voyions rien de plus parfait dans leur genre que les statues de Phidias, cependant nous pouvons en concevoir encore de plus belles.

XXXVIII

Le relatif qui, quœ, quod remplace très-bien les prépositions pro ou secundùm, de la manière suivante : Rem totam facilè, quœ tua est prudentia, et brevi conficies. Cic. Eu égard à votre prudence, vous terminerez bientôt et facilement toute cette affaire.

XXXIX

Le relatif qui, quœ, quod se met aussi élégamment pour ut ego, ut tu, ut ille, comme nous l’avons déjà vu dans la grammaire. Ex. : Meum tibi filium trado, quem litteris erudias. Cic. Je vous envoie mon fils, afin que vous l’instruisiez sur les belles lettres. (Quem pour ut eum.)

Il s’emploie aussi très-bien dans le sens de vu que, parce que, de ce que ; et dans ce cas, il se construit ordinairement avec le subjonctif. Ex. : Vituperandus est Marius, qui complures occiderit cives. Cic. Marius est fort blâmable d’avoir fait mourir un grand nombre de citoyens.

Dans ce dernier sens, on ajoute élégamment le conjonctif quippè, et quelquefois scilicet. Ex. : Non est huic habenda fides, quippè qui pejeravit. Cet homme ne mérite plus notre confiance, puisqu’il s’est parjuré.

XL

Le relatif qui, quœ, quod se construit élégamment avec le subjonctif, quand il a un antécédent négatif ou interrogatif. Ex. : Nemo est quem non magni faciam, si dîsertus sit ac sapiens. Cic. Il n’est personne que je n’estime beaucoup, s’il est sage et éloquent.

XLI

Le relatif qui, quœ, quod, suivi d’un substantif et du verbe esse, ou des verbes qui signifient nommer, appeler, tenir pour, s’accorde mieux avec le second substantif. Ex. : Bonis inter bonos benevolentia necessaria est, qui est amicitiæ fons à naturâ constitutus. La bienveillance est nécessaire entre les gens de bien ; c’est une source d’amitié établie par la nature.

Il faut excepter le cas où la proposition incidente est nécessaire pour compléter le sens de l’antécédent. Ex. : Genus est hominum quod Ilotœ vocatur. Cic. Il est une classe d’hommes appelés Ilotes.

XLII

Au lieu de talis et qualis, il vaut mieux exprimer tel par is, ea, id, ou hic, hœc, hoc, et que par qui, quœ, quod. Ex. : Monstra te eum, qui mihi cognitus es à teneris unguiculis. Cic. Montrez-vous tel que je vous ai connu dès vos plus tendres années.

Quelquefois même le corrélatif de is, ea, id, pris dans ce dernier sens, se traduit élégamment par ut. Ex. : Neque enim is es, Catilina, ut te aut pudor à turpitudine, aut metus à periculo, aut ratio à furore revocaverit. Cic. Non, Catilina, vous n’êtes point un homme que la pudeur puisse soustraire à l’infamie, la crainte au péril, la raison à la fureur.

XLIII

Les adjectifs neutres id, hoc, quid et ses composés ecquid, aliquid ; aliud et nihil, se mettent élégamment comme complément d’une préposition sous-entendue, ad, propter, secundùm. Ex. : Quid frustrà laboras ? Pourquoi travaillez-vous en vain ? (Sous-ent. ad.) Nihil de fratre meo sollicitus sum. Je n’ai aucune inquiétude au sujet de mon frère.

XLIV

Quî, pris adverbialement, se met quelquefois avec élégance au lieu de quomodò. Ex. : Quî fit, Mœcenas, ut nemo quàm sibi sortem seu ratio dederit, seu fors objecerit, illa contentus vivat ? Hor. Comment se fait-il, ò Mécène, que personne ne vive content du sort qu’il a choisi, ou que le hasard lui a offert ?

XLV

Dans une énumération, il est plus élégant d’employer unus et alter, pour exprimer le premier et le second. Ex. : Quatuor causas reperio cur senectus misera esse videatur : unam quòd avocet à rebus gerendis, alteram quòd corpus faciat infirmum ; tertiam, etc. Je trouve quatre raisons pour lesquelles la vieillesse semble être malheureuse : la première, c’est qu’elle éloigne des affaires ; la seconde, c’est qu’elle rend le corps infirme ; la troisième, etc.

XLVI

Idem se met élégamment dans le sens de aussi, à la fois, en même temps. Ex. : Quidquid honestum est, idem est utile. Tout ce qui est honnête est aussi utile.

XLVII

L'adjectif numéral un, une se rend le plus souvent en latin par quidam, quand il ne sert pas à compter. Ex. : Incredibili quâdam magnitudine ingenii fuisse fertur Themistocles. On dit que Thémistocle avait une élévation incroyable de génie.

XLVIII

Il importe, au point de vue de la grammaire et de l’élégance, de bien saisir la différence qu’il y a entre les nombres cardinaux ou ordinaux et les nombres distributifs. Ceux-ci servent à unir ou à distribuer, et répondent aux questions combien à la fois, combien à chacun ; ils se traduisent par un à un, deux à deux, etc., ou chacun un, chacun deux, et ne s’emploient qu’au pluriel.

exemples :

Septena jugera plebi dividuntur. Chaque plébéien reçoit sept arpents.

Veteranis quingenos denarios dedit. Il donna cinq cents deniers à chaque vétéran.

Dùm singuli pugnant, universi vincuntur. Tac. En combattant l’un après l’autre, tous à la fin sont vaincus.

Quœ si singula vos fortè non movent, universa tamen inter se conjuncta vos movere debent. Cic. Si chacun de ces motifs ne peut vous toucher, tous étant réunis doivent cependant vous émouvoir.

XLVIII

Les génitifs tanti, quanti, pluris, minoris se construisent élégamment avec le verbe esse pris dans le sens de valoir. Ex. : Mea conscientia pluris est mihi quàm omnium sermones. Cic. Ma conscience est pour moi d’un plus grand prix que tous les discours des hommes.

ARTICLE III.

du choix et de l’élégance des verbes.

I

Le verbe sum se construit très-élégamment au lieu du verbe habere, avoir, et des impersonnels il y a, il y avait, etc. Ex : Sunt nobis mitia poma. Virg. Nous avons des fruits mûrs. Est in conspectu Tenedos notissima fama insula. Virg. Il y a, en face de Ténédos, une île très-célèbre.

De là ces locutions si élégantes : Est mihi nomen, est mihi consilium, mihi est in animo, nihil mihi longiùs est, fuit eâ mente, eâ sapientiâ, etc.

II

Le verbe sum construit avec deux datifs a une grâce particulière. Ex. :

Vitis ut arboribus decori est, ut vitibus uvœ,
Tu decus omne tuis. Virg.

Comme la vigne sert de parure aux arbres, les raisins à la vigne ; ainsi tu fais toute la gloire des tiens.

Cette tournure élégante est aussi d’un usage fréquent avec les verbes dare, vertere, tribuere, habere, ducere, etc. Ex. : Tu in me reprehendis, quod Metello laudi datum est, hodièque est ei maximæ gloriœ. Cic. Vous blâmez en moi ce qui a procuré des louanges à Métellus et ce qui fait aujourd’hui sa plus grande gloire.

III

Le verbe sum construit avec le participe futur en dus, da, dum, est beaucoup plus élégant et plus conforme au génie de la langue latine que les verbes debere, oportere ; à moins toutefois que ces verbes ne soient employés impersonnellement et suivis d’une proposition infinitive. Ex. : Nihil magis cavendum est senectuti, quàm ne languori desidiœque se tradat. Cic. La vieillesse n’a rien tant à craindre que de se laisser aller à la langueur et à l’oisiveté. Ad mortem te, Catilina, duci jussu consulis jampridem oportebat. Cic. Il y a longtemps, Catilina, que le consul aurait dû te livrer au supplice.

IV

Le verbe soleo suivi d’un infinitif se construit élégamment dans le sens de sæpè ou de semper. Ex. : Ut enim cupiditatibus vitiisque principum infici solet tota civitas, sic emendari et corrigi continentiâ. Cic. Comme les passions et les vices des princes corrompent souvent toute une cité, de même leur continence la corrige et la rend meilleure.

V

Haud scio est plus élégant que nescio, et haud scio an se met bien dans le sens de forsitan, fortassè, quand on est porté à regarder comme vraie une chose que l’on présente comme douteuse. Ex. : Vir sapientissimus atque haud scio an omnium prœstantissimus. Homme très-sage et peut-être le plus recommandable de tous.

VI

Nego se met élégamment au lieu de dico suivi d’une négation. Ex. : Negat Tullius jucundè vivi posse, nisi cum virtute vivatur. Cic. Cicéron dit que l’on ne peut vivre heureux, si l’on ne vit vertueux.

VII

Le verbe aimer ayant pour complément le nom d’une chose qui fait plaisir, qui réjouit, se traduit élégamment en latin par juvare, delectare. Ex. : Quosdam castra juvant et lituo tubœ permixtus sonitus. Hor. Il en est qui aiment la vie des camps et le son de la trompette mêlé à celui du clairon. Me status hic reipublicæ minime delectat. Cic. Je n’aime pas du tout l’état actuel de notre république.

De même, les verbes fugere, fuir ; fallere, tromper ; præterire, passer ; latere, cacher ; se construisent élégamment dans le sens de ignorer, ne pas savoir. Ex. : Multa me fugiunt. J'ignore beaucoup de choses. Non me latent artes vestrœ. Je connais tous vos artifices.

VIII

Quand on cite les paroles de quelqu’un, ou qu’on le fait interroger et répondre, on se sert de ait et plus souvent de inquit, que l’on met après quelques mots. Ex. : Quœ quùm audivit Cicero : Malo, inquit, nunc mori, quàm diutiùs vivere. Cicéron ayant appris cela : J'aime mieux mourir, s’écria-t-il, que de vivre plus longtemps.

IX

Le verbe pouvoir et d’autres de signification analogue se suppriment bien en latin dans les phrases suivantes et autres semblables. Vous aurez beaucoup de mérite, si vous pouvez mettre des bornes à votre colère. Magna quidem virtus, iracundiæ tuœ si modum imposueris. Vous serez heureux si vous pouvez réussir dans cette affaire. Felicem te dicam, si ea res prosperè tibi successerit.

X

Ces locutions françaises : il est question de, il s’agit de, se rendent bien en latin de la manière suivante. Il s’agit du salut de vos alliés. Agitur sociorum salus. Il y va de votre intérêt, quand la maison de votre voisin est en feu. Res tua agitur, paries quùm proximus ardet. Virg.

