(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XII. Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre. » p. 339
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(1692) Fables choisies, mises en vers « Livre quatriéme. — XII. Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre. » p. 339

XII.

Tribut envoyé par les Animaux à Alexandre.

Une Fable avoit cours parmi l’Antiquité :
Et la raison ne m’en est pas connuë.
Que le Lecteur en tire une moralité.
Voicy la Fable toute nuë.

La Renommée ayant dit en cent lieux,
Qu’un fils de Jupiter, un certain Alexandre,
Ne voulant rien laisser de libre sous les Cieux,
Commandoit que sans plus attendre,
Tout peuple à ses pieds s’allast rendre ;
Quadrupedes, Humains, Elephans, Vermisseaux,
La Republique des Oiseaux :
La Deesse aux cent bouches, dis-je,
Ayant mis par tout la terreur
En publiant l’Edit du nouvel Empereur ;
Les Animaux, et toute espece lige
De son seul appetit, creurent que cette fois
Il falloit subir d’autres loix.
On s’assemble au desert ; Tous quittent leur taniere.
Aprés divers avis, on resout, on conclut
D’envoyer hommage et tribut.
Pour l’hommage et pour la maniere,
Le Singe en fut chargé : l’on luy mit par écrit
Ce que l’on vouloit qui fust dit.
Le seul tribut les tint en peine.
Car que donner ? Il faloit de l’argent.
On en prit d’un Prince obligeant,
Qui possedant dans son domaine
Des mines d’or fournit ce qu’on voulut.
Comme il fut question de porter ce tribut,
Le Mulet et l’Asne s’offrirent,
Assistez du Cheval ainsi que du Chameau.
Tous quatre en chemin ils se mirent
Avec le Singe Ambassadeur nouveau.
La Caravanne enfin rencontre en un passage
Monseigneur le Lion. Cela ne leur plût point.
Nous nous rencontrons tout à point,
Dit-il, et nous voicy compagnons de voyage.
J’allois offrir mon fait à part ;
Mais bien qu’il soit leger, tout fardeau m’embarasse.
Obligez-moy de me faire la grace
Que d’en porter chacun un quart.
Ce ne vous sera pas une charge trop grande ;
Et j’en seray plus libre, et bien plus en estat,
En cas que les Voleurs attaquent nostre bande,
Et que l’on en vienne au combat.
Econduire un Lion rarement se pratique.
Le voilà donc admis, soulagé, bien receu,
Et malgré le Heros de Jupiter issu,
Faisant chere et vivant sur la bourse publique.
Ils arriverent dans un pré
Tout bordé de ruisseaux, de fleurs tout diapré ;
Où maint Mouton cherchoit sa vie ;
Sejour du frais, veritable patrie
Des Zephirs. Le Lion n’y fut pas, qu’à ses gens
Il se plaignit d’estre malade.
Continuez vôtre Ambassade,
Dit-il ; je sens un feu qui me brûle au dedans,
Et veux chercher icy quelque herbe salutaire.
Pour vous ne perdez point de temps.
Rendez-moy mon argent, j’en puis avoir affaire.
On déballe ; et d’abord le Lion s’écria
D’un ton qui témoignoit sa joye :
Que de filles, ô Dieux, mes pieces de monnoye
Ont produites ! voyez ; La plûspart sont déja
Aussi grandes que leurs meres.
Le croist m’en appartient. Il prit tout là-dessus ;
Ou bien s’il ne prit tout, il n’en demeura gueres.
Le Singe et les sommiers confus,
Sans oser repliquer en chemin se remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu’ils se plaignirent,
Et n’en eurent point de raison.
Qu’eust-il fait ? C’eust esté Lion contre Lion ;
Et le Proverbe dit : Corsaires à Corsaires,
L’un l’autre s’attaquant ne font pas leurs affaires.