XI

Dans le choix des verbes, il faut préférer ceux qui font image, surtout quand il s’agit de peindre l’action. Ex. : Silent leges inter arma. Cic. Les lois se taisent au milieu des armes. Clodii præturam solutam fore videbatis, nisi esset is consul, qui eam auderet possetque constringere. Cic. Vous voyiez que la préture de Clodius n’aurait pas de frein, si l’on n’avait pour consul un homme qui pût et qui osât l’enchaîner. Apud eum vigebant studia rei militaris. Il était passionné pour l’art militaire. Stabat turris præalta. Il y avait une tour très-élevée.

XII

En français, on emploie de préférence la voix active, quand le sens et l’harmonie de la phrase ne s’y opposent pas ; mais en latin la voix passive est plus usitée et plus conforme au génie de cette langue, surtout après les verbes qui expriment une idée de volonté, de commandement, de nécessité, comme volo, nolo, malo, jubeo, impero, oportet, necesse est, etc. Ex. : Nimis multa audire coguntur ii quibus tota commissa est respublica. Cic. Ceux à qui l’on a confié l’administration de toutes les affaires sont forcés de prêter l’oreille à de trop nombreux discours. Nonne hunc in vincula duci, nonne summo supplicio mactari imperabis ? Ne le ferez-vous pas jeter dans les fers et condamner au dernier supplice ?

XIII

Au lieu du verbe impersonnel videtur, il semble, il paraît, suivi d’une proposition infinitive, il est mieux

d’employer le mode personnel videor, videris, etc. Ex. : Tu mihi videris œgrotare. Il me semble que vous êtes malade. Amens mihi quidem fuisse videor, qui de te talia locutus sum. Il me semble que j’ai agi comme un insensé en tenant sur vous un pareil language.

Il en est ainsi généralement des autres verbes transitifs qui se traduisent en français par le pronom indéfini on, l’on, surtout quand ils se trouvent à un temps simple. Ex. : Lycurgi temporibus Homerus fuisse traditur. Cic. On rapporte qu’Homère fut contemporain de Lycurgue.

Aux temps composés, le mode unipersonnel est d’un usage plus fréquent. Ex. : Memoriæ proditum est Platonem philosophum tenui admodùm pecunià fuisse. On dit que le philosophe Platon vécut dans une très-grande médiocrité.

XIV

Plusieurs verbes intransitifs s’emploient élégamment à la voix passive, sous une forme impersonnelle, comme itur, vivitur, ventum est, favetur, invidetur, etc. Ex. : Itur in antiquam sylvam. Virg. On va dans une antique forêt. Vivitur parvo benè. Hor. On vit bien de peu. Satis per tot annos ignaviâ peccatum. Tac. Votre lâcheté nous a fait commettre assez de fautes depuis tant d’années.

XV

En latin comme en français on fait souvent usage du temps présent au lieu du temps passé pour rendre la narration plus animée, en présentant l’évènement comme se passant sous les yeux. Ex. : Pisidios resistentes Datames invadit, primo impetu eos pellit, fugientes persequitur, multos interficit. C. Nep. Datame fond sur les Pisidiens qui lui résistent, il les repousse au premier choc, se met à la poursuite des fuyards et en tue un grand nombre.

De même, quand on veut peindre une situation, un évènement, on met le présent de l’infinitif au lieu du présent de l’indicatif, pour donner plus de rapidité au récit. (C'est ce qu’on nomme l’infinitif de narration.) Ex. : Tum Catilina hortari milites, prælium accendere, aciem instruere, magna polliceri præmia. Sall. Alors Catilina se met à exhorter ses soldats, à enflammer leur courage, à ranger son armée en bataille, et à promettre de grandes récompenses.

XVI

Les historiens mettent fréquemment à l’imparfait, au parfait et au plus-que-parfait de l’indicatif le verbe qui devrait se mettre au conditionnel en français. Cette construction, qui donne plus d’énergie à la pensée, a lieu surtout avec les verbes debeo, oportet, necesse est, fas est, æquum est, melius, optabilius est. Ex. : Non suscipi bellum oportuit. T. L. On n’aurait pas dû entreprendre la guerre. Longé utilius fuit angustias occupare. Q. C. Il eût été beaucoup plus utile d’occuper les défilés. Optimum fuerat eam patribus nostris mentem a diis immortalibus datam esse. T. L. Il eût beaucoup mieux valu que les dieux immortels eussent inspiré à nos pères une telle pensée.

Cette construction a lieu aussi avec le verbe esse suivi du participe futur actif ou passif. Ex. : Hæc tibi via erat ingredienda. Vous auriez dû suivre cette voie. Elle a lieu surtout dans une phrase où il y a une proposition conditionnelle. Ex. : Jam fames quàm pestilentia tristior erat, ni annonæ foret subventum. T. L. Déjà la famine eût été plus funeste que la peste, si l’on n’eût subvenu au manque de nourriture.

XVII

Il importe, au point de vue de l’élégance, de bien remarquer la différence qu’il y a entre les temps du subjonctif, dans les phrases conditionnelles. Si le verbe énonce une idée qui puisse ou qui doive se réaliser, on met ce verbe au présent ou au parfait du subjonctif. Ainsi, quand je dis : Si velit, si voluerit, je suis porté à croire qu’il veut ou qu’il peut vouloir. Mais si le fait ne pouvait se réaliser, s’il n’était pas possible, on mettrait le verbe à l’imparfait ou au plus-que-parfait. Si donc je disais : Si vellet, si voluisset, je supposerais qu’il ne veut pas ou qu’il ne peut pas vouloir. Ex. : Dies deficiat, si velim enumerare quibus bonis male evenerit. Cic. Je ne finirais point si je voulais énumérer tous les gens de bien qui ont été malheureux. Quid ego his testibus utor, quasi res dubia vel obscura sit ? Cic. Pourquoi me servir de ces témoins, comme si la chose était douteuse ou obscure ? Si universa provincia loqui posset, hâc voce uteretur. Cic. Si la province tout entière pouvait parler, elle vous tiendrait ce langage7.

XVIII

Les propositions incidentes qui servent de complément à d’autres propositions se mettent généralement au mode subjonctif, quand elles énoncent le sentiment, l’opinion d’un autre que de celui qui parle ou qui écrit, ou quand elles dépendent d’une proposition subordonnée8. Ex. : Socrates dicere solebat omnes in eo quod scirent satis esse eloquentes. Cic. Socrate avait coutume de dire que chacun est assez éloquent pour dire ce qu’il sait. (On met le subjonctif scirent, parce qu’il s’agit du sentiment de Socrate et non de celui qui écrit)9. Poetæ etiam quæstionem attulerunt, quidnam esset illud, quo ipsi differrent ab oratoribus. Cic. de Orat.

Les poètes aussi ont donné lieu d’examiner ce en quoi ils diffèrent des orateurs. Eo simus animo, ut non in malis ducamus, quod sit à Deo constitutum. Cic. Ayons un esprit tel que nous ne jugions pas mauvais ce que Dieu a établi. (Ici la proposition incidente quod sit… concourt avec la proposition subordonnée ut non… à énoncer la chose voulue par la première, eo simus animo.) O fortunate adolescens, qui tuæ virtutis Homerum præconem inveneris ! Cic. (Ici la proposition incidente désigne par elle-même la cause, le motif de ce qui précède.)

XIX

Une proposition infinitive est quelquefois employée seule, avec ellipse de la proposition principale, pour exprimer l’étonnement, la surprise, l’indignation. Ex. : Mene incæpto desistere victam ? (Sous-ent. oportet.) Faut-il que, moi vaincue, je renonce à mon entreprise ? Tene hoc dicere, tali prudentia præditum ! Cic. Toi, doué de tant de lumières, tenir un pareil langage !

XX

Quand, dans une proposition incidente, on doit répéter le verbe qui est à l’infinitif, il est quelquefois plus élégant de le sous-entendre et de mettre le sujet à l’accusatif. Ex. : Te suspicor iisdem rebus quibus me ipsum commoveri. Cic. (Pour quibus ipse commoveor.) Je soupçonne que ces mêmes choses qui troublent mon esprit vous agitent vous-même.

Il en est de même après une proposition infinitive renfermant un comparatif suivi de quàm. Ex. : Decet cariorem esse patriam nobis, quàm nosmetipsos. Cic. Il convient que la patrie nous soit plus chère que nous-mêmes.

XXI

Dans le style indirect, au lieu du subjonctif, il est quelquefois plus élégant de mettre la proposition infinitive. Ex. : Quòd si veteris contumeliæ oblivisci vellet, nùm etiam recentium injuriarum memoriam deponere posse ? Cic. S'il voulait oublier les anciennes injures, pourrait-il ne pas se souvenir des injures récentes ?

XXII

Au lieu du futur de l’infinitif actif ou passif, on se sert de fore ut, futurum esse ut, futurum fuisse ut, avec le subjonctif ; on doit même suivre cette construction quand le verbe latin n’a pas de supin, ou qu’il est peu usité à l’infinitif futur. Ex. : Video te velle in cœlum migrare, et spero fore ut contingat id nobis. Cic. Je vois que vous voulez aller au ciel, et j’espère que nous aurons tous deux ce bonheur.

A la voix passive, cette construction est plus usitée et plus élégante que le supin avec iri, pour exprimer un temps futur10. Ainsi, l’on dira mieux : Spero fore ut oppidum capiatur, que : Spero oppidum captum iri. De même : Valdè suspicor fore ut infringatur improbitas istius viri. Je soupçonne fort que la méchanceté de cet homme sera déjouée.

ARTICLE IV.

du choix et de l’élégance des participes.

Les participes sont d’un usage si fréquent dans la langue latine, ils donnent lieu à des formes si élégantes et si variées, qu’il importe d’en indiquer ici les principaux usages.

I

Les participes présents s’emploient élégamment :

1° Au lieu de l’infinitif français, après les verbes videre, audire, sentire, et autres de signification analogue. Ex. : Quocumque te flexeris, videbis Deum occurrentem tibi. Sen. De quelque côté que vous vous tourniez, vous verrez Dieu s’offrir à vos regards.

2° Au lieu d’une proposition incidente. Ex. : Assistentem concionem, quia permixta videbatur, discedere in manipulos jubet. Tac. Il ordonne à la foule qui était présente, et qui paraissait confuse, de se former en compagnies. Intereà Germanico per Gallias census accipienti excessisse Augustum affertur. Tac. Sur ces entrefaites, on annonce à Germanicus, qui était occupé à percevoir l’impôt dans les Gaules, qu’Auguste venait de mourir.

Remarque. Si cependant on voulait énoncer la cause, le motif de l’action, et non pas seulement une circonstance accessoire ou explicative, il vaudrait mieux employer le pronom relatif, ou faire usage d’une conjonction. Ex. : Dimidium facti, qui cœpit, habet. Hor. (Qui cœpit et non incipiens.) Celui qui commence a déjà fait la moitié de sa tâche. Dionysius, quùm in communibus suggestis consistere non auderet, concionari ex turri solebat. Cic. Denys, n’osant pas monter à la tribune, avait coutume de haranguer le peuple du haut d’une tour.

3° Au lieu de quia, quòd, quùm. Ex. : Mendaci homini, ne verum quidem dicenti, credere solemus. Cic. Nous ne croyons pas un menteur, même quand il dit la vérité. Lentulum digredientem et castra repetentem circumsistunt (milites), rogitantes quò pergeret. Tac. Comme Lentulus s’éloignait et regagnait le camp, les soldats l’entourent, lui demandant où il va.

4° Au lieu de ubi, si, pour exprimer une supposition. Ex. : Tua maturè venientis laudabitur diligentia. Cic. Si vous venez de bonne heure, on louera votre diligence.

5° Au lieu de etsi, quanquàm, licet. Ex. : Risus interdùm ità repentè erumpit, ut eum cupientes tenere nequeamus. Cic. Le rire éclate quelquefois si promptement, que nous ne pouvons le retenir, quand même nous le voulons.

6° Pour rendre en latin notre préposition sans suivie d’un infinitif. Ex. : Soli animantium non sitientes bibimus. Plin. Seuls d’entre les animaux, nous buvons sans avoir soif.

Remarque. Dans les diverses constructions que nous venons d’exposer et dans d’autres que l’usage apprendra, le participe présent a une grâce particulière, quand il est mis au génitif, au datif ou à l’accusatif, comme il a été facile de le remarquer. Il est moins élégant et plus rarement employé au nominatif.

II

On doit faire usage du participe présent et non du gérondif en do, quand même il y aurait la participe en dans le français, à moins toutefois qu’on ne veuille désigner la cause, le motif, l’intention. Ex. : Mihi domum tuam petenti fuit obviam pater tuus. J'ai rencontré votre père en allant chez vous. Injurias ferendo majorem laudem, quàm ulciscendo, merebere. Cic. En supportant les injures, vous acquerrez plus de gloire qu’en vous vengeant.

III

Le participe passé se construit élégamment avec les verbes volo, nolo, malo, cupio, oportet, etc., pour traduire en latin un infinitif français. Ex. : Unum te monitum volo. Je veux vous avertir d’une chose. Ea te cura liberatum cupio. Je désire vous délivrer de ce soin.

IV

Après les verbes habeo, teneo, possideo, et d’autres que l’usage apprendra, on emploie élégamment le participe passé pour marquer la durée, la permanence d’une action. Ex. : Siculi ad meam fidem, quam habent spectatam et diù cognitam, confugiunt. Cic. Les Siciliens ont recours à ma loyauté qu’ils ont déjà éprouvée et qu’ils connaissent depuis longtemps. Habes fortassè jam statutum quid libi agendum putes. Cic. Vous avez déjà peut-être déterminé ce que vous croyez avoir à faire.

V

Le participe passé s’emploie aussi avec beaucoup de grâce au lieu du parfait de l’infinitif. Ex. : Lentulo gloriæ fuit benè tolerata paupertas. Tac. Ce fut une gloire pour Lentulus d’avoir bien supporté la pauvreté. Hannonem pænitebat belli suscepti adversùs Romanos. T. L. Hannon se repentait d’avoir entrepris la guerre contre les Romains.

VI

Au lieu d’un substantif, il est plus élégant d’employer un participe passé pour exprimer un fait accompli. Ex. : Hæ litterœ recitatœ magnum mihi luctum fecerunt. T. L. La lecture de cette lettre m’a causé une grande affliction. Angebant Amilcarem Sicilia Sardiniaque amissœ. T. L. La perte de la Sicile et de la Sardaigne tourmentait Amilcar. Sexcentesimo anno urbis conditæ. L'an six cent de la fondation de Rome.

VII

Cette construction du participe passé a lieu surtout après les prépositions antè, avant ; post, après ; à ou ab, depuis ; ad, jusqu’à ; ob ou propter, à cause de ; pro, pour ; de, sur ; è ou de, par suite de. Ex. : Antè Epaminondam natum. avant la naissance d’Epaminondas. Post reges exactos. Après l’expulsion des rois. Ab incenso Capitolio. Depuis l’incendie du Capitole. Scipio propter Africam domitam Africanus appellabatur. Eutr. Scipion fut surnommé l’Africain, à cause de la conquête de l’Afrique. Conon plus tristitiœ ex incensâ et dirutâ patriâ, quàm lœtitiæ ex recuperatâ percepit. Just. Conon ressentit plus de douleur de l’incendie et de la ruine de sa patrie, qu’il n’éprouva de joie de son rétablissement11.

VIII

Certains participes passés du genre neutre pris substantivement, tels que dictum, factum, responsum, acta, etc., se construisent mieux avec un adverbe qu’avec un adjectif. Ex. : Rectè facta, de bonnes actions ; prœclarè dicta, de belles paroles. Multa Catonis vel acta constanter, vel responsa acutè feruntur. Cic. On cite de Caton beaucoup d’actions fermes ou de reparties ingénieuses.

Ainsi construits, ces participes peuvent avoir un complément à l’ablatif au lieu d’un génitif. Ex. : Multa facetè dicta a sene Catone collecta sunt. Cic. On a recueilli beaucoup de mots plaisants de Caton l’ancien.

IX

Le participe passé s’emploie fréquemment et avec une élégance particulière pour réunir deux propositions en une seule, ou le participe passé français avec le régime du verbe. Ex. : Intereà legati (Germanicum) regressum jam apud aram Ubiorum adeunt. Tac. Cependant les députés vont trouver Germanicus, qui était déjà revenu à l’autel des Ubiens. Tum convulsos laniatosque et partim exanimes ante vallum, aut in flumen Rhenum projiciunt. Tac. Alors les ayant renversés et déchirés de coups, ils les jettent, morts la plupart, devant les retranchements ou dans le fleuve du Rhin.

X

Le participe futur actif s’emploie élégamment pour exprimer une action qui va bientôt s’accomplir. Ex. : Noctem minacem et in scelus erupturam fors lenivit. Tac. Un hasard rendit le calme à cette nuit menaçante où allaient se commettre les plus grands crimes.

Il s’emploie aussi avec les verbes de mouvement pour exprimer le but, l’intention, le motif. Ex. : Dilabuntur in oppida, mœnibus se defensuri. T. L. Ils se réfugient dans les villes pour se défendre à l’abri des remparts.

XI

Le participe futur passif s’emploie généralement pour exprimer une action qui doit s’accomplir. Ex. : Magna diis immortalibus habenda est gratia. Cic. Il faut rendre de grandes actions de grâces aux dieux immortels. Ex factis, non ex dictis amici sunt pensandi. T. L. Il faut apprécier les amis d’après leurs actions et non d’après leurs paroles.

XII

Si le verbe français n’avait pas de régime dont on pût faire le sujet du verbe latin, il faudrait se servir du mode impersonnel et mettre le participe futur au genre neutre. Ex. : Etiam post malam segetem serendum est. Sen. Il faut semer, même après une mauvaise récolte.

Ce participe futur, au genre neutre, est fort élégant, même dans les verbes intransitifs. Ex. : Utendum est exercitationibus modicis. Il faut se livrer à des exercices modérés. Obviam eundum est audaciæ et temeritati. T. L. Il faut prévenir l’audace et la témérité.

XIII

L'infinitif français précédé des prépositions à et pour, et servant à exprimer le but, l’intention, se rend très-élégamment en latin par le participe en dus, da, dum. Ex. : Le bois sec est une matière propre à faire jaillir des étincelles. Lignum aridum materia est idonea eliciendis ignibus. Sen. Pourquoi Drusus n’était-il venu ni pour augmenter la solde, ni pour alléger les travaux, enfin sans aucun pouvoir de faire le bien ? Cur venisset (Drusus) neque augendis militum stipendiis, neque allevandis laboribus, denique nullâ benefaciendi licentiâ ? Tac.

La même construction a lieu après les verbes curare, avoir soin, dare, donner, et d’autres que l’usage apprendra. Ex. : Conon muros reficiendos curavit. Conon eut soin de faire reconstruire les murs.

XIV

Le gérondif en di se construit élégamment avec les ablatifs causâ ou gratiâ, que l’on traduit ordinairement en français par la préposition pour. Ex. : Catilina dissimulandi causâ in senatum venit. Sall. Catilina vint au sénat pour user de dissimulation. Rex urbis ejus experiendi gratiâ. Phæd. Le roi de la ville, pour mettre sa science à l’épreuve…

XV

Le gérondif en do figure dans une phrase tantôt comme datif, tantôt comme ablatif. Il figure comme datif :

1° Après les adjectifs qui se construisent avec le datif, comme utilis, commodus, assuetus, aptus, idoneus, etc. Ex. : Membra apta natando, membres propres à nager. Crassus disserendo par non erat. Cic. Crassus n’était point habile à discuter.

Remarque. Cette construction du gérondif en do est fort rare ; on y supplée par le participe en dus, da, dum, quand le verbe a un complément. Ex. : Sunt nonnulli acuendis puerorum ingeniis non inutiles lusus. Quint. Il y a des jeux propres à exercer l’esprit des enfants.

2° Après les verbes, pour exprimer l’intention (c’est alors un datif intentionnel). Ex. : Tiberius quasi firmandœ valetudini in Campaniam concessit. Tac. Tibère se retira en Campanie sous prétexte d’y rétablir sa santé.

Le gérondif en do figure comme ablatif :

1° A la question undè, avec les prépositions à ou ab, è ou ex. Ex. : Aristotelem à scribendo non deterruit Platonis amplitudo. Cic. La magnificence de Platon n’empêcha point Aristote d’écrire. A rebus gerendis senectus abstrahit. Cic. La vieillesse empêche l’homme de vaquer à ses affaires.

2° A la question ubi, le gérondif en do se met à l’ab'atif sans préposition, pour exprimer la cause, la manière, l’instrument. Ex. : Nihil agendo homines malè agere discunt. Col. En ne faisant rien, les hommes apprennent à mal faire. Injurias ferendo, majorem laudem, quàm ulciscendo, merebere. Cic. Vous acquerrez plus de gloire en souffrant les injures qu’en employant la vengeance.

3° Le gérondif en do se met avec la préposition in, quand il exprime un rapport d’union et répond à la question en quoi. Ex. : Is fuit mediocris in dicendo, doctissimus in disputando. Cic. Tubéron fut un orateur médiocre, mais un dialecticien très-habile. In augendo, in ornando, in refellendo magis existimator metuendus, quàm admirandus orator. Cic. Dans l’amplification, dans les ornements, dans la réfutation, il y a plus lieu de craindre la critique que d’admirer l’orateur.

XVI

Le gérondif en dum se construit toujours avec une préposition (ad ou inter). Ex. : Homo ad intelligendum et ad agendum natus est. Cic. L'homme est né pour comprendre et pour agir. Mores puerorum se inter ludendum simpliciùs detegunt. Quint. Le caractère des enfants se dévoile plus simplement pendant le jeu.

Remarque. La préposition inter se construit surtout avec les verbes neutres : inter eundum, inter bibendum.

XVII

Au lieu des gérondifs, il est ordinairement plus élégant et plus conforme au génie de la langue latine de faire usage du participe futur passif, quand il y a un nom avec lequel on puisse le faire accorder. Ex. : Ulciscendœ injuriœ facilior ratio est, quàm beneficii remunerandi. Cic. Il est plus facile de venger une injure que de récompenser un bienfait. Sunt nonnulli acuendis puerorum ingeniis non inutiles lusus. Quint. Il y a des jeux propres à exercer l’esprit des enfants. In voluptate spernendâ virtus vel maximè cernitur. Cic. La vertu se fait remarquer surtout dans le mépris de la volupté.

XVIII

Au lieu du supin en um, il est souvent plus élégant d’employer ou le gérondif en dum avec ad, ou le gérondif en di avec causâ, ou le participe futur actif, ou même le subjonctif avec ut, ou un pronom relatif, surtout quand le verbe qui devrait se mettre au supin ne suit pas immédiatement le premier verbe. Ainsi, au lieu de dire : Scipio et Lælius ex urbe rus evolabant agros suos invisum, on dira beaucoup mieux : ad agros suos invisendos, ou agros suos visendi causâ, ou ut agros suos inviserent.

XIX

Il n’y a qu’un petit nombre de supins en u qui soient d’un usage un peu fréquent ; ce sont surtout dictu, factu, auditu, cognitu, inventu, memoratu, que l’on met bien après les mots fas, nefas, opus, le verbe pudet et les adjectifs qui signifient bon ou mauvais, agréable ou désagréable, facile ou difficile, digne ou indigne, honteux, incroyable, et d’autres que l’usage apprendra12. Ex. : Pleraque dictu quàm factu sunt faciliora. T. L. La plupart des choses sont plus faciles à dire qu’à faire. Quid est tam jucundum cognitu atque auditu, quàm sapientibus sententiis gravibusque verbis ornata oratio ? Cic. Quoi de si agréable à connaître et à entendre qu’un discours orné de sages pensées et de graves paroles ? Videtis nefas esse dictu miseram fuisse Fabii senectutem. Cie. Vous voyez qu’il n’est pas permis de dire que la vieillesse de Fabius ait été malheureuse.

Remarque. Le supin en u, qui se rend en français par la préposition à, peut être remplacé élégamment par d’autres tournures. Ex. : Une bonne cause est facile à défendre. Justæ quidem causæ facilis est defensio. Cic. Le véritable attachement n’est pas facile à distinguer de la fausse amitié. Non facilè dijudicatur amor verus et fictus. Cic.

ARTICLE V.

du choix et de l’élégance des adverbes.

I

Il y a des adverbes de lieu qui se mettent élégamment pour désigner une circonstance de temps, comme hic, indè, hinc, etc. Ex. : Indè foco tepidum cinerem dimovit. Ov. Ensuite elle écarte la cendre encore chaude. Hinc mihi prima mali labes ; hinc semper Ulysses criminibus terrere novis, hinc spargere voces in vulgum ambiguas. Virg. De là l’origine de mes malheurs ; depuis ce moment Ulysse n’a cessé de me poursuivre d’atroces calomnies et de semer parmi le peuple d’odieux soupçons.

II

Plusieurs adverbes de lieu, tels que ubi, ubinam, ubicumque, quò, aliquò, nusquàm, hùc, eò, se construisent élégamment avec le génitif. Ex. : Ubi terrarum sumus ? Cic. En quel lieu sommes-nous ? Hoc nusquàm gentium reperitur. Cela ne se trouve dans aucun pays. Hùc arrogantiæ venerat. Tac. Il en était venu à ce point d’arrogance. Eò consuetudinis adducta res est. Cic. La chose en est venue à une telle coutume.

III

L'adverbe undè s’emploie élégamment pour signifier de quoi, par quoi, avec quoi. Ex. : Nihil mihi reliqui est undè tibi solvam. Il ne me reste pas de quoi vous payer. Nullam artem, undè viveret, Cleanthes videbatur profiteri. Diog. Cléanthe ne semblait exercer aucun art qui pût lui fournir de quoi vivre.

IV

L'adverbe de négation se met élégamment devant un mot qui renferme lui-même une négation ou qui désigne un sens contraire à celui que l’on veut exprimer. Ex. : Vir erat non indoctus, neque imperitus litterarum. Cic. C'était un homme savant, un littérateur distingué. Dolor non mediocris me afficit. Je ressens une vive douleur.

V

Les adverbes fortè et fortassè ne s’emploient pas indifféremment l’un pour l’autre : fortassè se met quand il y a du doute, et fortè quand il y a seulement du hasard. Celui-ci se place élégamment après les conjonctions si, nisi, ne. Ex. : Scripsi tibi epistolam verbosiorem fortassè quàm velles. Je vous ai écrit une lettre plus longue peut-être que vous ne voudriez. Si fortè tuas pervenit ad aures Belidœ nomen Palamedis. Virg. Si par hasard le nom de Palamède, fils de Bélus, est venu jusqu’à vos oreilles.

Il en est de même de forsan et forsitàn, qui s’emploient plus fréquemment en poésie. Ex. : Forsan et hæc olim meminisse juvabit. Virg.

VI

Après les adverbes aliter, contrà, secùs, œquè, perindè, les conjonctions ac, atque sont plus élégantes que quàm. Ex. : Longe aliter ac prœvidebam belli fuit eventus. L'issue de la guerre a été tout autre que je ne le prévoyais. Felici amicorum successu œquè delectamur ac nostro. Les heureux succès de nos amis nous réjouissent autant que les nôtres.

VII

Pour désigner un espace de temps, on se sert de parumper, paulisper, tantisper, au lieu de parùm, paulùm, tantulùm. Ex. : Paulisper conticuit, et à cœteris silentium fuit. Cic. Il s’arrêta un instant, et tous les autres firent silence. Paulisper dùm se uxor comparat, moratus est. Cic. Il attendit un peu pendant que sa femme faisait ses préparatifs. Tu velim à me animum parumper avertas. Cic. Veuillez, je vous prie, m’oublier un instant.

VIII

Après les verbes dicere, scribere, memorare, etc., il faut se servir de antè, suprà, infrà, au lieu de superiùs, inferiùs. Ex. : Nescio quid mihi sentiendum sit de iis quœ suprà scripsisti. Je ne sais que penser des choses que vous avez écrites plus haut. Earum litterarum exemplum infrà scriptum est. Cic. Vous trouverez plus bas une copie de cette lettre.

IX

Sic se met bien au commencement d’une phrase, quand il est suivi de ut ou d’une proposition infinitive. Ex. : Sic est factum, ut amici tui dictitant. Il a été fait ainsi que vos amis se plaisent à le répéter. Ego sic existimo, oratoribus perfectis nihil rarius esse, nihil inventu difficilius. Cic. Je pense qu’il n’y a rien de plus rare ni de plus difficile à trouver que des orateurs parfaits.

X

Equidem (pour ego quidem) se met bien au commencement d’une phrase, surtout devant un verbe à la première personne. Ex. : Equidem doleo te his litteris non fuisse recreatum. Cic. Je suis fâché que cette lettre ne vous ait point été agréable.

Quidem se met après un mot, et il est ordinairement suivi des conjonctions sed, verùm, tamen. Ex. : Mira quidem pollicetur, nihil verò prœstat. Il promet des merveilles, mais il n’exécute rien.

Remarque. Ces deux adverbes quidem et equidem s’emploient fréquemment comme particules explétives ; il en est de même de fortè, verò, autem, tamen, enim, adeò, etiam, quoque, tandem, etc. Ainsi l’on dit : ego quidem, si quidem, at enim, tu quoque, nihil adeò, nisi fortè, nisi verò, etc. Les Latins se plaisent à employer ces sortes de particules, qui, n’étant point nécessaires au sens, servent à affirmer avec plus d’énergie, et donnent à la phrase un début plus accentué et par là même plus élégant.

XI

Dans une énumération, au lieu de primò, secundò, etc., il est mieux de dire primùm, deindè, tùm, denique ou postremò. Ex. : Videndum est primùm ne obsit benignitas, deindè ne major sit quàm facultas, tùm ut pro dignitate tribuatur, denique ut fiat quàm benignissimè. Nous devons prendre garde d’abord que nos bienfaits ne soient nuisibles ; puis, qu’ils n’excèdent nos facultés ; en troisième lieu, qu’ils soient proportionnés au mérite, et enfin qu’ils soient accordés avec la plus grande bienveillance.

XII

Dans une interrogation, quî pris adverbialement se met élégamment au lieu de quomodò, et quid ità au lieu de cur ità. Ex. : Primùm quæro qui scire potuerit. Cic. D'abord je demande comment il a pu le savoir. Quî fit, Mœcenas ? Hor. Comment se fait-il, ô Mécène ? Accusatis Sextum Roscium : quid ità ? quòd de manibus vestris effugit. Vous accusez Sextus Roscius : pourquoi cela ? parce qu’il s’est échappé de vos mains.

XIII

Tandem se met bien dans une phrase interrogative ou exclamative. Ex. : Quousque tandem, Catilina, abutere patientiâ nostrâ ? Jusques à quand, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? Quò tandem consilio probata est sententia tam vehemens ? Dans quel dessein a-t-on approuvé un avis aussi violent ?

XIV

Ita, ainsi, de telle sorte, s’emploie souvent dans un sens restrictif ; il est alors suivi de ut ou de ut tamen. Ex. : Vestri imperatores ita triumphârunt, ut ille pulsus superatusque regnaret. Cic. Vos généraux ont, à la vérité, remporté des victoires ; mais Mithridate vaincu et chassé n’a pas moins continué de régner.

XV

Vel s’emploie élégamment dans le sens de etiam. Ex. : Per me vel stertas licet. Cic. Je vous permets même de ronfler. Hoc ascensu vel très armati quamlibet multitudinem arcerent. Par ce chemin montant trois hommes armés suffiraient pour arrêter une multitude.

XVI

Au lieu des adverbes sœpè, semper, continuò, perpetuò, etc., il est souvent plus élégant de se servir des verbes soleo, non cesso, non desino. Ex. : Aut nugari, aut dormire solet. Il s’amuse ou il dort presque toujours. Nunquàm in te studio suo, nunquàm amore cessavit. Il a toujours eu beaucoup de zèle et d’amour pour vous.

ARTICLE VI.

Du choix et de l’élégance des prépositions.

Les prépositions les plus usitées sont celles qui répondent directement aux questions de lieu. Il importe donc de bien saisir le sens de chacune d’elles, afin de les employer d’une manière convenable.

I

La préposition è ou ex, qui répond à la question undè, exprime un rapport d’extraction, de séparation, et désigne la sortie, le point de départ, tant au physique qu’au moral. Ex. : Darius, quùm ex Europâ in Asiam rediisset, classem quingentarum navium comparavit. Nep. Darius étant venu d’Europe en Asie, équipa une flotte de cinq cents vaisseaux. Magnam ex litteris tuis lætitiam percepi. J'ai ressenti une grande joie de votre lettre. (La joie provient de la lettre même, c’est son point de départ.)

II

È ou ex s’emploie élégamment dans les locutions suivantes et autres semblables : Ex equo pugnare, combattre à cheval ; ex mœnibus pacem petere, demander la paix du haut des remparts ; ex equis colloqui, s’entretenir à cheval ; ex itinere seribere, écrire en route ; ex propinquo, de près ; è longinquo, de loin ; ex adverso, en face, vis-à-vis ; ex omni parte, de toute part, etc.

III

È ou ex désigne aussi le temps depuis lequel une chose a été faite. Ainsi l’on dit : ex quo tempore, depuis quel temps ; ex eo tempore, depuis ce moment ; longum tempus effluxit ex quo te vidi, il y a longtemps que je ne vous ai vu.

IV

È ou ex s’emploie élégamment pour désigner la cause, le motif, la manière. Ex. : Ex lassitudine arctiùs dormivi. J'ai dormi d’un profond sommeil à cause de la fatigue. Parentis ex nobilitate nobilis ipse factus est. Il est devenu noble lui-même par suite de la noblesse de son père. Cœsaris legati ex animo dixerunt. Les députés de César ont parlé sincèrement. Ex improviso multa eveniunt. Beaucoup de choses arrivent à l’improviste.

V

La préposition à ou ab, qui répond aussi à la question undè, exprime un rapport d’éloignement, et se dit également des personnes et des choses, du temps et de l’espace. Ex. : Cæsar maturat ab urbe proficisci. César se hâte de s’éloigner de la ville. Undè venis, mi puer, ex scholâ, an ab avunculo tuo ? D'où venez-vous, mon enfant ? est-ce de l’école ou de chez votre oncle ?

VI

La préposition à ou ab se construit élégamment :

1° Pour désigner le temps. A juvenili œtate, dès le jeune âge ; à pueritiâ, dès l’enfance ; à primâ adolescentiâ, dès la première jeunesse ; ab initio hujus defensionis, au commencement de ce plaidoyer.

2° Pour désigner le lieu. Alexander à fronte atque à tergo hostem habebat. Q. C. Alexandre avait l’ennemi par devant et par derrière. — De là ces locutions si élégantes : A reo dicere. Cic. Parler en faveur de l’accusé. Stare a senatu. Etre du côté du sénat. Antonius ab equitatu firmus esse dicebatur. On disait qu’Antoine avait une puissante cavalerie. Quùm à militibus, tùm à pecuniâ imparati sumus. Nous ne sommes prêts ni quant aux troupes, ni quant à l’argent. — De là aussi l’emploi de cette préposition pour désigner la fonction que l’on remplit ou le lieu de la naissance, comme à pedibus, un valet de pied ; ab epistolis, un secrétaire ; à rationibus, un intendant ; Franciscus à Castro novo, François de Châteauneuf ; Petrus à Turre, Pierre de la Tour.

VII

La préposition de, qui désigne dans le sens propre un mouvement de haut en bas, ou le lieu d’où l’on descend, comme descendit de cœlis, se construit élégamment :

1° Pour signifier sur, touchant, à l’égard de. Ex. : Sed jam satis multa de causâ. Cic. J'en ai dit assez sur la cause de Milon. Is orditur de missione à sexdecim annis ; de præmiis finitæ militiœ. Tac. Le centurion demande d’abord le congé au bout de seize ans et des récompenses à la fin du service. De fratre meo, confido ità esse, ut semper volui. Cic. Quant à mon frère, j’espère que la chose arrivera comme je l’ai toujours voulu.

2° Dans le sens de è ou ex, à ou ab. Ex. : Summis de parentibus orti. Issus des parents les plus célèbres. Passer, deliciœ meæ puellœ, effugit de manibus. Un moineau, les délices de ma petite fille, s’est échappé de mes mains. Templum de marmore ponam. J'élèverai un temple de marbre.

De, marquant le temps, s’emploie élégamment dans un sens partitif. Ex. : De nocte per agros ambulare. Passer la nuit à travers les champs. Alexander de die inibat convivia. Alexandre donnait des festins pendant une partie du jour.

VIII

La préposition in se construit tantôt avec l’accusatif, tantôt avec l’ablatif.

In avec l’accusatif répond à la question quò, et désigne physiquement le lieu où l’on va, et moralement le but où l’on tend. Ex. : Itur in antiquam sylvam. On va dans une antique forêt. Imago veteris amici mihi venit in mentem. L'image de mon ancien ami s’est présentée à mon esprit.

IX

In avec l’accusatif se construit élégamment :

1° Pour marquer la dimension des objets. Ex. : Muri Babylonis in immensam longitudinem patebant. Les murs de Babylone avaient une immense longueur. Gallia est omnis divisa in tres partes. La Gaule est divisée en trois parties. In quatuor parles honestum dividi solet : in prudentiam, in justitiam, in fortitudinem, in temperantiam.

2° Pour désigner l’objet sur lequel se portent nos affections, nos désirs, nos aversions. In, dans ce sens, signifie pour, contre, envers, à l’égard de. Ex. : Erat in eo summa probitas summaque in hospites liberalitas. Cic. Il avait une très-grande probité et était très-généreux envers ses hôtes. Amor tuus in patriam in spem bonam me inducit. Votre amour pour la patrie me fait concevoir de bonnes espérances. Quid me in te incensum, Sexte, putas ? Pourquoi donc, Sextus, me croyez-vous irrité contre vous ?

3° Pour marquer le but, l’intention. (In, dans ce cas, a le sens de pour.) Ex. : Pecunia erogata est in rem militarem. L'argent a été distribué pour le service militaire. Drusi magna apud populum memoria, undè idem in Germanicum favor. Tac. La mémoire de Drusus était grande auprès des Romains ; de là leur affection pour Germanicus. Sensit miles in tempus conficta. Tac. Le soldat comprit que ce n’était qu’un prétexte pour gagner du temps.

4° Pour désigner un temps futur relativement à telle intention, à tel acte. Ex. : Nos invitavit in posterum diem. Il nous a invités pour le lendemain. In multos annos subsidia vitœ habere. Avoir des moyens de subsistance pour plusieurs années.

De là ces locutions élégantes : in diem vivere, vivre au jour le jour ; in dies senescere, vieillir de jour en jour ; in horas exspectare, attendre d’heure en heure, etc.

X

In avec l’ablatif répond à la question ubi, et sert à désigner le lieu où l’on est, l’état, la situation où l’on se trouve. Ex. : In agris plerumque vivebant senatores. Cic. Les sénateurs vivaient la plupart du temps dans la campagne. In rebus prosperis, superbiam fastidiumque magnoperè fugiamus. Dans la prospérité, fuyons avec le plus grand soin l’orgueil et le dédain.

XI

In avec l’ablatif se construit élégamment :

1° Dans le sens de sur, parmi. Ex. : Teucri se in littore condunt. Virg. Les Troyens se cachent sur le rivage. Curius iste in magnis viris non est habendus. Cic. Il ne faut pas ranger ce Curius parmi les grands hommes.

2° Pour désigner, non pas simplement un temps, une époque mais pour en marquer le caractère, la physionomie, quelque circonstance accessoire. Ainsi l’on dira bien : in tali tempore, dans une telle circonstance (eo tempore signifierait à cette époque) ; in consulatu meo, in prœturâ ; in bello quod gessimus, dans la guerre que nous avons faite, etc.

In avec l’ablatif a une grâce particulière, étant construit avec le gérondif en do ou le participe en dus, da, dum. Ex. : Is fuit mediocris in dicendo, doctissimus in disputando. Dic. Ce fut un orateur médiocre et un dialecticien très-habile. In eligendis amicis negligentes ne simus. Ne soyons pas négligents dans le choix de nos amis.

4° Il faut aussi remarquer cette locution si usitée et si élégante : in eo esse ut ; en français, être sur le point de. Ex. : In eo erat, ut oppido potiretur. Il était sur le point de prendre la ville.

XII

La préposition ad, qui répond à la question quò, exprime un mouvement, une tendance vers, qu’il s’agisse du temps ou de l’espace, des personnes ou des choses. Ex. : Ad te confugio et supplex tua numina posco. Virg. Je me réfugie auprès de vous, et j’implore votre puissance. A decimâ horâ, ad tertiam post meridiem. Depuis dix heures du matin jusqu’à trois heures du soir.

La préposition ad s’emploie élégamment :

1° Pour exprimer une circonstance à laquelle se rapporte le fait principal. Ad singulos nuntios, consilia mutat. Cic. A chaque nouvelle, il change de résolution. Ad hunc felicem nuntium lœtitia ingens per totam civitatem diffusa est. A cette heureuse nouvelle, toute la cité fut transportée de joie.

2° Pour signifier en comparaison de, au prix de. Ex. : Decimum cognovimus virum bonum, non illiteratum ; sed nihil ad Persium. Cic. Nous avons connu Décimus, homme de bien et assez bon littérateur ; mais il n’était rien au prix de Persius.

3° Pour signifier jusqu’à. Ex. : Sophocles ad summam senectutem tragœdias fecit. Cic. Sophocle fit des tragédies jusqu’à une extrême vieillesse. Ad centesimum annum vixit. Il vécut jusqu’à cent ans.

4° Il faut remarquer aussi les locutions suivantes : ad tempus, pour un temps ; ad extremum, vers la fin ; ad prima signa veris, aux premiers signes du printemps ; ad similitudinem, à la ressemblance ; ad nutum, au moindre signe de tête ; nihil ad rem, cela n’a aucun rapport avec la chose ; nihil ad vos, cela ne vous regarde pas.

XIII

La préposition per signifie proprement parmi, à travers. Ex. : Per medias acies sibi viam patefecit. Il s’est ouvert un chemin à travers les rangs ennemis.

Per se construit élégamment :

1° Dans le sens de par, au moyen de ; il désigne alors l’agent, le moyen, l’instrument. Ex. : Per te unum tam nefando scelere liberati sumus. C'est par vous seul que nous avons été délivrés d’une accusation aussi atroce. Statuerunt injurias per vos ulcisci. Cic. Ils ont voulu se venger par vos mains.

2° Dans le sens de par, au nom de. Ex. : Oro te, per deos immortales. Je vous en conjure au nom des dieux immortels. Per caput hoc juro, per quod pater antè solebat. Virg. Je le jure par cette tête par laquelle mon père avait coutume de jurer.

3° Dans le sens de il dépend de moi, je permets. Ex. : Per me licet ut abeas. Je vous permets de partir. Per te unum stat quominùs sis beatus. Il ne tient qu’à vous d’être heureux.

Per s’emploie aussi quelquefois pour exprimer la manière dont une chose se fait. Per ludum et jocum fortunis omnibus eum nudavit. Cic. C'est en jouant et en plaisantant qu’il l’a dépouillé de tous ses biens. Per fas et nefas. Par de bons et de mauvais moyens.

XIV

La préposition apud, chez, auprès de, s’emploie élégamment :

1° Quand elle est prise dans le sens figuré. Ex. : Plus apud me antiquorum auctoritas valet. Cic. L'autorité des anciens a plus de valeur à mes yeux.

2° Dans le sens de antè, coràm, devant, en présence de. Ex. : Apud prætorem causam dicere, plaider une cause devant le préteur. Apud judicem, devant le juge.

3° Dans le sens de in, dans, avec les noms d’auteurs. Ex. : Apud Ciceronem, apud Xenophontem legitur. On lit dans Cicéron, dans Xénophon. (On ne dirait pas in Cicerone, in Xenophonte.)

XV

La préposition præ, dans le sens propre, signifie devant, et se construit ordinairement avec un pronom et un verbe de mouvement. Ex. : Singulos præ se inermes mittebat. Sall. Il les faisait défiler devant lui un à un et sans armes.

Dans le sens figuré, præ se construit élégamment :

1° Pour manifester au dehors les sentiments de l’âme. Ex. : Fiduciam orator præ se ferat. Quint. Que l’orateur inspire de la confiance. Præ se declarant gaudia vultu. Cat. Leur joie se manifeste sur leurs visages.

2° Dans le sens de en comparaison de, au prix de, à cause de. Ex. : Non tu quidem molestiis es vacuus, sed præ nobis beatus. Vous n’êtes point exempt d’ennuis, mais vous êtes heureux en comparaison de nous. Præ gaudio ubi sim nescio. Cic. Je ne sais où je suis à cause de la joie. Cuncta præ campo tiberino mihi sordent. Hor. Tout est vil pour moi, comparé au Champ-de-Mars.

XVI

La préposition pro, dans le sens propre, signifie devant (sans changement de lieu). Ex. : Cæsar legiones pro castris constituerat. César avait placé ses légions devant le camp.

Au figuré, pro s’emploie élégamment :

1° Dans le sens de au lieu de, en faveur de. Ex. : Liberum pro vino appellant. Cic. On dit Bacchus pour le vin. Cicero pro Murenâ orationem habuit. Cicéron plaida pour Muréna.

2° Dans le sens de pour, en considération de, eu égard à, selon, en proportion de. Ex. : Hæc tibi pro amore tuo scripsi. Cic. Je vous ai écrit cela en considération de votre amitié. Non dubito, pro tuâ singulari prudentiâ, quin illud brevi perficias. Cic. Je ne doute pas, vu votre rare prudence, que vous ne veniez bientôt à bout de cette affaire. Quisque pro virili parte reipublicæ consulere debet. Chacun doit veiller, selon ses forces, aux intérêts de la république.

3° Il faut remarquer aussi cette locution quàm pro, qui est si élégante après les comparatifs. Ex. : Major quàm pro hominum numero pugna editur. T. L. Il se livre un combat plus acharné que ne le faisait pressentir le nombre des combattants.

XVII

La préposition præter signifie devant, à côté de, le long de, et s’emploie ordinairement avec un verbe de mouvement. Ex. : Amnis præter ipsa urbis mœnia defluebat. T. L. Un fleuve coulait devant les murs mêmes de la ville.

A cette idée de passer devant se rattache celle d’aller au delà, qui, désignée par præter, est si élégante dans le sens figuré. Ex. : Lacus Albanus præter modum creverat. Le lac d’Albe avait cru outre mesure. Ille terrarum mihi præter omnes angulus arridet. Hor. Ce petit coin de terre me sourit plus que tous les autres.

Præter se construit bien aussi dans le sens de outre, excepté. Ex. : Præter auctoritatem, vires quoque habet ad coercendum. Cic. Outre l’autorité, il a encore des forces pour punir. Amicum tibi neminem video præter teipsum. Je ne vous vois d’autre ami que vous-même.

XVIII

La préposition sub s’emploie élégamment avec l’accusatif de mouvement pour signifier à l’approche de, aux environs de, et par suite un peu avant, ou plus rarement un peu après. Ex. : Sub noctem cura recurrit. Virg. L'inquiétude revient à l’approche de la nuit. Leves sub noctem susurri. Hor. De légers entretiens au commencement de la nuit. Sub eas litteras recitatæ sunt etiam tuæ. Après cette lettre on lut la vôtre.

Sub avec l’ablatif se prend dans le sens de dans ou très-près de. Ainsi sub noctem veut dire vers la nuit, à l’approche de la nuit tandis que sub nocte signifie dans la nuit. De même sub lucem veut dire à l’approche du jour, et sub luce au jour, à la lumière du jour. Sub ipsâ profectione, au moment précis du départ. Sub eâ conditione, à cette condition.

XIX

Suprà et quelquefois super, sur, au dessus de, s’emploient élégamment dans le sens figuré pour signifier plus de, au delà de. Ex. : Suprà quàm credibile est, au delà de toute croyance. Suprà modum, outre mesure. Satis superque per tot annos ignaviâ peccatum est. Tac. Notre lâcheté nous a fait commettre assez et même trop de fautes pendant tant d’années.

ARTICLE VII.

du choix et de l’élégance des conjonctions.

Comme il y a deux sortes de propositions, les unes principales et coordonnées, les autres complétives et subordonnées, il y a de même deux sortes de conjonctions : celles qui unissent les propositions principales et coordonnées, ou conjonctions de coordination ; celles qui unissent les propositions complétives et subordonnées, ou conjonctions de subordination.

1° Conjonctions exprimant des rapports de coordination.

Les conjonctions latines exprimant des rapports de coordination répondent généralement aux conjonctions françaises et, ou, ni, mais, or, donc, car, cependant, c’est pourquoi, non seulement, mais encore, soit…, soit. Nous en avons parlé dans notre grammaire latine ; nous n’ajouterons ici que ce qui concerne leur emploi au point de vue de l’élégance.

I

La conjonction et se répète élégamment pour attirer plus vivement l’attention sur les idées que l’on veut exprimer. Ex. : Virtus, virtus inquam, et conciliat amicitias et conservat. Cic. C'est la vertu, oui, c’est la vertu qui forme les amitiés et qui les conserve. Cimon atheniensis et pietate in patrem, et in cives benevolentiâ insignis fuit. C. N. Cimon d’Athènes fut remarquable et par sa tendresse envers son père, et par sa bienveillance à l’égard de ses concitoyens.

La conjonction que, synonyme de et, se répète surtout en poésie. Ex. : O terque quaterque beati ! O trois fois et quatre fois heureux !

II

La conjonction et se met avec grâce pour etiam après un ou plusieurs mots. Ex. : Non is solùm malus est qui injuriam facit ; sed et qui facere in animo habuit. Æl. Le méchant n’est pas celui-là seul qui a fait une injure, c’est aussi celui qui a eu l’intention de la commettre. Non errasti, mater ; nam et hic Alexander est. Q. C. Ma mère, vous ne vous êtes pas trompée, car celui-ci est aussi Alexandre. Forsan et hæc olim meminisse juvabit. Virg. Un jour peut-être ce souvenir aura pour vous des charmes.

III

La conjonction que s’emploie élégamment pour unir les mots qui ont entre eux quelque analogie, ou qui jouent le même rôle dans une phrase, comme les sujets, les verbes et les attributs multiples. Ex. : Vir bonus honesto justoque adhærescit. L'homme de bien s’attache à ce qui est juste et honnête. Sapienter vivendo, omnem doloris mortisque timorem effugies. En vivant sagement, vous n’aurez à craindre ni la douleur ni la mort.

IV

Quand il y a trois mots joints ensemble par deux conjonctions, que se met bien après le second mot, et et devant le troisième. Ex. : Mens humana discendo alitur, videndique et audiendi delectatione ducitur. Cic. L'esprit humain fait son aliment de l’étude, et se laisse entraîner par le plaisir de voir et d’entendre.

V

La conjonction atque a plus de force que et ou ac ; elle s’emploie donc mieux pour attirer l’attention sur le mot suivant. Ex. : Omnia honesta atque inhonesta vendidit. Sall. Il a vendu les honneurs aussi bien que les affronts.

De là l’usage fréquent de cette conjonction en tête d’une proposition pour servir de transition et faire mieux ressortir l’idée qui va suivre. Ex. : Atque, ut omnes illud intelligant. Cic. Et pour que tout le monde comprenne cela. Atque hæc mea quidem sententia. Et maintenant voici mon avis.

VI

Les conjonctions ac, atque, s’emploient avec élégance pour exprimer une comparaison après les adjectifs ou les adverbes qui désignent l’égalité ou la ressemblance, l’inégalité ou la différence, comme similis, dissimilis, talis, alius, aliter, æquè, pariter, secùs, perindè, etc. Ex. : Longé alia nobis ac tu scripseras nuntiantur. Cic. On nous annonce des choses tout autres que celles que vous nous aviez écrites. Cum totidem navibus rediit atque erat profectus. C. N. Il revint avec le même nombre de vaisseaux qu’il avait à son départ.

VII

La conjonction aut, ou, servant à établir une distinction entre les termes qu’elle unit, s’emploie élégamment et se répète même avec grâce, quand cette distinction est nécessaire et repose sur la nature même des choses. Ex. : Quædam terræ partes aut frigore rigent, aut uruntur calore. Cic. Certaines parties de la terre sont ou glacées par le froid ou brûlées par la chaleur.

Mais si la distinction ne repose que sur une opinion personnelle, il vaut mieux se servir de vel. Ex. : Alexander oraculi sortem vel elusit, vel implevit. Q. C. Alexandre éluda ou accomplit la décision de l’oracle. Vel imperatore, vel milite me utimini. Sall. Servez-vous de moi ou comme votre général, ou comme votre compagnon d’armes.

VIII

Vel s’emploie souvent aussi et avec élégance dans le sens de même. Ex. : Vel Priamo miseranda manus. Virg. Troupe digne de pitié même pour Priam. Ingenii vel mediocris hæc omnia sunt. Tout cela est le produit d’un esprit même médiocre.

IX

Nec, neque se répètent avec beaucoup de grâce devant les mots unis entre eux d’une manière négative. Ex. : Virtus nec eripi, nec surripi unquàm potest ; neque naufragio, neque incendio amittitur. Cic. La vertu ne peut jamais nous être enlevée de force, ni dérobée en secret ; on ne la perd ni dans un naufrage, ni dans un incendie.

Dans ce cas, aut, vel, ve, s’emploient élégamment pour continuer la négation. Ex. : Nec recito (versus meos) cuiquam, nisi amicis, non ubivis coramve quibuslibet. Hor. Je ne lis mes vers à d’autres personnes qu’à mes amis ; je ne les récite pas en tout lieu, ni en présence de qui que ce soit.

X

Neque se met élégamment pour et non. Ex. : Multi omnia metiuntur emolumentis, neque ea volunt ponderari honestate. Cic. Beaucoup de gens pèsent toutes choses au poids de l’intérêt et ne veulent point mettre l’honneur dans la balance.

Toutefois il faut se servir de et non, si dans une phrase affirmative la négation ne portait que sur un mot, sur une idée. Ex. : Omnis œquitas perturbatur, si verbis legum ac non sententiis pareatur. C'est confondre toute justice que d’obéir à la lettre et non à l’esprit de la loi.

XI

Nec, en tête d’une proposition et réuni surtout aux conjonctions verò, enim, tamen, autem, s’emploie élégamment pour servir de transition et indiquer le rapprochement de deux idées. Ex. : Nec sepulchra legens vereor ne memoriam perdam. Cic. Et en lisant les épitaphes je ne crains pas de perdre la mémoire. Peccavit igitur Romulus ; nec tamen nostræ nobis utilitates omittendœ sunt. Cic. Romulus est donc coupable ; et cependant nous ne devons pas négliger nos propres intérêts.

XII

Les conjonctions adversatives verò, autem, qui se mettent après un mot, s’emploient élégamment pour faire sentir l’opposition ou la différence qu’il y a entre deux idées. Dans ce cas, on doit en faire usage pour rendre en latin la conjonction et, qui se trouve en français dans le second membre de phrase. Ex. : Frons, oculi, vultus persœpe mentiuntur ; oratio verò sœpissimè. Cic. Le front, les yeux, le visage mentent très-souvent, et le langage plus souvent encore. Pater tuus omnibus doctrinis virtutibusque exornabatur ; tu verò, omnium ignarus, otio turpi juveniles annos consumis. Votre père était orné de toutes les vertus et de toutes les sciences, et vous, ignorant toutes choses, vous passez vos jeunes années dans une honteuse oisiveté.

Ces mêmes conjonctions, placées au commencement d’une phrase, attirent mieux l’attention sur les mots suivants. Ex. : Ecce autem gemini a Tenedo, tranquilla per alla. Virg. Mais voici que deux serpents partis de Ténédos par une mer tranquille.

XIII

La conjonction française or se rend en latin par atqui, quand il s’agit d’un simple raisonnement, et par verò, autem, dans les autres cas. Donc, qui est la conséquence de ce qui précède, se rend par ergò, igitur, que l’on place ordinairement après un ou plusieurs mots. Ex. : Atqui, Milone interfecto, Claudius hoc assequebatur. Or, Milon une fois tué, Clodius obtenait cet avantage. Milo autem, quùm senatus dimissus est, domum venit. Or Milon rentra chez lui aussitôt après la séance du sénat. Quonam igitur pacto probari potest insidias Miloni fecisse Clodium ? Comment peut-on prouver que Clodius a dressé des embûches à Milon ?

Donc se rend aussi par itaque, ideò, idcircò, proptereà, proindè, ou par quarè, quamobrem, quocircà.

XIV

La conjonction car se rend par nam, namque, enim, etenim. Nam se place au commencement d’une proposition, et il a une grâce particulière quand il est suivi de et mis pour eliam. Ex. : Nam et ratione uti decet. Car il faut aussi faire usage de sa raison.

Enim se met après un mot, le plus souvent après un monosyllabe, un mot indéclinable, ou d’autres mots avec lesquels il forme une agréable consonnance, comme sed enim, quid enim, nullus enim, nihil enim, etc. Ex. : Quoties enim illa causa à nobis acta est in senatu ? Cic. Combien de fois, en effet, cette cause a-t-elle été discutée par nous dans le sénat ?

Etenim est plus expressif que les deux autres ; il se met le plus souvent au commencement d’une phrase. Ex. : Etenim, quid est, Catilina, quod jam ampliùs exspectes ? Qu'y a-t-il donc, Catilina, que tu puisses attendre encore ?

XV

Tamen, cependant, se met bien après un ou plusieurs mots. Non tamen abstinuit. Cependant il ne put se retenir. Attamen, verumtamen, qui affirment avec plus de force, se mettent au commencement de la phrase. Ex. : Attamen, quid sibi isti miseri volunt ? Cic. Cependant que prétendent ces misérables ?

XVI

Les adverbes non modò, non solùm, non tantùm, au premier membre de phrase, sed etiam, verùm etiam, au second, tiennent lieu de conjonctions et s’emploient pour exprimer une gradation ascendante. Ex. : Tullus Hostilius non modò proximo regi dissimilis, sed ferocior etiam Romulo fuit. T. L. Non seulement Tullus Hostilius ne ressembla pas à son prédécesseur, mais il fut encore plus cruel que Romulus.

Non modo — sed(sans exprimer etiam) s’emploient au contraire pour exprimer une gradation descendante. Ex. : Quæ civitas est in Asiâ, quœ non modò imperatoris aut legati, sed unius tribuni militum animos capessere possit ? Cic. Quelle est la cité de la Gaule qui puisse supporter l’orgueil, je ne dis pas d’un général ou d’un lieutenant, mais d’un seul tribun ?

Au lieu de non modò — sed…, on peut dire : non dico — sed…, ou ne dicam à la seconde proposition. Ex. : Quæ civitas est in Asiâ, quœ unius tribuni, ne dicam imperatoris aut legati animos capessere possit ?

XVII

Quand les deux propositions sont négatives, il faut mettre dans la première non modò non, et dans la seconde sed ne… quidem. Ex. : Ego non modò tibi non irascor, sed ne reprehendo quidem factum tuum. Cic. Non seulement je ne me fàche pas contre vous, mais je ne blâme même pas votre conduite.

XVIII

Quand deux propositions négatives n’ont qu’un seul verbe, on supprime élégamment la seconde négation dans la première proposition. Ex. : Assentatio non modò amico, sed ne libero quidem digna est. Cic. Non seulement la flatterie n’est pas digne d’un ami, mais elle n’est pas même digne d’un homme libre. (C'est comme s’il y avait : Assentatio non modò amico, sed etiam libero non est digna) 13.

XIX

Il importe, au point de vue de l’élégance latine, de remarquer la différence qu’il y a entre tùm répété et quùm… tùm… Tùm répété signifie en français tant…, tant, soit…, soit ; et quùm… tùm signifient non seulement… mais encore… Tùm, dans ce dernier cas, fait ressortir davantage ce qui est exprimé dans la seconde proposition ; souvent même on ajoute verò, etiam, tamen, certè, maximè, etc., pour affirmer avec plus de force. Ex. : Fortuna quùm in reliquis rebus, tùm præcipuè in bello plurimùm valet. L'influence de la fortune est très-grande en toutes choses, mais surtout à la guerre.

Remarque. Si la conjonction quùm, au premier membre de phrase, est suivie du subjonctif, on la traduit littéralement par quoique. Ex. : Itaque efficis ut, quùm gratiæ causa nihil facias, omnia tamen sint grata, quœ facis. Aussi, quoique vous ne fassiez rien pour plaire, vous avez le secret de plaire à tout le monde. Quùmque plurimas et maximas commoditates amicitia contineat, tùm illa nimirum præstat omnibus. Bien que l’amitié renferme les plus grands et les plus nombreux avantages, celui-ci toutefois l’emporte sur tous les autres.

Conjonctions de subordination.

I

La conjonction ut s’emploie élégamment :

1° Dans le sens de dès que. Ex. : Ut ab urbe discessi. Dès que je fus sorti de la ville. Ut primùm te vidi. Dès que je vous ai vu.

2° Dans le sens de comme. Ex. : Ut nunc se res habet. Comme la chose se passe maintenant. Ut illi victores efferuntur superbiâ ! ut pudet victos ! Quel orgueil pour les vainqueurs ! quelle honte pour les vaincus !

Dans ce sens, ut suivi d’un corrélatif a une grâce particulière. Ex. : Ut vixit, ita mortuus est. Il est mort comme il a vécu. Quin potiùs, ut novissimi ad culpam, ità primi ad pœnitentiam sumus ? Tac. Que ne sommes-nous les premiers à nous repentir, comme nous avons été les derniers à commettre la faute ?

Ut se met bien aussi dans le sens de quàm ou quantùm. Ex. : Ut ille humilis ! ut demissus erat ! Comme il était humble ! comme il était soumis ! Noster autem testis ut se sustentat ! ut omnia moderatur ! Comme notre témoin s’observe ! comme il mesure toutes ses paroles !

II

La conjonction ut, signifiant afin que, admet élégamment pour antécédents les adjectifs démonstratifs hoc, id, illud, qui se placent avant le verbe principal. Ex. : Hoc natura non patitur, ut aliorum spoliis nostras opes augeamus. Cic. La nature ne nous permet pas d’accroître nos richesses des dépouilles d’autrui.

III

Au lieu de ut et d’un pronom, on se sert élégamment de qui, quœ, quod, mis pour ut ego, ut tu, ut ille, pour désigner l’intention, le motif, la conséquence de ce qui précède. Ex. : Trado tibi filium meum, quem litteris erudias. Je vous envoie mon fils, afin que vous lui appreniez les belles-lettres. O miserum senem, qui mortem exspectandam esse non viderit ! O malheureux vieillard, qui n’a pas vu qu’il fallait s’attendre à mourir !

IV

Au lieu de ut, on se sert de quo (pour ut eo) devant un comparatif. Ex. : Socrates quo meliùs cœnaret, obsonabat famem ambulando. Cic. Socrate, afin de mieux souper, aiguisait son appétit par la promenade. Ager novatur et iteratur, quo meliores fructus edere possit. Cic. On laboure un champ une première et une seconde fois, afin qu’il puisse produire de meilleurs fruits.

V

La conjonction ut, afin que, se sous-entend quelquefois d’une manière élégante après les verbes qui expriment un souhait, un désir. Ex. : Sic velim existimes te nihil mihi gratius facere posse. Veuillez croire que vous ne pouvez rien me faire de plus agréable.

VI

La conjonction ne se met pour ut non et s’emploie dans tous les cas où l’on mettrait ut, s’il n’y avait pas de négation. Ainsi, comme on dit : Rogo te ut illius commodis inservias, je vous prie de prendre ses intérêts, on dira dans un sens opposé : Rogo te ne illius commodis adverseris, je vous prie de ne pas vous opposer à ses intérêts.

Ne signifie donc afin que… ne pas, pour ne pas, de peur que ; et, quand il y a deux propositions négatives, neque (pour ne et que) se met élégamment devant la seconde. Ex. : Gallinæ pennis fovent pullos, ne frigore lœdantur. Cic. Les poules réchauffent leurs petits sous leurs ailes, afin qu’ils ne soient pas incommodés par le froid. Illud te primùm rogo, ne dimittas animum, neque multitudine negotiorum te obrui sinas. Cic. Je vous prie d’abord de ne pas perdre courage, et de ne pas vous laisser accabler par la multitude de vos affaires.

VII

Au lieu de ut nunquàm, ut nusquàm, il est mieux de dire ne unquàm, ne usquàm. Ex. : Enitar pro viribus meis, ne unquàm obdormiam inter studendum. Je ferai tous mes efforts pour ne jamais m’endormir en étudiant.

VIII

Quin (pour qui non, ou ut non) se construit élégamment avec nemo, nullus, nihil, nunquàm, et après ces locutions : facere non possum, fieri non potest, et d’autres que l’usage apprendra. Ex. : Nunquàm tam malè est Siculis, quin aliquid, facetè et commodé dicant. Cic. Jamais les Siciliens ne sont si malheureux qu’ils n’aient, dans l’occasion, quelques bons mots à dire. Nihil tam difficile est, quin quærendo investigari possit. Ter. Il n’est rien de si difficile que l’on ne puisse découvrir par la science.

Quin s’emploie bien aussi dans le sens de sans que. Ex. : Non temerè fama nasci solet, quin subsit aliquid. Cic. Un bruit ne se répand guère sans qu’il ait quelque fondement.

IX

Quin au commencement d’une phrase se construit élégamment dans le sens de que ne, pourquoi ne… pas. Ex. : Quin conscendimus equos ? T. L. Pourquoi ne montons-nous pas à cheval ?

Dans ce sens, quin se joint bien aux adverbes etiam, potiùs, imò. Ex. : Quin potiùs, ut novissimi in culpam, ità primi ad pœnitentiam sumus ? Tac. Que ne sommes-nous plutôt les premiers à nous repentir, comme nous avons été les derniers à commettre la faute ?

X

Quin employé seul, avec ellipse du verbe, et signifiant même, plutôt, bien plus, a une grâce particulière. Ex. : Credibile non est quantùm scribam singulis diebus, quin etiam noctibus. C'est incroyable combien j’écris chaque jour, et même chaque nuit.

XI

Au lieu de quin, on se sert plus fréquemment de quominùs (pour ut eo minùs) après les verbes qui expriment une idée d’opposition, d’obstacle, d’empêchement. Ex. : Cimon nunquàm in hortis suis custodiam imposuit, ne quis impediretur quominùs iis rebus, quibus quisque vellet, frueretur. C. N. Cimon ne mit jamais de gardes dans ses jardins, afin que chacun pût en jouir comme il le désirait.

XII

Nous avons vu dans la grammaire que le si conditionnel se construit avec le futur, quand le verbe de la proposition principale est au futur.

A cet égard, deux choses sont à remarquer :

1° Si l’action du verbe construit avec si est antérieure à celle du verbe principal, on mettra ce verbe au futur antérieur. Ex. : Id si feceris, gratissimus ero. Si vous faites cela, je vous serai très-reconnaissant.

2° Si les deux actions doivent être simultanées, il sera plus élégant de mettre l’un et l’autre verbe au futur antérieur. Ex. : Si mihi confestim rescripseris, maximè obtemperaveris voluntati meæ. Cic. Si vous me répondez tout de suite, j’en éprouverai une entière satisfaction.

XIII

Quand il y a deux propositions conditionnelles dans une même phrase, et que la seconde exprime une condition opposée à la première, on met bien la conjonction sin devant la seconde. Ex. : Si verus est timor, ne opprimar ; sin falsus, ut tandem aliquandò timere desinam. Cic. Si ma crainte est fondée, que je ne sois pas livré à mes oppresseurs ; si elle est vaine, que je sois enfin délivré de toute crainte.

Dans ce cas, sin est le plus souvent suivi de autem, minùs, aliter. Ex. : Vix molem istius invidiæ, si in exilium ieris jussu consulis, sustinebo ; sin autem servire laudi meæ et gloriæ mavis, egredere. Si tu vas en exil par ordre du consul, j’aurai de la peine à soutenir les clameurs de l’envie ; mais si tu aimes mieux t’intéresser à ma réputation et à ma propre gloire, pars volontairement.

XIV

Quand le si conditionnel est suivi de ne et qu’il peut se tourner par à moins que, si ce n’est que, on l’exprime en latin par nisi. Ex. : Memoria minuitur, nisi eam exerceas. La mémoire s’affaiblit si on ne l’exerce.

Mais si la seconde proposition avait un sens restrictif et commençait par ces mots au moins, du moins, cependant, toutefois, le si conditionnel se traduirait par si non. Ex. : Si non homines, at certe Deum time. Si vous ne craignez pas les hommes, au moins craignez Dieu.

XV

Les verbes de doute, comme dubito, nescio, haud scio, se construisent avec an, quand le doute penche plutôt vers l’affirmation que vers la négation. Ex. : Vir sapientissimus, atque haud scio an omnium præstantissimus. Cic. Homme très-sage et peut-être le plus remarquable de tous.

Dans le cas contraire, il vaut mieux se servir de nùm ou de ne placé après le premier mot. Ex. : Dubitabam venturusne esset tabellarius. Cic. Je ne savais si votre secrétaire viendrait (je présumais qu’il ne viendrait pas).

Remarque. Dans le premier cas, la conjonction an se traduit littéralement par si… ne… pas, ou par peut-être. Ex. : Dubito an hunc primum omnium ponam. C. N. Je ne sais si je ne le placerai pas le premier de tous ; c’est-à-dire, je suis porté à le placer le premier de tous. Nescio an modum excesserint. Je ne sais s’ils n’ont pas dépassé la mesure. Si on voulait indiquer que la chose n’est pas, il faudrait ajouter la négation dans la seconde proposition. Ex. : Dubitat an turpe non sit. Cic. Il ne sait si ce n’est pas honteux ; c’est-à-dire, il est porté à croire que ce n’est pas honteux.

XVI

Si dubitatif se traduit pas nùm ou ne dans l’interrogation indirecte, quand il n’y a pas de proposition corrélative. Ex. : Quæritur idemne sit justitia et judicium. On demande si la justice et le jugement sont la même chose.

Mais si l’interrogation porte sur deux propositions opposées l’une à l’autre, on met utrùm ou ne devant la première, et an devant la seconde. Ex. : Nunc quæro utrùm injurias vestras, an reipublicœ persequamini ? Cic. Maintenant je vous demande si vous vengerez vos injures ou celles de la république ?

XVII

Dùm, tandis que, pendant que, se construit généralement avec l’indicatif, quand même il s’agit d’un évènement passé. Ex. : Dùm ea Romani parabant, jam Saguntum summâ vi oppugnabatur. T. L. Tandis que les Romains faisaient leurs préparatifs, Sagonte était déjà attaquée avec la plus grande vigueur.

XVIII

Dùm, donec, quoad, signifiant jusqu’à ce que, se construisent avec l’indicatif, quand il s’agit d’un fait certain, positif, réel, et avec le subjonctif, quand le fait est incertain, qu’il n’existe que dans l’opinion, ou qu’il désigne l’intention, le motif de l’action principale. Ex. : Tarqui[illisible] tomdiù dimicaverunt, donec Aruntem filium regis Brutus occidit. Flor. Les Tarquins combattirent jusqu’à ce que Aruns, fils du roi, eut été tué par Brutus. (Ici il s’agit d’un fait certain, et donec signifie jusqu’au moment où.) Irati differant ultionem, donec defervescat ira. Cic. Que les hommes irrités diffèrent la vengeance, jusqu’à ce que leur colère soit apaisée. (Ici il s’agit d’un fait douteux, il n’est pas sûr que la colère s’apaise ; d’ailleurs ce fait douteux est aussi le motif de l’action principale.) Donec, dans ce cas, signifie en attendant que.

XIX

La conjonction quòd, qui désigne la cause, le motif du fait principal, doit se construire avec le subjonctif, quand l’écrivain présente ce motif non comme venant de lui-même, mais comme étant celui d’un autre. Ex. : Socrates accusatus est quòd corrumperet juventutem. Socrate fut accusé de corrompre la jeunesse. (Ici le motif de l’accusation vient des accusateurs, c’est le prétexte qu’ils ont imaginé. Si l’auteur avait dit : quòd corrumpebat juventutem, il aurait affirmé lui-même le fait comme certain.)

XX

Quòd s’emploie élégamment dans le sens de quant à, pour ce qui est. Ex. : Quòd ad me attinet. Pour ce qui me regarde. Quòd ad me scripseras de re agrariâ. Cic. Quant à ce que vous m’aviez écrit sur la loi agraire.

XXI

Il est très-élégant de construire la proposition principale avec l’un des adjectifs démonstratifs hoc, id, illud, et de mettre quòd dans la proposition subordonnée, pour expliquer cet adjectif. Ex. : Socrates hoc Periclem cæteris prœstitisse oratoribus dixit, quòd is Anaxagoræ fuerit auditor. Cic. Socrate dit que Périclès ne l’emporta sur les autres orateurs que parce qu’il avait été le disciple d’Anaxagore.

XXII

Au lieu des conjonctions quùm, quia, quoniam, on se sert élégamment de quippè, utpotè, devant le relatif qui, quœ, quod. Ex. : Non est huic habenda fides, quippè qui pejeravit. Cic. Il ne faut pas avoir confiance en lui, puisqu’il s’est parjuré.

Ces deux conjonctions quippè, utpotè, se construisent même quelquefois sans le relatif qui, quœ, quod. Ex. : Sol Democrito magnus videtur, quippè homini erudito. Démocrite, qui est un homme savant, pense que le soleil est un grand corps.

XXIII

Au lieu de faire usage des conjonctions, il est quelquefois plus élégant et beaucoup plus expressif de répéter le mot déjà exprimé, surtout si c’est un adjectif interrogatif, un adverbe de négation ou un adjectif démonstratif. Ex. : Nihilne te nocturnum præsidium Palatii, nihil urbis vigiliæ, nihil timor populi, nihil horum ora vultusque moverunt. Ni la garde qui veille la nuit sur le mont Palatin, ni les postes répandus dans la ville, ni la frayeur du peuple, ni les regards et le visage de ceux qui t’entourent n’ont pu t’émouvoir. Hic locus est igitur unus quò perfugiant ; hic portus, hæc arx, hæc ara sociorum. C'est ici seulement que les alliés ont un asile ; c’est ici leur port, leur boulevard, leur autel.

XXIV

Nous avons vu à l’article des adverbes que les Latins, à l’imitation des Grecs, aimaient à introduire dans le langage certains adverbes qui ne sont point nécessaires au sens de la phrase. Nous devons en dire autant de certaines conjonctions que l’on rencontre souvent comme pléonasmes. Tels sont verò, autem, enim, etenim, et, atque, que, et d’autres que l’usage apprendra. Ex. : Nisi verò existimatis dementem Africanum fuisse. Cic. A moins que vous ne pensiez que Scipion l’Africain fut un insensé. At enim Pompeius, rogatione suâ, et de re, et de causâ judicavit. Mais Pompée, par sa demande, a prononcé et sur le fait, et sur la cause.